Un nouveau magistère : le magistère de la conscience ecclésiale

1. L’interview du pape François aux revues jésuites [1] a fait cou­ler beau­coup d’encre, et de l’excellente [2]. Loin de por­ter un regard glo­bal sur le texte, ne sera rete­nu ici qu’un pas­sage dont la por­tée est rem­plie d’implications pour qui entend gar­der, en ces temps trou­blés, une atti­tude catho­lique. Il s’agit de celui où le pape François, à l’occasion d’une ques­tion qui lui est posée sur le « sen­tire cum Ecclesia » décrit sa concep­tion du magis­tère de l’Eglise : « Le peuple est sujet. Et l’Église est le peuple de Dieu che­mi­nant dans l’histoire, avec joies et dou­leurs. [] L’ensemble des fidèles est infaillible dans le croire, et il mani­feste son infal­li­bi­li­tas in cre­den­do à tra­vers le sens sur­na­tu­rel de la foi de tout le peuple en marche. Voilà pour moi le sen­tir avec l’Église dont parle Saint Ignace. Quand le dia­logue entre les per­sonnes, les Évêques et le pape va dans cette direc­tion et est loyal, alors il est assis­té par l’Esprit Saint. Ce n’est donc pas un sen­tir fai­sant réfé­rence aux théo­lo­giens. [] Évidemment, il faut res­ter bien atten­tif et ne pas pen­ser que cette infal­li­bi­li­tas de tous les fidèles, dont je suis en train de par­ler à la lumière du Concile, soit une forme de popu­lisme. Non, c’est l’expérience de notre Sainte Mère l’Église hié­rar­chique, comme l’appelait Saint Ignace, de l’Église comme peuple de Dieu, pas­teurs et peuple tous ensemble. L’Église est la tota­li­té du peuple de Dieu. » Cette concep­tion du magis­tère, que le pape François enra­cine à juste titre dans les affir­ma­tions du concile Vatican II [3] et qui fut com­mune à tous les papes depuis ce concile y com­pris, jamais aucun d’eux n’en avait expo­sé la nature de façon aus­si claire que concise. Il est capi­tal de s’y arrê­ter, pour esti­mer le degré d’assentiment que le fidèle catho­lique se doit d’avoir – ou de ne pas avoir – à son endroit.

I – Une nouvelle conception du Magistère et de la Tradition

2. Mettre en lumière la nou­velle concep­tion du magis­tère, que l’on pour­rait appe­ler magis­tère de la conscience ecclé­siale, ne peut se faire sans abor­der la notion de Tradition, tel­le­ment ces deux concepts sont liés. L’acte magis­té­riel s’entend en effet de l’acte par lequel l’Eglise ensei­gnante (sujet de l’acte) trans­met – « tra­dit » – de façon intègre (acte en lui-​même) l’ensemble des véri­tés révé­lées par Dieu (objet de l’acte). Or les trois élé­ments de cette défi­ni­tion donnent au mot Tradition sa triple accep­tion. Est en effet appe­lé Tradition active l’acte par lequel le Magistère trans­met le dépôt, Tradition objec­tive l’objet du magis­tère, c’est-à-dire l’ensemble des véri­tés révé­lées, ensemble clos à la mort du der­nier apôtre, et enfin sujet de la Tradition l’Eglise ensei­gnante, c’est-à-dire les suc­ces­seurs des apôtres, pape et évêques, qui seuls ont reçu du Christ le pou­voir et le devoir d’enseigner avec auto­ri­té. Magistère et Tradition se ren­voient donc l’un l’autre. Or, sous ces trois aspects, la nou­velle théo­lo­gie a sub­stan­tiel­le­ment modi­fié la notion de Tradition, et avec elle celle de Magistère. La Tradition ne s’identifie plus à l’ensemble des véri­tés révé­lées par Dieu (Tradition objec­tive) constam­ment prê­chées (Tradition active) par les dépo­si­taires du magis­tère de l’Eglise (sujet de la Tradition). Elle est désor­mais pré­sence imma­nente de la Parole (onto­lo­gique) dans le Peuple de Dieu (en lieu et place de la Tradition objec­tive) lequel, par contact vital avec elle (en lieu et place de la Tradition active) renou­velle constam­ment sous la conduite de ses pas­teurs la for­mu­la­tion de sa foi pour le monde pré­sent. Au magis­tère revient alors la fonc­tion de for­mu­ler authen­ti­que­ment l’expérience de foi faite par le peuple de Dieu, afin d’en assu­rer l’unité sociale. De la sorte, le Peuple de Dieu pris dans son entier – avec la diver­si­té de ses cha­rismes – devient le nou­veau sujet de la Tradition.

3. Cette nou­velle concep­tion s’appuie sur un double chan­ge­ment d’axe, tou­chant d’une part la nature pre­mière de la Révélation (objet du magis­tère), et d’autre part son dépo­si­taire (sujet du magistère).

- A la suite de Dei Verbum, l’Instruction Donum veri­ta­tis [4] consi­dère la Révélation non pas tant comme don d’un conte­nu révé­lé défi­ni­ti­ve­ment closque comme don du Révélant lui-​même : celui-​ci « s’est appro­ché de l’homme pour faire route avec lui » (Donum veri­ta­tis 2), Il « ne cesse de conver­ser avec l’Epouse de son Fils bien aimé » (Dei Verbum 8) et, par l’Esprit Saint, Il mène cette der­nière sur les che­mins de l’histoire jusqu’à la Vérité tout entière (Lumen Gentium 4). Désormais, que Dieu ait « par­lé par son Fils » (He 1, 1–2) doit se com­prendre non plus seule­ment comme fai­sant allu­sion aux paroles logiques qu’à dites le Christ (ain­si l’expliquaient Trente et Vatican I), mais prin­ci­pa­le­ment de la Parole onto­lo­gique qu’est le Christ lui-​même : « Jésus-​Christ – le voir, c’est voir le Père – par toute sa pré­sence, par la mani­fes­ta­tion qu’il fait de lui-​même par paroles et par œuvres, […] achève en la com­plé­tant la révé­la­tion » (Dei Verbum 4).

