Sermon de Mgr Lefebvre – Pâques – 7 avril 1985

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

En cet évé­ne­ment extra­or­di­naire que nous fêtons aujourd’hui, extra­or­di­naire pour l’histoire de la Rédemption de Notre Seigneur Jésus-​Christ, extra­or­di­naire aus­si pour l’Histoire du monde, n’avons nous pas ten­dance à ne consi­dé­rer que la Résurrection cor­po­relle de Notre Seigneur Jésus-​Christ et de lais­ser dans l’ombre cette grande réa­li­té qu’est l’âme de Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même ?

En effet, la Résurrection, la mort même de Notre Seigneur Jésus-​Christ, ne peuvent se com­prendre et s’expliquer que si Notre Seigneur Jésus-​Christ est com­po­sé d’une âme et d’un corps. Il ne serait pas véri­ta­ble­ment homme s’il n’avait pris qu’un corps qui ne fut pas uni à une âme.

Alors disons quelques mots de cette âme, de cette âme qui s’est sépa­rée du Corps de Notre Seigneur et qui, ensuite, par la Résurrection s’est unie de nou­veau au Corps de Notre Seigneur et Lui a ren­du la vie.

Cette créa­ture est cer­tai­ne­ment le joyau le plus extra­or­di­naire que Dieu ait jamais créé. Comment peut-​on ima­gi­ner qu’une créa­ture soit unie dans la même per­sonne que Dieu Lui-​même, la Personne du Verbe unie direc­te­ment à Dieu. Tandis que nos âmes peuvent s’unir à Dieu par l’intermédiaire de notre per­sonne créée.

En Notre Seigneur, l’âme s’unit direc­te­ment à Dieu Lui-​même. Lorsque l’Esprit Saint a cou­vert de son ombre la très Sainte Vierge Marie, Il a créé l’âme de Jésus.

Dans quel état se trou­vait cette âme de Jésus dans le sein de la Vierge Marie ? Eh bien, la foi nous l’enseigne, l’enseignement de l’Église nous le dit : l’âme de Jésus, dès le pre­mier ins­tant de sa créa­tion, avait la vision béa­ti­fique, était donc dans un bon­heur défi­ni­tif, éter­nel. Et quelle vision béa­ti­fique, incom­pa­rable ! Même la vision dont jouit aujourd’hui la très Sainte Vierge Marie, qui est cer­tai­ne­ment l’une des plus éten­dues, des plus admi­rables, n’est rien à côté de la vision béa­ti­fique de l’âme de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Saint Paul ne trouve pas de mots qui puissent expri­mer la hau­teur, la lar­geur, la pro­fon­deur de la science divine de l’âme de Notre Seigneur et de sa cha­ri­té. Quand on pense que le Père Lui-​même a dit, à l’occasion du bap­tême de Notre Seigneur, à l’occasion de sa Transfiguration au Thabor : « Voici ce Fils en qui j’ai mis toutes mes com­plai­sances » – toutes mes complaisances.

Celui qui est sans limites ; Celui qui a créé tous les mondes ; Celui qui est tout-​puissant, qui est infi­ni, Celui-​là dit à une âme créée : En cette âme, j’ai mis toutes mes com­plai­sances. C’est-à-dire tout ce que j’ai pu don­ner à une créa­ture, je l’ai don­né à l’âme de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Alors écoutez-Le.

Et puis avant sa mort, le Père dit aus­si : « Je L’ai glo­ri­fié et Je Le glo­ri­fie­rai ». J’ai glo­ri­fié l’âme de Notre Seigneur et Je la glo­ri­fie­rai. En effet elle est déjà glo­ri­fiée et elle sera encore glo­ri­fiée davan­tage au moment de la Résurrection.

Ainsi, il est bien cer­tain que cette âme a reçu des dons extra­or­di­naires de la libé­ra­li­té divine. Cette grâce que les théo­lo­giens appellent la grâce d’union, l’union de l’âme de Notre Seigneur avec Dieu Lui-​même, avec le Verbe de Dieu. C’est une grâce, que seule cette âme a. C’est donc une grâce excep­tion­nelle. Cette grâce pro­duit dans l’âme de Notre Seigneur, une grâce sanc­ti­fiante, dif­fé­rente de la grâce d’union. Mais qui en est l’effet immé­diat, qui sanc­ti­fie l’âme de Notre Seigneur d’une manière incomparable.

L’âme de Notre Seigneur était rem­plie de toutes les ver­tus infuses, de tous les dons du Saint-​Esprit, de toutes les béa­ti­tudes. Et ima­gi­nons que cette âme de Notre Seigneur, ain­si béa­ti­fiée dans le Ciel, en Dieu, défi­ni­ti­ve­ment, cette âme était celle qui ani­mait son corps lorsque Notre Seigneur s’est trou­vé à Nazareth, lorsqu’il voya­geait en Palestine, lorsqu’il accom­plis­sait ses miracles. Notre Seigneur était dans la béa­ti­tude la plus par­faite. Et même dans son ago­nie, même sur la Croix. Quel mys­tère extraordinaire !

