Sainte Geneviève

"Sainte Geneviève, patronne de Paris, devant l'Hôtel de Ville ; à droite, les Huns repoussés (vers 1620)". Anonyme. Paris, musée Carnavalet.

Vierge, patronne de Paris (422-† 512)

Fête le 3 janvier.

Version courte

Sainte Geneviève, patronne de Paris, naquit au vil­lage de Nanterre, vers l’an 422. C’est bien dans une vie comme la sienne que l’on recon­naît la véri­té et que l’on trouve la réa­li­sa­tion de cette parole de saint Paul : « Dieu choi­sit dans ce monde les ins­tru­ments les plus faibles pour confondre l’or­gueil et les pré­ten­tions des hommes. »

Elle était âgée de sept ans quand saint Germain, évêque d’Auxerre, tra­ver­sa le vil­lage de Nanterre, où elle habi­tait. Éclairé par une lumière divine, le Saint dis­cer­na cette modeste enfant par­mi la foule accou­rue sur ses pas : « Béni soit, dit-​il à ses parents, le jour où cette enfant vous fut don­née : Sa nais­sance a été saluée par les anges, et Dieu la des­tine à de grandes choses. » Puis, s’a­dres­sant à la jeune enfant, il la confir­ma dans son désir de se don­ner tout à Dieu : « Ayez confiance, ma fille, lui dit-​il, demeu­rez inébran­lable dans votre voca­tion ; le Seigneur vous don­ne­ra force et courage. »

Depuis ce moment, Geneviève se regar­da comme consa­crée à Dieu ; elle s’é­loi­gna de plus en plus des jeux et des diver­tis­se­ments de l’en­fance et se livra à tous les exer­cices de la pié­té chré­tienne avec une ardeur bien au-​dessus de son âge. Rarement on vit, dans une exis­tence si humble, de si admi­rables ver­tus. Elle n’é­tait heu­reuse que dans son éloi­gne­ment du monde, en la com­pa­gnie de Jésus, de Marie et de son Ange gardien.

Geneviève reçut le voile à qua­torze ans, des mains de l’ar­che­vêque de Paris, et, après la mort de ses parents, elle quit­ta Nanterre pour se reti­rer à Paris même, chez sa mar­raine, où elle vécut plus que jamais sain­te­ment. Malgré ses aus­té­ri­tés, ses extases, ses miracles, elle devint bien­tôt l’ob­jet de la haine popu­laire, et le démon jaloux sus­ci­ta contre elle une guerre achar­née. Il fal­lut un nou­veau pas­sage de saint Germain de Nanterre pour réta­blir sa répu­ta­tion : « Cette vierge, dit-​il, sera votre salut à tous. »

Bientôt, en effet, le ter­rible Attila, sur­nom­mé le Fléau de Dieu, enva­his­sait la France ; mais Geneviève prê­cha la péni­tence, et, selon sa pré­dic­tion, Paris ne fut pas même assié­gé. La sainte mou­rut à quatre-​vingt-​neuf ans, le 3 jan­vier 512. D’innombrables miracles ont été opé­rés par son inter­ces­sion. Son tom­beau est tou­jours entou­ré de véné­ra­tion dans l’é­glise de Saint-​Étienne-​du-​Mont, à Paris. Elle est une des grandes Patronnes de la France.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Sainte Geneviève est la vierge à qui Dieu donne pour famille un peuple tout entier. Elle appar­tient à la fois à la Gaule romaine, dont elle voit les der­nières années, et à la Gaule franque, qui com­mence sous ses yeux. Elle sert de trait d’union entre l’une et l’autre, ayant reçu de Dieu la mis­sion de trans­mettre à la nation nais­sante la foi catho­lique de la nation qui disparaît.

La vierge de Nanterre.

Geneviève naquit à Nanterre, bour­gade située à proxi­mi­té de Paris, vers l’an 422, sur la fin du règne de l’empereur Honorius. La future capi­tale de la France fai­sait encore par­tie de l’empire romain, mais cet empire s’écroulait sous les coups des barbares.

