Sainte Agnès

Sainte Agnès, par Massimo Stanzione (ca 1635, 1640), Museu Nacional d'Art de Catalunya

Vierge et mar­tyre à Rome (291–304)

Fête le 21 janvier.

Version courte

La fête de ce jour nous rap­pelle un des plus tou­chants et des plus beaux triomphes de la foi chré­tienne ; elle nous montre une faible enfant sacri­fiant, pour l’a­mour de Jésus-​Christ, tout ce que le monde a de plus sédui­sant : noblesse, for­tune, jeu­nesse, beau­té, plai­sirs, honneurs.

Agnès, enfant de l’une des plus nobles familles de Rome, se consa­cra au Seigneur dès l’âge de dix ans. Elle avait à peine treize ans quand un jeune homme païen, fils du pré­fet de Rome, la deman­da en mariage ; mais Agnès lui fit cette belle réponse : « Depuis long­temps je suis fian­cée à un Époux céleste et invi­sible ; mon cœur est tout à Lui, je Lui serai fidèle jus­qu’à la mort. En L’aimant, je suis chaste ; en L’approchant, je suis pure ; en Le pos­sé­dant, je suis vierge. Celui à qui je suis fian­cée, c’est le Christ que servent les Anges, le Christ dont la beau­té fait pâlir l’é­clat des astres. C’est à Lui, à Lui seul, que je garde ma foi. »

Peu après, la noble enfant est tra­duite comme chré­tienne devant le pré­fet de Rome, dont elle avait rebu­té le fils ; elle per­sé­vère dans son refus, disant : « Je n’au­rai jamais d’autre Époux que Jésus-​Christ. » Le tyran veut la contraindre d’of­frir de l’en­cens aux idoles, mais sa main ne se lève que pour faire le signe de la Croix.

Supplice affreux pour elle : on la ren­ferme dans une mai­son de débauche. « Je ne crains rien, dit-​elle ; mon Époux, Jésus-​Christ, sau­ra gar­der mon corps et mon âme. » Et voi­ci, ô miracle, que ses che­veux, crois­sant sou­dain, servent de vête­ment à son corps vir­gi­nal, une lumière écla­tante l’en­vi­ronne, et un ange est à ses côtés. Le seul fils du pré­fet ose s’ap­pro­cher d’elle, mais il tombe fou­droyé à ses pieds. Agnès lui rend la vie, et nou­veau pro­dige, le jeune homme, chan­gé par la grâce, se déclare chrétien.

Agnès est jetée sur un bûcher ardent, mais les flammes la res­pectent et forment comme une tente autour d’elle et au-​dessus de sa tête. Pour en finir, le juge la condamne à avoir la tête tran­chée. Le bour­reau tremble ; Agnès l’en­cou­rage : « Frappez, dit-​elle, frap­pez sans crainte, pour me rendre plus tôt à Celui que j’aime ; détrui­sez ce corps qui, mal­gré moi, a plu à des yeux mor­tels. » Le bour­reau frappe enfin, et l’âme d’Agnès s’en­vole au Ciel.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Sainte Agnès est une des quatre grandes Saintes des pre­miers siècle ? hono­rées par l’Eglise ; l’une des quatre dont le nom figure au Canon de la messe. On ignore son nom véri­table ; celui d’Agnès, qui évo­qua à la fois, de par son sens pri­mi­tif en grec, l’idée d’immolation et celle de pure­té, et de par son sens en latin l’innocence de l’agneau, n’était peut-​être qu’un sur­nom. Elle fut mar­ty­ri­sée, pro­ba­ble­ment en l’an 304, c’est-à-dire sous le règne de l’empereur Dioclétien.

Jeune étudiante. – Demande en mariage.

