Les Saints Innocents

Le massacre des saints Innocents, par le Maître du Livre de prières de Dresde (ca 1480-1485)

Martyrs (1er siècle),

Fête le 28 décembre.

Les saints Innocents.

Les Innocents sont appe­lés de ce nom pour trois motifs : en rai­son de leur vie qui fut sans souillure ; en rai­son de leur mar­tyre, parce qu’ils ont souf­fert injus­te­ment et sans être cou­pables d’aucun crime ; en rai­son des suites de leur mort, parce que leur mar­tyre leur a confé­ré l’innocence bap­tis­male, c’est-à-dire les a puri­fiés du péché originel.

Le mas­sacre des Innocents est, avec la venue des mages et la fuite en Egypte, un des évé­ne­ments qui accom­pa­gnèrent la nais­sance de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ à Bethléem et dont le récit occupe le cha­pitre deuxième de l’Evangile selon saint Matthieu.

Texte du récit évangélique de saint Matthieu.

Or, Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voi­ci que des mages venus d’Orient arri­vèrent à Jérusalem, disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son astre à l’orient, et nous sommes venus l’adorer. » L’ayant appris, le roi Hérode fut trou­blé et Jérusalem tout entière avec lui, et ayant assem­blé tous les princes des prêtres et les scribes du peuple, il s’informait auprès d’eux où devait naître le Christ. Ceux-​ci lui dirent : « A Bethléem de Judée ; car il est ain­si écrit par le minis­tère du pro­phète : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es point la plus petite par­mi les princes de Juda. Car de toi sor­ti­ra un chef, qui doit paître mon peuple, Israël. »

Alors Hérode, ayant fait appe­ler les mages, apprit d’eux exac­te­ment le temps de l’apparition de l’astre, et les ayant mis sur le che­min de Bethléem, il dit : « Allez, enquérez-​vous exac­te­ment de l’enfant, et, lorsque vous l’aurez trou­vé, annoncez-​le moi afin que moi aus­si j’aille me pros­ter­ner devant lui. » Sur ces paroles du roi, ils par­tirent, et voi­ci que l’astre, qu’ils avaient vu à l’orient, les pré­cé­dait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-​dessus de l’endroit où était l’enfant. A la vue de l’astre, ils se réjouirent vive­ment d’une grande joie. Et étant entrés dans la mai­son, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, ayant ouvert leurs tré­sors, ils lui offrirent des pré­sents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Et ayant été ins­truits en songe de ne pas reve­nir vers Hérode, ils se reti­rèrent dans leur pays par un autre chemin.

Après qu’ils se furent reti­rés voi­ci qu’un ange du Seigneur appa­raît en songe à Joseph, disant : « Lève-​toi, prends l’enfant et sa mère et fuis en Egypte et restes‑y jusqu’à ce que je te donne avis ; car Hérode va cher­cher l’enfant pour le faire périr. » Lui donc se leva, prit l’enfant et sa mère pen­dant la nuit, et se reti­ra en Egypte, et il y demeu­rait jusqu’à la mort d’Hérode, afin d’ac­complir ce qui avait été dit par le Seigneur par le minis­tère du pro­phète : « J’ai appe­lé d’Egypte mon fils. »

Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer tous les enfants qui étaient à Bethléem et dans tout son ter­ri­toire, depuis l’enfant de deux ans et au-​dessous, selon le temps qu’il avait appris exac­te­ment des mages. Alors fut accom­pli ce qui avait été dit par le pro­phète Jérémie :

« Une voix a été enten­due dans Rama, lamen­ta­tion et maint gémis­se­ment : Rachel pleure ses enfants et n’a pas vou­lu être con­solée, car ils ne sont plus. » (Jr 31, 15)

Or Hérode étant mort, voi­ci qu’un ange du Seigneur appa­raît en songe à Joseph en Egypte, disant : « Lève-​toi, prends l’enfant et sa mère et va au pays d’Israël, car ils sont morts ceux qui en vou­laient à la vie de l’enfant. » Lui donc se leva, prit l’enfant et sa mère et entra dans le pays d’Israël. Mais ayant appris qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il crai­gnit de s’y rendre, et ayant été ins­truit en songe, il se reti­ra dans la région de Galilée, et vint habi­ter dans une ville nom­mée Nazareth, afin d’accomplir ce qui avait été dit par le minis­tère des pro­phètes, qu’il serait appe­lé Nazaréen.