Son père, Sévère, et sa mère, Gérontia, fer­vents adeptes de la reli­gion chré­tienne, à une époque où le paga­nisme infec­tait encore une grande par­tie de la Gaule, éle­vèrent l’enfant dans les sen­ti­ments qui les ani­maient eux-​mêmes. Sa mar­raine habi­tait Paris et semble avoir pos­sé­dé une assez large aisance. Elle impo­sa à sa filleule le nom de Genovefa (Geneviève), où d’aucuns ont cru retrou­ver la trace de deux mots cel­tiques signi­fiant fille du ciel.

Une héré­sie orgueilleuse, le péla­gia­nisme, sévis­sait alors en Grande-​Bretagne. Sur l’ordre du Pape saint Célestin Ier et à la prière des évêques des Gaules, saint Germain, évêque d’Auxerre, et saint Loup, évêque de Troyes, s’acheminèrent, en 429, vers Boulogne pour aller com­battre l’erreur au delà du détroit. Leur barque ayant abor­dé le soir du jour qu’ils avaient quit­té Paris auprès du vil­lage de Nanterre, ils réso­lurent d’y pas­ser la nuit. Comme Germain adres­sait quelques paroles à la popu­la­tion, ses regards se por­tèrent sur une fillette, et, voyant sur son front l’éclat de la sainteté :

– Qu’elle est cette enfant ? dit-​il en s’adressant à son audi­toire ; quels sont ses parents ?

– C’est Genovefa, répon­dirent aus­si­tôt des voix nombreuses.

Et fen­dant la foule, Sévère et Gérontia se pré­sen­tèrent devant le pontife.

— Béni soit le jour où cette enfant vous fut don­née, dit Germain ; sa nais­sance fut saluée par les anges ; le Seigneur la réserve à de grandes choses.

Puis s’adressant à la jeune enfant :

– Dites-​moi, ma fille, n’avez-vous pas la volon­té de vous consa­crer au Seigneur et de deve­nir son épouse ?

– Père saint, soyez béni, vous qui lisez dans mon cœur ; tel est, en effet, mon désir, et j’ai sou­vent prié Dieu de l’exaucer.

– Ayez confiance, ma fille, demeu­rez ferme dans votre voca­tion, le Seigneur vous don­ne­ra force et courage.

On chan­ta None et Vêpres à l’église, et pen­dant tout le temps, Germain tint la main droite éten­due sur la tête de Genovefa. Le len­de­main, après l’office, le pré­lat appe­la l’enfant et lui dit :

– Vous souvenez-​vous, ma fille, de la pro­messe que vous m’avez faite ?

– Père saint, répondit-​elle, je l’ai faite à Dieu et à vous, je ne l’oublierai jamais.

Or, il se trou­va à terre une mon­naie de cuivre qui por­tait sur l’une de ses faces le signe sacré de la croix. Germain la ramas­sa et la pré­sen­tant à l’enfant :

– Suspendez à votre cou ce signe sacré, ma fille, dit-​il, et gardez-​le en mémoire de moi ; qu’il vous tienne lieu de tous les orne­ments du siècle.

C’est le pre­mier exemple, dans l’histoire, d’une médaille de dévotion.

Puis, s’étant recom­man­dé à ses prières, l’évêque la bénit et reprit sa route.

Geneviève était occu­pée chaque jour à gar­der le trou­peau de son père ; elle avait ain­si tout le loi­sir de pen­ser aux choses du ciel, et son cœur était inon­dé d’une grande joie. Le temps que lui lais­saient ses occu­pa­tions, elle allait le pas­ser en com­pa­gnie du Dieu qui vit pri­son­nier dans nos tabernacles.

