Sainte Gudule

Saint Gudule, par Alice Maccalan Swan (vers 1900)

Vierge du Brabant (652–712)

Fête le 8 janvier.

Gudule, que la capi­tale de la Belgique devait un jour adop­ter pour sa patronne, des­cen­dait d’une des plus illustres familles du Brabant. Son père s’appelait Witger et sa mère Amalberge. Elle avait une sœur, Reynelde, pré­des­ti­née, elle aus­si, à la sain­te­té, même au mar­tyre, et un frère, Emébert, qui devint évêque de Cambrai et d’Arras et connut aus­si l’honneur des autels. Comme à sainte Elisabeth, un ange vint annon­cer à Amalberge les mer­veilles dont serait l’instrument le fruit de son sein. « Ban­nissez de votre âme les inquié­tudes qui la fatiguent, lui dit-​il ; vous serez la mère d’une Sainte. Mais elle sera votre der­nier enfant, car vous quit­te­rez bien­tôt vos vastes domaines et vos riches vête­ments pour revê­tir, de concert avec votre ver­tueux époux, l’habit de l’humilité et de la chas­te­té. » La bien­heu­reuse mère accueillit ces nou­velles avec joie, et elle mit au monde, au vil­lage de Halle, cette enfant bénie, objet des pré­di­lec­tions de Dieu. C’était en l’an de grâce 652. Le bap­tême sui­vit de près la nais­sance, et ce fut une cou­sine de l’enfant, la bien­heu­reuse Gertrude, fille de Pépin de Landen et abbesse de Nivelle, qui tint Gudule sur les fonts baptismaux.

A l’école de sa mère spirituelle. L’exemple de vertueux parents.

Quand l’en­fant fut assez âgée, elle fut confiée à sa mère spi­ri­tuelle pour rece­voir une for­ma­tion reli­gieuse en même temps que des connais­sances pro­fanes. Il était alors d’usage dans les familles de la plus haute socié­té, même les familles royales, de faire éle­ver les enfants à l’ombre des monas­tères, sans pré­ju­ger en rien de leur avenir.

Gertrude s’attacha à dépo­ser dans l’âme de sa parente les prin­cipes qui font les Saints. « Semblable à l’abeille dili­gente, dit l’hagiographe, Gudule ren­fer­mait dans la ruche de son cœur le suc des fleurs des ver­tus pour en com­po­ser les rayons de toutes sortes de bonnes œuvres. »

C’était plai­sir de la voir, mal­gré son âge tendre, recher­cher la com­pa­gnie des reli­gieuses avan­cées en âge, auprès des­quelles elle enri­chis­sait sa mémoire, extra­or­di­nai­re­ment fidèle, des plus pré­cieuses connais­sances. Jamais elle ne fut à charge à son entou­rage, se conten­tant des mets fru­gaux de la com­mu­nau­té, sui­vant celle-​ci dans tous ses exer­cices, n’imitant en rien la légè­re­té des autres élèves, ses compagnes.

La mort de la sainte abbesse (664) ren­dit la jeune fille à ses parents et au monde ; elle dut alors sou­te­nir mille com­bats pour défendre ses aspi­ra­tions à la vir­gi­ni­té contre les pré­ten­dants que les grâces de sa per­sonne et la puis­sance de sa famille atti­raient autour d’elle comme vers ce qu’on appelle un par­ti avan­ta­geux : elle triom­pha même des mou­ve­ments de son cœur, grâce à sa fer­me­té, grâce aus­si au grand exemple d’abnégation que lui don­naient ses parents.

L’oratoire de Moorsel. – Vains efforts de l’esprit malin.

