Mère de saint Augustin (332–387)
Fête le 4 mai.
Vie résumée par l’abbé Jaud
À l’heure où sont trop oubliés les devoirs de la jeune fille, de l’épouse et de la mère chrétiennes, il est utile de rappeler les vertus de cette admirable femme. Ce que nous en savons nous vient de la meilleure des sources, son fils Augustin.
Monique naquit à Tagaste, en Afrique, l’an 332. Grâce aux soins de parents chrétiens, elle eut une enfance pure et pieuse, sous la surveillance sévère d’une vieille et dévouée servante.
Encore toute petite, elle aimait aller à l’église pour y prier, elle cherchait la solitude et le recueillement ; parfois elle se levait même la nuit et récitait des prières. Son cœur s’ouvrait à l’amour des pauvres et des malades, elle les visitait, les soignait et leur portait les restes de la table de famille ; elle lavait les pieds aux pauvres et aux voyageurs. Toute sa personne reflétait la modestie, la douceur et la paix. A toutes ces grâces et à toutes ces vertus, on aurait pu prévoir que Dieu la réservait à de grandes choses.
Dieu, qui a Ses vues mystérieuses, permit cependant qu’elle fût donnée en mariage, à l’âge de vingt-deux ans, à un jeune homme de noble famille, mais païen, violent, brutal et libertin, presque deux fois plus âgé qu’elle, et dont elle eut beaucoup à souffrir, ainsi que de sa belle-mère.
Dans cette situation difficile, Monique fut un modèle de patience et de douceur ; sans se plaindre jamais, elle versait en secret les larmes amères où se trempait sa vertu. C’est par ces beaux exemples qu’elle conquit le cœur de Patrice, son époux, et lui obtint une mort chrétienne, c’est ainsi qu’elle mérita aussi de devenir la mère du grand saint Augustin.
Monique, restée veuve, prit un nouvel essor vers Dieu. Vingt ans elle pria sur les débordements d’Augustin, sans perdre courage et espoir. Un évêque d’Afrique, témoin de sa douleur, lui avait dit : « Courage, il est impossible que le fils de tant de larmes périsse ! » Dieu, en effet, la récompensa même au-delà de ses désirs, en faisant d’Augustin, par un miracle de grâce, l’une des plus grandes lumières de l’Église et l’un de ses plus grands Saints.
Monique, après avoir suivi Augustin en Italie, tomba malade à Ostie, au moment de s’embarquer pour l’Afrique, et mourut à l’âge de cinquante-six ans. Augustin pleura longtemps cette mère de son corps et de son âme. Le corps de sainte Monique a été transporté à Rome dans l’église de Saint-Augustin, en 1430. Cette femme illustre a été choisie comme patronne des Mères chrétiennes.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
C’est dans l’Afrique chrétienne du Nord, où l’Eglise était si prospère, que Dieu plaça le berceau de Monique. Elle naquit à Thagaste en 332. Le nom de son père nous est inconnu ; sa mère s’appelait Faconda.
Enfance.
Grâce aux soins de ses parents, qui étaient chrétiens, et à la surveillance d’une vieille servante toute dévouée à sa jeune maîtresse, Monique grandit dans la crainte et l’amour de Dieu ; c’était un lis de pureté. On put entrevoir dès son enfance le degré éminent de sainteté qu’elle atteindrait un jour. Elle était encore toute petite que déjà elle sortait seule de la maison paternelle, pour aller prier à l’église, au risque d’être réprimandée au retour. Quelquefois elle quittait ses compagnes de jeu ; on la retrouvait à genoux derrière un arbre. Souvent même, pendant la nuit, elle se levait et récitait à Dieu les prières que sa pieuse mère lui avait apprises.