- Si la Révélation n’est plus à consi­dé­rer pre­miè­re­ment comme depo­si­tum fidei, mais comme don de Dieu lui-​même à l’homme, alors cette révé­la­tion n’est plus confiée à la garde des seuls apôtres et de leurs suc­ces­seurs pour qu’ils enseignent toutes les nations (Mt 28, 20), mais elle appar­tient en propre à la com­mu­nau­té de ceux qui, deve­nus uns dans le Christ, consti­tuent le Peuple de Dieu. Par voie de consé­quence, la fonc­tion pro­phé­tique n’est plus le propre des apôtres et de leurs suc­ces­seurs, mais du Peuple de Dieu pris dans son entier (Lumen Gentium 12). Le car­di­nal Ratzinger insiste sur cette idée, à ses yeux fon­da­men­tale, dans la Présentation qu’il fait de l’Instruction Donum veri­ta­tis : « En consi­dé­rant la struc­ture du docu­ment, on sera sur­pris de voir que nous n’avons pas pla­cé le magis­tère au début, mais plu­tôt le thème de la véri­té comme don de Dieu à son Peuple ; la véri­té de la foi n’est pas don­née à l’individu iso­lé [ndlr : pape ou évêque, ou simple fidèle] mais par elle Dieu a vou­lu don­ner nais­sance à une his­toire et à une com­mu­nau­té. La véri­té réside dans le sujet com­mu­nau­taire du Peuple de Dieu, dans l’Eglise » [5].

4. Ainsi donc, la Tradition nou­vel­le­ment conçue ne se réduit plus au depo­si­tum fidei, mais est d’abord « pré­sence per­ma­nente du Sauveur qui vient à notre ren­contre », ou encore « actua­li­sa­tion per­ma­nente de la pré­sence active du Jésus Seigneur dans son Peuple […]. Elle n’est pas la simple trans­mis­sion maté­rielle de ce qui a été don­né au début par les apôtres, mais la pré­sence effi­cace du Seigneur Jésus, cru­ci­fié et res­sus­ci­té, qui accom­pagne et conduit dans l’Esprit la com­mu­nau­té ras­sem­blée par lui » [6]. En lieu et place de la Tradition objec­tive, voi­ci désor­mais éta­bli le prin­cipe d’imma­nence, dési­gnée par une expres­sion tra­di­tion­nelle quoique pro­fon­dé­ment modi­fiée [7], celle de sen­sus fidei, le « sens sur­na­tu­rel de la foi de tout le peuple en marche » men­tion­né par le pape François. Cette imma­nence est éle­vée au rang de source prin­ci­pale et même unique à laquelle puisent et doivent se confor­mer tant la théo­lo­gie que le magis­tère : « Le docu­ment [Donum veri­ta­tis] traite du pro­blème de la mis­sion ecclé­siale du théo­lo­gien non pas à par­tir du dua­lisme magistère-​théologie, mais dans le contexte de la rela­tion tri­an­gu­laire : Peuple de Dieu, en tant que por­teur du sens de la foi et lieu com­mun à tous de l’ensemble de la foi ; magis­tère ; théo­lo­gie » [8]. Il y a donc, « obli­ga­tion de part et d’autre [théo­lo­gie et magis­tère], à l’égard du « sens de la foi » pos­sé­dé par l’Eglise dans le pas­sé et aujourd’hui. La Parole de Dieu, en effet, se pro­page de façon vitale à tra­vers le temps [9], dans le « sens com­mun de la foi » dont est ani­mé le peuple de Dieu tout entier et selon lequel, la col­lec­ti­vi­té des fidèles, ayant l’onction qui vient du saint, ne peut se trom­per dans sa foi » (LG 12) » [10].

5. Toujours selon Benoît XVI, la Tradition active devient alors expé­rience vitale que le Peuple de Dieu fait du Ressuscité pré­sent en son sein : « Grâce au Paraclet, l’expérience du Ressuscité, que la com­mu­nau­té apos­to­lique a faite aux ori­gines de l’Église, pour­ra tou­jours être vécue par les géné­ra­tions suc­ces­sives, en tant qu’elle est trans­mise et actua­li­sée dans la foi, le culte et la com­mu­nion du Peuple de Dieu en pèle­ri­nage dans le temps » [11]. La Tradition active n’est donc plus l’acte par lequel le magis­tère enseigne, trans­met et défend le dépôt révé­lé, mais l’acte essen­tiel­le­ment com­mu­nau­taire du Peuple de Dieu lorsque celui-​ci, de par l’Esprit Saint [12], entre en contact vital avec la Parole qui lui est imma­nente. En lieu et place de la Tradition active, voi­ci donc l’acte de conscien­ti­sa­tion de la Parole (onto­lo­gique) posé par l’Eglise-sujet (sujet de la Tradition), anté­cé­dem­ment à toute parole logique.

