On connaît la sentence divine : « il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Effectivement, l’homme est un animal non seulement domestique, mais mieux encore politique. Notre époque montre à l’envi cette nécessité que nous avons de vivre en commun. La « dissociété » dans laquelle nous sommes immergés malgré nous suscite d’autant plus cet appétit de s’épanouir ensemble. Oui nous aimons la compagnie, mais encore faut-il qu’elle soit bien choisie. Saint Augustin confesse ce larcin d’une poire qu’il dit, confus, avoir commis : « Non, je ne l’aurais pas commis tout seul. J’ai donc aimé aussi la compagnie de ceux avec qui je l’ai commis ». On aime à se réjouir ensemble, mais on apprécie aussi le soulagement qu’apporte la compagnie dans la tristesse. En somme, nous sommes friands de convivialité. D’autant plus que la laïcité ambiante nous sépare constamment de nos congénères que les mœurs éloignent de nous. Il est bien juste de vouloir vivre en harmonie avec ses convictions.
Mais cette convivialité, cette bienveillance réciproque sera vraiment bénéfique, si elle est fondée sur une certaine communauté de vie. Par nature, nous sommes enclins à aimer davantage ceux qui nous ressemblent ; qui se ressemble s’assemble. Et l’Ecriture dit même : « tout animal aime son semblable ». Mais voilà justement le dilemme de notre vie quotidienne : nous unissons-nous par ressemblance, ou bien au contraire, une certaine communauté provoque-t-elle la similitude ? On connaît l’adage : « Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es ».
D’étrangers et même révoltés que nous étions en naissant, nous avons été baptisés, et dès lors nous savons que nous sommes marqués à l’effigie du Christ ; toute notre vie consiste alors à ressembler au divin modèle, Notre Seigneur Jésus-Christ. Pour ce faire, par la grâce, il nous faut tendre à vivre dans l’intimité de notre Sauveur pour atteindre en charité à cette union que les mystiques décrivent fort bien. Et l’Apôtre répétera sans aucun scrupule : « soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ ».
Il n’empêche que notre vie quotidienne se vit très concrètement. Qui fréquentons-nous ? Bien plus que nous ne le croyons peut-être ou le percevons, nos fréquentations ne sont pas sans nous influencer et même quelques fois profondément. Voilà en particulier toute l’importance de l’éducation et de l’école qui est soulevée ici. Qui n’a pas déploré l’éloignement d’un enfant ou d’un parent, résultat de fréquentations délétères !
On saisit là le bienfait de nos chapelles, lieux privilégiés de cette convivialité tant souhaitée et si nécessaire. Nos prieurés sont à la vérité des micro-sociétés. Les convictions communes et manifestées publiquement sont le ferment de cette bienveillance réciproque entre les familles toutes entières. Et quel est donc le fondement de cette convivialité : la messe dans toute son intégralité. On retrouve par les faits ce que saint Thomas affirmait au moyen âge : la vertu de religion est une vertu sociale, une vertu politique ; enseignement repris par Léon XIII [1] : « aucune vertu digne de ce nom ne peut exister sans la religion, car la vertu morale est celle dont les actes ont pour objet tout ce qui nous conduit à Dieu considéré comme notre suprême et souverain bien et c’est pour cela que la religion qui accomplit les actes ayant pour fin directe et immédiate l’honneur divin est la reine et à la fois la règle de toutes les vertus ». Une véritable convivialité ne sera durable et bonne que si donc elle est fondée sur la messe prise non pas seulement dans son acte essentiel, le renouvellement du sacrifice de la Croix, mais dans toute son ampleur d’acte de religion : une liturgie, un sermon et un parvis. Si l’on virevolte de parvis en parvis sous prétexte que l’acte essentiel a partout été correctement posé, on se fait plaisir dans une convivialité superficielle. Cette convivialité est en vérité amour sensible, de concupiscence, bien plus qu’amitié réelle. Le sentiment a supplanté la raison. Le fond manque : l’instinct de foi. La réalité le prouve : les amitiés vraies ont besoin d’un soubassement profond, l’assistance en famille et dans toute sa plénitude religieuse au saint sacrifice de la messe.
Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du District de France de la de la FSSPX
Sources : Fideliter n° 251 /La Porte Latine du 21 novembre 2019
- libertas n. 35[↩]