Un jour, cependant, elle succomba à une tentation de gourmandise. Ses parents l’avaient chargée d’aller, avec une servante, puiser à la cave le vin destiné aux repas. Monique éprouvait jusque-là pour le vin une certaine répugnance ; cependant, par espièglerie d’enfant, elle profita de sa liberté pour en boire une gorgée. Elle récidiva. Peu à peu elle s’y habitua et même y prit un certain goût, au point, a‑t-on dit, de passer son doigt le long des récipients pour en recueillir quelques gouttes.
Mais Dieu veillait sur elle. Il se servit pour la corriger de la servante, témoin trop complaisant de sa faute. Cette servante, s’étant un jour disputée avec sa jeune maîtresse, lui jeta à la face cette insulte : « Buveuse de vin pur. » Monique rougit, reconnut la laideur de sa gourmandise, et dès ce moment elle s’en corrigea pour toujours.
Elle en profita pour être désormais plus humble, plus attentive à se mortifier et à veiller sur ses sens.
Son cœur s’ouvrit de bonne heure aussi à l’amour des pauvres. Elle ne négligeait rien pour les secourir : elle donnait tout, jusqu’au pain qu’on lui servait à table ; elle le cachait dans les plis de sa robe et le leur distribuait. C’était pour elle un bonheur de leur laver les pieds, selon l’usage du temps, et de les servir autant qu’elle pouvait le faire à cet âge. Enfin, on remarquait en elle une douceur et une patience inaltérables, vertus que nous lui verrons pratiquer jusqu’à l’héroïsme une fois qu’elle sera devenue épouse et mère.
Mariage et épreuves.
Sortie de l’adolescence, elle fut demandée en mariage. Patrice, né à Thagaste comme Monique, et comme elle d’une famille noble, aspirait à sa main ; il l’obtint. Il paraissait pourtant peu digne d’une telle alliance : un païen violent, brutal, débauché, tel était le futur époux de Monique. Qu’on ajoute à cela une grande différence d’âge : Monique avait à peine vingt-deux ans, et Patrice plus du double. On serait tenté de se demander comment les parents de Monique consentirent à une union qui ne présageait que des tristesses, si on ne savait combien, malheureusement, les parents, même chrétiens, se font facilement illusion quand il s’agit de marier leurs enfants.
Du reste, ce fut sans doute ici un effet de la Providence divine, qui permit que Monique méritât par d’amères douleurs l’honneur d’être la mère d’un fils tel que saint Augustin.
Les épreuves ne manqueront pas. Elles viendront de Patrice lui-même, elles viendront aussi de la belle-mère, païenne comme son fils et comme lui d’une humeur violente, excitée encore contre sa belle-fille par les calomnies des servantes. Pauvre Monique ! la voilà isolée, malheureuse dès les premiers jours de son mariage ; mais c’est précisément ici qu’elle est admirable. C’est dans le creuset de la souffrance qu’on reconnaît les grandes âmes.
Sachant qu’elle peut tout en Celui qui la fortifie, elle ne recule pas devant les difficultés, elle accepte dans toute leur étendue les devoirs de son nouvel état. Elle comprend que Dieu l’a unie à Patrice pour le convertir ; elle se fait l’apôtre du petit monde qui l’entoure. Sa prédication, c’est l’exemple ; ses moyens de conversion, la douceur et la prière. Et quels exemples de vertu, en effet, ne donna-t-elle pas ? Exemple de douceur vis-à-vis des emportements de Patrice, exemple de patience en présence de ses infidélités ! Jamais une plainte ne sortit de sa bouche contre son mari, nous apprend saint Augustin, et pourtant comme elle souffrait ! Comme elle pleurait – et des larmes d’autant plus amères qu’elles étaient versées en secret ! Elle se contentait de demander à Dieu la foi pour Patrice, sachant bien que les autres vertus suivraient.
Cette méthode de douceur, de silence et d’abnégation pleine de dévouement, elle la conseillait à ses amies, lorsque celles-ci venaient se plaindre à elle des violences de leurs maris : « Prenez-vous-en à votre langue », leur disait-elle. En effet, celles qui, à son exemple, remplaçaient les répliques par un silence plein de douceur, n’avaient qu’à s’en louer.