Elle reve­nait un jour d’une des écoles où les jeunes filles étaient éle­vées ; ren­con­trée par le fils du pré­fet de la ville [Symphronius], celui-​ci en fut épris, et pour la séduire, il lui envoya des bijoux ; celle-​ci les repous­sa comme chose très vile. Le jeune homme revint à la charge, lui fai­sant pré­sen­ter les pier­re­ries les plus pré­cieuses, et lui pro­po­sa, par ses amis, des palais, des vil­las, une for­tune immense.,

On dit qu’Agnès lui fit répondre : « Retire-​toi de moi, source de péché, entre­tien de crime, ali­ment de mort, je suis déjà aimée par quelqu’un dont les joyaux sont autre­ment beaux que les tiens ; il m’a enga­gée à lui par l’anneau de sa foi, et sa noblesse, sa race, sa digni­té l’emportent de beau­coup sur toi… Il a posé son signe sur mon front, je n’accepterai jamais d’autre amant que lui… Déjà, la chambre nup­tiale est prête ; les concerts déjà se font entendre, et les chants en sortent d’une socié­té de vierges… Sa Mère est vierge, son Père ne connaît aucune épouse ; les anges le servent, les astres l’admirent ; ses par­fums res­sus­citent les morts : à son tou­cher les malades gué­rissent… Je lui garde ma foi ; je me suis don­née à lui avec un immense amour. En l’aimant, je reste chaste ; en l’embrassant, je suis tou­jours pure ; en le pre­nant pour époux, je serai tou­jours vierge. Après, j’aurai des fils enfan­tés sans dou­leur, et ma famille s’accroîtra chaque jour. »

A cette réponse, le jeune homme se sent sai­si d’une aveugle pas­sion ; il en est dévo­ré, il en tombe malade. Les méde­cins viennent dire à son père la cause de son mal. De nou­velles pro­po­si­tions sont faites à la vierge du Seigneur. Agnès les repousse et déclare que rien ne lui fera rompre ses enga­ge­ments avec son pre­mier fian­cé. Le père, convain­cu que rien ne pour­rait résis­ter à sa digni­té, s’enquit par ses espions, appe­lés para­sites, qui pou­vait être le fian­cé d’Agnès. On lui apprit qu’elle était chré­tienne et, dès son enfance « sous le charme de pro­cé­dés magiques qui la forcent à dire que Jésus-​Christ est son époux ».

Appelée devant le tribunal.

Ravi de cette nou­velle, le pré­fet lui envoie de nom­breux appari­teurs pour la som­mer de com­pa­raître devant son tri­bu­nal. Il fait en secret les plus belles pro­messes, à quoi suc­cèdent d’horribles menaces. La vierge du Christ ne se laisse séduire ni par les douces paroles ni par les dis­cours effrayants ; son visage reste imper­tur­bable. Que le pré­fet cher­chât à l’attendrir ou à la ter­ri­fier, elle le regar­dait avec une sorte d’ironie.

Symphronius, se voyant ain­si mépri­sé, mande les parents d’Agnès ; mais comme ils étaient nobles et qu’il ne pou­vait leur faire aucune vio­lence, il leur parle de leur pro­fes­sion de chré­tiens et les renvoie.

Le jour sui­vant, il mande Agnès, la fait com­pa­raître devant son tri­bu­nal, et voyant sa persévérance :

– Tu veux, lui dit-​il, conser­ver ta vir­gi­ni­té ? Eh bien ! tu vas être obli­gée d’aller dans le temple de Vesta, et là tu offri­ras les véné­rables sacri­fices, le jour et la nuit.

Agnès répon­dit :

– Si j’ai refu­sé ton fils, homme vivant et doué d’intelligence, com­ment peux-​tu croire que je m’inclinerai devant des dieux pri­vés de vie ?

– J’ai pitié de ton âge, répli­qua le pré­fet Symphronius ; réflé­chis, et ne t’expose pas ain­si à la colère des dieux.

Et Agnès :

– Dieu ne regarde pas les années, mais les sen­ti­ments de l’âme. Mais je vois que tu cherches à m’arracher ce que tu n’ob­tien­dras jamais de moi. Essaye donc tout ce que tu peux faire envers moi.

Une menace ignominieuse : noble réponse de l’enfant.

[Le pré­fet, à bout d’arguments, menace la petite vierge de l’envoyer dans un lieu d’infamie, si elle refuse de sacri­fier avec les vierges de Vesta.]

