Guérir si possible, soigner toujours.
Le 14 juillet 2020, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiait la Lettre Samaritanus bonus consacrée au soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie. Ce document s’inscrit dans le droit fil de la Déclaration Jura et bona du 5 mai 1980 qui mettait en lumière la différence morale entre les moyens proportionnés et les moyens disproportionnés pour se maintenir en vie.
Ce point étant désormais acquis, la récente Lettre introduit une nouvelle distinction —guérir vs soigner— pour guider tous ceux qui s’occupent des malades en phases critiques et terminales de la vie.
Guérir si possible, soigner toujours
Dès le début, la Lettre pose un principe fondamental :
« Le soin de la vie est la première responsabilité que le médecin expérimente lors de la rencontre avec le patient. Il n’est pas réductible à la capacité de guérir la personne malade, car son horizon anthropologique et moral est plus large : même lorsque la guérison est impossible ou improbable, l’accompagnement en soins infirmiers (soins des fonctions physiologiques essentielles du corps), psychologiques et spirituels est un devoir incontournable, car le contraire constituerait un abandon inhumain du malade. […]
« Reconnaître l’impossibilité de guérir dans la perspective de la mort prochaine ne signifie cependant pas la fin de l’action médicale et infirmière. Exercer une responsabilité envers le malade, c’est veiller à ce qu’il soit soigné jusqu’au bout : “Guérir si possible, toujours prendre soin (to cure if possible, always to care) ”. Cette volonté de toujours soigner la personne malade offre le critère permettant d’évaluer les différentes actions à entreprendre dans la situation de maladie “incurable” : incurable, en effet, n’est jamais synonyme de “non soignable”[1]. »
La Lettre note que la notion de soin doit s’entendre de manière ample de manière à procurer au malade l’aide physique, psychologique, sociale, familiale et religieuse nécessaire :
« Le regard contemplatif appelle à un élargissement de la notion de soin. L’objectif des traitements doit viser l’intégrité de la personne, en garantissant avec les moyens appropriés et nécessaires un soutien physique, psychologique, social, familial et religieux. La foi vivante maintenue dans les âmes de ceux qui l’entourent peut contribuer à la véritable vie théologale de la personne malade, même si cela n’est pas immédiatement visible. Le soin pastoral qui incombe à tous, membres de la famille, médecins, infirmiers et aumôniers, peut aider le malade à persévérer dans la grâce sanctifiante et à mourir dans la charité, dans l’Amour de Dieu[2]. »
La dimension spirituelle du soin
Le soutien spirituel que l’Église assure aux malades découle de la triple mission qu’elle a reçue du Christ le jour de l’Ascension (Mt 28, 19–20) :
« L’assistance pastorale des malades revêt tout son sens dans la catéchèse, dans la liturgie et dans l’exercice de la charité. Il s’agit, respectivement,
- d’évangéliser la maladie, en aidant le malade à découvrir le sens rédempteur de la souffrance vécue en communion avec le Christ [= mission d’enseigner] ;
- de célébrer les sacrements comme signes efficaces de la grâce recréatrice et vivifiante de Dieu [= mission de sanctifier] ;
- de témoigner par la “diakonia” (le service) et la “koïnonia” (la communion), la force thérapeutique de la charité [= mission de gouverner][3]. »
Aux malades en phases critiques et terminales de la vie, l’Église offre les secours de trois sacrements :
« Le moment sacramentel est toujours le point culminant de tout l’effort pastoral de soin qui précède et la source de tout ce qui suit.
« L’Église appelle sacrements “de guérison” la Pénitence et l’Onction des malades, qui culminent dans l’Eucharistie comme “viatique” pour la vie éternelle. Par la proximité de l’Église, le malade vit la proximité du Christ qui l’accompagne sur le chemin de la maison du Père (cf. Jn 14, 6) et l’aide à ne pas tomber dans le désespoir, le soutenant dans l’espérance, surtout quand le chemin devient plus difficile[4]. »
L’intention de recevoir les sacrements
L’administration des sacrements aux malades en phases critiques et terminales ne pose pas de difficulté particulière dès lors qu’ils sont conscients et lucides. Ils peuvent alors manifester leur intention de recevoir (ou pas) et, le cas échéant, s’y disposer avec l’aide du prêtre.
Les choses se compliquent lorsque le patient est privé de l’usage de la raison[5] et/ou de l’usage des sens[6]. Dans un cas comme dans l’autre, la personne n’est pas en mesure d’exprimer présentement son intention de recevoir les sacrements (ou pas) et, le cas échéant, de s’y disposer.
