Pape (270–335).
Fête le 31 décembre.
Saint Sylvestre est un des grands Pontifes dont s’honore le Siège apostolique. Il doit cette renommée, d’abord à ses vertus personnelles, mais aussi aux mémorables événements auxquels il a été mêlé, et qui ont fait de lui l’instaurateur du culte public chrétien.
La vie de ce Pape ne nous est connue que par ses Actes, que la plupart des critiques se refusent à tenir pour véridiques et qu’ils jugent postérieurs d’au moins un siècle et demi. On sait d’autre part que l’Eglise romaine en avait interdit la lecture publique. Le Liber pontificalis en accepta certaines données, rejetant les autres. Lorsque a été effectuée la réforme du Bréviaire, les anciennes leçons de la fête du saint Pontife ont encore, sous Léon XIII, fait l’objet de plusieurs suppressions. Cette observation essentielle ne devra pas être perdue de vue par le lecteur, notamment en ce qui concerne le baptême de l’empereur Constantin.
Jeunesse de saint Sylvestre. – Le martyr Timothée.
Sylvestre, fils de Rufin, naquit à Rome vers l’an 270 et eut pour maître un prêtre nommé Cirin. Quand il fut en âge de disposer de ses biens, il se plaisait à donner l’hospitalité aux chrétiens étrangers venus en pèlerinage au tombeau des saints Apôtres. Si nous en croyons ses Actes, il reçut en particulier dans sa demeure Timothée d’Antioche. Pendant un an, ce confesseur de la foi, dont l’existence est un fait historique, parcourut librement Rome, arrachant les païens à l’erreur et confirmant les chrétiens dans la voie du salut. Le soir, après ses longues journées d’apostolat, il payait son hôte en lui expliquant les mystères de la foi, mais un jour il fut pris, conduit devant le juge, et il conquit la palme du martyre au milieu de cruels tourments.
Non contents d’avoir ôté la vie à leur victime, les persécuteurs voulaient encore priver ses restes de la sépulture, mais ils comptaient sans l’hôte de Timothée. A la faveur de la nuit, Sylvestre trompa les gardes qui veillaient près du corps du martyr, et déroba ses reliques pour les déposer dans un riche monument, dû à la munificence d’une donatrice généreuse.
Saint Sylvestre devant le préfet de Rome.
Dès lors, Tarquinius, préfet de Rome, soupçonna Timothée d’avoir laissé d’immenses richesses et résolut de s’en emparer. Il fit venir Sylvestre à son tribunal, et couvrant sa cupidité du voile de la religion, lui dit :
– Adore à l’instant nos dieux, et remets-nous les trésors de Timothée, si tu veux sauver ta vie.
L’illustre martyr n’avait laissé à son hôte qu’un seul héritage, celui de sa foi et de son courage.
– Insensé, lui répondit Sylvestre éclairé d’une lumière divine, tu n’exécuteras pas tes menaces, car, cette nuit même, on t’arrachera ton âme et tu reconnaîtras malgré toi que le seul vrai Dieu est celui qu’adorent les chrétiens.
Troublé par ces paroles, Tarquinius ordonna de jeter le confesseur en prison, et pour chasser les appréhensions qui l’envahissaient, il alla festoyer. C’est là que Dieu l’attendait. Une arête de poisson lui demeura dans la gorge, et il expira malgré tous les soins.
Les officiers qui avaient entendu la prédiction de Sylvestre vinrent aussitôt délivrer celui-ci de ses chaînes, de peur qu’un pareil châtiment ne les frappât à leur tour, et c’est ainsi que les païens le rendirent à l’Eglise.
Son élection au souverain Pontificat.
A l’âge de trente ans, Sylvestre fut ordonné prêtre par le Pape saint Marcellin et il se distingua par son zèle et sa charité, ce qui lui valut l’inimitié des donatistes. A la mort du Pape saint Melchiade, le clergé et le peuple le désignèrent d’une voix unanime pour lui succéder (31 janvier 314).
Les Actes affirment avec vraisemblance que les chrétiens, même après la victoire miraculeuse remportée par Constantin sur Maxence au pont Milvius, ne laissèrent pas d’être encore persécutés, soit qu’il y eût un revirement dans l’esprit de l’empereur, soit plutôt que, pendant que ce dernier guerroyait contre ses collègues, Maximin et Licinius, les magistrats païens, aient abusé de son absence pour tourmenter les contempteurs des faux dieux.
Quoi qu’il en soit, Sylvestre, afin de se conserver à son troupeau, aurait quitté furtivement Rome, pour se retirer avec ses prêtres au mont Soracte, appelé Syraptim, et distant d’environ sept lieues de la Ville Eternelle.