Un jour de fête, elle pen­sait se rendre à l’église, mais sa mère le lui défen­dit abso­lu­ment, lui ordon­nant de gar­der la mai­son. Comme Geneviève rap­pe­lait la pro­messe qu’elle avait faite à saint Germain, de ne jamais man­quer aux offices, Gérontia, irri­tée, lui don­na un souf­flet : mais au même ins­tant elle devint aveugle.

Au bout de vingt et un mois, la mère se res­sou­vint des éton­nantes pré­dic­tions de saint Germain. Dans un moment de repen­tir mêlé d’une grande confiance, elle appe­la sa fille :

– Mon enfant, lui dit-​elle, hâte-​toi, je t’en sup­plie, d’aller pui­ser de l’eau au puits voisin.

Geneviève obéit et por­ta l’eau à sa mère.

– Et main­te­nant, dit Gérontia, fais le signe de la croix sur cette eau.

L’enfant fît ce qu’on lui deman­dait. L’aveugle éle­va les mains au ciel et pria. Puis, trois fois de suite, elle mouilla ses yeux avec l’eau, et elle recou­vra la vue. Dès ce moment, toute liber­té fut lais­sée à Geneviève de vaquer comme elle l’entendrait à ses exer­cices de piété.

Sainte Geneviève déclare à saint Germain d’Auxerre, en pré­sence de saint Loup, qu’elle désire se consa­crer à Dieu.

Sainte Geneviève prend le voile des vierges et se fixe à Paris.

A l’âge d’environ qua­torze ans, Geneviève réso­lut de prendre le voile des vierges. Elle le reçut des mains de l’évêque de Paris, puis revint à Nanterre, où elle conti­nua d’assister ses parents dans tous leurs besoins. A leur mort, elle dit adieu à son vil­lage natal pour se fixer à Paris, chez sa mar­raine, bien réso­lue de mener désor­mais une vie entiè­re­ment consa­crée au ser­vice de Dieu.

L’orpheline était à peine arri­vée dans la petite île de la Cité, où tenait alors presque tout Lutèce, que Dieu envoya à sa ser­vante une para­ly­sie dou­lou­reuse. Elle fut tenue pour morte durant les trois jours que dura la crise. Pendant ce temps, son âme contem­plait au ciel la joie des bien­heu­reux, et en enfer les tour­ments des dam­nés. Jésus-​Christ lui appa­rut aus­si atta­ché à la croix, lui per­mit de pui­ser dans le tré­sor de ses grâces et lui accor­da en par­ti­cu­lier le dis­cer­ne­ment des esprits.

La Sainte sou­pi­rait après l’heureux moment où, déli­vrée des liens du corps, son âme s’envolerait vers Dieu ; si bien qu’à regar­der le ciel elle ne pou­vait s’empêcher de pleu­rer. Impuissante à dépouiller son enve­loppe mor­telle, elle l’opprimait du moins par les veilles, les dis­ci­plines, les orai­sons et les pèlerinages.

De quinze à cin­quante ans, elle ne man­gea que le dimanche et le jeu­di. Sa nour­ri­ture se com­po­sait d’un peu de pain d’orge et de fèves cuites à l’huile par­fois depuis deux ou trois semaines. Après cin­quante ans, pour obéir au désir de quelques évêques, elle ajou­ta à ce menu gros­sier du pois­son et du lait. Cependant, jamais, même dans ses mala­dies, elle ne vou­lut man­ger de la viande ni boire du vin ou de quelque autre bois­son fermentée.

Sa dévotion à saint Denis — Miracles divers.

La vierge pari­sienne avait une grande dévo­tion pour l’illustre apôtre de Paris, saint Denis ; elle allait sou­vent en pèle­ri­nage au petit bourg de Cattuliacus (Catheuil), sur le bord de la Seine, où se trou­vait son tom­beau, et elle vou­lut y faire bâtir une église. Les prêtres aux­quels elle s’adressa lui repré­sen­tèrent l’impossibilité d’une telle entre­prise, faute de chaux. Geneviève ne se rebu­ta pas, elle per­sé­vé­ra dans la prière et presque aus­si­tôt des por­chers décou­vrirent deux fours à chaux, non loin de l’endroit où s’élève main­te­nant la magni­fique basi­lique de Saint-Denis.