Véracité de ce récit.

Saint Matthieu est le seul qui rap­porte ces évé­ne­ments, les autres évan­gé­listes n’en font pas men­tion. Saint Luc lui-​même, qui, cepen­dant, a don­né sur la nais­sance de Notre-​Seigneur et sur son enfance des détails pré­cis, est muet sur cet épi­sode ; pour lui Joseph est de Nazareth et il y retourne après la pré­sen­ta­tion de Jésus au Temple ; il n’est ques­tion ni de mages, ni de fuite en Egypte, ni de mas­sacre de petits enfants. Pour saint Matthieu, au contraire, saint Joseph semble être chez lui à Bethléem et, au retour d’Egypte, il cherche même à s’y éta­blir ; s’il s’installe à Nazareth, c’est à la suite d’un aver­tis­se­ment divin et de faits qui l’empêchent de rega­gner son domicile.

Les his­to­riens anciens, et tout par­ti­cu­liè­re­ment l’historien juif Josèphe, qui raconte les moindres faits de la vie d’Hérode, ne font, eux non plus, aucune men­tion du mas­sacre des Innocents.

Aussi la plu­part des exé­gètes ratio­na­listes, devant ce silence des his­to­riens et l’apparente contra­dic­tion de saint Matthieu et de saint Luc, ont-​ils nié ou contes­té la véra­ci­té du récit évan­gé­lique ; ils n’ont vou­lu y voir qu’une belle légende habi­le­ment agen­cée comme un conte orien­tal et mise en accord avec les prophéties.

La cruau­té d’Hérode en cette cir­cons­tance nous épou­vante, mais elle ne doit pas nous éton­ner. La conduite de ce tyran féroce est d’accord, dans ce drame san­glant, dans cet égor­ge­ment d’enfants, avec tout ce que l’histoire nous apprend de son astuce, de son mépris de la vie de ses sem­blables, de sa poli­tique insi­dieuse et de son ambi­tion. Il n’ignorait pas les espoirs mes­sia­niques des juifs ; il savait que, d’après les doc­teurs de la loi, les soixante-​douze semaines pré­dites par Daniel tou­chaient à leur fin et que le Rédempteur d’Israël était atten­du à cette époque même. Mais il ne faut pas oublier que pour Hérode, comme pour les juifs, Je Messie devait être un roi tem­po­rel qui réta­bli­rait le royaume de David dans une puis­sance et une splen­deur incomparables.

Josèphe rap­porte, du reste, un fait qui ne manque pas de res­sem­blance avec Je mas­sacre des Innocents ; il dit qu’Hérode fit tuer tous ceux des membres de sa domes­ti­ci­té qui s’étaient décla­rés pour les Pharisiens lorsque ces der­niers annon­çaient que le gou­ver­ne­ment d’Hérode ces­se­rait, que sa pos­té­ri­té serait pri­vée de la royau­té et qu’une autre branche la rem­pla­ce­rait. La haine d’Hérode et ses soup­çons n’épargnèrent pas les membres de sa famille ni même ses enfants ; cinq jours avant de mou­rir, il fit exé­cu­ter son fils Antipater.

Macrobe raconte le fait suivant :

« Auguste, lorsqu’il apprit que par­mi les enfants au-​dessous de deux ans, qu’Hérode roi des juifs avait fait mettre à mort en Syrie, son propre fils avait été tué, dit ces paroles : « Il vaut mieux être le porc d’Hérode que son fils. » Il y a là en grec un jeu de mots ; l’authenticité en est jus­te­ment sus­pecte, car Hérode n’avait point alors d’enfant en bas âge, mais cette anec­dote montre que dans les temps anciens on rat­ta­chait ce mas­sacre des Innocents au meurtre d’un des fils du roi des juifs.