Et quelle fut alors la dis­po­si­tion fon­da­men­tale de cette âme vis-​à-​vis de Dieu dès sa nais­sance, puisque la foi nous enseigne que Jésus avait conscience de Lui-​même déjà dans le sein de la Vierge Marie et contem­plait l’éternité divine ? Eh bien Il l’a dit dans les psaumes : Ecce venio ut faciam volun­ta­tem tuam (Ps 142, 10) . Ce fut le pre­mier sen­ti­ment, la pre­mière dis­po­si­tion, la pre­mière parole de l’âme de Notre Seigneur : « Voici que je viens, pour faire votre volonté ».

La marque, par consé­quent de la cha­ri­té la plus grande que l’on peut avoir vis-​à-​vis de Dieu, c’est de faire sa sainte Volonté. Et Notre Seigneur l’a répé­té sou­vent au cours de sa vie publique. « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur, qui iront dans le royaume des Cieux, mais ceux qui font la volon­té de mon Père ».

Et lorsqu’on lui dit : « Votre mère et vos frères vous attendent, ils sont ici, ils dési­re­raient vous voir » ; Notre Seigneur dit : « Qui est ma mère, qui sont mes frères, sinon ceux qui font la volon­té de mon Père qui est dans les Cieux ».

Et puis, au moment de son ago­nie, ce sera le Fiat : Non mea volun­tas sed tua fiat (Lc 22,42) : « Que votre volon­té soit faite et non la mienne », dit Notre Seigneur. Et enfin, ce sera cette der­nière parole sur la Croix : « Père je remets mon âme entre vos mains ».

Voyez ici toute la dis­po­si­tion fon­da­men­tale de l’âme de Notre Seigneur, c’est de se don­ner, se don­ner à son Père, de faire sa volon­té, à tout ins­tant de sa vie, jusqu’à sa mort.

Alors cette âme sur la Croix, s’est sépa­rée du corps de Notre Seigneur. Et Notre Seigneur avait dit d’ailleurs : « Je puis reprendre mon âme, la dépo­ser et la reprendre ». C’est-à-dire : Je puis mou­rir ; Je puis res­sus­ci­ter. Mon âme peut quit­ter mon corps et Je puis deman­der à mon âme de reprendre mon corps et de lui redon­ner vie. C’est ce qu’Il a fait.

Et quand l’âme de Jésus a quit­té son corps sur la Croix, où est-​elle allée ? Elle est allée don­ner, com­mu­ni­quer, la béa­ti­tude qu’elle avait en elle-​même, aux âmes qui atten­daient la cru­ci­fixion de Notre Seigneur, sa mort, pour les rache­ter de leurs péchés et les conduire à la vie éternelle.

Et alors, l’âme de Notre Seigneur les a visi­tées et leur a ouvert les portes du Paradis, leur a don­né la béa­ti­tude éter­nelle. Ainsi qu’il l’avait dit d’ailleurs au bon lar­ron : « Aujourd’hui tu seras avec moi, dans le Paradis ». Or, il n’y avait encore per­sonne dans le Paradis. Toutes les âmes des justes de l’Ancien Testament, atten­daient que Notre Seigneur fut mort pour pou­voir entrer au Ciel, au moment où vrai­ment la vic­toire de Notre Seigneur fut assu­rée sur le démon, sur la mort.

Et puis ensuite, cette âme est reve­nue redon­ner vie au corps qui lui avait été uni aupa­ra­vant. Ce corps qui n’a jamais connu la cor­rup­tion et qui était tou­jours uni à la divi­ni­té du Verbe de Dieu comme l’âme de Jésus.

Et le corps est res­sus­ci­té. À lui, a été com­mu­ni­qué toutes ces ver­tus qu’avait l’âme, a été com­mu­ni­qué au corps qui est deve­nu glo­rieux pour l’éternité.

Et pour nous, quelle impor­tance y a‑t-​il, que cette âme de Notre Seigneur soit ain­si rem­plie de toutes les richesses de la divi­ni­té ? Eh bien c’était pour nous les com­mu­ni­quer. Mais Notre Seigneur n’aurait-Il pas pu nous les com­mu­ni­quer dès son enfance ? Oui, parfaitement.

Notre Seigneur dès son enfance, sans mon­ter sur la Croix, aurait pu éven­tuel­le­ment nous com­mu­ni­quer toutes les richesses de son âme. Par des sacre­ments qu’il aurait pu éven­tuel­le­ment ins­ti­tuer à ce moment-​là. Mais Il a vou­lu mou­rir. Pourquoi ? Parce que le péché méri­tait la mort et qu’il a vou­lu revê­tir nos péchés. Le péché est un péché mor­tel, un péché qui donne la mort. Et vou­lant revê­tir nos péchés pour nous sau­ver, Il a vou­lu mou­rir alors que Lui n’avait pas péché – et par sa mort nous déli­vrer de nos péchés – par sa Résurrection res­sus­ci­ter nos âmes, à la grâce du Bon Dieu.

N’est-ce pas tout ce que la céré­mo­nie de cette nuit nous a expri­mé ? Cérémonie admi­rable que cette béné­dic­tion du cierge pas­cal, qui n’est autre que Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même, illu­mi­nant de nou­veau le monde.

