Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 4 avril 1985

Mes bien chers confrères,
Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Dans quelques ins­tants nous pro­cé­de­rons à la consé­cra­tion des saintes Huiles et je vou­drais extraire de cette consé­cra­tion, les paroles qui me semblent essen­tielles de cette cérémonie.

Dans l’oraison de la consé­cra­tion de l’huile des infirmes l’évêque dit :

Emit te Domine Spritum tuum Sanctum Paraclitum in hanc oleam olivæ : Envoyez Seigneur, votre Esprit Saint, dans cette huile d’olives.

Et dans la magni­fique pré­face que l’évêque chante à l’occasion de la consé­cra­tion du Saint Chrême, ce sont les mêmes paroles, la même pen­sée qui est expri­mée, lorsque l’évêque signe de la croix, le Saint Chrême :

Que Dieu sanc­ti­fie cette créa­ture de l’huile, en envoyant son Esprit Saint la rem­plir de sa force et de sa vertu.

Je pense mes bien chers confrères, sur­tout vous qui êtes prêtres et vous chers diacres qui allez dans quelques mois – s’il plaît à Dieu – deve­nir prêtres, que nous devons réflé­chir beau­coup sur cette sainte et belle réalité.

La volon­té de Dieu a été de pas­ser par des créa­tures, pour nous rendre la ver­tu de l’Esprit Saint, pour nous rem­plir de l’Esprit. Il a vou­lu en défi­ni­tive s’incarner. Il aurait pu trou­ver une autre voie. Non, Dieu a déci­dé de toute éter­ni­té qu’après le péché de nos pre­miers parents, pour nous rendre l’Esprit Saint qui rem­plis­sait l’âme de nos pre­miers parents. Il a vou­lu s’incarner. Prendre une chair comme la nôtre, sen­sible, et une âme sem­blable à la nôtre. Et cela a eu des consé­quences consi­dé­rables pour notre sanctification.

Dieu s’est choi­si une mère, une mère qu’Il a rem­plie de l’Esprit Saint. Il s’est choi­si un père adop­tif. Il s’est choi­si aus­si des apôtres, dont Il a fait ses prêtres. C’est-à-dire qu’Il a consa­crés aus­si par la ver­tu de l’Esprit Saint et aux­quels Il a don­né le pou­voir de conti­nuer son Sacrifice et Il s’est choi­si sept sacre­ments, des signes sen­sibles, dans les­quels Il a infu­sé l’Esprit Saint.

Tous ces signes, toutes ces per­sonnes qu’Il s’est choi­sies. Il a vou­lu qu’elles soient consa­crées, rem­plies de l’Esprit, afin de pou­voir com­mu­ni­quer l’Esprit Saint aux âmes des fidèles qui seront bap­ti­sés, qui seront confir­més, qui rece­vront le sacre­ment de péni­tence, le sacre­ment de la Sainte Eucharistie et les autres sacrements.

Voilà la Vérité, voi­là la réa­li­té et donc l’Esprit de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Esprit que le Verbe de Dieu a vou­lu dans sa Sainte Église. Et nous n’avons pas le droit de chan­ger ces choses-​là. C’est une chose éta­blie pour tou­jours, par Dieu Lui-​même. Il s’est donc choi­si des prêtres et des objets et des paroles qui sont pleines de l’Esprit Saint et qui doivent nous com­mu­ni­quer l’Esprit Saint. Pourquoi cela ?

Parce que Dieu l’a vou­lu ain­si, mais parce que Dieu nous connaît. Nous sommes des êtres sen­sibles ; nous avons besoin de tou­cher en quelque sorte, ces élé­ments qui nous donnent l’Esprit Saint, de les voir, de les entendre, de les sen­tir même, lorsque nous sommes oints des Huiles saintes, dans le bap­tême, dans la confir­ma­tion, dans l’extrême-onction, dans l’ordre. Et puis Il a vou­lu aus­si cer­tai­ne­ment, nous deman­der une grande humi­li­té, nous humi­lier. Nous sommes pécheurs. Ce qui nous a per­dus, c’est l’orgueil.