Une fois, le vin man­qua aux ouvriers ; Geneviève s’étant mise en prière, Jésus-​Christ renou­ve­la en sa faveur le miracle de Cana ; elle chan­gea l’eau en vin, et le ton­neau qui le conte­nait fut suf­fi­sant pour toute la durée du travail.

Ce fut dans l’église du saint mar­tyr qu’elle déli­vra douze possédés.

Les prières de la Sainte étaient un sup­plice pour les démons, aus­si s’efforçaient-ils de la tour­men­ter de toutes les manières, elle et ses com­pagnes, ces vierges et ces veuves dont l’évêque de Paris l’avait nom­mée supé­rieure. Un matin que la pieuse cohorte se ren­dait au tom­beau de saint Denis pour y réci­ter Matines, une pluie tor­ren­tielle étei­gnit le flam­beau qui éclai­rait le cor­tège. Mais Geneviève prit le cierge et à peine l’eut-elle tou­ché qu’il se ral­lu­ma de lui-​même. Elle le por­ta ain­si jusqu’à la basi­lique ; sa flamme défia toutes les fureurs de l’ouragan. Ce cierge fut gar­dé comme une pré­cieuse relique et ser­vit à rendre la san­té aux infirmes.

Geneviève pas­sait des jour­nées et des semaines entières dans une étroite soli­tude, pour s’y livrer uni­que­ment à l’oraison et à la péni­tence. Depuis la fête des Rois jusqu’au Jeudi-​Saint, elle demeu­rait enfer­mée dans sa chambre, s’adonnant à toutes sortes d’austérités, sans nul autre entre­tien que celui de Jésus-​Christ et des esprits bienheureux.

Dieu lui accor­dait alors de nou­velles lumières et de nou­velles grâces pour elle-​même et pour les autres. On lui appor­ta un jour un enfant mort à la suite d’une chute dans un puits, où il était res­té plon­gé trois heures. Elle enve­lop­pa le cadavre dans sa robe, se mit en prières auprès de lui, et l’enfant revint à la vie. Une autre fois, une femme, ayant eu la curio­si­té de regar­der par une fente ce que Geneviève fai­sait dans sa chambre, fut frap­pée de céci­té. La Sainte prit pitié de la mal­heu­reuse, et lui ouvrit les yeux par la ver­tu du signe de la croix.

Elle pos­sé­dait près de Meaux des terres qui pro­ve­naient peut-​être de l’héritage de sa mar­raine. Elle avait cou­tume de s’y rendre à l’époque de la mois­son. Un jour qu’un orage mena­çait de détruire la récolte, Geneviève se reti­ra sous la tente qu’on lui avait dres­sée, se pros­ter­na à terre et, selon son habi­tude, se mit à prier avec beau­coup de larmes. A la stu­pé­fac­tion des spec­ta­teurs, la pluie se déver­sa sur les champs voi­sins, mais épar­gna sa récolte et ses mois­son­neurs. A Meaux, une jeune fille, nom­mée Céline, la pria de l’agréer au nombre de ses com­pagnes et, sous sa direc­tion, devint une Sainte. Pareille chose advint à une autre jeune fille de la même région, sainte Aude.

Sa dévo­tion à saint Martin la condui­sit à Tours. En cours de route elle sema de nom­breux miracles, ren­dit la vue aux aveugles, la san­té aux infirmes et déli­vra les possédés.

Telle était sa répu­ta­tion de sain­te­té que saint Siméon, sty­lite d’Asie, voyant des mar­chands de Paris au pied de sa colonne, les pria de saluer la vierge Geneviève de sa part et de le recom­man­der à ses prières.