6. Quelle est alors la place du titu­laire de la fonc­tion magis­té­rielle ? Mysterium Ecclesiae n°2 expose que « le Saint-​Esprit accorde sa lumière et son secours au Peuple de Dieu comme au corps du Christ uni par la com­mu­nion hié­rar­chique ». Elle ajoute encore que si le Peuple de Dieu s’attache à la foi, cela a lieu seule­ment « sous la conduite du magis­tère ». Et le texte d’écarter la thèse extrême selon laquelle la fonc­tion magis­té­rielle se rédui­rait à sanc­tion­ner un consen­te­ment déjà expri­mé. C’est le fameux « popu­lisme » écar­té par le pape François. La thèse est autre : c’est au seul magis­tère qu’il revient – non pas d’enseigner les fidèles – mais d’expri­mer et for­mu­ler authen­ti­que­ment la foi issue de l’acte de conscience posé par l’Eglise peuple de Dieu [13], et d’assurer ain­si son uni­té sociale [14]. Le car­di­nal Ratzinger décri­vit à maintes reprises cette fonc­tion magis­té­rielle nou­vel­le­ment consi­dé­rée [15]. Une fois deve­nu pape, il repren­dra les mêmes expli­ca­tions en son livre La lumière du monde : « Dans bien des choses je ne dis pas seule­ment ce qui est pas­sé par l’esprit de Joseph Ratzinger, mais je parle à par­tir de la com­mu­nau­té de l’Eglise, Je parle alors dans une cer­taine mesure en com­mu­nion inté­rieure avec ceux qui par­tagent ma foi, j’exprime ce que nous sommes ensemble et que nous pou­vons croire ensemble. Dans cette mesure, ce « nous » [Benoît XVI jus­ti­fie sa réin­tro­duc­tion] n’est pas un plu­riel de majes­té, mais une réa­li­té qui vient des autres, de la parole à tra­vers les autres et avec les autres » [16]. En un mot, ce magis­tère nou­vel­le­ment conçu se consi­dère comme l’expres­sion authen­tique de la conscience ecclé­siale.

7. Dans quelle mesure un tel magis­tère se dit-​il encore lié par les for­mules dog­ma­tiques énon­cées dans le pas­sé ? Dans la concep­tion tra­di­tion­nelle où le magis­tère est l’organe du depo­si­tum fidei, les expres­sions dog­ma­tiques sont sub­stan­tiel­le­ment immuables et, une fois fixées comme telles, celles qui ont atteint un cer­tain degré de pré­ci­sion ne peuvent plus être remises en cause sans que soit cou­ru le risque d’altérer la doc­trine [17]. Dans un pre­mier temps, Mysterium Ecclesiae n°5 s’exprime dans le même sens, mais pour ajou­ter bien­tôt une réflexion qui rela­ti­vise dan­ge­reu­se­ment la por­tée de cette pre­mière affir­ma­tion : « Les véri­tés que l’Eglise entend réel­le­ment ensei­gner par ses for­mules dog­ma­tiques sont sans doute dis­tinctes des concep­tions chan­geantes propres à une époque déter­mi­née ; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éven­tuel­le­ment for­mu­lées, même par le magis­tère, en des termes qui portent des traces de telles concep­tions. Tout consi­dé­ré, on doit dire que les for­mules dog­ma­tiques du magis­tère ont été aptes dès le début à com­mu­ni­quer la véri­té révé­lée et que demeu­rant inchan­gées elles la com­mu­ni­que­ront tou­jours à ceux qui les inter­prè­te­ront bien. Mais il ne s’ensuit point que cha­cune d’entre elles eut et gar­de­ra tou­jours cette apti­tude au même degré ». S’il fal­lait dou­ter de la por­tée de ce der­nier pro­pos, le com­men­taire qu’en fit le car­di­nal Ratzinger montre com­bien ce pas­sage consacre l’introduction d’un véri­table rela­ti­visme dog­ma­tique, quoique dégui­sé : « [L’enseignement magis­té­riel] affirme – peut-​être pour la pre­mière fois de façon aus­si claire – qu’il existe des déci­sions du magis­tère qui ne peuvent consti­tuer le der­nier mot sur une matière en tant que telle, mais une sti­mu­la­tion sub­stan­tielle par rap­port au pro­blème, et sur­tout une expres­sion de pru­dence pas­to­rale, une sorte de dis­po­si­tion pro­vi­soire […] A cet égard, on peut pen­ser aus­si bien aux décla­ra­tions des papes du siècle der­nier sur la liber­té reli­gieuse qu’aux déci­sions anti-​modernistes du début de ce siècle, en par­ti­cu­lier aux déci­sions de la Commission biblique de l’époque. En tant que cri d’alarme devant les adap­ta­tions hâtives et super­fi­cielles, elles demeurent plei­ne­ment jus­ti­fiées. […] Mais dans les détails rela­tifs aux conte­nus, elles ont été dépas­sées, après avoir rem­pli leur devoir pas­to­ral à un moment pré­cis » [18].

II – Evaluation de cette nouvelle conception du Magistère

8. Absolument nou­velle, cette concep­tion du magis­tère consi­dé­ré comme expres­sion de la conscience ecclé­siale l’est, en ce sens que jamais un tel cri­tère d’autorité n’a été invo­qué par l’Eglise pour appuyer la force contrai­gnante de ses déci­sions. A lui seul, ce carac­tère radi­ca­le­ment nou­veau rend irre­ce­vable cette réin­ter­pré­ta­tion de la nature de l’acte magis­té­riel de l’Eglise. Il faut relire ici la Constitution Dei Filius : « Le sens des dogmes sacrés qui doit être conser­vé à per­pé­tui­té est celui que notre Mère la sainte Eglise a pré­sen­té une fois pour toutes et jamais il n’est loi­sible de s’en écar­ter sous le pré­texte ou au nom d’une com­pré­hen­sion plus pous­sée » [19]. D’où le Serment anti­mo­der­niste de saint Pie X, au n° 4 : « Je reçois sin­cè­re­ment la doc­trine de la foi trans­mise des apôtres jusqu’à nous tou­jours dans le même sens et dans la même inter­pré­ta­tion que lui ont don­née les Pères de l’Eglise ; pour cette rai­son, je rejette abso­lu­ment l’invention héré­tique de l’évolution des dogmes, qui pas­se­raient d’un sens à l’autre, dif­fé­rent de celui que l’Eglise a d’abord pro­fes­sé » [20].