Witger et Amalberge ne pou­vant assez admi­rer les tré­sors de sagesse rapi­de­ment acquis par leur enfant, favo­ri­saient les goûts de celle-​ci pour la soli­tude pai­sible et igno­rée : chaque soir, quand tout, dans la nature, com­men­çait à ren­trer dans le repos, la jeune vierge, accom­pa­gnée d’une domes­tique, pieuse com­plice de ses aus­té­ri­tés, quit­tait silen­cieu­se­ment le châ­teau de Ham, près d’Alost, et se ren­dait, à la lueur d’un flam­beau, au petit ora­toire de Moorsel, dédié au Saint Sauveur. C’était le cel­lier divin où Gudule contrac­tait une union inef­fable avec son céleste Epoux ; là, dans le silence de la nuit, elle se sen­tait éta­blie en quelque sorte à l’ombre de Celui qu’elle dési­rait, et pou­vait plus faci­le­ment accou­tu­mer son âme à ne s’attacher qu’aux seules beau­tés divines.

Cependant, l’ange des ténèbres l’y sui­vait chaque soir. A la faveur de l’obscurité, ce malin esprit espé­rait frap­per sur elle un de ces grands coups qui ruinent par­fois les âmes. Mais Gudule trou­vait dans la prière une lumière si vive qu’elle voyait tous les plans du démon et les déjouait. Aussi, ne se conte­nant plus, l’ennemi s’avisa-t-il un soir de souf­fler la lampe qui éclai­rait sa route, afin de l’obliger ain­si à rebrous­ser che­min. Mais la vierge fit un signe de croix sur le flam­beau éteint, et une main invi­sible vint le ral­lu­mer aussitôt.

C’est pour­quoi on repré­sen­te­ra Gudule entre un ange qui entre­tient sa lampe et un démon qui s’efforce de l’éteindre ; cette lampe est le plus sou­vent une lan­terne ou un falot.

Le miracle des gants. – La guérison d’un enfant estropié et d’une lépreuse.

Ce miracle ne fut pas le seul par lequel il plut à Dieu de glo­ri­fier la sain­te­té de sa ser­vante. Quelque temps qu’il pût faire, Gudule allait tou­jours pieds nus ; mais, pour évi­ter toute vaine gloire, elle fai­sait en sorte de le dis­si­mu­ler. Une fois, alors qu’elle priait à Moorsel, le prêtre du lieu put remar­quer qu’elle était nu-​pieds, et, vive­ment tou­ché de tant d’austérité, il alla lui pré­sen­ter ses gants, la priant de les mettre sous la plante des pieds. Gudule les accep­ta par modes­tie et par res­pect pour le prêtre ; mais, à peine celui-​ci s’était-il retour­né qu’elle les jeta. Les gants, alors, demeu­rèrent sus­pen­dus en l’air, l’espace de plus d’une heure, au milieu d’une foule de spec­ta­teurs dont les cris de joie vinrent encore aug­men­ter la confu­sion de la jeune thaumaturge.

Celle-​ci n’évitait un hom­mage que pour tom­ber dans un autre. A peine avait-​elle repris la route de son palais qu’une pauvre femme l’arrêta tout à coup. Les larmes qui cou­laient de ses yeux attes­taient sa dou­leur plus que tous les dis­cours. Sans pro­non­cer une parole, elle pré­sen­ta son enfant cou­vert de plaies et si dépour­vu de l’usage de ses sens qu’il ne pou­vait ni lever les yeux au ciel, ni par­ler, ni s’aider de ses mains dans les actions ordi­naires de la vie. Gudule com­prit aus­si­tôt la muette sol­li­ci­ta­tion de cette mère infor­tunée. Elle prit l’enfant dans ses bras, por­ta un peu de nour­ri­ture à sa bouche défi­gu­rée, et enfin l’embrassa avec ten­dresse. L’enfant, recou­vrant suc­ces­si­ve­ment l’usage de tous ses membres, sau­ta dans les bras de sa mère et la salua pour la pre­mière fois : « O ma mère, s’écria-t-il, ô ma mère ! »

Heureuse d’avoir été l’instrument de Dieu, la vierge ordon­na cepen­dant à son obli­gée de ne pas révé­ler, tant qu’elle-même vivrait, la faveur dont cette femme avait été l’objet en la per­sonne de son enfant. Elle redou­tait, en effet, que la vaine gloire qui lui en revien­drait de la part des hommes ne fît s’évanouir ses mérites auprès de Dieu.

