Sermon de Mgr Lefebvre – 7e dimanche après la Pentecôte – 14 juillet 1985

Mes bien chers frères,

Dans deux jours, c’est-à-dire le 16 juillet, l’Église fête­ra la fête de Notre-Dame-du-Mont-Carmel.

Hélas depuis les réformes récentes, après le concile, cette fête passe presque sous silence. Elle était autre­fois double de deuxième classe, elle est main­te­nant deve­nue une fête simple. Et pour­tant, NotreDame-​du-​Mont-​Carmel a eu une immense influence dans la spi­ri­tua­li­té au cours des siècles de la vie de l’Église.

Il est bon de nous rap­pe­ler un peu l’histoire du monde car­mé­li­tain, d’autant plus qu’aujourd’hui, avec la grâce de Dieu, nous assis­tons auprès de notre Fraternité – nous pour­rions presque dire dans notre Fraternité – à la résur­rec­tion de car­mels authen­tiques, ce dont nous nous réjouis­sons grandement.

Le car­mel rap­pelle le Mont-​Carmel de la Palestine et les car­mé­li­tains ont vou­lu, dans la nais­sance de leur ordre, se rat­ta­cher dans une cer­taine mesure au pro­phète Élie. Parce que l’Histoire ancienne nous rap­pelle qu’Élie, le pro­phète, a vécu pen­dant de longues années, dans la soli­tude, dans une grotte du Mont-​Carmel. Le Mont-​Carmel qui domine de cinq cents mètres le niveau de la mer, au-​dessus d’Haïfa, dans un lieu pri­vi­lé­gié de silence et de beau­té en même temps.

C’est au cours des croi­sades que des prêtres ont vou­lu se réunir au Mont-​Carmel, pro­té­gés par les croi­sés, et ont vou­lu, à l’image du pro­phète Élie, vivre une vie de soli­tude, de recueille­ment. Et ils se sont mis sous la pro­tec­tion de Notre-​Dame-​du-​Mont-​Carmel. Dès le début ces carmes ont eu une dévo­tion pour la très Sainte Vierge Marie. Elle devait d’ailleurs, le leur rendre plus tard.

Mais ces reli­gieux, comme beau­coup d’autres d’ailleurs qui avaient accom­pa­gné les croi­sés au cours du XIIIe siècle, ont dû à la fin du XIIIe siècle, dis­pa­raître et beau­coup d’entre eux ont été mar­ty­ri­sés, mas­sa­crés par l’invasion musul­mane, tou­jours anti-​chrétienne et ce n’est pas d’aujourd’hui. L’Histoire se renou­velle et conti­nue. Nos confrères, nos core­li­gion­naires du Liban, sont aujourd’hui encore plus mas­sa­crés que jamais par l’invasion de l’islam et risquent bien aus­si d’être eux-​mêmes mas­sa­crés, comme d’ailleurs beau­coup d’entre eux l’ont déjà été, au cours des der­nières années.

Et, un cer­tain nombre d’entre eux, déjà, avant l’invasion musul­mane, s’étaient réfu­giés en Europe. Et chose curieuse, le pre­mier couvent qu’ils fon­dèrent, ils le fon­dèrent pré­ci­sé­ment dans la région de Valenciennes, région de Valenciennes où nos car­mé­lites se trouvent aujourd’hui. Nos car­mé­lites aus­si ont fon­dé dans la région de Valenciennes, leur pre­mier couvent. Comme quoi l’Histoire a des sur­prises et des indi­ca­tions providentielles.

Et de là ils se répan­dirent en Europe, mais avec beau­coup de dif­fi­cul­tés au cours des XIV et XVèmes siècles. Ils eurent beau­coup de dif­fi­cul­tés parce que les évêques et les ordres reli­gieux déjà exis­tants, esti­maient qu’il n’y avait plus de place pour un ordre aus­si impor­tant que celui du Carmel et qui se répan­dait rapi­de­ment. Et alors ce fut cepen­dant grâce aux papes qui leur don­nèrent des appro­ba­tions, qu’ils purent sub­sis­ter. Mais ce fut sur­tout lorsque sur les prières de Simon Stock – saint Simon Stock – anglais, carme, sur ses prières que la très Sainte Vierge lui appa­rut et lui dit que ceux qui por­te­raient le sca­pu­laire qu’elle lui mon­tra alors, que les per­sonnes qui mour­raient revê­tant le sca­pu­laire du Mont-​Carmel, iraient au Ciel. Et que si elles devaient pas­ser par le Purgatoire, le same­di qui sui­vrait leur mort, elles rejoin­draient le Paradis, le Ciel.

Cette dévo­tion se répan­dit rapi­de­ment dans toute l’Europe et ce furent des années de gloire pour les carmes jusqu’au moment où vînt la néces­si­té d’une réforme pro­vo­quée par l’abandon de la fer­veur reli­gieuse. Ce n’était pas seule­ment chez les carmes, mais d’une manière géné­rale. L’opulence, les richesses, les sou­tiens qu’avaient tous les ordres reli­gieux, firent que ces reli­gieux per­dirent l’esprit de pau­vre­té, l’esprit d’obéissance, l’esprit de clô­ture et par le fait même la pié­té et la ferveur.