Le baptême de Constantin.
Au sujet du baptême de l’empereur, les Actes de saint Sylvestre offrent un récit que les critiques considèrent comme une pieuse légende, faite pour édifier, plutôt que reposant sur une base historique. C’est ainsi que nous la présenterons nous-mêmes, avant de dire ce que l’histoire donne comme certain.
Donc, Constantin, qui n’avait pas encore embrassé toute la vérité, fut frappé d’un mal salutaire, qui devait sauver son âme ; des ulcères horribles le couvrirent depuis les pieds jusqu’à la tête. Les médecins accoururent des provinces les plus éloignées pour lui prodiguer leurs soins ; mais ni l’art des hommes ni les puissances de l’enfer ne purent guérir Constantin ; il devait se résigner à mourir.
Au milieu du désespoir général, les prêtres de Jupiter, inspirés par le démon, vinrent suggérer un horrible remède :
– Grand prince, dirent-ils au souverain, ordonnez qu’on rassemble une troupe de jeunes enfants de votre empire, nous les égorgerons, vous vous plongerez dans leur sang encore chaud, et peut-être recouvrerez-vous la santé par ce moyen.
Les païens entendirent cette proposition sans frémir. Des bourreaux parcoururent les provinces, et trois mille nouveau-nés furent amenés à Rome pour y être égorgés.
Au jour fixé pour le massacre, Constantin quitta son palais pour se rendre au Capitole. Une grande troupe de femmes vinrent se jeter à ses pieds ; folles de douleur et de désespoir, elles s’arrachaient les cheveux, levaient leurs mains vers le ciel et le suppliaient d’avoir pitié d’elles et de tant de pauvres petites créatures.
– Quelles sont ces femmes ? demanda l’empereur étonné.
– Ce sont les mères des enfants que l’on doit immoler pour vous, répondirent les gens de son escorte.
Sortant alors comme d’une longue ivresse, Constantin s’écria :
– Egorger ces innocents serait un crime, et qui sait si je recouvrerais, par leur mort, la santé qu’on m’a promise ?
Aussitôt, il contremanda le sacrifice, revint dans son palais, ordonna de remettre une somme d’argent à chacun des enfants qu’on avait amenés et les fit rendre à leurs mères.
Le soir de ce même jour, l’empereur, au milieu de son sommeil, se trouva en présence de deux vieillards environnés d’auréoles.
– Qui êtes-vous, augustes messagers du ciel ? leur demanda-t-il en tremblant.
– Nous sommes Pierre et Paul, les apôtres du Christ. Vous avez, par pitié, laissé une vie mortelle à de pauvres enfants ; notre Seigneur et Maître nous envoie pour guérir votre corps, et donner à votre âme une vie qui ne finira point. Appelez près de vous l’évêque Sylvestre, que la persécution a forcé de se retirer au mont Soracte ou Syraptim ; il vous dira dans quel bain salutaire disparaîtront les ulcères qui couvrent votre corps et les péchés qui souillent votre âme.
A ces mots, les deux apôtres disparurent. Constantin passa le reste de la nuit à remercier le Seigneur. Quand, le lendemain matin, son médecin s’approcha, il lui dit de se retirer, et il commanda qu’on allât aussitôt à la recherche de Sylvestre.
A la vue des soldats romains, le Pontife crut que l’heure de son martyre était arrivée ; il se remit entre leurs mains et les suivit joyeux.
Quand il arriva devant l’empereur, son étonnement fut grand ; au lieu d’un persécuteur, ce fut un fils soumis qu’il trouva. Constantin baisa avec respect la main de Sylvestre et lui dit :
– Au nom du Christ, apprenez-moi si les chrétiens n’adorent point des dieux du nom de Pierre et de Paul.
– Nous n’adorons qu’un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre, dit Sylvestre ; ceux que vous venez de nommer sont ses serviteurs.
– Montrez-moi leurs images, afin que je sache si ce sont eux que j’ai vus pendant mon sommeil.
Un diacre alla chercher les images des saints Apôtres, et, pendant ce temps, Constantin raconta au Pape sa vision ; quand, dans les images qu’on lui présenta, il eut reconnu ceux qui l’avaient visité, il s’écria :
– Oui, ce sont bien ceux que j’ai vus cette nuit ; montrez-moi la piscine où, selon leur promesse, mon corps et mon âme doivent être purifiés.
– Personne n’y peut entrer s’il ne croit d’abord que le Dieu prêché par Pierre et par Paul est le seul véritable.
– Si j’adorais encore d’autres dieux que le Christ, je ne vous aurais point appelé près de moi ; hâtez-vous donc de me conduire au bain salutaire qui m’a été annoncé.