Alors il faut recon­naître que les moyens que Notre Seigneur Jésus-​Christ a choi­sis pour nous sanc­ti­fier, sont humi­liants pour la nature humaine. Nous sommes en quelque sorte, dépen­dants de ces élé­ments maté­riels, dépen­dants de l’eau pour le bap­tême, dépen­dants de ces saintes Huiles qui vont être consa­crées dans quelques ins­tants, dépen­dants de la parole du prêtre pour le sacre­ment de la confes­sion. Et ce n’est pas une petite humi­li­té que le Bon Dieu nous demande, d’aller confes­ser nos péchés, à une créa­ture sem­blable à nous, mais qu’il a revê­tue de ses pou­voirs, qu’il a revê­tue de son Esprit Saint, pour effa­cer nos péchés.

Toute cette pen­sée de Notre Seigneur nous demande par consé­quent de nous humi­lier. C’est aus­si avec humi­li­té que nous devons nous pré­sen­ter pour rece­voir le sacre­ment de l’Eucharistie, nous age­nouiller, rece­voir sur notre langue, le Corps sacré de Jésus.

En même temps que c’est un don inef­fable, c’est aus­si l’expression de notre humi­li­té, de notre état de pécheur.

Voilà l’esprit de l’Église catho­lique, l’esprit de Notre Seigneur Jésus-Christ.

De même que Jésus dans sa nature humaine a vou­lu s’humilier jusqu’à la mort sur la Croix, Lui qui aus­si a vou­lu que l’Esprit Saint des­cende sur Lui, au jour de son bap­tême, qu’Il mani­feste qu’Il était rem­pli de l’Esprit Saint, qu’Il était la source de l’Esprit Saint, Il a vou­lu aus­si s’humilier. Mais nous ne devons jamais oublier que cette humi­lia­tion qui nous est don­née, nous comble de l’Esprit de Dieu, nous donne l’Esprit de Dieu.

Or, aujourd’hui, d’une manière par­ti­cu­lière, nous avons besoin de nous rap­pe­ler cela. Parce que, nous l’avons vu dans l’Histoire et nous le voyons encore aujourd’hui d’une manière par­ti­cu­lière, l’homme orgueilleux, plein de lui-​même, a un désir de refu­ser, en quelque sorte, ces moyens que Notre Seigneur Jésus-​Christ a choi­sis. Il trouve cela vrai­ment trop humi­liant pour ce qu’il est, lui, l’homme qui est doté d’une nature spi­ri­tuelle. Et alors nous avons vu l’homme se révol­ter contre cette ins­ti­tu­tion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, contre l’Église, contre le pape, contre les évêques, contre les sacre­ments et ce fut le pro­tes­tan­tisme. On a vou­lu se libé­rer de ce qui sem­blait une humi­lia­tion pour la nature humaine et rece­voir direc­te­ment l’Esprit Saint, s’adresser à Dieu, direc­te­ment et que Dieu consi­dère que nous sommes des créa­tures spi­ri­tuelles et par consé­quent, nous pou­vons direc­te­ment rece­voir son Esprit et ne pas pas­ser par ces élé­ments maté­riels, ou ces per­sonnes qui nous humilient.

Eh bien, une deuxième mani­fes­ta­tion de cet orgueil de l’esprit humain aujourd’hui, c’est pré­ci­sé­ment le cha­ris­ma­tisme et le pen­te­cô­tisme. C’est le même esprit, le même esprit qui est à la racine de ces mouvements.

Et si l’on garde, dans une cer­taine mesure les sacre­ments, on ne voit plus en eux que des sym­boles, qui sont moins humi­liants. Symbole de la com­mu­nau­té, sym­bole du par­tage dans l’Eucharistie. La confes­sion devien­dra col­lec­tive. C’est le péché de la com­mu­nau­té, le péché de la socié­té, ce n’est plus le péché per­son­nel que l’on est obli­gé de confes­ser per­son­nel­le­ment et qui nous humilie.

Et ain­si de suite. On fera donc des sacre­ments des sym­boles. Et on s’adressera direc­te­ment à Dieu, pour rece­voir l’Esprit. C’est là une mani­fes­ta­tion de l’orgueil des hommes.