Agnès, avec une grande énergie :

– Si tu connais­sais mon Dieu, tu ne t’exprimerais pas ain­si. Je connais la puis­sance de Jésus-​Christ, mon Souverain, et je me ris de tes menaces. J’ai foi que je ne sacri­fie­rai pas à tes dieux, et je ne serai pro­fa­née par aucune souillure étran­gère. J’ai pour gar­dien de mon corps l’ange même du Seigneur. Le Fils unique du Dieu que tu ignores est mon inex­pug­nable rem­part ; il m’est une sen­ti­nelle tou­jours vigi­lante, un défen­seur sans défaillance. Tes dieux d’airain sont de vrais vases, comme des mar­mites, et quant à tes dieux de pierre, il fau­drait les étendre dans les rues pour évi­ter la boue. La Divinité n’habite pas dans des pierres inutiles, mais dans les cieux. Quant à toi et à tes sem­blables, si vous ne chan­gez de che­min, vous serez tous condam­nés au même châ­ti­ment, et, de même qu’on jette le métal au feu pour fondre les sta­tues, de même vous serez con­damnés au feu éter­nel, où vous subi­rez une éter­nelle confusion.

Comment Dieu défend ses créatures. – Châtiment d’un impudique.

[Le pré­fet mit sa menace à exé­cu­tion, ne lais­sant à l’enfant qu’un seul vête­ment. Mais Dieu veillait sur sa servante.]

Entrée dans ce lieu de honte, elle y trou­va l’ange du Seigneur prêt à la rece­voir et à la pro­té­ger, en l’envelopant d’une lumière si écla­tante que les yeux en étaient éblouis et que l’apercevoir était impos­sible : c’était comme le soleil dans sa splendeur.

S’étant pros­ter­née pour invo­quer le nom de Dieu, elle aper­çut une robe très blanche ; elle s’en revê­tit aus­si­tôt en disant : « Je vous remer­cie, mon Seigneur Jésus, vous qui, me comp­tant au nombre de vos ser­vantes, m’avez envoyé ce vête­ment. » En effet, il était si bien adap­té au petit corps de la jeune vierge, qu’on croyait qu’il avait été pré­pa­ré par la main des anges.

La mai­son de crime était trans­for­mée en une mai­son de prière. Quiconque y péné­trait était for­cé d’adorer cette manis­fes­ta­tion lumi­neuse de la puis­sance divine. Le fils du pré­fet, auteur de ces abomi­nations, vou­lut venir à son tour, avec un cer­tain nombre de ses com­pagnons de plai­sir… Mais il trouve les jeunes gens, entrés avant lui, chan­gés, de furieux qu’ils étaient, en admi­ra­teurs. Il leur adresse des reproches, les accuse de lâche­té ; il entre en se moquant, au lieu où la vierge priait, il voit la lumière qui l’entoure ; il n’en rend pas hom­mage à Dieu, il s’élance dans la lumière même ; mais, avant d’avoir pu tou­cher Agnès, il tombe, étouf­fé par le démon, et il expire.

[Un de ses fami­liers, ne le voyant pas reve­nir, entra lui aus­si et le trou­va sans vie. Il sor­tit bien­tôt et par ses cris atti­ra la popu­la­tion dans un théâtre voi­sin du lieu de l’événement.]

Les uns disaient :

– Cette fille est une sorcière

Les autres :

– Non, elle est innocente.

Le mort rappelé à la vie. – Un nouveau Pilate

Le pré­fet, appre­nant la mort de son fils, accou­rut, lui aus­si, au théâtre, et, étant entré dans l’endroit où gisait le corps inani­mé de son fils, il se mit à voci­fé­rer contre Agnès :

– Ô la plus cruelle des femmes ! est-​ce ain­si que tu as vou­lu faire sur mon fils la preuve de ton art sacrilège ?