Du reste le meurtre de quelques enfants dans un obs­cur vil­lage de la Judée était un évé­ne­ment presque insi­gni­fiant pour les his­toriens de l’antiquité.

Quant à la diver­gence entre saint Luc et saint Matthieu, elle est plus appa­rente que réelle. Chaque évan­gé­liste ne se pro­pose pas de noter tous les faits concer­nant le Messie, mais cha­cun uti­lise ceux qui conviennent à son plan par­ti­cu­lier et au public qu’il veut ensei­gner : saint Matthieu s’adresse aux juifs et saint Luc aux gen­tils. De sorte que loin de se contre­dire les deux évan­giles se com­plètent ain­si que l’explique saint Augustin.

Date du massacre.

On sait que Notre-​Seigneur naquit vers la fin du règne d’Hérode, très pro­ba­ble­ment dans la der­nière année. Hérode mou­rut au prin­temps de 750, peu de jours avant la Pâque ; les évé­ne­ments qui sui­virent jusqu’au retour d’Egypte de la Sainte Famille se réa­li­sèrent dans un espace de temps très court ; cepen­dant il est peu vrai­sem­blable de les mar­quer dans les qua­rante jours qui séparent la nais­sance de Jésus de sa Présentation au Temple.

Saint Augustin place très natu­rel­le­ment la fuite en Egypte après la Présentation. Il en est de même par consé­quent de l’adoration des mages et du mas­sacre des enfants de Bethléem, autre­ment la Présentation appa­raît comme impos­sible. Il est déjà dif­fi­cile d’expliquer qu’Hérode, dont la méfiance était extrême et la police bien faite, n’ait pas envoyé ses sbires avec les mages ou sur leurs talons. Il n’y avait pas une minute à perdre.

On pour­rait sup­po­ser que la Sainte Famille a pro­lon­gé son séjour à Bethléem et que l’arrivée des mages n’a eu lieu que près de deux ans après la Nativité. C’est l’opinion d’un cer­tain nombre d’anciens : Eusèbe, saint Epiphane, Théodore de Mopsueste, Hippolyte de Thèbes. Mais il est bien plus cer­tain, au contraire, que Notre-​Seigneur n’était âgé que de peu de mois.

Quoi qu’il en soit, les mages, au lieu de retour­ner vers Hérode, « rega­gnèrent leur pays par un autre che­min, » selon l’avertis­sement de l’ange. En quelques heures, ils pou­vaient gagner le haut du Jourdain par le désert et atteindre de là le pays des Nabatéens. Mais le moyen le plus sûr d’échapper à Hérode était d’aller direc­te­ment au sud de la mer Morte ou de la tra­ver­ser en barque. C’était se jouer d’Hérode que de se déro­ber par la fuite au lieu de répondre à son invi­ta­tion. Il n’attendit guère pour s’informer des mages et apprit que ceux-​ci avaient dis­pa­ru. Assurément, selon les usages orien­taux de la vie au grand air, tout Bethléem avait su où les mages étaient entrés. Mais la Sainte Famille n’était plus là. On pou­vait croire qu’elle n’était guère éloi­gnée. Plutôt que de s’enquérir, Hérode fait tuer tous les enfants mâles dans la petite ville et dans ses limites.

Nombre des victimes.

Pourquoi ce chiffre de deux ans et au-​dessous ? Si l’astre était appa­ru deux ans aupa­ra­vant, il était inutile de des­cendre si bas. S’il était appa­ru depuis peu, pour­quoi remon­ter si haut ? De toute façon, Hérode fait bonne mesure. Il s’était infor­mé exac­te­ment, mais il ne s’en tint pas là, ne sachant pas en somme la valeur exacte du pré­sage. Dans l’aveuglement de sa fureur, il prit toutes les pré­cau­tions pos­sibles pour réus­sir dans le coup qu’il pré­mé­di­tait, et en por­tant la limite jusqu’à l’âge de deux ans, il était convain­cu qu’aucun enfant n’échapperait. D’autre part, cet astre, étoile ou comète, qui avait ins­pi­ré et gui­dé les mages dans leur voyage, deve­nait pour lui un signe sinistre, et pour conju­rer le mau­vais sort qui mena­çait son trône et celui de ses fils, Hérode, comme plu­sieurs empe­reurs romains, comme tant de princes orien­taux, verse abon­dam­ment du sang pour éloi­gner le fléau.