9. Pour autant, une telle concep­tion du magis­tère n’est pas entiè­re­ment nou­velle en ce sens qu’elle se trouve déjà dans des actes pon­ti­fi­caux anté­cé­dents au concile Vatican II… pour y être dénon­cée comme erro­née ! Le magis­tère de la conscience ecclé­siale cor­res­pond en effet à la concep­tion moder­niste du magis­tère, condam­née en son temps par saint Pie X : « Veut-​on savoir com­ment ils ima­ginent le magis­tère ecclé­sias­tique ? Nulle socié­té reli­gieuse disent-​ils, n’a de véri­table uni­té que si la conscience reli­gieuse de ses membres est une, et une aus­si la for­mule qu’ils adoptent. Or, cette double uni­té requiert une espèce d’intelligence uni­ver­selle, dont ce soit l’office de cher­cher et de déter­mi­ner la for­mule répon­dant le mieux à la conscience com­mune, qui ait en outre suf­fi­sam­ment d’autorité, cette for­mule une fois arrê­tée, pour l’imposer à la com­mu­nau­té. De la com­bi­nai­son et comme de la fusion de ces deux élé­ments, intel­li­gence qui choi­sit la for­mule, auto­ri­té qui l’impose, résulte, pour les moder­nistes, la notion du magis­tère ecclé­sias­tique » [21]. Le pour­quoi d’une telle condam­na­tion s’explique aisé­ment. En ses trois points, ce nou­veau magis­tère de la conscience ecclé­siale s’oppose en effet à l’enseignement constant de l’Eglise.

10. Quant au pre­mier point – l’acte de conscience ecclé­siale, en lieu et place de la Tradition active – il n’est qu’une trans­po­si­tion com­mu­nau­taire du prin­cipe de l’immanence vitale condam­née par l’encyclique Pascendi Dominici gre­gis. Saint Pie X y réprouve les thèses iden­ti­fiant conscience et révé­la­tion, ou encore qui font de la révé­la­tion l’expérience de la pré­sence intime du Révélant beau­coup plus qu’un conte­nu révé­lé [22]. Or ce sont pré­ci­sé­ment ces thèses que sou­tiennent les tenants du magis­tère de la conscience ecclé­siale : Dieu se révèle direc­te­ment, plus encore par sa pré­sence que par ses dires, à la conscience com­mu­nau­taire de l’Eglise. Certes saint Pie X ne vise direc­te­ment que l’immanence vitale indi­vi­duelle. Mais sa condam­na­tion s’applique tout autant à l’immanence com­mu­nau­taire, basée sur les mêmes prin­cipes et clai­re­ment issue d’elle, de l’aveu même de Paul VI en son ency­clique Ecclesiam suam : « Ce besoin de consi­dé­rer les choses connues dans un acte réflexe pour les contem­pler dans le miroir inté­rieur de son propre esprit est carac­té­ris­tique de la men­ta­li­té de l’homme moderne ; sa pen­sée se replie faci­le­ment sur elle-​même et trouve cer­ti­tude et plé­ni­tude à la lumière de sa propre conscience. […] dûment uni à une for­ma­tion de pen­sée apte à décou­vrir la véri­té là où celle-​ci coïn­cide avec la réa­li­té de l’être objec­tif, l’exercice de la conscience révèle tou­jours mieux à qui s’y livre le fait de l’existence, de son être propre, de sa propre digni­té spi­ri­tuelle, de sa propre capa­ci­té de connaître et d’agir » [23].

11. Quant au deuxième point – le sen­sus fidei du Peuple de Dieu en lieu et place de la Tradition objec­tive –, dire que le dépôt de la révé­la­tion a été confié non plus à la garde des seuls apôtres et de leurs suc­ces­seurs pour qu’ils enseignent toutes les nations (Mt 28,20), mais en pre­mier lieu à l’Eglise Peuple de Dieu, c’est oublier l’incontournable dis­tinc­tion entre Eglise ensei­gnante et Eglise ensei­gnée. Certes, il est clas­sique en théo­lo­gie d’affirmer que le sen­sus fidei est un cri­tère infaillible de la divine Tradition. Mais ce consen­sus una­nime in cre­den­do est celui de l’Eglise ensei­gnée, et se réduit pro­pre­ment et stric­te­ment à l’infaillibilité in docen­do de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique. En effet, l’infaillibilité in docen­do est la cause effi­ciente et for­melle de l’infaillibilité in cre­den­do, qui en est son effet propre : en rai­son de la foi et de la sain­te­té de l’Eglise, l’universalité syn­chro­nique et dia­chro­nique des fidèles est indé­fec­ti­ble­ment et soli­dai­re­ment docile à l’enseignement du magis­tère. L’infaillibilité in cre­den­do ne se dis­tingue de l’infaillibilité in docen­do que comme « lieu théo­lo­gique », du seul fait que nom­breuses sont les véri­tés pro­po­sées infailli­ble­ment et ora­le­ment par le magis­tère ordi­naire uni­ver­sel dont l’existence ne peut être connue que par la pro­fes­sion de foi de l’Eglise uni­ver­selle. Voilà pour­quoi le consen­sus de l’Eglise dans la croyance d’une véri­té pos­sède la valeur d’un cri­tère, c’est-à-dire d’un signe fai­sant connaître l’infaillibilité du magis­tère qui a ensei­gné cette véri­té crue una­ni­me­ment. Mais ce n’est que le signe de cette infailli­bi­li­té de l’enseignement, et non sa cause. Dire que c’en est la cause, c’est reprendre à son compte, en l’appliquant au domaine par­ti­cu­lier du pre­mier munus, « que le pri­mat de juri­dic­tion a été don­né immé­dia­te­ment et direc­te­ment non pas à Pierre lui-​même, mais à l’Eglise, pour remon­ter ensuite à Pierre comme à son repré­sen­tant » [24], erreur condam­née par le concile Vatican I. Menée jusqu’à son terme, la logique du magis­tère de la conscience ecclé­siale impli­que­rait encore qu’une pro­po­si­tion du magis­tère ne serait infaillible que dans la mesure où elle est agréée (même anté­cé­dem­ment) par le Peuple, ce qui est en contra­dic­tion for­melle avec la sen­tence énon­cée infailli­ble­ment par le même concile Vatican I : « De telles défi­ni­tions por­tées par le Souverain Pontife sont irré­for­mables de soi, et non de par le consen­te­ment de l’Eglise » [25].