Agnès répon­dit :

– Celui dont il vou­lait accom­plir la volon­té, Satan, s’en est pour tou­jours empa­ré. Pourquoi les autres qui ont vou­lu s’approcher de moi sont-​ils en par­faite san­té parce qu’ils ont tous hono­ré le puis­sant Dieu qui m’avait envoyé son ange pro­tec­teur, m’avait cou­verte du vête­ment de sa misé­ri­corde et avait gar­dé mon corps offert et con­sacré au Christ presque dès mon ber­ceau. Ils voyaient la gloire du Christ, ils ado­raient et se reti­raient sains et saufs. Ce jeune impu­dent, à peine arri­vé, est entré en fureur ; mais, au moment où il éten­dait vers moi une main cri­mi­nelle, l’ange du Seigneur lui a infli­gé la mort des dam­nés, comme tu le vois.

– On ver­ra bien que tu ne t’es pas ser­vie de malé­fices, si, par tes prières, tu rends mon fils à la vie.

Et la bien­heu­reuse Agnès :

– Bien que votre absence de foi ne mérite pas une telle faveur, il est bon que la puis­sance du Christ se mani­feste. Sortez tous, afin que je puisse faire mes prières accoutumées.

On sor­tit, en effet, et la vierge priant avec une grande fer­veur, l’ange du Seigneur appa­rut de nou­veau, lui don­na un très grand cou­rage et res­sus­ci­ta le jeune homme. Celui-​ci, à peine ren­du à la vie, se mit à crier :

– Il n’y a qu’un seul Dieu, Maître du ciel, de la terre et des mers ; les temples ne sont rien ; les dieux qu’on y adore sont vains, et ne peuvent abso­lu­ment don­ner à per­sonne aucun secours.

Entendant de pareils dis­cours, les prêtres païens et les arus­pices s’émeuvent et sou­lèvent par­mi le peuple une nou­velle sédi­tion. On criait de tous côtés :

– A mort la magi­cienne ! A mort la sor­cière, qui bou­le­verse les idées et rend fous les esprits !

Le pré­fet, voyant toute cette agi­ta­tion, était dans la stu­peur ; mais, crai­gnant d’être com­pro­mis s’il fai­sait quelque acte contre les prêtres et s’il pre­nait la défense d’Agnès, il remit l’affaire à son vicaire Aspasius et se retira.

Après le feu qui ne brûle pas, la mort par le glaive.

Aspasius fît aus­si­tôt pré­pa­rer un grand bûcher et ordon­na qu’on y jetât la jeune vierge au milieu des flammes. A peine l’ordre accom­pli, les flammes se sépa­rèrent en deux parts. Elles brû­laient le peuple révol­té ; quant à Agnès, aucune ne l’atteignit. On attri­buait encore le pro­dige, non à la pro­tec­tion du ciel, mais aux enchante­ments de la vierge, et l’on pous­sait d’incessantes vociférations.

Au milieu des flammes, Agnès s’écriait :

– Ô Dieu tout-​puissant, ado­rable, digne de tout culte, ter­rible, je vous bénis de ce que, par votre Fils Jésus, j’ai échap­pé au dan­ger ; par lui, j’ai fou­lé aux pieds les souillures des hommes et les attaques du démon. Voilà que, par votre Saint-​Esprit, une rosée rafraîchis­sante est tom­bée sur moi ; le feu ne m’a pas consu­mée, et l’ardeur de l’incendie se retourne contre ceux qui l’ont allu­mé. Le feu s’éteint à côté de moi, les flammes se séparent. Je vous bénis, ô Père digne d’être annon­cé par­tout, de ce que vous me per­met­tez d’arriver avec intré­pi­di­té vers vous à tra­vers ces flammes. Voilà que, déjà, je vois ce que j’avais cru, je pos­sède ce que j’avais espé­ré ; ce que j’ai dési­ré, je l’embrasse. Je vous confesse avec mes lèvres, je vous désire de tout mon cœur et du fond de mes entrailles. Ah ! je viens vers vous, Dieu unique qui vivez avec votre Fils Jésus et le Saint-​Esprit… Amen.

