Le pape François procède à une importante réforme du droit canon

Mgr Juan Ignacio Arrieta

En signant la consti­tu­tion apos­to­lique Pascite gre­gem Dei – « Paissez le trou­peau de Dieu » – le 23 mai 2021, le pape François a pro­mul­gué une réforme impor­tante du droit canon.

Importante par son éten­due tout d’abord : elle consiste en une refonte presque com­plète du livre VI qui a pour titre « Les sanc­tions dans l’Eglise ».

Il faut rap­pe­ler que le code de droit cano­nique de 1983 est divi­sé en sept livres d’étendue inégale. Le livre VI, qui repré­sente le droit pénal de l’Eglise, ne com­porte en effet que 89 canons sur les 1752 qui com­posent le code.

Mais sur ces 89 canons 63 ont été modi­fiés, soit 71% du livre, 9 autres dépla­cés alors que 17 res­tent inchan­gés. Il s’agit donc d’un rema­nie­ment considérable.

Ce nou­veau livre VI entre­ra en vigueur le 8 décembre pro­chain, ce délai per­met­tant les tra­duc­tions et les adap­ta­tions nécessaires.

Pourquoi une telle réforme ?

Mais l’importance de la réforme réside sur­tout dans l’aveu for­mi­dable des erreurs conte­nues dans le nou­veau Code de 1983.

Il est extrê­me­ment inté­res­sant de suivre les expli­ca­tions don­nées par Mgr Juan Ignacio Arrieta, secré­taire du conseil pon­ti­fi­cal pour les textes légis­la­tifs dans un entre­tien accor­dé à Vatican news, à la suite de la publi­ca­tion de la consti­tu­tion apos­to­lique Pascite gre­gem Dei, le 1er juin der­nier. Il explique clai­re­ment la genèse de cette réforme.

« Après la pro­mul­ga­tion du code en 1983, les limites du livre VI sur le droit pénal sont appa­rues. » De quelles limites s’agit-il ?

« En sui­vant une idée de décen­tra­li­sa­tion, la rédac­tion des normes pénales avait alors été lais­sée très indé­ter­mi­née. On pen­sait que c’était aux évêques et aux supé­rieurs de déci­der selon la gra­vi­té des cir­cons­tances quels délits il fal­lait punir, et com­ment les punir. »

Ainsi, pour « décen­tra­li­ser » d’une part et pour adap­ter les sanc­tions de manière plus « per­son­nelle », un flou artis­tique avait été volon­tai­re­ment créé dans la rédac­tion des normes pénales. Avec le résul­tat que l’on pou­vait attendre : « La dif­fi­cul­té pour beau­coup de com­bi­ner cha­ri­té et puni­tion a fait que le droit pénal n’était guère appliqué. »

C’était oublier que cette appli­ca­tion relève de juges qui pèsent les cir­cons­tances et aux­quels il revient de faire ce dis­cer­ne­ment pour les­quels ils ont été spé­cia­le­ment for­més, dis­cer­ne­ment que l’on deman­dait désor­mais de tous les supérieurs.

De plus, c’est un aveu capi­tal qui explique une bonne par­tie de la crise des abus qui a tant fait de mal à l’Eglise. A qui la faute ?

Mgr Arrieta pour­suit : « En outre, il était dif­fi­cile de com­prendre que les évêques réagissent dif­fé­rem­ment dans des situa­tions simi­laires. » Ce nou­veau constat mérite le même com­men­taire que celui don­né plus haut.

Une première adaptation sous Jean-​Paul II

« Cette situa­tion a obli­gé le Saint-​Siège à inter­ve­nir, comme on le sait, en confiant les délits les plus graves exclu­si­ve­ment à la Congrégation pour la doc­trine de la foi, et en accor­dant des facul­tés d’intervention à d’autres dicas­tères de la Curie. »

Il existe un texte remar­quable de Benoît XVI, publié le 11 avril 2019 dans la revue Klerusblatt, qui explique les rai­sons de cette inter­ven­tion. Le pape émé­rite donne, de manière tout à fait inédite, les rai­sons pro­fondes de la crise des abus, et fait plu­sieurs aveux quant à la déroute post­con­ci­liaire. Voici le pas­sage qui concerne le droit canon, avec nos com­men­taires. (Pour l’ensemble du texte com­men­té par nos soins.)

Benoît XVI y aborde direc­te­ment la ques­tion des abus et de l’insuffisance des moyens de répres­sion four­nis par le nou­veau Code de droit canonique.