Mais ce fut en vain ! L’entourage du petit mira­cu­lé, encore hier témoin de son infor­tune, n’eut de cesse que lorsqu’il eut appris la cause de cette pro­di­gieuse gué­ri­son. Et la mère céda au besoin qu’elle éprou­vait de faire connaître autour de soi celle qui, par la sain­te­té de sa vie, avait obte­nu du ciel la san­té de son fils.

Un autre jour, selon son habi­tude, la ser­vante de Dieu était en prière dans son ora­toire de Moorsel. Tout à coup, une femme que tous fuyaient avec hor­reur à cause d’une lèpre hideuse qui lui ron­geait le corps, s’avance pleine de confiance, implo­rant sa gué­rison. Gudule l’accueille avec com­pas­sion, fait le signe de la croix, embrasse enfin cette mal­heu­reuse qui sent sou­dain dis­pa­raître l’af­freuse mala­die qui la retran­chait du reste des humains. L’aspect de sa peau était deve­nu par­fai­te­ment net, et, au lieu de la puan­teur mor­telle qu’elle répan­dait jusqu’alors, une suave odeur s’échappait de ses membres renouvelés.

Sainte Gudule embrasse une lépreuse et la guérit.

Mort de sainte Gudule. – Les pauvres entourent son cercueil.

Après une vie consa­crée tout entière à la prière et à la péni­tence, cette vierge sage, qui avait fou­lé aux pieds le monde et ses gran­deurs pour choi­sir la meilleure part, était arri­vée au moment de cueillir la palme due à ses larmes et à son amour. Avant d’aller à son Epoux céleste, elle reçut avec une fer­veur inex­pri­mable le pain de vie et le breu­vage sacré, via­tique divin qui doit nous intro­duire dans la pos­ses­sion de Celui qui est notre der­nière fin. Elle s’envola vers les siens, et un même séjour réunit pour jamais, dans une même féli­ci­té, les parents et les enfants. C’était le 8 jan­vier 710. « Les funé­railles, dit Mgr Guérin, furent célé­brées au milieu d’un immense concours d’habitants du pays. L’on remar­quait sur­tout une mul­ti­tude de pauvres qui ne savaient com­ment expri­mer la dou­leur que leur cau­sait la mort de leur bienfai­trice. Tous, les larmes aux yeux, rap­pe­laient les bien­faits et les secours qu’ils en avaient reçus, les conso­la­tions qu’elle leur don­nait et les pen­sées chré­tiennes qu’elle leur inspirait. »

Une floraison symbolique et un sacrilège puni.

Un peuple consi­dé­rable fit donc cor­tège au char qui por­tait les restes pré­cieux de Gudule. On était alors au cœur de l’hiver, le 10 jan­vier. La terre s’était depuis long­temps dépouillée de sa parure, les fleurs avaient péri, le feuillage des forêts avait été dis­per­sé par les der­niers vents de l’automne. Or, tan­dis que le convoi funèbre tra­ver­sait une forêt près de Ham, un peu­plier fleu­rit sou­dain et se cou­vrit de feuilles ver­doyantes, pen­dant que le reste de la nature demeu­rait comme plon­gé dans une pro­fonde léthargie.

Cette flo­rai­son mira­cu­leuse était une image bien impar­faite de la sève nou­velle que la pieuse défunte allait com­mu­ni­quer à l’Eglise, dont la vie s’augmente ou se renou­velle comme chaque année l’herbe des champs ou le feuillage des forêts.