Quant au nombre des enfants vic­times de la cruau­té d’Hérode, on ne peut l’évaluer que d’une manière approxi­ma­tive. La litur­gie éthio­pienne et le méno­loge grec ont for­te­ment exa­gé­ré en adop­tant le nombre de 144 000 ; c’est une fausse inter­pré­ta­tion du texte de l’Apocalypse que l’Eglise fait lire à l’é­pître de la messe de la fêle des Saints Innocents et dans le bré­viaire au 28 jan­vier. Certains Pères aus­si sont tom­bés dans l’exagération : ain­si saint Justin déclare qu’Hérode ordon­na de tuer tous les enfants de Bethléem ; Origène affirme éga­le­ment qu’Hérode fit mas­sa­crer tous les enfants de Bethléem et des environs.

A l’époque d’Hérode, Bethléem et ses envi­rons devaient comp­ter tout au plus deux mille habi­tants ; régu­liè­re­ment, il naît une moyenne de trente enfants par an pour chaque mil­lier d’habitants ; la moi­tié étant des filles, il reste donc quinze gar­çons ; si on dé­falque la moi­tié qui devient la proie de la mort, nous avons sept ou huit enfants ; pour deux ans nous pou­vons comp­ter de qua­torze à seize enfants, vingt au maxi­mum ; c’est là le nombre pro­bable et approxi­ma­tif des vic­times d’Hérode.

Nous igno­rons com­plè­te­ment le genre de mort des Saints Inno­cents. L’imagination des hagio­graphes et des pré­di­ca­teurs s’est don­né libre cours comme celle des artistes pour faire de cette scène un tableau plus émou­vant. Mais on peut faci­le­ment admettre, avec saint Vincent Ferrier, qu’Hérode convo­qua, sous un pré­texte allé­chant, les mères à por­ter elles-​mêmes leurs enfants dans une salle ou dans une place publique pour y rece­voir quelque récom­pense, sans se dou­ter qu’elles allaient les livrer aux bour­reaux. Mais ce que l’Evangile rap­porte en termes impres­sion­nants, c’est la grande dou­leur des mères, dans laquelle saint Matthieu voit la réa­li­sa­tion d’une pro­phé­tie faite par Jérémie lors de la prise de Jérusalem par les Chaldéens. Les Juifs qui devaient être dépor­tés à Babylone furent alors ras­sem­blés à Rama, ville située à deux heures au nord de Jérusalem, sur l’ancien ter­ri­toire de Benjamin. Et pour expri­mer com­bien grande fut alors la déso­la­tion du peuple de Dieu, le pro­phète sup­pose, dans une figure sai­sis­sante, que Rachel, mère de Benjamin, sor­tit en ce moment de son tom­beau (qui était aux envi­rons de Bethléem) et pleu­ra sur ceux qui étaient ses des­cen­dants. Ainsi les mères des petits Innocents pleu­rèrent sur leurs enfants.

« Autant l’iniquité a abon­dé contre ces bien­heu­reux enfants, dit saint Augustin, autant se sont répan­dues sur eux les grâces et les béné­dic­tions célestes. Le monde, en les fai­sant naître à la vie éter­nelle, les a ren­dus plus heu­reux que n’avaient fait leurs mères en les enfan­tant pour la terre, puisqu’ils ont été trou­vés dignes d’une vie sans fin, presque avant d’avoir pu faire usage de la vie présente. »

L’Eglise nous décrit leur bon­heur au ciel par le récit de la vision qu’eut saint Jean et où il aper­çut dans le ciel une élite par­mi tous les élus. Ce sont les âmes vir­gi­nales qui ont spé­cia­le­ment été pré­ser­vées du péché et qui forment la por­tion choi­sie de ceux qui ont été rache­tés par l’Agneau de Dieu. Ainsi sont les Saints Innocents ; dans leur bouche il ne s’est point trou­vé de men­songe, ils sont vierges, et, « tués pour le Verbe de Dieu, ils lui ont ren­du témoi­gnage et ont lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau ».

