Chercher Dieu dans la nuit

Jésus et Nicodème, Crijn Hendricksz Volmarijn (première moitié du XVIIe siècle).

« Que chaque âme qui cherche Dieu sache bien qu’elle a été devan­cée par Dieu, qui l’a cher­chée avant qu’elle se soit mise à le chercher. »

Saint Bernard

Mais voi­ci que de cette foule d’admirateurs incer­tains et de par­ti­sans dou­teux, un per­son­nage de Jérusalem, un pha­ri­sien, membre du san­hé­drin, vint trou­ver Jésus… Nicodème. 

Certainement, à en juger la proxi­mi­té du récit des miracles que Jésus avait fait dans la ville les jours pré­cé­dents, il avait été frappé.

Nicodème est un per­son­nage impor­tant, il est à la fois chef, doc­teur et pha­ri­sien. Il vint la nuit trou­ver Jésus. Faut-​il voir dans le fait qu’il vint la nuit, comme le fit Calvin par­mi d’autres, que Nicodème était hon­teux et incon­sé­quent. Lorsque Calvin par­lait de « mes­sieurs les Nicomédites », sa voix pre­nait un accent d’ironie et d’âpre com­mi­sé­ra­tion. Il semble que le Nicodème dont parle saint Jean était meilleur que cette renom­mée de mau­vaise foi.

Saint Jean nous parle trois fois de lui, au cha­pitre III qui nous inté­resse ici, mais aus­si au cha­pitre VII où nous le voyons prendre la défense de Jésus face aux pha­ri­siens qui déjà vou­laient faire dis­pa­raître Jésus, et au cha­pitre XIX où saint Jean pré­cise que Nicodème prit soin du corps de Notre-​Seigneur avec une grande quan­ti­té de myrrhe et d’aloès après que Joseph d’Arimathie l’eut récu­pé­ré. À chaque fois, Jean rap­pelle que Nicodème ren­con­tra Notre-​Seigneur la nuit. C’est donc que cette démarche la nuit n’était pas cho­quante à ses yeux et qu’elle gran­dis­sait cet homme déjà res­pec­té. En fait, Jean nous donne une haute idée de cet homme, de sa situa­tion sociale et de son carac­tère. C’était, dit-​il, l’ « un des prin­ci­paux par­mi les juifs », – il était « membre du Sanhédrin », – et Jésus dira de lui qu’il était « doc­teur d’Israël ».

Si l’on s’est par­fois scan­da­li­sé qu’il soit venu trou­ver Jésus « la nuit » – et il n’est pas dou­teux que cette indi­ca­tion don­née par l’évangéliste ne soit pas impor­tante – l’intention de l’évangéliste n’est pas de mon­trer une fai­blesse d’âme. Jésus n’est pas n’importe qui, et l’hésitation appa­rente de Nicodème est remar­quable, autant que son désir de ren­con­trer cet homme.

Mais on peut tout aus­si tra­duire cette timi­di­té autre­ment. On peut admettre que Jésus était pen­dant tout le jour tel­le­ment entou­ré de dis­ciples ou de curieux, que si l’on vou­lait avoir un entre­tien un peu sérieux avec lui, on ne pou­vait l’aborder que le soir, à la nuit tom­bante, au moment où les super­fi­ciels, ceux qui ont autre chose à faire, étaient ren­trés chez eux.

Pour Nicodème, pour un homme d’une telle impor­tance dans Jérusalem, dans cette ville où tout se sait, le fait de faire une pareille démarche auprès de Jésus exi­geait un véri­table cou­rage. Il lui fal­lait sur­mon­ter les pré­ju­gés de la secte pha­ri­sienne dont il fai­sait par­tie ; il lui fal­lait, en quelque sorte, humi­lier la science offi­cielle devant une science dont nul ne pou­vait encore dire avec cer­ti­tude la pro­ve­nance et qui sem­blait condam­ner celle des doc­teurs atti­trés ! En fait, il fal­lait un véri­table cou­rage, même de nuit – c’est à dire sans publi­ci­té – et une grande pro­bi­té intellectuelle.

Un autre élé­ment peut nous faire mieux connaître Nicodème. Cet échange est d’une pro­fon­deur inédite. Le maître va lui ouvrir les secrets du Royaume de Dieu qu’il est venu réta­blir. Le fait que le Maître lui parle sans détour l’impressionne. Il est fort pro­bable que cet entre­tien qui touche l’intimité de la Vie de la grâce dans une âme se fit en tête à tête, sans témoin. Ce que Jean nous rap­porte, c’est ce que Nicodème lui a confié et nous lisons entre les lignes sa stu­peur et son émerveillement.

Et puis, il y a une autre réa­li­té que ceux qui ont essayé de cher­cher Dieu com­prennent : cette nuit, ils la connaissent. Ce qui fonde la grande pro­bi­té de Nicodème c’est sa recherche de Dieu. Il veut savoir, il veut une entre­vue, il veut véri­fier. L’âme qui cherche Dieu connait cette phrase du cantique 

La nuit, j’ai cher­ché celui que mon cœur aime.

(Ct 3,1)

Dans son com­men­taire du can­tique saint Bernard écrit : « Quel grand bien que de cher­cher Dieu ! Je pense pour ma part qu’il n’en est pas de plus grand. Le pre­mier des dons de Dieu, il est encore l’é­tape der­nière. Il ne vient pas s’a­jou­ter à quelqu’autre ver­tu, parce qu’au­cune ne lui est antérieure. »

Celui qui cherche Dieu, le cherche la nuit, et le cher­che­ra toute sa vie la nuit. Qui pour­rait se van­ter d’avoir trou­vé Dieu, alors que Dieu ne se montre qu’à celui qu’il choi­sit, et comme il le veut. Chercher Dieu, c’est cher­cher quelqu’un qui dépas­se­ra tou­jours nos dési­rs et nos idées de lui, qui nous sur­pren­dra tou­jours… même quand on l’au­ra trou­vé, on ne ces­se­ra pas de le chercher.

Chercher Dieu c’est essayer de retrou­ver quelqu’un dont on a per­du le sou­ve­nir, mais dont le sou­ve­nir absent a lais­sé ce manque qui sus­cite le désir. Chercher Dieu, c’est dési­rer tout le temps… « Cherchez tou­jours sa face » nous dit le psaume.

Saint Augustin l’a si bien expri­mé ! On ne cherche pas Dieu en cou­rant quelque part, mais dans la nuit, cette nuit non pas exté­rieure, mais dans la nuit de notre âme qui ne sait où aller. Car c’est Dieu qui répond à mon désir… C’est Dieu qui nous cherche, c’est Dieu qui nous trouve, la nuit est peut-​être longue, il faut l’attendre, mais il vient.

Nicodème est un homme de désir, il cherche, il sort de chez lui la nuit. C’est Jésus qui l’attire, qui vient à lui. « Que chaque âme qui cherche Dieu sache bien, dit encore saint Bernard, qu’elle a été devan­cée par Dieu, qui l’a cher­chée avant qu’elle se soit mise à le chercher. »