Mais je vou­drais ajou­ter cepen­dant – pour l’utilité de la pas­to­rale que nous avons à accom­plir – nous pou­vons nous deman­der, dans une cer­taine mesure, si la manière dont les prêtres catho­liques ont conçu ce qu’était jus­te­ment le désir de Notre Seigneur, de pas­ser par ces élé­ments maté­riels, par ces céré­mo­nies, par ces rites, par ce Saint Sacrifice de la messe pour nous don­ner son Esprit, (est-​ce que cela) a été bien com­pris et bien réa­li­sé par les prêtres ? N’ont-ils pas eu par­fois, n’avons-nous pas par­fois ten­dance, de nous arrê­ter aux rites, de nous arrê­ter à l’exécution de la céré­mo­nie et d’oublier en quelque sorte, ce que nous fai­sons, ce que nous réa­li­sons, ce que nous por­tons avec nous, les paroles que nous pro­non­çons sont rem­plies de l’Esprit Saint, rem­plies de l’Esprit de Dieu, rem­plies de la lumière de l’Esprit et du feu de la cha­ri­té de l’Esprit. Notre reli­gion est vrai­ment une reli­gion spi­ri­tuelle. Ce n’est pas parce que Notre Seigneur a choi­si des élé­ments maté­riels que nous devons nous arrê­ter, en quelque sorte, à ces céré­mo­nies et à ces rites et pen­ser que notre devoir est ter­mi­né parce que nous avons accom­pli pure­ment et sim­ple­ment, comme maté­riel­le­ment, ces rites.

N’y a‑t-​il pas un dan­ger d’accoutumance en accom­plis­sant ces rites, que nous oubliions vrai­ment leur signi­fi­ca­tion pro­fonde et leur effet magni­fique, sur­na­tu­rel, extraordinaire ?

Alors, je me per­mets, chers amis, rappelons-​nous, rappelons-​nous cela, rappelons-​nous pour­quoi et dans quel but Notre Seigneur Jésus-​Christ a ins­ti­tué son Église, son Sacerdoce. C’est l’oraison d’aujourd’hui qui nous le dit. Notre Seigneur a vou­lu se choi­sir des prêtres à son ser­vice – et dans l’oraison – l’Église demande de prier pour que ces prêtres aug­mentent en nombre, afin que l’œuvre de la Rédemption s’accomplisse.

Eh bien nous devons nous rap­pe­ler pré­ci­sé­ment que nous sommes des ins­tru­ments choi­sis par Dieu pour être les ministres de son Esprit, les ministres de l’œuvre de sa Rédemption.

Rappelons cela à nos fidèles fré­quem­ment, afin qu’ils com­prennent aus­si la digni­té du sacer­doce, la digni­té des sacre­ments, le res­pect que nous devons avoir pour toutes ces choses maté­rielles que Dieu a choi­sies pour nous infu­ser son Esprit.

Que l’eau bap­tis­male soit res­pec­tée, soit hono­rée, que le Saint Chrême soit tou­jours dans des endroits conve­nables et qui mani­festent le res­pect que nous avons pour ces huiles, dans les­quelles, d’une cer­taine manière, habite le Saint-Esprit.

Et à plus forte rai­son, que nous ayons tou­jours un res­pect pro­fond pour la Sainte Eucharistie, source de l’Esprit Saint. Ayons du res­pect pour nous-​mêmes prêtres, res­pect pour notre per­sonne, consa­crée, consa­crée par l’imposition des mains par les­quelles nous avons reçu l’Esprit Saint, consa­crée par l’Huile sainte qui a cou­lé sur nos mains.

Ayons donc ce res­pect des sacre­ments et appre­nons par ce res­pect, par ces mani­fes­ta­tions de res­pect, appre­nons aux fidèles la grande valeur des sacre­ments et que, ain­si, eux-​mêmes s’approchent dans des dis­po­si­tions d’humilité, de confiance, d’espérance, de cha­ri­té, à rece­voir ces sacre­ments de nos mains, afin qu’eux aus­si, soient trans­for­més dans le feu de l’Esprit Saint, dans le feu de l’amour, dans le feu de la cha­ri­té. Voilà ce que doit être notre rôle sacerdotal.

Et cette consé­cra­tion des saintes Huiles semble être une occa­sion pour nous de nous rap­pe­ler le choix extra­or­di­naire que Notre Seigneur et la Sainte Église ont fait de ces saintes Huiles et que nous devons tou­jours uti­li­ser avec un grand respect.

Demandons à la Mère de Jésus qui a été rem­plie du Saint-​Esprit, de nous aider à mieux com­prendre que notre minis­tère est un véri­table minis­tère spi­ri­tuel qui com­mu­nique l’Esprit Saint, qui com­mu­nique l’Esprit de Dieu aux âmes vers les­quelles nous sommes envoyés, afin de les trans­for­mer elles-​mêmes dans l’Esprit Saint et de les pré­pa­rer à la vie éternelle.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.