Malgré toute son impétuosité, jamais Patrice n’osa lever la main sur cet ange de bonté.
Augustin.
Ce fut au milieu de ces tristesses que Dieu lui donna les joies de la maternité, en 354. Elle mit au monde cet Augustin qu’elle devait enfanter une seconde fois à la vie spirituelle, au prix de tant de larmes ; puis Navigius et Perpétue, dont la sainteté devait être dépassée par celle de leur frère aîné. Elle leur fît boire à tous, avec son lait, le nom et l’amour de Jésus-Christ. De ses trois enfants, elle fera trois Saints, tant est puissante l’influence d’une mère ! Cependant, selon la coutume de l’époque, leur baptême fut renvoyé à plus tard. Tout semble d’abord conspirer contre elle, et un père païen et une belle-mère païenne et des servantes menteuses. Mais tous ces obstacles vont s’évanouir devant sa douceur et sa résignation. La belle-mère se rend la première. Elle reconnaît la fausseté des calomnies de ses servantes. Les esclaves elles-mêmes laissent gagner leur cœur. « Alors je croyais, dit saint Augustin, ma mère croyait aussi, toute la maison croyait avec nous ; il n’y avait que mon père qui ne croyait pas. »
Retenons l’aveu : Augustin croyait. Sa pieuse mère s’efforçait chaque jour de former doucement sa conscience d’après les enseignements de Jésus-Christ, et d’élever son âme vers Dieu par la sublimité des vérités chrétiennes. Il en resta des traces ineffaçables dans le cœur d’Augustin, et plus tard, au milieu de ses égarements, il s’étonnait lui-même d’éprouver comme un sentiment de vide, à la lecture des livres où l’on ne parlait pas de Jésus-Christ.
Mais, hélas ! les mauvais exemples du père eurent bientôt plus d’influence sur les passions naissantes de l’enfant, que les saints efforts de sa mère et les corrections de ses premiers maîtres.
Pourtant Dieu l’avait doué d’un cœur très aimant et d’une intelligence peu ordinaire. Son père, espérant de lui quelque chose de grand, voulut qu’il quittât la petite ville de Thagaste pour aller chercher, à Madaure, autre ville de l’Afrique romaine, des maîtres plus savants. Que cette première séparation fut dure au cœur de Monique ! Et combien d’appréhensions elle lui apportait !
Les nouveaux maîtres de son fils étaient païens. Ils firent lire et relire au jeune homme les auteurs païens, avec toutes leurs fables et leurs scandaleux récits, pour le former à l’éloquence et au beau style. Cet enseignement manquait par ailleurs de tout correctif, et laissait l’âme désemparée en face des grands problèmes de la vie.
Cette triste éducation, contre laquelle Augustin converti protestera plus tard avec tant d’indignation, ne tarda pas à porter ses fruits. Chaque fois qu’il revenait à Thagaste pour se reposer, sa pauvre mère constatait avec douleur les progrès du mal.
Mort chrétienne de Patrice.
Cependant Augustin va terminer ses études à Carthage, le cœur brûlé plus que jamais par le feu des passions. Ce départ pour une ville si pleine de périls coûte bien des larmes à sa mère. Plût à Dieu que ce ne fût qu’une vaine crainte ! Mais, hélas ! elle apprend bientôt, avec l’inconduite de son fils, la naissance d’un enfant illégitime, Adéodat. Alors elle est inconsolable. On craint un instant pour sa vie ; elle triomphe enfin de la douleur. C’était pour elle un soutien de voir Patrice s’associer à ses larmes, car Patrice avait embrassé la foi chrétienne et réformait chaque jour davantage sa vie. Tombé malade, il demande le baptême, le reçoit avec ferveur et s’endort chrétiennement entre les bras de la compagne que Dieu lui avait donnée.
