Divine colère dans le Temple

« Alors Jésus fit un fouet de petites cordes, et Il les chas­sa tous hors du Temple, avec les bre­bis et les bœufs. »

Lorsque Notre Seigneur entre dans le Temple, en pas­sant par le par­vis des gen­tils, il y trouve un mar­ché bruyant et scan­da­leux : des bœufs, des bre­bis, des colombes, à l’usage de ceux qui devaient à l’occasion de la Pâque offrir des sacrifices.

C’est vrai que c’était plus pra­tique pour ces juifs qui venaient de loin. Tout était à leur dis­po­si­tion sur cette espla­nade. Ils pou­vaient même chan­ger la mon­naie romaine. Les pièces à l’effigie de César n’étaient pas accep­tées par le Sanctuaire. Alors on les échan­geait en mon­naie tyrienne qui était reçue comme seule mon­naie juive. Des chan­geurs se tenaient à leurs comp­toirs. Les tran­sac­tions étaient rapides.

Certainement, quelques juifs pieux devaient être scan­da­li­sés d’un tel débal­lage dans le Temple. Monter au Temple, entrer dans les lieux saints, après des jour­nées de marche pour y accom­plir les sacri­fices deman­dés par la loi et ver­ser l’impôt sacré pour l’entretien du Temple était une démarche tel­le­ment sainte, tel­le­ment impor­tante pour un juif, qu’elle mar­quait les années de sa vie.

Mais il fal­lait bien le recon­naître, c’était pra­tique… la faci­li­té abîme les choses les plus saintes. L’homme n’a pas chan­gé. Et puis, les prêtres avaient auto­ri­sé un tel tra­fic, et tout le monde fai­sait comme ça… alors, le juif pieux venu de sa cam­pagne éloi­gnée accep­tait sans mot dire.

Même les ven­deurs de bes­tiaux et les agents de change avaient endor­mi leur conscience. N’avaient-ils pas eu l’autorisation des prêtres ? Car pour pou­voir s’installer ici, il leur fal­lait cette auto­ri­sa­tion des Lévites. Ceux-​là étaient en charge du Temple et des fonc­tions sacrées… prêtres, chantres, musi­ciens, por­tiers, inten­dants du tré­sor, magis­trats, juges et ensei­gnants… Rien n’arrivait dans le Temple sans que non seule­ment ils ne l’autorisent mais qu’ils en aient l’initiative.

En fait, scribes et pha­ri­siens avaient la main sur ce busi­ness du début à la fin. Ils don­naient les auto­ri­sions, en fixaient les condi­tions, les prix et le change selon l’affluence des pèle­rins. Monopole unique, mono­pole incroya­ble­ment facile… les ani­maux ven­dus à un prix conve­nu, étaient une fois sacri­fiés reven­dus en par­tie, comme l’autorise la Loi, à la consom­ma­tion. Les rab­bins cumu­laient ain­si de beaux béné­fices. Une petite entre­prise qui n’était pas prête de connaître de crise, jusqu’à ce matin où Notre Seigneur est entré pour la pre­mière Pâque de sa vie publique dans le Temple.

Alors Jésus fit un fouet de petites cordes, et Il les chas­sa tous hors du Temple, avec les bre­bis et les bœufs.

La scène est sur­réa­liste. Combien étaient-​ils ce matin sur cette espla­nade ? Des cen­taines, des mil­liers ? Face à la foule, un seul homme, et quel homme ! La voix de cet incon­nu domine le bruit de la foule, des tables ren­ver­sées et des ani­maux qui paniquent. Jésus tonne, Il pour­chasse les ven­deurs, Il pousse les ani­maux en dehors du Temple. Il se fait entendre et obéir. La voix du Seigneur a cette into­na­tion très à elle, spé­cia­le­ment pre­nante. C’est par elle qu’Il se fait recon­naître, comme Il le fera, au petit jour, de Marie Madeleine, hors d’elle-même d’émotion en la nom­mant une fois seule­ment par son nom. Mais ce matin de sab­bat, c’est dans cette voix la colère de Dieu qui domine le tumulte de cette bourse du com­merce orien­tal qu’est deve­nu la cour du Temple. 

Il répan­dit l’argent des chan­geurs, et Il ren­ver­sa leurs tables. Avec quelle agi­li­té il se fau­file au milieu de la foule. Il s’est fait un fouet de cordes, Il puri­fie le Temple.