Alors Dieu sus­ci­ta sainte Thérèse d’Avila au XVIe siècle. Elle naquit en 1515 et ce fut de nou­veau, une réforme extra­or­di­naire de l’ordre du car­mel, réforme pour les moniales, réforme aus­si pour les pères carmélitains.

Mais l’Histoire de l’Église est une his­toire qui est faite de per­sé­cu­tions, de dou­leurs, de dis­pa­ri­tions, de réno­va­tions. Vint la Révolution fran­çaise. Ce fut de nou­veau la déso­la­tion, la per­sé­cu­tion, la ruine des cou­vents, des carmes, par­tout. Et cette révo­lu­tion qui se répan­dit dans le monde entier, répan­dit aus­si la dou­leur, la misère et la dis­per­sion des reli­gieux et des reli­gieuses et la ruine des couvents.

Et après la Révolution, dans cette période plus ou moins calme du XIXe siècle, les cou­vents renaissent.

Mais voi­ci qu’à nou­veau, une période de déso­la­tion va naître, c’est la période du concile. Alors que les congré­ga­tions reli­gieuses sem­blaient renaître et retrou­ver une cer­taine pros­pé­ri­té, désor­mais ce ne sont plus les enne­mis de l’Église, des enne­mis de l’extérieur de l’Église, qui vont rui­ner les congré­ga­tions reli­gieuses, les cou­vents et les dio­cèses, ce sont les membres de l’Église eux-​mêmes. L’Église va – comme le disait Paul VI – s’autodétruire, s’auto-démolir. C’est le cler­gé lui-​même, les reli­gieux eux­mêmes, qui vont fer­mer leurs portes parce qu’ils vont vou­loir chan­ger, se trans­for­mer, se mettre dans l’esprit du monde, abso­lu­ment contraire à l’esprit reli­gieux : plus de clô­ture, plus d’habit reli­gieux, plus d’office divin, plus de prières.

Comment les ordres reli­gieux peuvent-​ils vivre ? Alors qu’ils sont basés pré­ci­sé­ment sur ces vêtures reli­gieuses et par­ti­cu­liè­re­ment sur la prière et sur l’office divin. Alors, c’est de nou­veau la ruine et une ruine – je dirai encore plus pro­fonde, plus radi­cale que les pré­cé­dentes – parce que c’est l’esprit même qui est atteint ; c’est l’esprit reli­gieux même qui est atteint. Et l’ordre car­mé­li­tain ne fera pas excep­tion aux autres. De même que les jésuites, de même que les domi­ni­cains, l’ordre car­mé­li­tain connaît main­te­nant une crise sans pré­cé­dent. Plus de voca­tions, les novi­ciats se ferment, les cou­vents se vident, les carmes disparaissent.

Et le Bon Dieu a per­mis, qu’à l’occasion de notre résis­tance, de votre résis­tance à cette des­truc­tion de l’Église, à cette auto­des­truc­tion de l’Église, grâce au main­tien des vraies valeurs chré­tiennes, des vraies valeurs de l’Église, grâce à ces familles, grâce à la Fraternité, grâce à ceux qui comme la Fraternité, n’ont pas vou­lu dis­pa­raître et n’ont pas vou­lu perdre la foi, des voca­tions renaissent, des voca­tions car­mé­li­taines aus­si. Et avec la grâce de Dieu, voi­ci que nos sœurs car­mé­lites vont fon­der – si Dieu le per­met – le mois pro­chain, le 7 août, un groupe de car­mé­lites va quit­ter Quiévrain, pour aller fon­der aux États-​Unis, près de Philadelphie. Ce sera leur qua­trième car­mel, qua­trième fon­da­tion en l’espace de cinq ou six ans, béné­dic­tion évi­dente du Bon Dieu.

Et nous espé­rons que aus­si, un jour, ici en Suisse et par­ti­cu­liè­re­ment en Suisse romande, les car­mé­lites vont pou­voir fon­der leur cin­quième car­mel. C’est ce que nous deman­dons au Bon Dieu.

Quel est l’esprit du car­mel ? Et pour­quoi le car­mel a tant de suc­cès ? Il faut le dire aus­si, nous ne pou­vons pas oublier qu’il y a eu après la grande sainte Thérèse, celle que l’on a appe­lée la petite Thérèse, Thérèse de Jésus, Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, qui a don­né au car­mel une renom­mée mon­diale, par sa sim­pli­ci­té, par son esprit d’enfance, morte à l’âge de vingt-​quatre ans, après quelques années de car­mel et qui a eu un rayon­ne­ment dans le monde entier.