Un autre miracle vint aug­men­ter encore l’enthousiasme du peuple et lui apprendre en même temps de quelle façon Dieu châ­tie les outrages faits à ses Saints. Dans la foule accou­rue pour assis­ter à la céré­mo­nie funèbre se trou­vait un lar­ron qui, vain­cu par l’es­prit de cupi­di­té, allait se lais­ser entraî­ner à un crime, un de ces crimes sacri­lèges qui pro­voquent tou­jours une juste répro­bation. En effet, pen­dant l’inhumation, ses regards n’avaient pas quit­té de vue les riches orne­ments et les joyaux pré­cieux que cha­cun venait dépo­ser par dévo­tion sur le tom­beau de Gudule, et le démon de l’avarice lui ins­pi­ra la sacri­lège pen­sée de s’en enri­chir. La troi­sième nuit, quand il fut seul, il se glis­sa dans le caveau, tel qu’un vau­tour atti­ré par un cadavre, et, sem­blable à ces marau­deurs infâmes qui font métier de suivre les armées pour dépouiller les morts sur les champs de bataille, il enle­va les riches orne­ments qui avaient été ren­fer­més dans le tombeau.

Revenu chez lui, il n’eut pas honte de parer sa propre fille de ces joyaux déro­bés. Quelques jours après, une céré­mo­nie solen­nelle ayant atti­ré de nou­veau les popu­la­tions à Ham, la fille du voleur y parut vêtue de ses plus beaux orne­ments. Mais une femme du peuple remar­qua ses bra­ce­lets et les recon­nut pour être ceux qu’elle avait elle-​même dépo­sés sur le tom­beau de la fille de Witger.

L’horrible atten­tat fut aus­si­tôt décou­vert, la nou­velle se répan­dit rapi­de­ment. Saint Emébert, évêque de Cambrai et frère de Gudule, excom­mu­nia l’audacieux vio­la­teur, et comme si le ciel avait vou­lu rati­fier par un châ­ti­ment visible la sen­tence de l’évêque, une mala­die extra­or­di­naire empor­ta suc­ces­si­ve­ment les enfants et les proches de ce mal­heu­reux : on eût dit qu’un poi­son mor­tel avait cou­lé du chef en cha­cun des membres de cette famille.

Histoire des reliques de sainte Gudule.

On sait que l’Eglise n’eut pas tou­jours, pour la cano­ni­sa­tion des Saints, l’appareil des ins­ti­tu­tions actuelles ; mais selon la juste remarque du car­di­nal Pitra, Dieu y sup­pléait par des manifes­tations irré­cu­sables de son inter­ven­tion. Alors comme aujourd’hui, elle avait pour garan­tie le miracle, et pour forme solen­nelle l’élé­vation et la trans­la­tion des corps saints. C’est de la même manière que com­men­ça le culte de Gudule.

Les restes de son corps véné­rable repo­saient déjà depuis quelques années à Ham, près d’Alost, quand les fidèles de la contrée vou­lurent tirer cette lumière de des­sous le bois­seau et l’élever sur le chan­de­lier. Au jour dési­gné pour la trans­la­tion, un concours immense de peuple était réuni. Quand on vou­lut exhu­mer le pré­cieux tré­sor pour le trans­por­ter à Nivelle, selon qu’il avait été réso­lu, on n’y put réus­sir. Tous de conclure, non sans rai­son, que la ser­vante de Dieu avait choi­si ailleurs le lieu de son repos. Elle mani­fes­ta, par la voix d’un véné­rable vieillard, sa volon­té d’être véné­rée à Moorsel, dans le petit ora­toire du Saint-​Sauveur qu’elle avait sou­vent arro­sé des larmes de son amour. Les chaînes invi­sibles qui rete­naient le cer­cueil se rom­pirent aus­si­tôt et le cor­tège put se mettre en marche.