– S’il en est ainsi, grand prince, humiliez-vous dans la cendre et les larmes pendant huit jours, déposez la pompe impériale et retirez-vous dans votre palais, confessez vos péchés ; faites cesser les sacrifices des idoles, rendez à la liberté les chrétiens qui gémissent dans les cachots et dans les mines, répandez d’abondantes aumônes et alors votre désir sera satisfait.
Constantin promit tout. De son côté, le Pape réunit le clergé et les fidèles de Rome et leur ordonna de jeûner et de prier pour le triomphe de l’Eglise. Huit jours se passèrent dans la pénitence et dans les supplications.
Au jour fixé pour le baptême, Sylvestre vint trouver Constantin, acheva de l’initier aux vérités de la foi chrétienne et lui dit :
– Il est temps, illustre empereur, d’entrer dans l’eau qui a été sanctifiée par l’invocation de l’adorable Trinité ; venez à ce bain salutaire où, selon la parole des saints Apôtres, votre âme et votre corps seront purifiés.
Constantin se dépouilla alors de ses vêtements, il entra dans la piscine et le Pontife lui conféra le baptême. A ce moment même, une lumière brillante éclaira l’assemblée ; le Christ se manifesta aux yeux de l’empereur, et la main divine se posa un instant sur sa tête, puis tout disparut. Quand Constantin sortit de la piscine sainte, sa chair était pure et saine comme celle d’un enfant, mais l’eau était couverte d’écailles affreuses, souvenir de la lèpre qui couvrait auparavant et son âme et son corps.
Le nouveau chrétien ne reprit pas immédiatement la pourpre impériale ; mais pendant huit jours, il se plut à porter la robe blanche, symbole de son innocence. Il ordonna de renverser les temples des idoles, d’élever des églises, qu’il enrichit de ses dons, et défendit de blasphémer le nom du Christ.
Telle est la pieuse légende offerte par les Actes. Le Liber pontificalis avait accepté la fuite de Sylvestre sur le mont « Syraptim », la guérison miraculeuse de la lèpre dont aurait été atteint l’empereur, et son baptême à Rome dans le baptistère du Latran. Or, il est prouvé aujourd’hui que la tradition du baptême de Constantin à Rome même n’existe pas en cette ville avant le viiie siècle ; le baptistère du Latran, qui paraît dû réellement à la générosité de l’empereur, ne garde aucun souvenir de son baptême. Un dernier argument achève de ruiner la vraisemblance de ce récit : Constantin ne fut baptisé que tout à fait à la fin de sa vie. Nous avons d’autres exemples des premiers siècles ; qu’il suffise de rappeler que cinquante ans plus tard saint Augustin resta longtemps catéchumène avant de recevoir le saint baptême. L’empereur, dont les sentiments chrétiens et les convictions sont indiscutables, se trouvait à Constantinople lors des fêtes de Pâques de l’an 337 ; fin avril, il tomba malade à Hélénopolis en Bithynie, et quelques semaines après, le jour de la Pentecôte, 22 mai, il mourait à Ancyre après avoir reçu le baptême des mains de l’évêque de la ville voisine de Nicomédie.
Il n’en est pas moins vrai que, depuis l’an 312, les chrétiens, l’Eglise et les deux Papes successifs, saint Melchiade et principalement saint Sylvestre, bénéficièrent d’abord de la tolérance, puis d’une protection de plus en plus grande qui favorisa merveilleusement l’extension du christianisme.
Dons aux églises.
L’ère des persécutions étant close, il fallait de toute justice rendre aux chrétiens les biens qui leur avaient été enlevés. On fît plus encore : ils bénéficièrent aussi de certains immeubles affectés jusque-là au culte païen. Cette œuvre, commencée sous le Pape saint Melchiade, fut menée à bien pendant le long pontificat de Sylvestre. Constantin ne s’en tint pas là et dota royalement les églises qu’il faisait construire et celles qui existaient déjà, et dont voici la liste : la basilique Constantinienne ou du Latran, le baptistère Constantinien, Saint-Pierre du Vatican, Saint-Paul hors les murs, Sainte Agnès hors les murs, Saint-Laurent hors les murs, Saints-Pierre-et-Marcellin, l’église du titre Equitius actuellement dénommée des Saints-Sylvestre-et-Martin ; en outre, les églises d’Ostia Tiberina, d’Albano, de Capoue, de Naples.
Prescriptions canoniques et liturgiques.