Libre des liens du mariage, Monique prend un nouvel essor vers Dieu. Elle se retire plus complètement du monde ; ses mortifications sont plus austères ; son amour pour les pauvres, gêné pendant dix-sept ans, a maintenant un libre épanchement. Elle sert de mère aux orphelins ; elle se fait la consolatrice des veuves et des femmes mariées déçues dans leurs rêves de bonheur. Le service des pauvres et la prière prennent le meilleur de son temps.
Le « fils des larmes ».
Mais, d’autre part, cette mort la laissait dans de vives inquiétudes vis-à-vis de son fils ; Monique seule ne pouvait plus rien pour son éducation. Dieu, en qui elle avait mis toute sa confiance, devait venir à son secours.
A Carthage, Augustin poursuivait brillamment ses études, grâce aux libéralités d’un ami de son père. Mais depuis le triomphe de ses passions, sa foi allait s’affaiblissant. Il finit par l’abdiquer publiquement. Le voilà hérétique, de la secte des manichéens ! Quelle fut alors la douleur de Monique, il serait difficile de le dire. « C’est un fleuve de larmes qui s’écoule par ses yeux, c’est la douleur d’une mère qui a perdu son fils unique ; ce sont les gémissements de Rachel, la mère rebelle à toutes les consolations… Images incomplètes ! » s’écrie encore saint Augustin en ses Confessions.
Monique avait versé tant de larmes sur son fils libertin, que lui restait-il pour Augustin infidèle à sa foi ?
Quand, à l’époque des vacances, il revint à la maison paternelle, au premier mot qu’il laissa échapper à la louange de l’hérésie manichéenne, cette grande chrétienne se redressa avec toute son énergie, en s’écriant, au milieu de ses larmes : « Non, jamais je ne serai la mère d’un manichéen ! » Et elle chassa son fils de sa maison.
Augustin (il faut lui rendre ce témoignage, car Monique elle-même le lui rendit en mourant), Augustin, même dans ses égarements, ne cessa jamais d’aimer sa mère et n’usa jamais d’insolence vis-à-vis d’elle. Devant la majesté de l’indignation maternelle, il baissa la tête et partit sans mot dire. Il alla demander l’hospitalité à son protecteur Romanien, en attendant que sa mère consentît de nouveau à le recevoir.
Monique resta abîmée dans ses pleurs.
Dieu vient la consoler, lui seul le pouvait. Il lui envoie un songe qui lui présage la conversion désirée.
Une nuit donc, elle se voit debout sur une règle de bois. Et comme elle verse des larmes amères, un ange resplendissant de lumière, s’approchant d’elle, lui demande la cause de sa douleur.
– C’est la perte de mon fils que je déplore ainsi, dit-elle.
– Ne pleurez plus, répond l’ange, et mettez votre esprit en repos ; ce fils est avec vous et en sûreté.
Alors, se retournant, elle voit, en effet, son fils debout sur la même règle qu’elle.
Consolée par cette vision, Monique en fait le récit à son fils. Lui qui ne songeait point à se convertir :
– Courage ! ma mère, dit-il, voyez comme le ciel se prononce pour ma doctrine ; il vous promet qu’un jour vous la partagerez.
– Non, mon fils, reprend-elle avec assurance ; il ne m’a point été dit : Vous serez où il est, mais : Il sera où vous êtes.
Cette réponse lumineuse fît plus d’impression sur le jeune homme que le récit de la vision. Dès ce moment, Monique s’adresse aux hommes dont la doctrine est en réputation et les presse instamment d’entrer en conférence avec son fils pour le ramener à la foi catholique. Mais il était encore trop épris de ses nouvelles erreurs pour écouter.
Comme la mère suppliait un saint évêque de travailler à convaincre son fils, elle en reçut cette réponse :
– Allez en paix, il est impossible que le fils de tant de larmes périsse.
Fuite de saint Augustin.