D’autres miracles vinrent encore rehaus­ser cette pieuse céré­mo­nie : un homme d’une san­té débile, et qui avait per­du l’usage de l’ouïe, s’était joint au convoi qui escor­tait les restes de la Sainte. Sa grande foi lui avait ins­pi­ré de s’adresser à celle-​ci pour obte­nir la gué­ri­son de sa pénible infir­mi­té. Il ne ces­sait, durant tout le par­cours, de l’invoquer dans son cœur de la manière la plus tou­chante. Or, après une heure de marche, voi­ci qu’il per­çoit tout le bruit qui se fait autour de lui. Il sent qu’une main invi­sible a ren­du à ses oreilles toute leur sen­si­bi­li­té et il annonce aus­si­tôt ce pro­dige à la foule qui l’entoure. Et tous de se répandre en actions de grâces envers Dieu qui accorde des grâces mer­veilleuses à ceux qui recourent à ses Saints.

Il est aus­si rap­por­té que l’arbre qui avait fleu­ri et qui s’était gar­ni de feuilles au milieu de l’hiver lors du pas­sage de la dépouille de sainte Gudule, dans la forêt de Ham, se trou­va arra­ché, sans aucune inter­ven­tion visible, du lieu où il était, et alla se trans­plan­ter devant la porte de l’église du Saint-​Sauveur au moment où le cor­tège y entrait. Il était cou­ron­né d’une ver­dure plus belle, plus brillante que jamais.

Charlemagne vénère le tombeau de sainte Gudule. Une chasse peu banale.

Le bruit de ces pro­diges avait ému tous les peuples du voi­si­nage et était par­ve­nu jusqu’aux oreilles de Charlemagne. Le grand homme se sen­tit épris d’un saint zèle pour le culte de cette vierge qui avait vécu igno­rée dans une grotte soli­taire, et qui, pour­tant, avait peut-​être plus fait pour l’élévation de sa puis­sante famille que l’épée vic­to­rieuse d’un Charles Martel ou d’un Pépin le Bref. Aussi voulut-​il fon­der, avec sa royale muni­fi­cence, un monas­tère autour du tom­beau de Gudule, et décida-​t-​il de confier cet inesti­mable dépôt à la garde de reli­gieuses Bénédictines.

A l’occasion de sa venue dans le Brabant, le sou­ve­rain don­na une grande chasse dans les forêts des envi­rons. Et voi­là qu’entre autres bêtes sau­vages un ours fut lan­cé par les meutes impé­riales, et s’enfuit, éper­du et mena­çant à la fois, sui­vi de tous les chas­seurs qui se féli­ci­taient déjà d’une pareille capture.

Le fauve prit la direc­tion du petit vil­lage de Moorsel, et déjà on se pré­pa­rait à le réduire aux abois, lorsque, à la stu­pé­fac­tion géné­rale, il fît irrup­tion dans l’église du Saint-​Sauveur et alla se blot­tir près du tom­beau de sainte Gudule.

Là, ayant subi­te­ment dépouillé toute féro­ci­té et bais­sant la tête, il fai­sait mine de vou­loir lécher, à la façon des petits chiens, qui­conque s’approcherait de lui.

Son atti­tude démon­trait avec évi­dence qu’il se sen­tait pro­té­gé par la ser­vante de Dieu et qu’il ne deman­dait qu’à en témoi­gner sa reconnaissance.

Ce fait sur­pre­nant fut rap­por­té sans retard à Charlemagne qui pro­cla­ma sans hési­ter qu’un tel pro­dige était attri­buable aux mérites de la vierge hono­rée dans ce lieu. Il fit ces­ser la pour­suite et défen­dit à qui­conque de faire aucun mal à la bête si miracu­leusement transformée.

Celle-​ci, deve­nue plus douce qu’un agneau, fut confiée aux reli­gieuses Bénédictines du lieu. On accou­rait de tous les envi­rons à seule fin de voir cet ours deve­nu le plus tran­quille des ani­maux domestiques.

L’invasion des Normands.