Le mas­sacre des saints Innocents.

Les reliques. – Le culte.

L’antiquité chré­tienne a pro­fes­sé dès les pre­miers jours un vrai culte pour ces enfants mar­tyrs ; leurs reliques furent recher­chées avec une grande avi­di­té et elles se trouvent très ancien­ne­ment répan­dues dans toute la chrétienté.

A Bethléem, non loin de la grotte de la Nativité, est une cha­pelle qui porte le nom des Saints-​Innocents ; elle a été dédiée à ces inno­centes vic­times, soit parce qu’il était conve­nable quelles fussent hono­rées près du ber­ceau pour lequel elles ont répan­du leur sang, soit que leurs corps, comme le disent les tra­di­tions, aient été jetés dans la caverne qui se trouve au même lieu.

A Rome, à la basi­lique de Saint-​Paul-​hors-​les-​murs, il y a plu­sieurs corps des Saints Innocents. En ce sou­ve­nir, la sta­tion se tient en cette église le jour de leur fête, et les moines Bénédictins découvrent le cru­ci­fix mira­cu­leux qui par­la à sainte Brigitte. Les Saints Innocents reçoivent aus­si un culte spé­cial dans l’église des Agonisants.

En France, l’abbaye de Mauriac, fon­dée au vie siècle par sainte Théodechilde, pos­sé­dait les corps de trois des Saints Innocents. Avant la Révolution fran­çaise, on voyait le corps en entier de l’un de ces mar­tyrs, à Saint-​Denis, dans son ber­ceau fait de branches de pal­mier et enchâs­sé dans une caisse en argent doré, qui fut don­née à cette abbaye par l’empereur Charlemagne, et un autre à l’église des Innocents à Paris, encore en chair et en os, enfer­mé dans un cris­tal gar­ni d’argent et enri­chi par la muni­fi­cence de Louis XL Cette église des Saints-​Innocents avait été construite sur le ter­ri­toire de la paroisse Saint-​Germain l’Auxerrois, vers l’an 1150 ; on croit que ce titre des Saints-​Innocents lui fut don­né à l’instigation du roi Louis VII qui avait pour eux une grande dévo­tion, au point qu’il « jurait », si l’on peut dire, Per sanc­tos Bethleem (Par les Saints de Bethléem !) ; Louis XI pro­fes­sait la même pré­di­lec­tion ; elle se mani­fes­ta en 1474 par une fon­da­tion en faveur de six enfants de chœur.

Près de l’église s’étendait un cime­tière très ancien, lequel ser­vait au quar­tier de Saint-​Germain et remon­tait à une date de beau­coup anté­rieure à la construc­tion de l’église ; il fut sup­pri­mé en 1786 par rai­son d’hygiène ; l’église dis­pa­rut aus­si peu après pour faire place à un mar­ché qui fut plus tard trans­for­mé par la construc­tion des Halles. C’est alors que fut créé, en 1859, le square au centre duquel s’élève la fon­taine dite des Innocents.

La fête des saints Innocents.

Dès l’origine, l’Eglise a hono­ré les Saints Innocents d’un culte spé­cial. Leur fête remonte à un temps très recu­lé, il est pro­bable qu’elle exis­tait déjà au IIe siècle, car nous avons encore une homé­lie attri­buée à Origène, où il en est fait une expresse men­tion. Saint Irénée, saint Cyprien, saint Hilaire en parlent. Saint Augustin, croit-​on, a pro­non­cé deux pané­gy­riques pour le jour de l’octave, ce qui prou­ve­rait que l’octave exis­tait déjà de son temps. Saint Grégoire aurait com­po­sé cet office qui était semi-​double avant saint Pie V ; ce der­nier Pape l’éleva au rite double.