Le démon, furieux du bien qu’elle accom­plis­sait, cher­chait tous les moyens de lui nuire. A son ins­ti­ga­tion, des per­sonnes, plus rem­plies d’orgueil que de juge­ment, se mirent à répé­ter à qui vou­lait l’entendre que Geneviève n’était qu’une hypo­crite, et que, sous des dehors aus­tères, elle cachait les crimes les plus affreux. Ces bruits, col­por­tés avec tout l’artifice de l’esprit malin, trou­vèrent de nom­breux échos ; les gens de bien finirent par avoir l’humble reli­gieuse en mau­vaise estime.

Tel était l’état des esprits, lorsque saint Germain, appe­lé de nou­veau en Grande-​Bretagne en 447, repas­sa par la cité des Parisiens. Quand il deman­da ce qu’était deve­nue la jeune ber­gère de Nanterre, le peuple lui répon­dit par des insi­nua­tions per­fides. Sans se lais­ser émou­voir, le pon­tife alla droit à la demeure de la vierge et, après l’avoir saluée avec défé­rence, il dit à ceux qui l’entouraient :

– Voyez cette humble cel­lule, son sol est détrem­pé par les larmes d’une vierge chère à Dieu, et qui sera un jour l’instrument de votre salut à tous.

Sainte Geneviève sauve deux fois la ville de Paris.

Attila, sur­nom­mé le fléau de Dieu, après avoir conquis la moi­tié de l’Europe, fran­chit le Rhin, à la tête d’une armée for­mi­dable de six ou sept cent mille bar­bares. L’Occident crut que le monde tou­chait à sa fin. Le tor­rent dévas­ta­teur ne lais­sait rien debout sur son pas­sage : les cam­pagnes étaient rava­gées, les villes pillées et brû­lées, les églises ren­ver­sées, le cler­gé et le peuple massacrés.

La ter­reur fut à son comble dans la ville, quand se pro­pa­gea le bruit de la des­truc­tion de Reims. Les plus riches bour­geois se hâtaient d’entasser sur des char­rettes ce qu’ils avaient de plus pré­cieux, tous vou­laient s’enfuir et aller cher­cher un refuge dans d’autres villes. Mais sainte Geneviève, ani­mée de l’esprit de Dieu, s’efforça de les ras­su­rer et de les retenir :

– Si vous vou­lez faire péni­tence de vos péchés et apai­ser la jus­tice du ciel, leur disait-​elle, vous serez plus en sûre­té ici que dans les villes où vous vou­lez cou­rir. Les enne­mis ne vien­dront même pas vous assiéger.

Quelques per­sonnes, per­sua­dées par ses dis­cours, com­men­cèrent à se réunir à elle, afin de pas­ser les jours et les nuits en prière au bap­tis­tère de l’église Saint-​Jean-​le-​Rond. Mais ta plu­part la trai­tèrent de sor­cière : par ses rêve­ries stu­pides, elle empê­chait, disait-​on, ses conci­toyens de sau­ver leur vie, et allait tout livrer aux bar­bares et à la ruine. La popu­lace par­lait déjà de la mas­sa­crer, quand sur­vint fort oppor­tu­né­ment Sedulius, l’archidiacre de saint Germain d’Auxerre, por­teur du pain bénit que le pon­tife, avant d’expirer le 31 juillet 448 à Ravenne, l’avait char­gé de remettre à Geneviève, en gage de béné­dic­tion. Au nom de saint Germain, l’archidiacre apai­sa le peuple ; celle qu’on trai­tait de vierge folle fut accla­mée, et les Parisiens res­tèrent dans leur ville.

Bientôt ils apprirent qu’Attila, d’abord tenu en res­pect sous les murs d’Orléans, grâce à l’énergie de l’évêque saint Agnan, avait été contraint à la retraite, puis sévè­re­ment bat­tu dans les champs Catalauniques, à quatre kilo­mètres de Troyes, sous l’action concer­tée des Francs de Mérovée, des Wisigoths de Théodoric et des Burgondes, réunis en une seule armée que com­man­dait le géné­ral romain Aétius (451).