12. Quant au troi­sième point – le sujet de la Tradition –, il faut rap­pe­ler que le magis­tère a pour fonc­tion de conser­ver et d’expliquer la doc­trine sub­stan­tiel­le­ment immuable telle qu’elle fut révé­lée par le Christ et les apôtres, et telle qu’elle doit se trans­mettre à tra­vers les suc­ces­seurs des apôtres, qui enseignent au nom du Christ. Et c’est parce que le magis­tère a d’abord pour objet cette conser­va­tion et cette expli­ca­tion de la révé­la­tion confiée par Dieu aux douze (indi­vi­dus iso­lés, c’est-à-dire choi­sis d’entre les autres hommes), qu’il a ensuite pour fonc­tion d’établir le dogme, qui est l’expression pré­cise et défi­ni­tive de la véri­té révé­lée, diri­geant par ce moyen les fidèles dans la pro­fes­sion d’une même foi. Réduire la fonc­tion magis­té­rielle à l’expression de la conscience pré­sente d’une l’Eglise en per­pé­tuelle refor­mu­la­tion, c’est intro­duire peu ou prou le rela­ti­visme du dogme, ain­si que le dénon­çait Pie XII dans Humani gene­ris [26]. Réduire le magis­tère à une fonc­tion de porte voix – même sup­po­sé authen­tique – de la conscience du Peuple de Dieu, c’est encore le déna­tu­rer pro­fon­dé­ment. Les Pasteurs sont ministres du Peuple de Dieu seule­ment en ce sens qu’ils agissent au pro­fit des âmes, non du fait qu’ils seraient l’expression de la conscience du Peuple de Dieu.

III – Application pratique

13. Le seul magis­tère authen­tique que l’Eglise connaisse est celui qui, pour conser­ver et expli­quer le depo­si­tum fidei, parle au nom de Jésus-​Christ, duquel seul découle sur le corps ecclé­sial abon­dance de grâce et de véri­té (Jo 1,14 et 16). Ainsi par­laient les apôtres, ain­si sont appe­lés à par­ler leurs suc­ces­seurs : « C’est en envoyés de Dieu que, devant Dieu, nous par­lons dans le Christ » (2 Co 2,17). « Nous sommes en ambas­sade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhor­tait par nous » (2 Co 5,20). Parlant ain­si au nom de Celui qui, étant la Vérité même, ne peut ni se trom­per ni nous trom­per, ils peuvent alors, et seule­ment alors, reven­di­quer en toute légi­ti­mi­té l’autorité que leur a confé­rée la pro­messe du Christ : « Qui vous écoute m’écoute, qui vous méprise me méprise et qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé » (Lc 10,16). Tel est le seul magis­tère que recon­naît l’Eglise, à l’exclusion d’un pseu­do magis­tère de la conscience ecclé­siale, pour lequel elle n’a que condamnation.

14. Ainsi que cela a été mon­tré en d’autres lieux [27], cette nou­velle concep­tion n’a pas été étran­gère à la pro­mul­ga­tion des actes du concile Vatican II ; c’est éga­le­ment à elle que, quant à l’intention habi­tuelle, se sont réfé­rés les papes sub­sé­quents, notam­ment Jean-​Paul II et Benoît XVI. Pour sa part, le pape François en a fait pro­fes­sion publique lors de son inter­view aux revues jésuites. Ces décla­ra­tions sont déter­mi­nantes. En effet, selon le mot de saint Paul : « Dieu seul est véri­dique, tout homme est men­teur » (Rm 3,4), la cause prin­ci­pale de l’infaillibilité des véri­tés de foi est bien évi­dem­ment Dieu, les pas­teurs n’étant que ses ministres et ins­tru­ments. Or, pour pro­duire son effet, l’instrument doit agir sous la mou­vance de la cause prin­ci­pale et, dans le cas d’un ins­tru­ment doué de rai­son, cela sup­pose qu’il en ait l’intention (IIIa q. 64, art. 8). A la suite de ses pré­dé­ces­seurs immé­diats, le pape François a donc expri­mé, rela­ti­ve­ment à ses actes « magis­té­riels », une inten­tion habi­tuelle autre. On ne peut donc par­tir du pré­sup­po­sé que ses ensei­gne­ments habi­tuels, tout comme ceux de ses pré­dé­ces­seurs immé­diats, soient sim­pli­ci­ter dotés de la force magis­té­rielle de l’Eglise. Dans la mesure où cette inten­tion autre n’éclipserait pas tota­le­ment celle de l’Eglise, ces ensei­gne­ments seraient à consi­dé­rer comme dou­teu­se­ment magis­té­riels, à la pro­por­tion – dif­fi­ci­le­ment esti­mable ! – prise par cha­cune des deux inten­tions. Si cette inten­tion excluait celle de l’Eglise, alors il n’y aurait sim­ple­ment aucun acte magis­té­riel stric­to sen­su.