Pour ceux qui ven­daient des colombes, Il leur dit : Enlevez cela d’ici, et ne faites pas de la Maison de mon Père une mai­son de tra­fic. Le Temple, c’était ce Lieu où chaque homme était assu­ré que sa prière serait enten­due de Dieu. Et voi­ci que ceux qui devaient le gar­der en avaient fait un lieu de cor­rup­tion et de scan­dale. La colère du Seigneur est à la hau­teur de ce sacri­lège. Ce n’est pas au nom de la sain­te­té de ce lieu qu’Il agit, c’est au nom de l’honneur de son Père. Tout l’être de Notre Seigneur est consu­mé par le zèle de la mai­son de son Père : voi­là le secret de cette auto­ri­té qui s’impose à tous, qui réveille les consciences obs­cur­cies et qui fait fuir les voleurs. Au risque de sa vie, Il pousse le dévoue­ment jusqu’au don total de Lui-​même, bien mieux, jusqu’à l’oubli de soi le plus com­plet… Mon Père est plus grand que moi !

Sa seule pré­sence aurait suf­fi à embel­lir ce Lieu saint et à conten­ter le Père, mais Jésus est la Lumière, alors, avec un fouet en main, Il chasse les ténèbres. Il n’y aura jamais de com­po­si­tion entre la Lumière et les ténèbres. Son mes­sage n’est ni libé­ral, ni tolérant.

Socrate avait réfor­mé l’esprit, Moïse avait réfor­mé la Loi et d’autres réfor­mèrent les codes, les sys­tèmes et les reli­gions. Notre Seigneur, Lui, n’est pas venu pour réfor­mer l’homme, pour le chan­ger en par­tie seule­ment. Il est venu pour trans­for­mer com­plè­te­ment et radi­ca­le­ment ce que saint Paul allait appe­ler l’homme inté­rieur, cet homme en l’homme dont la volon­té dirige tout ce qu’il fait. Cet homme inté­rieur que les ven­deurs du Temple et les grands prêtres avait étouf­fé par tant de confort et tant de règle­ments… le confort d’une conscience dans une reli­gion facilitée.

Mais en s’opposant à toute doc­trine com­pro­mise ou édul­co­rée, le Seigneur n’est ni étroit, ni révo­lu­tion­naire. Il renou­velle toutes choses, Il trans­forme, Il com­mence à res­tau­rer la race d’Abraham. Pour Jésus, aucun com­pro­mis, aucune conces­sion pos­sible. Il nous montre sa pro­fonde aver­sion pour toute lar­geur d’esprit syno­nyme d’indifférence ou de mise à dis­po­si­tion de Dieu… Si vous ne croyez pas, vous serez condam­nés. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas au monde pour nous débattre dans un nœud de vers, ava­lant chaque jour notre por­tion de terre et nous rem­plir les poches… comme si nous n’avions qu’un esto­mac et deux mains.

Dans son pre­mier acte contre la reli­gion éta­blie par les grands prêtres, Notre Seigneur dit à l’homme qu’il a un cœur et une âme dont le salut est plus impor­tant que l’acquisition du monde entier… à quoi sert-​il de gagner l’univers, si on perd son âme ? Cet idéal est nou­veau, c’était un coup de ton­nerre dans le Temple… per­sonne ne l’avait jamais pro­po­sé, parce que per­sonne n’était jamais venu pour trans­for­mer le vieil Adam qui est l’homme natu­rel, en créant une nou­velle nature trans­fi­gu­rée par la Grâce – la sur­na­ture – faite à l’Image et à la Ressemblance de Dieu.

Comme il s’agit d’une nou­veau­té tel­le­ment trans­for­ma­trice, elle ne peut s’exprimer qu’en oppo­si­tions radi­cales, qu’en para­doxes trou­blants… ain­si cette divine colère dans le Temple pour réveiller les âmes à elles-​mêmes. Tout ce que l’humanité terre à terre ché­rit, le Christ le ren­verse comme ces tables des chan­geurs. Les avan­tages que l’humanité per­due dans ses com­pro­mis­sions recherche, Il les condamne et Sa Voix nous contre­dit. Ce que l’humanité met­tait au pre­mier rang, Lui, Il le met au der­nier et le bat de son fouet comme on le fait de l’esclave. Ce que l’humanité appe­lait la mort, Lui, Il l’appellera la Vie. Pour Lui, ce qui est vrai dans le temps, est faux au regard de l’Éternité et ce qui est bon pour le corps est nui­sible à l’âme. Car, ce qui est sagesse pour le monde est fai­blesse aux yeux de Dieu.  

Comment Notre Seigneur pouvait-​Il mieux com­men­cer son minis­tère ? Alors les dis­ciples se sou­vinrent qu’il était écrit, le Zèle de votre Maison m’a dévo­ré. Désormais, Il ne lais­se­ra plus per­sonne indif­fé­rent. Les grands prêtres de Jérusalem cher­che­ront à le faire taire. Qu’importe ? Les aveugles voient, les boi­teux marchent, les lépreux sont puri­fiés, les sourds entendent, les morts res­sus­citent, et la bonne nou­velle est annon­cée aux pauvres.