Paris n’avait même pas vu l’ennemi ; mais sans Geneviève, qui sait si cette ville, déser­tée, rui­née et peut-​être aban­don­née pour tou­jours, ne serait pas aujourd’hui une île maré­ca­geuse, au lieu d’être une des plus belles capi­tales de l’univers ?

Entre 486 et 496, Clovis, deve­nu maître de Soissons par sa vic­toire sur le géné­ral romain Syagrius, inves­tit Paris, qui, res­té nomi­na­le­ment fidèle à l’autorité impé­riale, refu­sait de recon­naître la suze­rai­ne­té du roi franc. La famine ne tar­da pas à sévir par­mi les assié­gés. A leur sol­li­ci­ta­tion, Geneviève équi­pa onze bateaux, et, se diri­geant vers la Champagne, recueillit de ville en ville du blé qu’elle payait par des miracles.

Au départ, deux démons, qui infes­taient un point de la rivière et y cou­laient beau­coup de bateaux, vou­lurent faire cha­vi­rer ceux de Geneviève. Mais ce fut en vain, et la Sainte leur com­man­da, au nom de Dieu, de quit­ter ce lieu pour jamais.

Revenue à Paris, elle se mit à cuire elle-​même le pain et à le dis­tri­buer aux pauvres. Dieu, tou­ché de tant de cha­ri­té, le mul­ti­plia plu­sieurs fois entre ses mains.

Le bap­tême de Clovis à Reims, le 25 décembre 496, ouvrit sans coup férir au royal conver­ti les portes de Paris. L’événement com­blait les vœux et les prières de Geneviève.

Son crédit auprès des rois francs — Sa mort.

Les rois francs, Mérovée et Childéric, tout païens qu’ils étaient, ne pou­vaient s’empêcher d’admirer les ver­tus de la Sainte. Ils l’appelaient une demi-​déesse et ne lui refu­saient jamais rien. Un jour que Geneviève était sor­tie de Paris, Childéric, crai­gnant qu’elle ne vînt lui deman­der la grâce de plu­sieurs pri­son­niers, fit fer­mer les portes de la ville. Mais elles s’ouvrirent d’elles-mêmes quand la Sainte, aver­tie par Dieu, s’y pré­sen­ta. Elle vint se jeter aux pieds du monarque et obtint la vie sauve pour ses protégés.

Clovis eut encore plus d’affection et de véné­ra­tion pour elle. A sa requête, il déli­vrait les pri­son­niers, fai­sait des lar­gesses aux pauvres et bâtis­sait de magni­fiques églises. Il lui don­na, sur le che­min de Paris à Reims, les vil­las de Crugny et de La Fère, afin de lui faci­li­ter ses visites à saint Remi.

Sainte Clotilde, la noble épouse de Clovis, regar­dait comme un grand bon­heur de rece­voir les visites de Geneviève. En de longs entre­tiens, les deux Saintes se plai­saient à devi­ser fami­liè­re­ment sur les moyens de plaire à Dieu et d’assurer leur salut éternel.

Ainsi, cette humble ber­gère, par sa sain­te­té, a contri­bué d’une manière très effi­cace à la fon­da­tion de la France chré­tienne, et a méri­té d’être, dans la suite des siècles, une de ses protectrices.

Sainte Geneviève avait quatre-​vingt-​neuf ans et tou­chait au déclin de sa glo­rieuse vie. Sa mis­sion était d’ailleurs rem­plie. Le royaume chré­tien exis­tait main­te­nant tel qu’elle l’avait entre­vu dans ses visions. Le 3 jan­vier 512, cinq semaines à peine après la mort de Clovis, elle ren­dit son âme à Dieu. Son corps fut inhu­mé dans l’église Saint-​Pierre et Saint-​Paul, que Clovis avait bâtie sur son conseil et qui, dès lors, por­ta le nom de sainte Geneviève. Cette église, détruite en 1807, était à droite de Saint-​Etienne-​du-​Mont, sur l’emplacement de la rue Clovis. Elle avait tou­jours été des­ser­vie par des Chanoines régu­liers de Saint-​Augustin, appe­lés Génovéfains, du nom de leur sainte Patronne.