Le rôle de saint Sylvestre dans l’épanouissement au grand jour de la liturgie catholique, qui jusqu’à lui ne se déroulait guère que dans l’obscurité ; des Catacombes, a porté les auteurs à lui attribuer quantité de décrets, dont quelques-uns ne font que renouveler ou codifier ce qui était déjà en usage dans l’Eglise. En voici quelques-uns : L’évêque seul pourra préparer le saint Chrême et s’en servir pour confirmer les baptisés. Les diacres porteront à l’autel la dalmatique. Défense est faite de se servir pour le saint sacrifice de la soie ou du drap de couleur, qui doivent être remplacés par la toile de lin, parce que c’est dans un linceul de cette matière qu’a été enseveli le corps du Seigneur. Qu’un laïque n’ait pas la hardiesse de se faire dénonciateur contre un clerc, et qu’un clerc ne soit pas cité devant un tribunal profane pour y être jugé. Les jours de la semaine, excepté le dimanche et le samedi, seront appelés « féries ».
Saint Sylvestre fixa aussi la durée des interstices, ou intervalles de temps à observer entre la réception d’un Ordre et celle d’un Ordre supérieur : vingt ans lecteur, trente jours exorciste, cinq ans acolyte, cinq ans sous-diacre, dix ans gardien des martyrs, sept ans diacre et trois ans prêtre.
Le Concile de Nicée.
Le premier Concile général de toute l’Eglise, qui est celui de Nicée, tenu en 325 en présence de Constantin, fut célébré sous saint Sylvestre qui, trop âgé, le fit présider par ses légats : Osius, évêque de Cordoue, et les prêtres Vite et Vincent, du clergé romain.
Trois questions principales, mais inégales en importance, firent l’objet des discussions conciliaires. C’était d’abord l’hérésie arienne : un jeune diacre, saint Athanase, y confondit victorieusement Arius, qui niait audacieusement la divinité de Jésus-Christ. Le Concile nous a laissé une formule de Credo qui, sauf une légère addition postérieure (381) concernant le Saint-Esprit, est exactement celle que chante encore l’Eglise à la messe dominicale. La deuxième question était celle d’un schisme provoqué en Egypte par Mélétios de Nicopolis. La troisième était l’unification de la date pascale.
La réunion de ce premier Concile œcuménique, où siégèrent 318 Pères, est dans l’histoire de l’Eglise une date considérable, l’événement le plus glorieux peut-être du pontificat de Sylvestre Ier. On en a commémoré à Rome le 16e centenaire en 1925.
La mémoire de saint Sylvestre.
Sylvestre mourut le 31 décembre 335, après un pontificat de vingt et un ans et onze mois. Il fut enseveli au cimetière de Priscille, à la via Salaria, dans une basilique formée par la réunion de deux plus petites, et où avait été enterré le Pape Marcel. Cette basilique était antérieure à saint Sylvestre, mais la sépulture de ce Pape lui valut tant de renommée qu’elle prit son nom. Elle a été entrevue dans des fouilles hâtives pratiquées en 1890, puis retrouvée par l’archéologue Marucchi en 1907 et, après une reconstruction sur les fondements primitifs, solennellement inaugurée le 31 décembre de la même année, sous le pontificat de Pie X.
La vénération dont était entourée la mémoire de saint Sylvestre ressort du fait que, dans les Litanies des Saints, il est le seul Pape nommé avec saint Grégoire le Grand et que sa fête, bien que tombant pendant les solennités de Noël, est célébrée le jour de sa mort. Depuis saint Pie V, elle est du rite double.
Saint Paul Ier transporta ses restes à Saint-Sylvestre in capite, et la gloire de cette tombe effaça bientôt le souvenir de saint Denis, en l’honneur de qui cette basilique avait été construite. Etienne II, en 753, aurait accordé le corps à l’abbé de Nonantule, ce qui doit assurément s’entendre de quelques reliques. C’est encore le seul Pape qui ait eu le privilège, concédé par Grégoire IX et qu’il a gardé pendant cinq siècles, d’avoir sa fête de précepte avec chômage et messe. L’un et l’autre ne furent supprimés qu’en 1798, lorsque Pie VI enleva l’obligation de la messe et du chômage à un certain nombre de fêtes.
Les Grecs ont placé cette fête immédiatement après la Circoncision, au 2 janvier, et les hymnes qu’ils chantent, en le proclamant « le divin coryphée des vénérables Pères de Nicée, qui a confirmé le dogme sacré et fermé la bouche impie des hérétiques », témoignent de leur vénération pour sa mémoire en même temps qu’elles sont un splendide témoignage du magistère infaillible du Pontife romain.
A. L.
Sources consultées. – Mgr Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – Dom Piolin, Supplément aux Petits Bollandistes (Bar-le-Duc). – Dom Gabrol et Dom Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, au mot « Constantin ». – Mgr Albert Battandier, Les Papes du IVe siècle (Annuaire Pontifical, 1910). – (V. S. B. P., n° 150.)