15. Dire cela n’est pas affir­mer que les papes conci­liaires soient inca­pables d’actes magis­té­riels authen­tiques. C’est dire sim­ple­ment que, pour être recon­nus comme tels, le pape devrait préa­la­ble­ment se déga­ger de son inten­tion habi­tuelle, et donc expri­mer expli­ci­te­ment celle de l’Eglise, comme le fit Jean-​Paul II à quelques reprises [28]. Tout en recon­nais­sant donc plei­ne­ment dans le pape et les évêques d’aujourd’hui – comme en ceux d’hier – le sujet du magis­tère authen­tique de l’Eglise, nous sommes cepen­dant obli­gés de consta­ter que, depuis le concile inclu­si­ve­ment, l’exercice de ce magis­tère est d’autant vicié que s’y est intro­duit cette nou­velle concep­tion du magis­tère, dépour­vu de toute auto­ri­té sur­na­tu­relle, et vis-​à-​vis duquel on ne peut que se défier en rai­son de la condam­na­tion por­tée par Saint Pie X.

16. Ainsi en sera-​t-​il de la pro­chaine « cano­ni­sa­tion » de celui que Mgr Lefebvre n’hésitait pas à com­pa­rer à un anti­christ [29], le pape Jean-​Paul II. Si dra­ma­tique soit-​elle pour toute l’Eglise, elle ne sera cepen­dant pas de nature à poser un cas de conscience à l’âme véri­ta­ble­ment catho­lique : celle-​ci sau­ra y recon­naître un acte d’une auto­ri­té moder­niste, des­ti­né à rendre tou­jours plus irré­ver­sible l’erreur dont elle est imbue. Mettre ain­si Jean-​Paul II sur leurs autels sera un nou­vel et ter­rible épi­sode de ce que Mgr Lefebvre appe­lait le coup de maître de Satan : « Le coup de maître de Satan sera donc de dif­fu­ser les prin­cipes révo­lu­tion­naires intro­duits dans l’Eglise par l’autorité de l’Eglise elle-​même, met­tant cette auto­ri­té dans une situa­tion d’incohérence et de contra­dic­tion per­ma­nente ; tant que cette équi­voque ne sera pas dis­si­pée, les désastres se mul­ti­plie­ront dans l’Eglise. […] La hié­rar­chie de l’Eglise elle-​même vit dans une équi­voque per­ma­nente entre l’autorité per­son­nelle reçue du sacre­ment de l’Ordre et la Mission de Pierre ou de l’Evêque, et les prin­cipes démo­cra­tiques. » [30]