Cette prière finie, le feu était si bien éteint, qu’on ne res­sen­tait pas la moindre cha­leur. Alors Aspasius, ne pou­vant vaincre la sédi­tion popu­laire, ordon­na qu’on lui per­çât la gorge avec un glaive, et c’est ain­si que le Christ se consa­cra Agnès, comme épouse et comme mar­tyre, avec le sang vir­gi­nal qu’elle répandit.

Sainte Agnès console ses parents

Martyre de sainte Emérentienne. – Apparition de sainte Agnès.

Ses parents, sans aucun regret, avec joie au contraire, transpor­tèrent son corps à leur vil­la, près de la ville, sur la voie Nomentana, et comme la mul­ti­tude des chré­tiens y accou­rait, on eut à subir les attaques des païens.

Presque tous, voyant le peuple infi­dèle arri­ver avec des armes, prirent la fuite : quelques-​uns, pour­tant, ne s’échappèrent point sans avoir reçu des coups de pierres. Cependant, Emérentienne, sœur de lait d’Agnès, vou­lut res­ter immo­bile au milieu des coups. Cette vierge très sainte, quoique seule­ment caté­chu­mène, disait aux païens :

– Misérables, cruels, vous tuez ceux qui adorent le vrai Dieu et vous mas­sa­crez des hommes inno­cents, pour la défense de vos dieux de pierre.

Tandis qu’elle pro­non­çait ces paroles et d’autres sem­blables, elle fut lapi­dée et ren­dit l’âme près du tom­beau de la bien­heu­reuse Agnès. Et l’on doit croire que, étant seule­ment caté­chu­mène, elle fut bap­ti­sée dans son sang, répan­du pour la gloire de Dieu et la foi de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Au même moment écla­ta un orage si violent que la foudre tua un cer­tain nombre de ces femmes impies, qui avaient don­né la mort à Emérentienne. La nuit sui­vante, les parents d’Agnès vinrent avec des prêtres et don­nèrent la sépul­ture à cette nou­velle mar­tyre, près du tom­beau de leur fille.

Or, ces mêmes parents venaient sou­vent pas­ser des nuits entières auprès du tom­beau sacré. Pendant une de ces nuits, ils aper­çurent une légion de vierges, vêtues de robes tis­sées d’or, s’avancer, entou­rées d’une écla­tante lumière. Au milieu d’elles se trou­vait Agnès, avec un vête­ment d’un éclat mer­veilleux, et à côté d’elle un agneau plus blanc que la neige. Ses parents étaient dans une stu­peur pro­fonde, lorsque Agnès, ayant prié ses com­pagnes de s’arrêter un peu, dit à ceux-ci :

– Gardez-​vous de me pleu­rer comme si j’était morte. Réjouissez- vous plu­tôt et félicitez-​moi de ce que, avec toutes ces vierges, j’ai reçu un trône de lumière. Au ciel, je suis unie à Celui que, sur la terre, j’ai aimé de toute la puis­sance de mon cœur.

Ayant ain­si par­lé, elle s’en alla.

Culte que voue à sainte Agnès la fille de Constantin.

Cette vision était publiée tous les jours par ceux qui en avaient été les témoins. Après un cer­tain nombre d’années, elle fut rap­por­tée à la prin­cesse Constance, vierge très sage, mais dont le corps était cou­vert de plaies de la tête aux pieds. On lui conseilla, pour réta­blir sa san­té, de venir au tom­beau de la Sainte, ce qu’elle fit pen­dant la nuit. Et bien qu’encore païenne, mais déjà la foi dans l’âme, elle répan­dait d’ardentes prières devant le tom­beau béni. Cependant, elle est sai­sie par un som­meil très doux, et elle voit en songe la vierge Agnès qui lui dit :

– Agis constam­ment, Constance, et crois que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, Fils de Dieu, est notre Sauveur ; par lui, tu rece­vras la gué­ri­son de toutes tes plaies.

A ces paroles, Constance se réveilla entiè­re­ment gué­rie, et il ne res­tait plus la moindre trace de son mal.