Et puis la béné­dic­tion de l’eau bap­tis­male, qui signi­fie pré­ci­sé­ment cette Résurrection, résur­rec­tion de nos âmes, au contact de l’âme de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car comme le dit saint Jean, c’est de sa grâce que nous avons tout reçu :

Et de ple­ni­tu­dine ejus nos omnes acce­pi­mus, et gra­tiam pro gra­tia (Jn 1,14), Plenum gra­tiæ et veri­ta­tis (Jn 1,14) : plein de grâce et de véri­té. L’âme de Jésus était pleine de grâce et de véri­té, nos omnes acce­pi­mus. Nous avons reçu cette grâce de l’âme de Notre Seigneur. La grâce que nous avons dans nos âmes est une par­ti­ci­pa­tion à la grâce que Notre Seigneur Jésus-​Christ a dans son âme.

Et cette par­ti­ci­pa­tion se fait pré­ci­sé­ment par le bap­tême. Le bap­tême qui est la mort à nos péchés et la résur­rec­tion à la vie divine de nos âmes, qui est tel­le­ment signi­fiée par la mort de Jésus sur sa Croix et sa Résurrection.

Et voi­là pour­quoi aujourd’hui, nous nous réjouis­sons. Nous nous réjouis­sons de revivre à la vie divine. Nous chan­tons l’Alléluia, gloire à Dieu au plus haut des Cieux, parce qu’il nous a fait revivre. Il nous a com­mu­ni­qué la vie de son âme, la vie divine de son âme ; Il nous l’a com­mu­ni­quée par le bap­tême. Nous sommes ain­si res­sus­cites, comme le dit saint Paul d’une manière admi­rable. Nous sommes ense­ve­lis dans l’eau du bap­tême et nous sommes morts comme Jésus sur la Croix et de cette eau aus­si, nous res­sus­ci­tons à la vie de Dieu.

Voilà le grand mys­tère de notre vie chré­tienne. Mais pouvons-​nous dire que désor­mais alors, nous sommes comme Notre Seigneur, res­sus­ci­tés pour toujours ?

Mais non ! Notre corps n’est pas res­sus­ci­té. Nous savons très bien que nous devons mou­rir. Nous ne sommes pas arri­vés au terme de cette résur­rec­tion. S’il y a un gage de cette résur­rec­tion, une semence de cette résur­rec­tion par la grâce sur­na­tu­relle qui nous est don­née dans le bap­tême, n’oublions pas que cette grâce doit ger­mer, se déve­lop­per, croître jusqu’à notre mort. Et cette âme est comme une nacelle qui est sur des flots agi­tés. Et ces flots agi­tés, c’est notre chair, cette chair péche­resse, qui doit mou­rir, parce qu’elle porte le péché en elle. Oui, mal­gré la grâce du bap­tême, nous por­tons encore le péché en nous, non pas le péché ori­gi­nel, non pas le péché per­son­nel, mais nous por­tons en nous une ten­dance au péché, un désordre fon­da­men­tal. Et la meilleure preuve en est que des parents, qui pour­tant ont été bap­ti­sés et qui vivent en pleine confor­mi­té à la loi de Dieu, com­mu­niquent pour­tant à leurs enfants, le péché originel.

C’est donc que cette chair est encore infes­tée des suites du péché, et c’est pour­quoi elle doit mourir

et qu’un jour elle res­sus­ci­te­ra, au contact pré­ci­sé­ment de nos âmes sanc­ti­fiées, de nos âmes res­sus­ci­tées à la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Mais dès à pré­sent, nos âmes sont res­sus­ci­tées à la grâce de Jésus, si Jésus est vrai­ment pré­sent en nous et si nos âmes sont puri­fiées du péché. Voilà pour­quoi nous devons prendre de fermes réso­lu­tions pour évi­ter tout péché, afin de gar­der la vie sur­na­tu­relle dans nos âmes, la vie de la grâce, la vie de Notre Seigneur Jésus-​Christ et de par­ve­nir ain­si au port, rem­plis de cette grâce et assu­rés qu’un jour, nos corps res­sus­ci­te­ront au contact de nos âmes ressuscitées.

Voilà le grand mys­tère de la vie chré­tienne. Voilà le grand mys­tère que nous vivons aujourd’hui.

Demandons à la Vierge Marie, qui elle, n’ayant pas connu le péché ori­gi­nel, était aus­si des­ti­née à mon­ter au Ciel sans mou­rir. Si la Tradition dit que la Mère de Jésus est morte, c’est pour imi­ter son divin Fils. Mais c’est plu­tôt une dor­mi­tion, qu’une véri­table mort, car son corps n’était pas des­ti­né à la mort n’ayant pas connu le péché ori­gi­nel, n’ayant pas connu les suites du péché, la Vierge Marie devait mon­ter au Ciel sans mourir.

Alors deman­dons à cette bonne Mère du Ciel de nous aider à par­ve­nir au port et qu’elle nous prenne par la main, qu’elle nous conduise, afin que nous res­sus­ci­tions un jour aus­si pour l’éternité.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.