La prophétie se réalisera un jour ; mais Monique ne se lasse point de mettre tout en œuvre pour en hâter l’accomplissement. Augustin conçoit le dessein de quitter Carthage, où il enseignait la rhétorique, pour se rendre à Rome, y montrer son génie et y trouver des élèves plus dociles.
Mais sa mère était à Carthage auprès de lui. Comment lui annoncer cette décision ? Il prétexte une promenade sur le rivage et s’embarque secrètement.
Quand Monique s’aperçut qu’elle avait été jouée, le vaisseau qui emportait son fils disparaissait à l’horizon !
Cependant Augustin était tombé gravement malade à Rome ; il guérit grâce aux prières que faisait pour lui sa mère restée seule en terre africaine.
Dès qu’elle le peut, Monique n’hésite pas à s’embarquer pour aller le rejoindre. Une tempête s’élève et la mer semble vouloir prendre le parti du démon. Mais tandis que les matelots pâlissent de terreur, intrépide au milieu des flots courroucés, Monique les rassure et prend à l’aviron la place de l’un d’eux ; le navire ne peut périr, car le salut de son fils y est engagé. Que l’on aille après cela vanter l’intrépidité de César rassurant le nautonier ! Ce qu’il fit et dit par ambition et par vanité est loin d’égaler le geste d’une simple femme voguant au secours de son fils exposé à perdre son âme.
La conversion de saint Augustin.
Elle arrive à Rome. Son fils vient de partir pour Milan ; elle se précipite à sa poursuite et le rejoint. C’est ici que Dieu va enfin exaucer tant de prières, n’ayant, semble-t-il, différé si longtemps que pour accorder davantage. Des jours plus heureux se lèvent main tenant pour elle, des jours de résurrection et de gloire. Au contact de saint Ambroise, évêque de Milan, Augustin sent ses luttes intérieures s’apaiser. Les discours du saint docteur font tomber ses doutes ; il ouvre peu à peu les yeux à la foi ; le ciel vient à son secours par une intervention qui tient du miracle : une voix mystérieuse lui répète : « Tolle, lege ! Prends et lis ! » Il ouvre les épîtres de saint Paul, il lit, et il tombe, comme l’Apôtre, vaincu par l’amour de Jésus-Christ. Quelque temps après, il reçoit le baptême des mains de l’évêque de Milan.
Il en sort tout transfiguré, prêt à devenir saint Augustin.
Une des grâces de son baptême fut sa vocation religieuse. Un saint religieux de Milan, Simplicien, prêtre savant, l’initia à ce genre de vie, qu’il commença dès ce moment à pratiquer. Il résolut de retourner en Afrique, afin de consacrer son petit patrimoine partie à des aumônes, partie à la fondation d’un couvent qui devait être la source féconde du monachisme africain.
Il part avec ses amis et sa mère, et ils se rendent à Ostie, où ils doivent s’embarquer. Mais Monique avait accompli son œuvre : son fils était converti. Et elle pouvait dire à Dieu avec le Psalmiste : « Selon la multitude des douleurs de mon cœur, vos consolations ont rempli de joie mon âme. » (Ps. 93.)
La mort à Ostie.
Une scène admirable, que la peinture a popularisée, nous montre la mère et le fils assis l’un près de l’autre, au bord de la mer. Les yeux et le cœur en haut, Monique passe en revue toute la création : la terre, la mer, les astres ; mais tout cela paraît passager ; elle monte plus haut, dans la région de l’éternel amour. C’est là qu’elle trouve le bonheur, dans la possession de Dieu ; elle y reste ravie en extase. Ce n’est qu’en soupirant qu’elle descend vers le triste séjour de la terre.
Après ce ravissement, désolée de se retrouver dans cette vallée de larmes, elle disait à Augustin :
– Pourquoi suis-je encore ici-bas, mon fils, maintenant que mes espérances se sont réalisées ? Il y avait une seule chose pour laquelle je désirais vivre, c’était de vous voir chrétien et catholique. Or, je vous vois mépriser le bonheur de ce monde pour vous consacrer à Dieu.