Rentrée au palais, elle racon­ta le pro­dige à Constantin Auguste, son père, et aux Césars, ses frères. La joie fut uni­ver­selle ; l’impiété des païens était confon­due, la foi des chré­tiens était dans l’allé­gresse. Cependant, Constance prie son père de faire construire une basi­lique à l’endroit de la sépul­ture d’Agnès, afin qu’elle-même y fasse pré­pa­rer son tom­beau tout auprès.

La foi des chré­tiens assu­rait que ceux qui, malades, venaient au sépulcre d’Agnès étaient gué­ris. Qui peut dou­ter, en effet, que le Christ ne rende la san­té à ceux à qui il lui plaît ?

Emmanuel d’Alzon.

[La tra­di­tion depuis les pre­miers siècles. – Les prin­ci­pales sources pri­mitives de l’histoire de sainte Agnès sont : une ins­crip­tion en vers com­po­sée par le Pape saint Damase Ier (366–384) et gra­vée sur une immense plaque de marbre conser­vée à la voie Nomentane ; un ser­mon de saint Ambroise, évêque de Milan, pro­non­cé vers l’an 375, insé­ré dans son recueil sur la Virginité et dont l’Eglise a fait les leçons du Bréviaire pour la fête de la Sainte ; une hymne de la même époque, vrai­sem­bla­ble­ment du même auteur ; enfin un dis­cours qui paraît pos­té­rieur de plu­sieurs années à la mort du grand évêque et qu’on lui attri­bue aus­si, quoique avec moins de vrai­sem­blance ; c’est le texte, tra­duit libre­ment, que nous don­nons plus haut. Le Bréviaire en a gar­dé plu­sieurs pas­sages du dis­cours adres­sé par la Sainte à son pré­ten­dant et de la prière qu’elle fait au milieu des flammes. Puis vient le poète Prudence, d’origine espa­gnole (IVème -Vème s.) ; un récit ancien de la « Passion » d’Agnès existe aus­si en grec. Au XXème siècle, le P. Florian Jubaru, S. J., en un ouvrage qui est d’ailleurs d’une impor­tante docu­mentation, avait cru pos­sible de démon­trer qu’il y a eu deux Saintes romaines du nom d’Agnès, et que le sup­plice le plus infa­mant n’a pas été appli­qué à la petite vierge de douze à treize ans, mais à l’autre sainte Agnès. Cette théo­rie n’a pas été rete­nue par d’autres historiens.

Les deux églises de Rome. – Plusieurs églises furent éle­vées, à Rome, en l’honneur de sainte Agnès ; deux existent encore : l’une au lieu pré­su­mé de son sup­plice, près de la place Navone, qui s’étend là où était l’arène du Cirque Agonal ou stade de Domitien ; l’autre hors les murs, près de son tom­beau, sur la voie Nomentane.

La pre­mière a été recons­truite plu­sieurs fois depuis le VIIème siècle. C’est un édi­fice somp­tueux, embel­li et agran­di au XVIIème siècle par le Pape Innocent X (Pamphili) qui en confé­ra le droit de patro­nat et la pro­prié­té à sa famille : le palais Pamphili et le col­lège Innocent l’enserrent de chaque côté. Les pierres employées à la construc­tion d’une par­tie de la façade et des deux cam­pa­niles pro­viennent des gra­dins du cirque. Le 19 jan­vier 1908, Pie X a offert à cette église, dans un très beau reli­quaire, les osse­ments du chef de sainte Agnès, qui était res­té plu­sieurs siècles dans le tré­sor incom­pa­rable qu’est le Sancta Sanctorum du Latran.

Pour rem­pla­cer l’oratoire qui abri­tait le tom­beau de sainte Agnès à la voie Nomentane, le Pape Honorius Ier fit construire, au VIIème siècle, une nou­velle église qui a été conser­vée, ain­si que la mosaïque absi­dale où ce Pontife est repré­sen­té aux côtés de la jeune vierge. Le car­di­nal Julien del­la Rovere, le futur Jules II, y ajou­ta un cam­pa­nile vers la fin du XVème siècle, et Pie X fît res­tau­rer l’abbaye voi­sine. L’église, qui est deve­nue titre car­dinalice sous Innocent X, à la place de celle de la place Navone, a été confiée aux Chanoines régu­liers du Latran.

