Sermon de Mgr Lefebvre – Sitientes – Ordres mineurs – Sous-​diaconat – 7 avril 1984

Mes bien chers frères,
Mes bien chers amis,

Nous voi­ci à nou­veau réunis pour une céré­mo­nie d’ordination, ordi­na­tion aux deux der­niers ordres mineurs et au sous-​diaconat, en atten­dant la céré­mo­nie de demain, pour la récep­tion du diaconat.

Ce sont de grandes grâces qui sont faites au sémi­naire et aux dif­fé­rentes com­mu­nau­tés qui se joignent à nous dans ces céré­mo­nies, grandes grâces qui sont faites par Dieu à ces com­mu­nau­tés et à notre Fraternité. Car s’il est un don impor­tant, sublime, incom­pré­hen­sible, fait par Dieu aux hommes, c’est bien celui de son sacer­doce et ain­si par le sacre­ment de l’ordre que vous allez rece­voir, mes chers amis, ce sont ces grâces par­ti­cu­lières qui vous unissent déjà à Jésus-​Christ Prêtre et au sacer­doce de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et je vou­drais, en quelques mots, vous encou­ra­ger dans vos dis­po­si­tions à rece­voir cette grâce toute par­ti­cu­lière. Le concile de Trente nous affirme que nous pou­vons et que nous devons coopé­rer aux grâces que nous rece­vons. Il le dit par­ti­cu­liè­re­ment contre l’erreur des pro­tes­tants qui nient que nos œuvres puissent contri­buer à la récep­tion de la grâce, ou à une aug­men­ta­tion de la grâce sanc­ti­fiante. Le concile de Trente affirme au contraire, que nous pou­vons et nous devons coopé­rer à la grâce du Bon Dieu et par consé­quent méri­ter, sinon la pre­mière grâce, au moins la grâce seconde, celle qui aug­mente en nous la grâce sanc­ti­fiante et même méri­ter la gloire du Ciel qui sera notre récompense.

Oui, donc, nous pou­vons méri­ter, puisque nous pou­vons aus­si – hélas – démé­ri­ter. Si nous pou­vons démé­ri­ter et rece­voir une sanc­tion grave comme celle de l’enfer, il est bien juste aus­si que nous puis­sions méri­ter. Et c’est pour­quoi il nous est bon de nous rap­pe­ler quelles sont ces dis­po­si­tions que nous devons avoir en nous et quelles sont ces dis­po­si­tions que l’Église demande par exemple à ceux qui, adultes, doivent rece­voir la grâce du bap­tême. On ne peut admettre au bap­tême un adulte qui n’aurait pas cer­taines dis­po­si­tions pour la grâce de son bap­tême, pour la grâce sanc­ti­fiante qu’il doit recevoir.

Quelles sont ces dis­po­si­tions que l’Église demande ? Elle demande fides theo­lo­gi­ca, qu’est-ce que veut dire par là l’Église : fides theo­lo­gi­ca ? C’est-à-dire cette foi qui n’est pas seule­ment une fidu­cia,qui n’est pas seule­ment un sen­ti­ment de foi, mais la foi telle que l’Église catho­lique l’entend, qui est une adhé­sion de notre intel­li­gence aux véri­tés révé­lées par Notre Seigneur Jésus-​Christ qui est Dieu et parce qu’il est Dieu. Parce qu’il est la Vérité même. Donc la foi dans les véri­tés révé­lées par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et puis l’Église demande éga­le­ment l’espérance. L’espérance par­ti­cu­liè­re­ment fon­dée sur la misé­ri­corde de Dieu. Miséricorde infi­nie du Bon Dieu. Espérance de cette grâce qui pour celui qui va la rece­voir, com­prend que pour lui, c’est une nou­velle exis­tence, une nou­velle nais­sance, son intro­duc­tion dans le Corps mys­tique de Notre Seigneur, dans le sein de la Trinité Sainte. Et tout cela grâce à la misé­ri­corde de Dieu, grâce à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et puis après la foi, l’espérance, éga­le­ment la cha­ri­té. Et l’Église demande pour ces caté­chu­mènes – ceux qui se pré­parent à la grâce sanc­ti­fiante qu’ils doivent rece­voir – qu’ils aient l’ini­tium vitæ chris­tianæ.

Quel est ce com­men­ce­ment de la vie chré­tienne ? Eh bien c’est l’obéissance aux com­man­de­ments de Dieu. Un pécheur, un pécheur public, ne peut pas se pré­sen­ter pour rece­voir la grâce du bap­tême, c’est évident.

Il faut donc qu’il y ait un com­men­ce­ment de vie chré­tienne. Puis Si dili­gi­tis me, dit le Seigneur, man­da­ta mea ser­vate (Jn 14,15) : Celui qui m’aime observe mes commandements.

Et par consé­quent, c’est dans cette obser­vance des com­man­de­ments que se trouve déjà la cha­ri­té. Cette cha­ri­té qui s’exprime par la sou­mis­sion à la volon­té du Bon Dieu.