Dans cet office l’Eglise consi­dère que le mas­sacre des enfants de Bethléem mani­feste la royau­té de Jésus. C’est parce qu’Hérode croit à la parole des mages et à celle des princes des prêtres qu’il voit un rival dans l’enfant de Bethléem et pour­suit jalou­se­ment ce « Roi des Juifs qui vient de naître ». Mais, comme le chante l’Eglise, dans l’hymne des vêpres de l’Epiphanie, « Hérode cruel, que crains-​tu de l’arrivée d’un Dieu qui vient régner ? Il ne ravit pas les sceptres mor­tels, lui qui donne les royaumes célestes. » C’est ce Dieu-​Roi que « les Innocents confessent par leur mort », dit Origène. « Leur pas­sion est l’exaltation du Christ », affirme l’office au 3e noc­turne de Matines. Et la louange qu’ils rendent à Dieu est pour les enne­mis de Jésus un sujet de confu­sion, car loin d’at­teindre leur but, ils n’ont fait que réa­li­ser les pro­phé­ties qui annon­çaient « que le Fils de l’Homme revien­drait d’Egypte, et que l’on enten­drait à Bethléem les lamen­ta­tions des mères pleu­rant leurs enfants ».

Mère com­pa­tis­sante, l’Eglise, le jour de la fête, revêt ses prêtres d’ornements de deuil, dont la cou­leur est vio­lette, à cause de l’affliction des mères, et elle sup­prime le chant du Gloria et de l’Alleluia. Mais à l’octave elle emploie la cou­leur rouge pour rap­pe­ler la gloire et le bon­heur éter­nel que ces enfants ont conquis par l’effusion de leur sang.

Le poète chré­tien Prudence, qui mou­rut en 413, écri­vit en l’hon­neur de ces mar­tyrs une hymne que l’Eglise a adop­tée et quelle chante aux Vêpres de leur fête.

Salut, ô fleurs des mar­tyrs, qu’au seuil même de la vie le per­sé­cu­teur du Christ empor­ta comme la tem­pête les roses naissantes.

Vous êtes les pre­mières vic­times du Christ, tendre trou­peau d’agneaux immo­lés. Sous l’autel, vous jouez inno­cem­ment avec vos palmes et vos couronnes.

Au moyen âge, la fête des Innocents était sui­vie de diver­tis­se­ments pro­fanes ; dans beau­coup d’églises, les enfants de chœur éli­saient l’un d’entre eux qui revê­tait les orne­ments sacer­do­taux où même épis­co­paux et pré­si­dait une paro­die des céré­mo­nies sacrées. Cet usage se main­tint pen­dant plu­sieurs siècles, mais il don­na lieu à de tels abus qu’il fut abo­li, en France, en 1444.

Cependant, les petits saints mar­tyrs de Bethléem sont demeu­rés les patrons des enfants de chœur. Si les rites bur­lesques et les élé­ments pro­fanes de la « fête des Innocents » ont dis­pa­ru à bon droit du sanc­tuaire, les jeunes clercs n’en res­tent pas moins ce jour-​là à l’honneur. On leur réserve par exemple le chant d’une antienne ; ils occupent des places réser­vées en temps ordi­naire aux prêtres. Des réjouis­sances qui gardent le carac­tère reli­gieux et moral qui convient sont aus­si en usage dans les mai­sons de recru­te­ment de plu­sieurs Ordres monas­tiques et Congrégations.

Enfin, les pauvres petits enfants trou­vés, inno­centes vic­times de la misère et par­fois du péché des autres, sont aus­si pla­cés sous le patro­nage des vic­times d’Hérode, pre­miers « témoins » morts pour le nom de Jésus-Christ. 

A. E. A. Sources consul­tées. – V. Ermoni, Saints Innocents, dans Dictionnaire de la Bible, de F. Vigouroux (Paris, 1910). – P. M.-J. Lagrange, Evangile selon saint Matthieu (Paris, 1923). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – (V. S. B. P., n° 254.)