En 1605, on y retrou­va une châsse conte­nant deux corps don­nés comme étant ceux des saintes Agnès et Emérentienne ; Paul V offrit alors, pour les rece­voir, une châsse d’argent, qui fut pla­cée sur son ordre dans une cel­la murée, La châsse a été retrou­vée sous Léon XIII, lorsque le car­di­nal Kopp, titu­laire de l’église, fit faire des res­tau­ra­tions, mais le Pape inter­dit la « recon­nais­sance » offi­cielle des reliques. La fête de sainte Emérentienne, éga­le­ment hono­rée comme vierge et mar­tyre, est célé­brée le 28 janvier.

Le 21 jan­vier de chaque année a lieu devant l’autel, qui est aus­si le tom­beau de la Sainte, la béné­dic­tion de deux agneaux. Ils sont conser­vés jus­qu’à la fin des solen­ni­tés pas­cales, et offerts au Pape le dimanche in albis, par le Chapitre de Saint-​Jean de Latran, à titre de rede­vance. De leur laine est fait le pal­lium, insigne de l’autorité pon­ti­fi­cale que le Pape envoie aux arche­vêques et à quelques évêques comme la marque de pou­voirs qu’il veut bien leur délé­guer. Cet usage remonte au moins au VIIème siècle.

Le culte de sainte Agnès. – L’image de la jeune Sainte a été peinte ou tra­duite en mosaïque dès les pre­miers siècles. On la repré­sente tou­jours avec un agneau, sym­bole qui convient à une toute jeune fille, une enfant plu­tôt, immo­lée pour res­ter fidèle à l’Agneau sans tache.

De nom­breuses et illustres vierges chré­tiennes ont pro­fes­sé, à tra­vers les siècles, une ardente dévo­tion envers sainte Agnès, choi­sie comme le modèle d’amour divin : telles furent les saintes Solange, Gertrude. Lutgarde, Catherine de Sienne, Brigitte de Suède, Catherine de Ricci, Madeleine de Pazzi et Françoise-​Romaine. Le nom d’Agnès était fré­quem­ment don­né au bap­tême pen­dant le moyen âge et son culte était très répan­du : on compte, en effet, cinq Saintes et plu­sieurs Bienheureuses de ce nom, sans par­ler de plu­sieurs reines ou princesses.

Sa fête est décla­rée, en Angleterre, jour férié pour les femmes, par un Concile en 1240 ; le sire de Joinville, mena­cé de mort par les Sarrasins et voyant le glaive prêt à lui per­cer la gorge, n’a que cette pen­sée : « Ainsi mou­rut sainte Agnès ». Notre roi Charles V offre une sta­tuette d’or de la Sainte à la basi­lique de la voie Nomentane ; saint Thomas d’Aquin, ce modèle de chas­te­té, a pour elle un culte de pré­di­lec­tion. Elle est la patronne de l’Ordre des Trinitaires et du col­lège Capranica à Rome. Plusieurs Sociétés reli­gieuses se fon­dèrent sous son patro­nage ; on les appe­lait en France « les Demoiselles de Sainte-​Agnès » ou « Agnétines ».

Dans les Missions, de nos jours, les familles chré­tiennes pro­fessent la même dévo­tion pour le nom et le patro­nage de la jeune Sainte.]

Sources consul­tées. – P. Florian Jubaru, S. J., Sainte Agnès, vierge et mar­tyre de la voie Nomentane, d’a­près de nou­velles recherches (1907, Paris ; on y trouve tous les textes anciens) ; Sainte Agnès (1909, Paris). – A. Dufourcq, article « Agnès » (dans Dictionnaire d’his­toire et de géo­gra­phie ecclé­sias­tique). – Paul Allard, article « Agnès » (dans Dictionnaire d’ar­chéo­lo­gie chré­tienne). – (V. S. B. P., n° 32 et 829.)

Source : Un saint pour chaque jour du mois, 1re série, La Bonne Presse