Et c’est cela pré­ci­sé­ment l’esprit du car­mel. C’est ce qui fait que le car­mel est atta­chant. Parce que sa spi­ri­tua­li­té est d’une sim­pli­ci­té divine. L’esprit du car­mel c’est plu­tôt un esprit éré­mi­tique qu’un esprit céno­bi­tique, voyez-​vous. Ce sont plu­tôt des ermites que des per­sonnes qui vivent en com­mu­nau­té. Certes elles vivent en com­mu­nau­té, mais l’esprit du car­mel est de vivre dans sa cel­lule. La car­mé­lite vit dans sa cel­lule, avec le Bon Dieu. Elle se retire du monde, elle se sépare des choses du monde et elle ne vit pas en com­mu­nau­té. Même lorsqu’elle tra­vaille, elle tra­vaille seule. Elles ont des ate­liers, ce qu’elles appellent des ate­liers, qui sont dans des petites salles, iso­lées, où la car­mé­lite tra­vaille seule, seule avec Dieu, pour vivre avec Dieu.

Elles ont des actes de vie com­mu­nau­taire ; elles prennent leurs repas ensemble ; elles prient ensemble ; elles ont leurs récréa­tions ensemble, mais leur vie d’une manière géné­rale est plu­tôt une vie d’ermite, dans leur car­mel, pour trou­ver Dieu, pour vivre avec Dieu, dans la pré­sence de Dieu.

Et puis ce qui carac­té­rise aus­si le car­mel, c’est sa dévo­tion à la très Sainte Vierge. Le car­mel est marial, essen­tiel­le­ment marial. Elles ont gar­dé cette dévo­tion que saint Simon Stock leur a com­mu­ni­quée d’une manière encore plus pro­fonde et plus grande. Et ain­si elles ont don­né nais­sance à d’autres familles qui ont l’esprit du car­mel et par­ti­cu­liè­re­ment le Tiers-​Ordre car­mé­li­tain. Tiers-​Ordre car­mé­li­tain qui a cet esprit de sim­pli­ci­té, d’enfance, vis-​à-​vis du Bon Dieu et en même temps une grande dévo­tion à la très Sainte Vierge Marie.

Alors je vous conseille vive­ment d’acquérir cet esprit du car­mel, cet esprit de sim­pli­ci­té, cet esprit d’enfance vis-​à-​vis du Bon Dieu, cet esprit d’éloignement du monde aus­si. Faites que vos familles soient comme des petits car­mels je dirai – dans une cer­taine mesure – éloi­gnées du monde, où l’influence du monde ne pénètre pas. Cette influence du monde est délé­tère, qui empoi­sonne les familles chré­tiennes, qui les éloigne de l’esprit du Bon Dieu, qui éloigne le Bon Dieu des familles.

De même que les car­mé­lites modernes qui ont vou­lu aban­don­ner l’esprit du car­mel en enle­vant les grilles, en enle­vant leur voile, en s’habillant en laïques pour aller faire le caté­chisme en dehors du car­mel… Qui est-​ce qui a quit­té d’abord le car­mel ? C’est Notre Seigneur Jésus-​Christ. Le Bon Dieu a quit­té le car­mel. Elles n’ont plus retrou­vé le Bon Dieu dans leur car­mel. Elles ont ouvert les portes, elles ont ouvert les grilles, elles ont enle­vé les voiles. Dieu est par­ti ; Notre Seigneur est par­ti. Il a quit­té le car­mel le pre­mier et les sœurs se sont retrou­vées seules. C’est pour­quoi il n’y a plus de voca­tions. Les âmes ne sont plus atti­rées par la pré­sence du Bon Dieu. Au contraire, là où les car­mé­lites ont gar­dé et l’habit reli­gieux et l’esprit du car­mel et la clô­ture du car­mel, le Bon Dieu est res­té avec elles et les voca­tions se multiplient.

Eh bien, il me semble, ana­lo­gi­que­ment je dirai et toutes pro­por­tions gar­dées, c’est cela que doivent être les familles chré­tiennes. Si les familles chré­tiennes veulent que Notre Seigneur reste chez elles, reste dans les familles, il faut gar­der l’esprit de l’Église et non cher­cher l’esprit du monde. Garder l’esprit de l’Église, c’est-à-dire, gar­der l’esprit de prière, de sim­pli­ci­té, ne pas s’attacher aux choses de ce monde, mettre Dieu pré­sent dans la famille.

Alors l’esprit de Dieu réside vrai­ment au milieu de vous. Et les voca­tions naissent dans ces familles chré­tiennes et de nou­velles familles chré­tiennes se fondent là où demeure Jésus avec les parents et les enfants.

Que cette fête de Notre-​Dame-​du-​Mont-​Carmel soit pour nous un réveil de l’esprit chré­tien. Réveil de l’esprit de la pré­sence de Dieu, réveil aus­si de notre dévo­tion envers la très Sainte Vierge Marie, Notre-Dame-du-Mont-Carmel.

Puisque la Sainte Vierge nous a dit que si nous por­tions le sca­pu­laire, ou la médaille du sca­pu­laire qui a été recon­nue comme équi­va­lente au sca­pu­laire du Mont-​Carmel, por­tons le sca­pu­laire du Mont-​Carmel avec nous, afin que le Bon Dieu réa­lise les pro­messes (faites) pour nous : qu’après notre mort, nous soyons por­tés auprès de la très Sainte Vierge, dans le sein de la Trinité Sainte.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.