Sur la liberté religieuse

Pour expli­quer et illus­trer son « her­mé­neu­tique de la réforme », lors de son dis­cours du 22 décembre 2005, le pape Benoît XVI a pro­po­sé plu­sieurs thèmes.
La notion qu’il déve­loppe le plus est celle de la liber­té reli­gieuse ou, comme il dit, de la « liber­té de reli­gion ».
On com­prend mieux, à tra­vers cet exemple, com­ment Benoît XVI essaie de faire droit à plu­sieurs objec­tions des catho­liques atta­chés à la Tradition, tout en sou­te­nant mor­di­cus l’une des plus graves erreurs de Vatican II.

Le raisonnement du pape

Son ana­lyse est la sui­vante. Au XIXe siècle, « la liber­té de reli­gion a été consi­dé­rée comme une expres­sion de l’in­ca­pa­ci­té de l’homme de trou­ver la véri­té » et comme « une exal­ta­tion du rela­ti­visme », « éle­vé de façon impropre au niveau méta­phy­sique ». C’était l’es­prit de la « phase radi­cale de la Révolution française ».

Devant cette grave erreur, qui pré­tend que l’homme n’est pas « capable de connaître la véri­té sur Dieu », l’Église, sous Pie IX, a jus­te­ment ful­mi­né des « condam­na­tions sévères ».

Mais, par la suite, « l’é­poque moderne a connu des déve­lop­pe­ments », une matu­ra­tion s’est opé­rée et, de prin­cipe méta­phy­sique, la liber­té de reli­gion est reve­nue à sa juste place de néces­si­té sociale et his­to­rique, liée à la coexis­tence humaine dans le cadre d’une plu­ra­li­té de reli­gions. C’est le « modèle de la révo­lu­tion américaine ».

Les principes de Vatican II

Aussi Vatican II, « recon­nais­sant et fai­sant sien à tra­vers le Décret sur la liber­té reli­gieuse un prin­cipe essen­tiel de l’État moderne, a repris à nou­veau le patri­moine plus pro­fond de l’Église », de façon à se trou­ver « en pleine syn­to­nie avec l’en­sei­gne­ment de Jésus lui-même ».

En effet, le Concile a enten­du mon­trer que la liber­té reli­gieuse, non seule­ment découle d’une néces­si­té sociale et poli­tique, mais s’en­ra­cine dans la réa­li­té « intrin­sèque de la véri­té, qui ne peut être impo­sée de l’ex­té­rieur, mais qui doit être adop­tée par l’homme uni­que­ment à tra­vers le méca­nisme de la conviction ».

« L’exemple » des martyrs

Pour illus­trer et appuyer sa démons­tra­tion, le pape uti­lise « l’exemple » des mar­tyrs. D’après lui, l’Empire romain impo­sait une reli­gion d’État. Les pre­miers chré­tiens, ado­rant uni­que­ment Jésus, ont logi­que­ment refu­sé d’a­do­rer les dieux païens et donc, « à tra­vers cela, ont reje­té clai­re­ment la reli­gion d’État ».

« Les mar­tyrs de l’Église pri­mi­tive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’é­tait révé­lé en Jésus-​Christ et, pré­ci­sé­ment ain­si, sont morts éga­le­ment pour leur liber­té de conscience et pour leur liber­té de pro­fes­ser leur foi, une pro­fes­sion qui ne peut être impo­sée par aucun État ».

Faiblesse de cette explication

La fai­blesse des expli­ca­tions du pape actuel appa­raît avec évi­dence à celui qui a étu­dié un tant soit peu la ques­tion, notam­ment à tra­vers l’ou­vrage de Mgr Lefebvre, Mes doutes sur la liber­té reli­gieuse (Clovis, 2000).

Prétendre que la condam­na­tion de la liber­té reli­gieuse au XIXe siècle avait pour rai­son unique son fon­de­ment rela­ti­viste, et non pas sa nature propre, est une contre-​vérité tant his­to­rique que doctrinale.

Ne par­ler que de Pie IX à pro­pos de la liber­té reli­gieuse sup­pose d’ou­blier, avant lui, Pie VI, Pie VII ou Grégoire XVI. C’est esqui­ver, plus gra­ve­ment encore, les ensei­gne­ments si nom­breux sur ce sujet de Léon XIII, Benoît XV, Pie XI (Quas pri­mas) et Pie XII.