Trois dis­po­si­tions fon­da­men­tales que nous avons besoin de nous rap­pe­ler, car elles sont fon­da­men­tales, c’est-à-dire qu’elles doivent demeu­rer tout le temps dans nos cœurs et dans nos esprits, si nous vou­lons que la grâce aug­mente en nous. Nous devons gar­der cette foi, cette espé­rance, cette cha­ri­té. En plus l’Église ajoute encore : timor Dei : la crainte de Dieu. Oh, sans doute la crainte filiale, la crainte de nous sépa­rer de Dieu, nous sépa­rer de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de Celui qui est tout pour nous, qui nous a tout don­né, à qui nous devons tout : timor Dei.

Et enfin l’odium pec­ca­ti : la haine du péché. Car le péché est le mal de l’homme. C’est celui qui risque de nous sépa­rer de Dieu, de nous éloi­gner de Dieu.

Voyez comme elles sont belles ces simples dis­po­si­tions que l’Église demande à tout caté­chu­mène. Et c’est pour­quoi lorsque l’on pré­pare les caté­chu­mènes à rece­voir la grâce du bap­tême, on leur demande un cer­tain laps de temps pour se pré­pa­rer, s’habituer à être dans ces dis­po­si­tions. Dispositions qui leur per­met­tront de rece­voir la grâce sanc­ti­fiante, d’une manière fruc­tueuse, d’une manière effi­cace qui fera ain­si gran­dir déjà leurs ver­tus, leurs ver­tus chré­tiennes plus rapidement.

Et pour ceux qui, comme vous, ont déjà reçu cette grâce sanc­ti­fiante, qui ont déjà la grâce sanc­ti­fiante en eux, est-​il pos­sible encore d’espérer de faire croître cette grâce et les grâces que vous allez rece­voir ici par le sacre­ment de l’ordre vont-​elles vrai­ment aug­men­ter votre grâce sanc­ti­fiante, par la grâce sacra­men­telle qui va vous être don­née ? Oui, vous pou­vez méri­ter, en véri­té, une aug­men­ta­tion de grâce. Mais pour méri­ter cette aug­men­ta­tion de grâce, il vous faut aus­si cer­taines dis­po­si­tions dont l’Église parle dans nos trai­tés de spi­ri­tua­li­té, dans nos trai­tés de théo­lo­gie. Il nous faut une plus grande cha­ri­té. C’est la cha­ri­té qui accroît la cha­ri­té en définitive.

Plus nous agis­sons, plus nous sommes rem­plis de l’amour de Dieu, de la cha­ri­té de Dieu ; plus nous sommes dis­po­sés aus­si à rece­voir la grâce en abondance.

Et c’est pour­quoi les Âmes saintes – bien que peut-​être elles aient moins de dif­fi­cul­tés que les autres, à cause de leur sain­te­té – à se dis­po­ser pour rece­voir ces grâces, mais elles reçoivent des grâces plus abon­dantes que les autres, parce que leur cha­ri­té est plus grande.

Et com­ment se mani­feste cette cha­ri­té ? Comment pouvons-​nous la déce­ler un peu en nous ? Eh bien, saint Thomas, après saint Benoît, dit que la promp­ti­tude avec laquelle nous nous don­nons au Bon Dieu, avec laquelle nous ouvrons notre cœur à Dieu, cette promp­ti­tude mani­feste que nous aimons Dieu, mani­feste que nous sommes prêt à obéir à la volon­té de Dieu, à nous don­ner à Dieu, à faire cette obla­tion que vous faites main­te­nant de vous-​même et tou­jours davan­tage par ces ordi­na­tions que vous rece­vez. Cette promp­ti­tude, saint Benoît la désigne sur­tout à l’occasion de l’obéissance, à la spon­ta­néi­té et à la rapi­di­té avec les­quelles le sujet répond à la voix de son supé­rieur. Allegro pede, dit saint Benoît dans sa règle. Allegro pede, d’un pied vif, d’un pied rapide, il se rend à l’obéissance de ses supé­rieurs, pour l’amour de Dieu. Voilà ce qui mani­feste la charité.

Et c’est encore ce que nous dit éga­le­ment saint Paul : Hilarem enim dato­rem dili­git Deus (2 Co 9,7) : Le Bon Dieu aime celui qui se donne avec joie, avec joie Hilarem dato­rem dili­git Deus. Il semble que le Bon Dieu n’aime pas celui qui donne avec tris­tesse, comme s’il regret­tait le don qu’il est obli­gé de faire de lui-​même, comme s’il regret­tait la spon­ta­néi­té avec laquelle il doit se pré­sen­ter pour rece­voir la grâce de Dieu, pour rece­voir l’Esprit Saint, pour rece­voir l’amour et la cha­ri­té de Dieu en lui. Non le Bon Dieu aime celui qui se donne avec joie. Hilarem dato­rem.

Et c’est encore saint Paul qui dit aus­si aux Corinthiens :

Eamdem autem habentes rému­ne­ra­tio­nem, tan­quam filIls dico : dila­ta­mi­ni et vos (2 Co 6,13) :

« Je vous parle comme à mes enfants : vous aus­si élar­gis­sez vos cœurs ».