Monique, en effet, n’avait plus qu’à partir pour le ciel.
Une autre fois, profitant avec délicatesse d’un moment où Augustin n’était pas là, elle parla avec une grande ardeur du mépris de la vie et du bonheur de mourir pour aller à Dieu. Et comme Alype, son ami, Navigius et les autres lui demandaient si elle n’appréhendait pas de mourir loin de sa patrie, elle leur répondit : « Oh ! non, on n’est jamais loin de Dieu, et il n’y a pas lieu de craindre qu’au jour du jugement il ait peine à retrouver ma poussière pour me ressusciter d’entre les morts. »
C’était là une grâce suprême de Dieu ; car, jusqu’à ce moment, nous assure saint Augustin, elle avait toujours vivement désiré être ensevelie en son lointain pays natal, à côté de Patrice, dans le tombeau qu’elle s’était fait construire.
Cinq jours après, elle est prise d’un violent accès de fièvre. Elle sent sa fin prochaine. Elle recommande à son fils de se souvenir d’elle à l’autel du Seigneur, puis elle se recueille, elle se prépare à la mort ; neuf jours s’écoulent ainsi. Enfin, comme on lui refusait la communion, vu l’extrême gravité de son état, un petit enfant entra, dit-on, dans sa chambre. Il s’approcha de son lit, baisa la poitrine de la mourante, dont l’âme s’envola aussitôt vers le ciel. C’était au commencement de novembre de l’an 387. Monique avait vécu cinquante-cinq ans. Augustin en avait trente-trois.
Je lui fermai les yeux, raconte son illustre fils, et dans le fond de mon cœur affluait une douleur immense, prête à déborder en ruisseaux de larmes ; et mes yeux, sur l’impérieux commandement de l’âme, ravalaient leur courant jusqu’à demeurer secs, et cette lutte me déchirait… Mais sa mort n’était ni malheureuse ni entière. Nous en avions pour garants sa vertu, sa foi sincère et les raisons les plus certaines… Evodius prit le psautier et se mit à chanter ce psaume auquel nous répondions tous : « Je chanterai, Seigneur, votre gloire, vos miséricordes et vos jugements. »
Après les funérailles, Augustin se retira à l’écart, et, en présence de Dieu, il donna un libre cours à ses larmes ; pleurant « cette mère, morte pour un temps à ses yeux, cette mère qui l’avait pleuré tant d’années pour le faire vivre aux yeux de Dieu », et qui lui avait donné deux fois la vie.
Son culte.
Mille ans devaient s’écouler avant que cette mère admirable, dont la vie était pourtant bien connue par les Confessions de son fils, jouît d’un culte public et universel. Ses restes reposaient à Ostie dans un sarcophage de marbre qu’elle devait à la piété d’Augustin, mais n’étaient l’objet d’aucun culte spécial. Toutefois, déjà en divers lieux, dès le xiie et le xiiie siècle, on l’honorait comme Sainte ; le 4 mai, veille de la fête de la Conversion de saint Augustin, des hymnes avaient été composées en son honneur et des artistes l’avaient parfois représentée dans leurs œuvres.
Ce n’était là toutefois que l’aurore d’un culte universel. Il fallait que lé Chef de l’Eglise intervînt pour élever Monique sur les autels. Ce fut l’œuvre de Martin V. En vertu d’une bulle de ce Pontife du 27 avril 430, les restes de sainte Monique furent transférés d’Ostie à Rome. Durant la procession, une mère obtint la guérison de son fils malade en le faisant approcher des saintes reliques. Ce trésor repose encore aujourd’hui à Rome dans l’église de Saint-Augustin, sous la garde des Ermites de Saint-Augustin ; il y est vénéré par les pèlerins du monde entier.
A. R. B.
Sources consultées. – Saint Augustin, Confessions. – Mgr Bougaud, Histoire de sainte Monique (14e édition. Paris, 1914). – (V. S. B. P., n° 20.)