« Que chaque âme qui cherche Dieu sache bien qu’elle a été devancée par Dieu, qui l’a cherchée avant qu’elle se soit mise à le chercher. »
Saint Bernard
Mais voici que de cette foule d’admirateurs incertains et de partisans douteux, un personnage de Jérusalem, un pharisien, membre du sanhédrin, vint trouver Jésus… Nicodème.
Certainement, à en juger la proximité du récit des miracles que Jésus avait fait dans la ville les jours précédents, il avait été frappé.
Nicodème est un personnage important, il est à la fois chef, docteur et pharisien. Il vint la nuit trouver Jésus. Faut-il voir dans le fait qu’il vint la nuit, comme le fit Calvin parmi d’autres, que Nicodème était honteux et inconséquent. Lorsque Calvin parlait de « messieurs les Nicomédites », sa voix prenait un accent d’ironie et d’âpre commisération. Il semble que le Nicodème dont parle saint Jean était meilleur que cette renommée de mauvaise foi.
Saint Jean nous parle trois fois de lui, au chapitre III qui nous intéresse ici, mais aussi au chapitre VII où nous le voyons prendre la défense de Jésus face aux pharisiens qui déjà voulaient faire disparaître Jésus, et au chapitre XIX où saint Jean précise que Nicodème prit soin du corps de Notre-Seigneur avec une grande quantité de myrrhe et d’aloès après que Joseph d’Arimathie l’eut récupéré. À chaque fois, Jean rappelle que Nicodème rencontra Notre-Seigneur la nuit. C’est donc que cette démarche la nuit n’était pas choquante à ses yeux et qu’elle grandissait cet homme déjà respecté. En fait, Jean nous donne une haute idée de cet homme, de sa situation sociale et de son caractère. C’était, dit-il, l’ « un des principaux parmi les juifs », – il était « membre du Sanhédrin », – et Jésus dira de lui qu’il était « docteur d’Israël ».
Si l’on s’est parfois scandalisé qu’il soit venu trouver Jésus « la nuit » – et il n’est pas douteux que cette indication donnée par l’évangéliste ne soit pas importante – l’intention de l’évangéliste n’est pas de montrer une faiblesse d’âme. Jésus n’est pas n’importe qui, et l’hésitation apparente de Nicodème est remarquable, autant que son désir de rencontrer cet homme.
Mais on peut tout aussi traduire cette timidité autrement. On peut admettre que Jésus était pendant tout le jour tellement entouré de disciples ou de curieux, que si l’on voulait avoir un entretien un peu sérieux avec lui, on ne pouvait l’aborder que le soir, à la nuit tombante, au moment où les superficiels, ceux qui ont autre chose à faire, étaient rentrés chez eux.
Pour Nicodème, pour un homme d’une telle importance dans Jérusalem, dans cette ville où tout se sait, le fait de faire une pareille démarche auprès de Jésus exigeait un véritable courage. Il lui fallait surmonter les préjugés de la secte pharisienne dont il faisait partie ; il lui fallait, en quelque sorte, humilier la science officielle devant une science dont nul ne pouvait encore dire avec certitude la provenance et qui semblait condamner celle des docteurs attitrés ! En fait, il fallait un véritable courage, même de nuit – c’est à dire sans publicité – et une grande probité intellectuelle.
Un autre élément peut nous faire mieux connaître Nicodème. Cet échange est d’une profondeur inédite. Le maître va lui ouvrir les secrets du Royaume de Dieu qu’il est venu rétablir. Le fait que le Maître lui parle sans détour l’impressionne. Il est fort probable que cet entretien qui touche l’intimité de la Vie de la grâce dans une âme se fit en tête à tête, sans témoin. Ce que Jean nous rapporte, c’est ce que Nicodème lui a confié et nous lisons entre les lignes sa stupeur et son émerveillement.
Et puis, il y a une autre réalité que ceux qui ont essayé de chercher Dieu comprennent : cette nuit, ils la connaissent. Ce qui fonde la grande probité de Nicodème c’est sa recherche de Dieu. Il veut savoir, il veut une entrevue, il veut vérifier. L’âme qui cherche Dieu connait cette phrase du cantique
La nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime.
(Ct 3,1)
Dans son commentaire du cantique saint Bernard écrit : « Quel grand bien que de chercher Dieu ! Je pense pour ma part qu’il n’en est pas de plus grand. Le premier des dons de Dieu, il est encore l’étape dernière. Il ne vient pas s’ajouter à quelqu’autre vertu, parce qu’aucune ne lui est antérieure. »
Celui qui cherche Dieu, le cherche la nuit, et le cherchera toute sa vie la nuit. Qui pourrait se vanter d’avoir trouvé Dieu, alors que Dieu ne se montre qu’à celui qu’il choisit, et comme il le veut. Chercher Dieu, c’est chercher quelqu’un qui dépassera toujours nos désirs et nos idées de lui, qui nous surprendra toujours… même quand on l’aura trouvé, on ne cessera pas de le chercher.
Chercher Dieu c’est essayer de retrouver quelqu’un dont on a perdu le souvenir, mais dont le souvenir absent a laissé ce manque qui suscite le désir. Chercher Dieu, c’est désirer tout le temps… « Cherchez toujours sa face » nous dit le psaume.
Saint Augustin l’a si bien exprimé ! On ne cherche pas Dieu en courant quelque part, mais dans la nuit, cette nuit non pas extérieure, mais dans la nuit de notre âme qui ne sait où aller. Car c’est Dieu qui répond à mon désir… C’est Dieu qui nous cherche, c’est Dieu qui nous trouve, la nuit est peut-être longue, il faut l’attendre, mais il vient.
Nicodème est un homme de désir, il cherche, il sort de chez lui la nuit. C’est Jésus qui l’attire, qui vient à lui. « Que chaque âme qui cherche Dieu sache bien, dit encore saint Bernard, qu’elle a été devancée par Dieu, qui l’a cherchée avant qu’elle se soit mise à le chercher. »