« La ques­tion de la pédo­phi­lie (…) ne s’est posée que dans la seconde moi­tié des années 1980. » Les évêques des Etats-​Unis, où le pro­blème était deve­nu public, « deman­dèrent de l’aide, car le droit cano­nique, consi­gné dans le nou­veau Code (1983), ne sem­blait pas suf­fi­sant pour prendre les mesures néces­saires. (…) Ce n’est que len­te­ment qu’un renou­vel­le­ment et un appro­fon­dis­se­ment du droit pénal déli­bé­ré­ment peu struc­tu­ré [nous sou­li­gnons] du nou­veau Code ont com­men­cé à prendre forme. »

A la source de cette fai­blesse déli­bé­ré­ment vou­lue, « il y avait un pro­blème fon­da­men­tal dans la per­cep­tion du droit pénal. Seul le garan­tisme 1 était consi­dé­ré comme “conci­liaire”. Il fal­lait avant tout garan­tir les droits de l’accusé, dans une mesure qui excluait en fait toute condam­na­tion. (…) Le droit à la défense par voie de garan­tie a été éten­du à un point tel que des condam­na­tions étaient dif­fi­ci­le­ment pos­sibles. » [Nous soulignons.]

Le pape émé­rite jus­ti­fie son action, en expli­quant la conduite tenue : « Un droit cano­nique équi­li­bré (…) ne doit donc pas seule­ment pro­té­ger l’accusé. (…) Il doit aus­si pro­té­ger la foi. (…) Mais per­sonne aujourd’hui n’accepte que la pro­tec­tion de la foi soit un bien juridique. »

A cause de ce garan­tisme, il fal­lut contour­ner la dif­fi­cul­té en trans­fé­rant les com­pé­tences de la Congrégation du cler­gé, nor­ma­le­ment res­pon­sable du trai­te­ment des crimes com­mis par les prêtres, à la Congrégation pour la doc­trine de la foi sous le chef de “Délits majeurs contre la foi”. Ceci per­mit « d’imposer la peine maxi­male, l’expulsion, qui n’aurait pu être impo­sée en ver­tu d’autres dis­po­si­tions légales ». Afin de pro­té­ger la foi, il fal­lut pour ce faire mettre en place une véri­table pro­cé­dure pénale, avec pos­si­bi­li­té d’appel à Rome.

Ainsi la logique impla­cable du per­son­na­lisme, qui fait pas­ser l’individu avant la socié­té et le bien com­mun, a ren­du la jus­tice de l’Eglise qua­si­ment inopé­rante avec le Code de droit cano­nique de 1983.

Les critères nouveaux de cette révision

Mgr Arrieta explique : « Les cri­tères nou­veaux peuvent être résu­més sous trois [aspects]. Tout d’abord une meilleure déter­mi­na­tion des normes, en défi­nis­sant clai­re­ment les cas dans les­quels le sys­tème pénal doit être appli­qué et la manière dont les infrac­tions doivent être punies. » Comme doit faire tout sys­tème juri­dique valable et cohérent.

L’évêque ajoute : « Les para­mètres de réfé­rences sont éga­le­ment désor­mais fixés pour gui­der l’action des ordi­naires, tout en res­pec­tant les marges néces­saires à l’évaluation des cir­cons­tances concrètes de chaque cas. » Comme doit faire tout bon juge.

« Le deuxième cri­tère est la pro­tec­tion de la com­mu­nau­té, en éta­blis­sant des moyens de pré­ve­nir et de répa­rer les scan­dales, et de répa­rer les dom­mages cau­sés. » Il a fal­lu la ter­rible crise des abus, sans comp­ter les scan­dales finan­ciers, pour que l’on se sou­vienne de prin­cipes élé­men­taires de phi­lo­so­phie sociale et politique…

« Le troi­sième objec­tif était de doter l’autorité – l’évêque, le supé­rieur… – d’instruments adé­quats pour pou­voir pré­ve­nir les infrac­tions, pro­mou­voir la réforme, et cor­ri­ger les infrac­tions avant qu’elles ne deviennent plus graves. »

Conclusion

Il est heu­reux que cette réforme ait vu le jour et qu’elle puisse cor­ri­ger, en par­tie, le tra­gique échec du nou­veau droit canon en matière de droit pénal. Droit canon qui, ne l’oublions pas, a été publié sous la res­pon­sa­bi­li­té du pape Jean-​Paul II…

Sources : cath.ch/Saint-Siège/FSSPX.Actualités/Vatican news/zenit.org – FSSPX.Actualités)

Illustration : Mgr Juan Ignacio Arrieta, secré­taire du conseil pon­ti­fi­cal pour les textes législatifs.