Abbé Patrick de La Rocque

Notes de bas de page
  1. Pape François, inter­view don­née aux revues cultu­relles jésuites, publié en fran­çais par la revue Etudes du 19 sep­tembre 2013[]
  2. Cf. entre autres, Abbé J.P. Boubée, Cap sur les récifs, à pro­pos de deux inter­views du pape François, La Porte Latine, 13 octobre 2013.[]
  3. Concile Vatican II, Constitution Lumen Gentium, n° 12 : « Le Peuple saint de Dieu a part éga­le­ment à la fonc­tion pro­phé­tique du Christ. […] L’ensemble des fidèles qui ont reçu l’onc­tion du Saint (cf. 1 Jn 2,20 et 27) ne peut pas errer dans la foi ; et il mani­feste cette pré­ro­ga­tive au moyen du sens sur­na­tu­rel de la foi com­mun à tout le peuple, lorsque « depuis les évêques jus­qu’au der­nier des fidèles laïcs », il fait entendre son accord uni­ver­sel dans les domaines de la foi et de la morale. »[]
  4. Instruction Donum veri­ta­tis de la sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 24/​05/​1990, DC 1990 n° 2010, p. 693–701.[]
  5. L’Osservatore roma­no, édi­tion heb­do­ma­daire en langue fran­çaise du 10/​07/​1990, p. 9. Cf. encore car­di­nal Ratzinger, confé­rence Qu’est-​ce que la théo­lo­gie ? dans Faire route avec Dieu, Parole et silence, 2003, p. 26–27[]
  6. Benoît XVI, Audience géné­rale du 26/​04/​2006, DC 2006 n° 2358. Cf. car­di­nal Ratzinger, confé­rence du 15/​08/​1986 à la facul­té de théo­lo­gie Saint-​Michel de Toronto : « Pour le chré­tien, cette Parole qui me pré­cède n’est pas un « quelque chose », mais un « il » ou mieux un « tu ». C’est le Christ, le Verbe fait chair. Il est le nou­veau départ qui sti­mule une nou­velle pen­sée. Il est le nou­veau « je » en lequel je peux trans­cen­der les limites de ma propre sub­jec­ti­vi­té tout comme les limites entre sujet et objet. »[]
  7. Cf. plus bas, notre § 17.[]
  8. Cardinal Ratzinger, pré­sen­ta­tion de l’ins­truc­tion Donum veri­ta­tis. En cette même pré­sen­ta­tion, le car­di­nal ajoute encore : « L’Eglise, en tant que sujet vivant, qui demeure inébran­lable au milieu des chan­ge­ments de l’Histoire, est au contraire le milieu vital du théo­lo­gien ; c’est en elle que sont conser­vées les mer­veilles de Dieu que la foi a expé­ri­men­tées. »[]
  9. Cf. confé­rence du car­di­nal Ratzinger, Discours à l’u­ni­ver­si­té de Navarre et Pampelune, dans Faire route avec Dieu, Parole et silence, 2003, p. 26–28.[]
  10. Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, 1975, Magistère et théo­lo­gie, thèse III.[]
  11. Benoît XVI, Audience géné­rale du 26/​04/​2006, DC 2006 n° 2358.[]
  12. Cf. car­di­nal Ratzinger, « L’Esprit Saint comme com­mu­nio », in Faire route avec Dieu, Parole et Silence 2003, p. 32 : « Le soup­çon est tou­jours utile quand quel­qu’un parle de son expé­rience per­son­nelle, c’est-​à-​dire « à par­tir de ce qu’il tire de lui-​même » ; cela ne cor­res­pond pas à la façon d’être de l’Esprit Saint que « ne parle pas de lui-​même » (Jn 16,13) – ori­gi­na­li­té et véri­té peuvent faci­le­ment se trou­ver en contra­dic­tion. Cela veut dire que la confiance est jus­ti­fiée seule­ment là où on ne parle pas d’une manière stric­te­ment per­son­nelle, mais où l’ex­pé­rience de l’Esprit, ayant fait ses preuves devant la com­mu­nau­té, se place dans la com­mu­nau­té pour y prendre la parole. »[]
  13. Cf. Cardinal Ratzinger, homé­lie du 03/​12/​1979 à la cathé­drale de Munich : « Un pas­sage de la pre­mière épître de Jean [1 Jn 2, 18–27] fait mieux com­prendre la fonc­tion du magis­tère ecclé­sial. […] Le bap­ti­sé, celui qui est dans la foi du bap­tême, n’a pas besoin d’être endoc­tri­né. Il a reçu la véri­té pre­mière, et il la porte en lui avec la foi elle-​même. Voilà le cri­tère chré­tien fon­da­men­tal qui doit être aujourd’­hui rap­pe­lé à nou­veau éner­gi­que­ment. La foi chré­tienne, dans la ligne du Sermon sur la mon­tagne, est et reste la défense des simples contre les pré­ten­tions éli­tistes des intel­lec­tuels. C’est ce qui mani­feste l’élé­ment tota­le­ment démo­cra­tique qui est à la racine du devoir magis­tère ecclé­sial : il a reçu le rôle de défendre la foi des simples contre le pou­voir des intel­lec­tuels. Son rôle est d’ex­pri­mer la voix des simples. » Cf. Cal Ratzinger, confé­rence du 15/​08/​1986 à la facul­té de théo­lo­gie Saint-​Michel de Toronto : « On peut dire qu’il y a une sorte de démo­cra­tie dans les ensei­gne­ments de l’Eglise : ils pro­clament et défendent la foi com­mune, éga­le­ment nor­ma­tive et vraie pour cha­cun. »[]
  14. Mysterium Ecclesiae, n° 2 : « Le Peuple de Dieu enfin, pour gar­der dans l’u­ni­té du corps du Seigneur l’u­ni­té d’une même foi a spé­cia­le­ment besoin de l’in­ter­ven­tion et du secours du Magistère lorsque des divi­sions naissent ou se répandent au sujet de la doc­trine qu’il faut croire ou tenir. »[]
  15. Cf. par exemple, car­di­nal Ratzinger pré­sen­ta­tion de la Lettre apos­to­lique Ordinatio sacer­do­ta­lis, DC 1994 n°2097, p. 613 : « L’Ecriture ne peut deve­nir le fon­de­ment d’une vie que si elle est confiée à un sujet vivant – celui-​là même dont elle est née. Elle a eu son ori­gine dans le Peuple de Dieu gui­dé par l’Esprit Saint et ce Peuple, ce sujet, n’a ces­sé de sub­sis­ter. […] Selon la vision de Vatican II, l’Ecriture, la Tradition et le magis­tère ne doivent pas être consi­dé­rés comme trois réa­li­tés sépa­rées, mais l’Ecriture, lue à la lumière de la Tradition et vécue dans la foi de l’Eglise, s’ouvre, dans ce contexte vital, dans sa pleine signi­fi­ca­tion. Le magis­tère a pour tâche de confir­mer cette inter­pré­ta­tion de l’Ecriture ren­due pos­sible par l’é­coute de la Tradition dans la foi ».[]