De fait, l’intention requise pour demander et recevoir les sacrements peut revêtir plusieurs formes[7]. Primo, l’intention actuelle qui est présentement consciente et agissante. Secundo, l’intention virtuelle qui est présentement agissante encore qu’inconsciente. Tertio, l’intention habituelle qui, jadis extériorisée et jamais rétractée, n’est présentement ni consciente ni agissante.
Une personne privée de l’usage de la raison et/ou des sens n’est pas en mesure de manifester son intention actuelle ou virtuelle de recevoir les sacrements. Par contre, sa volonté antérieure et non rétractée, c’est-à-dire son intention habituelle, suffit pour faire connaître sa volonté de recevoir les sacrements. Autrement dit, un fidèle baptisé est censé vouloir tout ce qui est utile à son salut (en particulier les sacrements) à moins d’avoir manifesté par le passé une intention contraire.
Les dispositions pour recevoir les sacrements
Si les sacrements ne peuvent être administrés qu’à ceux qui y consentent, ils doivent également être reçus avec certaines dispositions pour être fructueux[8]. Voyons ce qu’il en est des sacrements de Pénitence (1), d’Extrême-Onction (2) et d’Eucharistie (3).
1. Les péchés accusés, regrettés et réparés constituent la matière du sacrement de Pénitence[9]. Les actes du pénitent —accusation, contrition et satisfaction— sont donc nécessaires à la réception valide et fructueuse de l’absolution sacramentelle. Chez un malade conscient et lucide, le prêtre peut s’assurer que ces actes sont posés par le pénitent et, le cas échéant, l’aider à les poser. Quand le malade est inconscient ou a perdu sa lucidité, il n’est plus possible de s’assurer de ses bonnes dispositions actuelles : le prêtre donne alors l’absolution sous condition[10].
2. L’Extrême-Onction est destinée aux fidèles dont l’état de santé est gravement compromis par la vieillesse ou par la maladie : elle leur procure des secours pour le corps et pour l’âme en cette phase délicate de la vie. L’intention habituelle de recevoir ce sacrement est certes suffisante à sa réception valide, mais l’état de grâce est nécessaire à sa réception fructueuse. Dès qu’il y a un doute fondé quant à l’intention ou à l’état de grâce du malade et que l’état du malade ne permet pas de dissiper ce doute, le sacrement doit être administré sous condition[11].
3. La réception fructueuse du sacrement de l’Eucharistie requiert chez le malade trois dispositions fondamentales : l’intention de recevoir le sacrement, l’état de grâce et la révérence due au Christ présent réellement et sacramentellement. Chez un malade conscient et lucide, le prêtre peut s’assurer que celui qui veut communier est bien disposé et, le cas échéant, l’aider à se disposer, qu’il s’agisse d’une communion de dévotion ou de la réception du Viatique[12]. Quand le malade a perdu sa lucidité, seule la communion sous forme de Viatique est envisageable dès lors qu’on peut présumer légitimement de son intention habituelle, de son état de grâce et de l’absence de péril d’irrévérence[13].
Source : Cahiers Saint Raphaël n° 143, juillet 2021.
- Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Samaritanus bonus, 14 juillet 2020, n° I.[↩]
- Ibid.[↩]
- Conseil pontifical pour la pastorale des personnels de santé, Charte des personnels de santé, 1995, n° 110.[↩]
- Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Samaritanus bonus, 14 juillet 2020, n° V‑10.[↩]
- Par exemple, folie, démence, maladie d’Alzheimer, etc.[↩]
- Par exemple, inconscience, état de coma, syndrome d’enfermement, etc.[↩]
- Cf. Jean-Benoît Vittrant sj, Théologie morale catholique, Beauchesnes, Paris, 1941, p. 343, n° 659.[↩]
- Dans le rituel de baptême, juste avant l’ablution d’eau, le prêtre s’assure de la foi du baptisé (condition nécessaire à la réception fructueuse du baptême) puis de son intention de recevoir le sacrement (condition nécessaire à sa réception valide).[↩]
- Concile de Trente, Décret sur le sacrement de Pénitence, 25 novembre 1551, c. 3.[↩]
- Cf. Albert Chanson, Pour mieux confesser, Brunet, Arras, 1958, n° 499, p. 226–227.[↩]
- Cf. Albert Chanson, Pour mieux administrer, Brunet, Arras, 1961, p. 371–373, n° 843–845 et p. 374–375, n° 848–850[↩]
- Ibid., p. 298–299, n° 671–672 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q. 80, a. 9, c.[↩]
- Ibid., p. 298–299, n° 671–672 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q. 80, a. 9, c.[↩]