Os nos­trum patet ad vos ô Corinthii, cor nos­trum dila­ta­tum est (2 Co 6,11) :

« Notre bouche s’est ouverte pour vous, ô Corinthiens, notre cœur s’est élargi ».

Dilatamini et vos ; cor nos­trum dila­tum est. Dilatez vos cœurs, ouvrez vos cœurs ; n’ayez pas des cœurs étroits ; n’ayez pas des cœurs fer­més, égoïstes, qui ont peur de don­ner ; qui craignent de se don­ner au Bon Dieu. Élargissez donc vos cœurs. Voilà les dis­po­si­tions qui peuvent nous faire croître dans l’amour du Bon Dieu et nous faire rece­voir les grâces des sacre­ments avec abon­dance et ain­si nous faire mon­ter dans l’union à Dieu, dans l’intimité avec Dieu.

Évidemment il nous faut aus­si être dans un esprit de prière. Demander au Bon Dieu – parce que ce n’est pas par nos propres efforts, ce n’est pas par nos propres dis­po­si­tions per­son­nelles, sans le secours de Dieu – que nous rece­vrons la grâce. Par consé­quent nous devons prier pour deman­der au Bon Dieu de nous don­ner ces dis­po­si­tions par­ti­cu­lières, dis­po­si­tions si utiles, si néces­saires. C’est une chose d’ailleurs que les diacres, futurs prêtres, doivent se rap­pe­ler pour leur minis­tère, que la néces­si­té de la dis­po­si­tion des âmes pour bien rece­voir la grâce efficacement.

Il faut donc pré­pa­rer les cœurs. Il faut que les cœurs se pré­parent à rece­voir les grâces ; elles ne viennent pas comme par habi­tude, par rou­tine, pour rece­voir les sacre­ments, pour rece­voir la cha­ri­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ en nous. Sinon ces grâces risquent de ne pas être fruc­tueuses et de ne pas faire aug­men­ter la grâce sanc­ti­fiante dans les âmes.

Et le caté­chisme du concile de Trente ajoute, que, pour les ordi­na­tions, une des dis­po­si­tions prin­ci­pales que doivent avoir ceux qui vont rece­voir les ordres, c’est d’avoir la pure­té du cœur. Pourquoi la pure­té du cœur ? Détachement d’eux-mêmes, déta­che­ment de toutes les choses de ce monde, pour s’approcher de Dieu.

Mais, dit le caté­chisme du concile de Trente, cela est néces­saire plus que pour les autres sacre­ments, parce qu’ils doivent être des exemples. Parce que ce sacre­ment est fait pour sanc­ti­fier la socié­té. Ce n’est pas un sacre­ment comme le sacre­ment de péni­tence par exemple, qui sanc­ti­fie l’âme du sujet qui se confesse, qui reçoit la grâce du sacre­ment de péni­tence. Mais l’ordre est un sacre­ment qui sanc­ti­fie pour sanc­ti­fier les autres. C’est une grâce par­ti­cu­lière qui est don­née pour la sanc­ti­fi­ca­tion de la socié­té, comme la grâce du mariage est don­née pour la sanc­ti­fi­ca­tion de la famille et non pas seule­ment pour les parents eux-​mêmes, mais éga­le­ment pour la sanc­ti­fi­ca­tion de la famille.

Mais de même, l’ordre pour la sanc­ti­fi­ca­tion de l’Église, pour l’accroissement de l’Église, pour l’accroissement du Corps mys­tique de Notre Seigneur Jésus-​Christ, cette grâce vous est don­née et – jus­te­ment – pour être un exemple, un exemple de cet amour de Dieu, de cet amour total de Dieu, pour ce déta­che­ment total des choses du monde.

Eh bien, le caté­chisme du concile de Trente nous apprend qu’il faut que ceux qui se dis­posent aux ordi­na­tions aient le cœur pur, le cœur déta­ché, déta­ché de toutes choses pour qu’il soit vrai­ment atta­ché à Dieu et qu’il soit ain­si une lumière, une lumière qui brille par leur sain­te­té et qui aide les fidèles à se sanc­ti­fier aussi.

Voyez, voi­là les dis­po­si­tions dans les­quelles vous devez être ce matin et demain matin, pour rece­voir cette grâce excep­tion­nelle du sacre­ment de l’ordre.

Remerciez Dieu, ren­dez grâces à Dieu, ren­dez grâces à la très Sainte Vierge Marie, car c’est par elle que vous rece­vez ces grâces ; toutes les grâces nous viennent par les mains de Marie.

Que ce soit là une grande conso­la­tion pour nous, car elle est si bonne, si atten­tive pour nous, pour cha­cun d’entre nous. Elle nous aide­ra à avoir les dis­po­si­tions qu’elle a eues elle-​même lorsque la grâce du Saint-​Esprit est des­cen­due en elle, au moment de l’Annonciation.

Ah s’il y avait un cœur dis­po­sé, c’était bien celui de la Vierge Marie !

Alors que nos cœurs soient dis­po­sés comme le sien pour rece­voir cette grâce de l’ordination.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.