Affirmer que, désor­mais, la concep­tion qui pré­vaut usuel­le­ment concer­nant la « liber­té de reli­gion » n’est plus le rela­ti­visme méta­phy­sique, mais une simple consta­ta­tion des néces­si­tés dans un monde plu­ra­liste, c’est se réfu­gier dans un monde ima­gi­naire. En réa­li­té, plus le laï­cisme se répand, plus s’ac­croît cette volon­té légale de mettre Dieu hors de toute vie sociale.

Il est d’ailleurs bien carac­té­ris­tique, pour le pape, de se réfé­rer à un « prin­cipe essen­tiel de l’État moderne » à ce pro­pos. S’il ne s’a­gis­sait que de la consta­ta­tion d’une néces­si­té, il par­le­rait plus pro­saï­que­ment d’une « pra­tique usuelle de l’État moderne ».

Au demeu­rant, concer­nant la coexis­tence de reli­gions diverses dans un même pays, la doc­trine de la tolé­rance, pous­sée dans ses consé­quences par Pie XII en un dis­cours du 6 décembre 1953, douze ans seule­ment avant le Décret sur la liber­té reli­gieuse, était ample­ment suf­fi­sante. Si le Concile a opté pour le « prin­cipe de la liber­té reli­gieuse », c’est jus­te­ment parce qu’il vou­lait rejoindre ce sus­pect « prin­cipe essen­tiel de l’État moderne ».

Un débat faussé

Parler uni­que­ment, dans la ques­tion de la liber­té reli­gieuse, de la « connais­sance de la véri­té » est éga­le­ment faus­ser le débat. Tout le monde est d’ac­cord, et depuis tou­jours, avec ce prin­cipe du Code de droit cano­nique : « Personne ne peut être contraint à embras­ser la foi catho­lique contre son gré ». Mais il s’a­git, en l’oc­cur­rence, de savoir si per­sonne ne peut être empê­ché de répandre une doc­trine reli­gieuse fausse. Ce n’est pas la même chose : que quel­qu’un soit empê­ché d’a­gir en un sens n’a jamais signi­fié qu’il soit contraint d’a­gir en sens inverse.

Rejeter par prin­cipe toute notion de reli­gion d’État, et ne faire aucune allu­sion au devoir des socié­tés d’ho­no­rer Dieu, revient à mettre aux oubliettes un ensei­gne­ment constant de l’Église, y com­pris du Décret sur la liber­té reli­gieuse qui rap­pe­lait encore ce devoir (même si c’é­tait de façon assez hypo­crite, puis­qu’il s’a­git d’un ajout de der­nière minute par Paul VI pour « cas­ser » l’op­po­si­tion per­sis­tante à ce texte) : «[La nou­velle doc­trine de la liber­té reli­gieuse] ne porte aucun pré­ju­dice à la doc­trine catho­lique tra­di­tion­nelle sur le devoir moral des socié­tés à l’é­gard de la vraie reli­gion et de l’u­nique Église du Christ » (Dignitatis Humanæ, Préambule).

Ne faire aucune dif­fé­rence entre la vraie reli­gion et les fausses, c’est éli­mi­ner d’emblée une dis­tinc­tion cru­ciale, car les droits de la véri­té sont essen­tiel­le­ment dif­fé­rents des pré­ten­dus « droits » de l’er­reur. Comme le disait Pie XII : « Ce qui ne répond pas à la véri­té et à la loi morale n’a objec­ti­ve­ment aucun droit à l’exis­tence, à la pro­pa­gande, ni à l’ac­tion » (dis­cours du 6 décembre 1953).

Enfin, appe­ler au secours de la liber­té reli­gieuse, c’est-​à-​dire au secours du refus de recon­naître la royau­té sociale de Notre Seigneur Jésus-​Christ, les mar­tyrs chré­tiens qui sont morts pré­ci­sé­ment pour le « Seigneur Jésus », c’est déna­tu­rer toute l’his­toire, toute la doc­trine catho­lique et toute la réalité.

Il faut le dire clai­re­ment : on ne peut, sur un fon­de­ment aus­si faux, construire une « her­mé­neu­tique de la réforme » de quelque valeur que ce soit.

Abbé Grégoire Celier