Cependant, l’horizon s’annonçait mena­çant. Le vieil empe­reur pou­vait aper­ce­voir lui-​même les signes avant-​coureurs de l’orage for­mi­dable qui allait plon­ger la Gaule et l’Europe dans un océan de mal­heurs. « Un jour, raconte un his­to­rien, arrê­té dans une ville de la Gaule nar­bon­naise, il se met­tait à table, lorsque des barques Scandinaves vinrent exer­cer leurs pira­te­ries jusque dans le port, sous les yeux mêmes du grand monarque. Puis, se met­tant à la fenêtre, il regar­dait l’Orient, les yeux inon­dés de pleurs : « Je suis en proie, ajouta-​t-​il, à une vio­lente dou­leur quand je pré­vois de quels maux ces bar­bares acca­ble­ront mes des­cen­dants et leurs peuples. »

La tem­pête, annon­cée par le génie du grand empe­reur, écla­ta bien­tôt. En effet, moins d’un demi-​siècle après sa mort, les Nor­mands tom­bèrent tout à coup sur le conti­nent, en par­ti­cu­lier sur la Gaule-​Belgique, plus rap­pro­chée de la mer.

Dans de telles conjonc­tures, le monas­tère de Moorsel fut détruit, mais le corps de la Sainte avait pu être sous­trait, dès leur approche, à la cupi­di­té des ter­ribles enva­his­seurs. La pre­mière alerte pas­sée, les reli­gieuses retour­nèrent à leurs cel­lules désertes ; elles reprirent sur leurs épaules les osse­ments de leur céleste patronne et les dépo­sèrent dans un coin secret du couvent, en atten­dant un temps meilleur. Le corps de Gudule demeu­ra ain­si caché pen­dant près d’un siècle, c’est-à-dire, remarque un chroni­queur, « pen­dant tout ce temps mal­heu­reux où per­sonne n’était roi en Israël », les faibles des­cen­dants de Charlemagne ne comp­tant pas comme de vrais rois.

Dernière translation. – La patronne de Bruxelles.

Ce ne fut que sous le règne de l’empereur Othon II que le nom de Gudule com­men­ça à sor­tir de l’ombre, et que cette belle figure rayon­na de nou­veau dans la contrée. En 996, Charles de Lorraine, frère du roi de France Lothaire, trans­por­ta solen­nel­le­ment le pré­cieux tré­sor dans l’église Saint-​Géry, à Bruxelles.

Cette mani­fes­ta­tion n’était que l’aurore des grands hon­neurs dont la Sainte allait être l’objet. En 1047, le comte Ulric, petit-​fils de Charles, fit bâtir à Bruxelles la belle église Saint-​Michel, une des mer­veilles de l’art gothique, et, au milieu d’un concours immense des popu­la­tions du voi­si­nage, Gérard, évêque de Cambrai, y trans­por­ta les restes de sainte Gudule qui ajou­ta depuis lors son nom au nom de l’archange. « C’est de là, ajoute Mgr Guérin, que les héré­tiques les enle­vèrent pour les dis­per­ser avec ceux de beau­coup d’autres Saints, en 1579, année tris­te­ment célèbre par tant de sacri­lèges pro­fa­na­tions. » Toutefois, on en put sau­ver une petite par­tie ; elle se trouve aujourd’hui sur le maître-​autel de la belle église des Saints-​Michel et Gudule, qui est pour la popu­la­tion bruxel­loise comme sa cathédrale.

La mémoire de sainte Gudule est demeu­rée chère à ce peuple reli­gieux, et les neuf cents ans envi­ron, écou­lés sur son glo­rieux tom­beau, n’ont pas attié­di la dévo­tion dont il est l’objet, ni dimi­nué le nombre des pèle­rins qui, chaque année, se pressent sous les voûtes où il repose.

Gudile, Gode, Gauld et Ergoule sont des variantes du nom de Gudule.

Louis Petit.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. I de jan­vier (Paris, 1863). – Baillet, Vie de sainte Gertrude (Bruxelles, 1703). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollan­distes, t. I (Paris, 7e édi­tion cor­ri­gée, 1897). – (V. S. B. P., n° 463.)