  16. Benoît XVI, La lumière du monde, édi­tion fran­çaise Bayard, 2010, page 115.[]
  17. Cf. Pie XII, Humani gene­ris du 12/​08/​1950 : « Le pro­pos de cer­tains est d’af­fai­blir le plus pos­sible la signi­fi­ca­tion des dogmes et de libé­rer le dogme de la for­mu­la­tion en usage dans l’Eglise depuis si long­temps et des notions phi­lo­so­phiques en vigueur chez les Docteurs catho­liques […] Que cela puisse et doive même être fait ain­si, de plus auda­cieux l’af­firment pour la bonne rai­son, disent-​ils, que les mys­tères de la foi ne peuvent pas être signi­fiés par des notions adé­qua­te­ment vraies, mais par des notions, selon eux, approxi­ma­tives et tou­jours chan­geables, par les­quelles la véri­té est indi­quée sans doute jus­qu’à un cer­tain point, mais fata­le­ment défor­mée. C’est pour­quoi ils ne croient pas absurde, mais abso­lu­ment néces­saire que la théo­lo­gie qui a uti­li­sé au cours des siècles dif­fé­rentes phi­lo­so­phies comme ses ins­tru­ments propres sub­sti­tue aux notions anciennes des notions nou­velles, de telle sorte que, sous des modes divers et sou­vent oppo­sés, et pour­tant pré­sen­tés par eux comme équi­va­lents, elle nous exprime les véri­tés divines, sous le mode qui sied à des êtres humains. Ils ajoutent que l’his­toire des dogmes consiste à expri­mer les formes variées qu’a revê­tues la véri­té suc­ces­si­ve­ment selon les diverses doc­trines et selon les sys­tèmes qui ont vu le jour tout au long des siècles. Or, il res­sort, avec évi­dence, de ce que nous avons dit, que tant d’ef­forts non seule­ment conduisent à ce qu’on appelle le rela­ti­visme dog­ma­tique, mais le com­portent déjà en fait : le mépris de la doc­trine com­mu­né­ment ensei­gnée et le mépris des termes par les­quels on le signi­fie le favo­risent déjà trop. […] Voilà pour­quoi négli­ger, reje­ter ou pri­ver de leur valeur tant de biens pré­cieux qui au cours d’un tra­vail plu­sieurs fois sécu­laire des hommes d’un génie et d’une sain­te­té peu com­mune, sous la garde du magis­tère sacré et la conduite lumi­neuse de l’Esprit-​Saint, ont conçus, expri­més et per­fec­tion­nés en vue d’une pré­sen­ta­tion de plus en plus exacte des véri­tés de la foi, et leur sub­sti­tuer des notions conjec­tu­rales et les expres­sions flot­tantes et vagues d’une phi­lo­so­phie nou­velle appe­lées à une exis­tence éphé­mère, comme la fleur des champs, ce n’est pas seule­ment pécher par impru­dence grave, mais c’est faire du dogme lui-​même quelque chose comme un roseau agi­té par le vent. Le mépris des mots et des notions dont ont cou­tume de se ser­vir les théo­lo­giens sco­las­tiques conduit très vite à éner­ver la théo­lo­gie qu’ils appellent spé­cu­la­tive et tiennent pour dénuée de toute véri­table cer­ti­tude, sous pré­texte qu’elle s’ap­puie sur la rai­son théo­lo­gique. »[]
  18. Cf. car­di­nal Ratzinger, pré­sen­ta­tion de l’Instruction Donum veri­ta­tis.[]
  19. Vatican I, Constitution Dei Filius, DzH 3020.[]
  20. Saint Pie X, Serment anti­mo­der­niste, DzH 3541.[]
  21. Saint Pie X, Encyclique Pascendi Dominici gre­gis du 08/​09/​1907.[]
  22. Saint Pie X, Encyclique Pascendi Dominici gre­gis du 08/​09/​1907, n° 8 : « Là ne se borne pas leur phi­lo­so­phie, ou, pour mieux dire, leurs diva­ga­tions. Dans ce sen­ti­ment ils trouvent donc la foi ; mais aus­si, avec la foi et dans la foi, la révé­la­tion. Et pour la révé­la­tion, en effet, que veut-​on de plus ? Ce sen­ti­ment qui appa­raît dans la conscience, et Dieu qui, dans ce sen­ti­ment, quoique confu­sé­ment encore, se mani­feste à l’âme, n’est-​ce point là une révé­la­tion, ou tout au moins un com­men­ce­ment de révé­la­tion ? Même si l’on y regarde bien, du moment que Dieu est tout ensemble cause et objet de la foi, dans la foi on trouve donc la révé­la­tion, et comme venant de Dieu et comme por­tant sur Dieu, c’est-​à-​dire que Dieu y est dans le même temps révé­la­teur et révé­lé. »[]
  23. Paul VI, Encyclique Ecclesiam suam, § 30. On note­ra les der­niers mots de cette cita­tion : rendre plus mani­feste ce qui était encore par­tiel­le­ment impli­cite (« révé­ler tou­jours mieux ») tout en garan­tis­sant la véra­ci­té de ce qui est affir­mé (« trou­ver cer­ti­tude »), n’est-​ce point là les deux traits carac­té­ris­tiques du Magistère ? Les voi­ci désor­mais attri­bués à la conscience.[]
  24. Concile Vatican I, consti­tu­tion Pastor æter­nus, ch. 1, DzH 3054.[]
  25. Concile Vatican I, consti­tu­tion Pastor æter­nus, ch. 4, DzH 3074.[]
  26. Pie XII, Humani gene­ris ; cf. cita­tion plus haut, dans notre note 17.[]
  27. Cf. Abbé P. de La Rocque, Vatican II, voix de la conscience ecclé­siale, essai sur l’au­to­ri­té réelle de Vatican II, in actes du IVe sym­po­sium de Paris pour les 40 ans du Concile, hors série de Vu de Haut, 2005.[]
  28. Jean-​Paul II, lettre apos­to­lique Ordinatio sacer­do­ta­lis, n°4 ; lettre ency­clique Evangelium Vitæ, n°57, 62 et 65.[]
  29. Mgr Lefebvre, lettre du 29 août 1987 aux futurs évêques de la Fraternité Saint Pie X.[]
  30. Mgr Lefebvre, Le Coup de maître de Satan, édi­tions saint Gabriel 1977, p. 5–6.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.