Patronne de Paris et de la France.

Le tom­beau de la Sainte devint célèbre par une mul­ti­tude de miracles. L’huile de la lampe qui brû­lait devant ses reliques gué­ris­sait de nom­breux malades. Lors d’une crue de la Seine, les mai­sons de la Cité furent inon­dées jusqu’au pre­mier étage, le flot enva­hit la chambre où la Sainte était morte, mais le lit sur lequel elle avait ren­du le der­nier sou­pir ne fut pas même mouillé, les eaux l’entourèrent comme un mur sans le tou­cher. On construi­sit en ce lieu une église, appe­lée Sainte-​Geneviève-​la-​Petite.

Lorsque des fléaux mena­çaient Paris ou la monar­chie fran­çaise, toute la capi­tale allait implo­rer sa céleste patronne ; les reliques de la Sainte étaient por­tées en grande pompe dans une pro­ces­sion solen­nelle, pré­pa­rée par une neu­vaine, et à laquelle pre­naient part le cler­gé, la cour, les auto­ri­tés et le peuple.

En 1130, sous le règne de Louis VI, une épi­dé­mie ter­rible, appe­lée le mal des ardents, déso­lait Paris. On recou­rut à la vierge de Nanterre pour apai­ser la jus­tice divine. Au moment de la pro­ces­sion, quand les reliques de la Sainte entrèrent dans l’église Notre-​Dame, encom­brée de mou­rants, cent de ces mal­heu­reux furent sou­dai­ne­ment gué­ris et le fléau s’arrêta. La recon­nais­sance popu­laire don­na dès lors à l’église de Sainte-​Geneviève-​la-​Petite le nom nou­veau de Sainte-​Geneviève-​des-​Ardents.

L’ancienne église Sainte-​Geneviève, située sur la col­line et gar­dienne des reliques de la Sainte depuis leur trans­la­tion du 28 octobre 1242, mena­çait ruine au XVIIIème siècle. Louis XV en fît construire une nou­velle près de l’ancienne ; mais sur­vint la Révolution, qui chan­gea l’église de la Patronne de Paris en pan­théon, des­ti­né aux « grands hommes » que l’on sait. La châsse de la Sainte, trans­fé­rée le 14 août 1792 à Saint-​Etienne-​du-​Mont, fut envoyée à la Monnaie le 9 novembre 1793, et le 21 novembre sui­vant les reliques étaient brû­lées sur la place de Grève. « Leurs cendres jetées à la Seine, remarque l’abbé Lesêtre, allaient ain­si rejoindre celles de Jeanne d’Arc dans l’immense Océan ! »

L’église Saint-​Etienne-​du-​Mont, gar­dienne du tom­beau où le corps de la Sainte a repo­sé long­temps, reste le centre d’un pèle­ri­nage fré­quen­té, et dans les moments de cala­mi­té, par exemple en sep­tembre 1914 quand l’armée enne­mie mena­çait Paris, ou lorsque des pluies pro­lon­gées pro­vo­quaient une vio­lente crue de la Seine, on a vu la popu­la­tion accou­rir avec fer­veur prier près de la châsse véné­rée. La dévo­tion envers la libé­ra­trice de Paris est dans le sang du peuple et reste une des rares tra­di­tions natio­nales qui aient sur­vé­cu à tous nos bouleversements.

Le 14 jan­vier 1914, saint Pie X a accor­dé à tous les dio­cèses de France de célé­brer la fête de sainte Geneviève.

A. L. Sources consul­tées. — H. Lesêtre, Sainte Geneviève (Collection Les Saints, 1899). — (V. S. B. P., nos 151, 627 et 1244.)