Extraits de la Lettre du 20 juillet 1983 du cardinal Ratzinger [1] pour défendre la nouvelle messe. Lettre adressée à Mgr Lefebvre en réponse à sa propre lettre du 5 avril 1983. Sont joints les commentaires de Mgr Lefebvre et du Comité de Rédaction de la revue Fideliter
Introduction
Joseph Cardinal RATZINGER
Prefetto della Sacra Congregazione per la Dottrina della FedeI – 00120 CITTA DEL VATICANO
Le 20 juillet 1983Excellence,
Le Saint-Père a soigneusement médité devant Dieu votre lettre du 5 avril dernier, à la lumière de sa responsabilité de Pasteur Suprême de l’Eglise. Il m’a ensuite chargé de vous répondre en son nom. C’est de ce devoir que je m’acquitte dans la présente lettre.
I. – Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le Souverain Pontife a été déçu et attristé du brusque refus que vous opposez à son offre généreuse de vous ouvrir le chemin de la réconciliation.
En effet, vous accusez à nouveau les Livres liturgiques de l’Eglise, avec une sévérité qui surprend après les entretiens que nous avons eus. Comment pouvez-vous qualifier les textes du nouveau missel de « messe œcuménique » ? Vous savez bien que ce missel contient le vénérable Canon Romain ; que les autres Prières eucharistiques parlent d’une manière très nette du Sacrifice ; que la plus grande partie des textes provient des traditions liturgiques anciennes.
Commentaire n°1 : Le cardinal Ratzinger ignore-t-il que la liturgie romaine est célébrée presque partout en langue vernaculaire et que – comme le démontre le R.P. Calmel – le Canon Romain « traduit » est en réalité un Canon falsifié. – « Si par exemple l’on fait toujours monter la supplication vers le Père, ce Père n’est plus très clément, mais seulement infiniment bon ; on ne rappelle plus qu’il manifeste sa bonté infinie par le don suprême de sa clémence et de sa miséricorde : l’immolation pour nous de son propre Fils.
Ce Père n’a plus à être apaisé par le sacrifice de Notre-Seigneur : il suffit qu’il accepte notre offrande avec bienveillance. On ne lui demande plus de considérer d’un regard favorable une hostie de propitiation, sans tâche et immaculée, mais seulement de regarder notre offrande avec amour. Comme l’on pouvait le craindre, silence absolu sur l’éternité de la damnation. On prie sans doute encore pour les défunts, mais sans en appeler à l’indulgence du Père, comme sans faire allusion au rafraîchissement du Paradis après les flammes du Purgatoire.
La dévotion, exprimée formellement dans le texte latin, est changée en simple attachement, afin de voiler autant que possible la transcendance du Créateur et notre condition de créature. Pour en finir avec cette énumération, qui est loin d’être exhaustive, des arrangements et truquages devant lesquels n’ont pas reculé des novateurs sans scrupules ni piété, relevons cette omission insolente, odieuse, dans le récit de l’institution qui enchâsse les paroles consécratoires : le mot vénérable n’est plus employé pour qualifier les mains de notre Sauveur. Ces mains divines qui avant d’être clouées à la croix, ont rompu pour tous les rachetés le pain eucharistique et nous ont présenté à jamais le calice du salut, il ne sera plus dit qu’elles sont des mains infiniment dignes de vénération.
A quoi bon insister ? C’est par un véritable abus de confiance que les traducteurs se permettent d’appeler Canon Romain un formulaire de leur cru, qui n’est ni une traduction, ni même une paraphrase ; – c’est une formulaire différent qui, sans rendre la messe invalide, a été cependant – exactement combiné pour ne pas attirer l’attention sur l’essence de la Messe : sacrifice de propitiation pour nos péchés ; sacrifice identique à celui de la croix (le mode seul étant différent) et donc sacrifice satisfactoire, et qui n’est louange parfaite que parce qu’il est d’abord satisfaction infinie ; enfin sacrifice qui doit être offert avec toute la vénération, dévotion et humilité dont est capable une Eglise sainte mais composée de pécheurs toujours fragiles, toujours exposés à se perdre. Dans le Canon truqué il est visible qu’on a tenu à ne pas éveiller au cœur du prêtre ou du fidèle soit les sentiments de dévotion et d’humilité, soit les sentiments de foi, dans ce qui est constitutif de la Messe : sacrifice de propitiation au même titre que celui de la croix, ne différant que par la manière d’offrir. » (RP Calmel, Itinéraires, n°128, décembre 1968)
Le Cardinal Ratzinger prend un exemple
Pour ne citer qu’un exemple, vous savez qu’après l’oblation du pain et du vin, ce nouveau missel nous fait dire comme le précédent : « sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie…, Orate, fratres ut meum ac vestrum sacrificium… » […]
Commentaire n°2 : Le cardinal semble ici ignorer que le mot sacrifice comme tel et isolé ne suffit pas à préciser la théologie propre au catholicisme sur ce point. Le mot « Sacrifice » est utilisé par les protestants et par les néo-protestant que sont les modernistes, dans le sens d’une offrande d’action de grâces (« Sacrifice Eucharistique ») ou dans le sens d’une offrande de louanges (« sacrifice de louange »). La messe est bien telle en effet. Mais elle est aussi, d’après le Concile de Trente – et en cela elle se démarque absolument de la cène protestante – un sacrifice propitiatoire et satisfactoire sur les péchés (DS 1743). « Si quelqu’un dit que le sacrifice de la messe n’est qu’un sacrifice de louange et d’action de grâces, ou une simple commémoration du sacrifice accompli sur la croix, mais non un sacrifice propitiatoire, qu’il soit anathème ».
Ce caractère propitiatoire de la messe est surtout affirmé dans l’offertoire de la messe. Que l’on songe au Suscipe Sancte Pater qui affirme avec des expressions renouvelées que cette offrande est faite pour les péchés : pro innumerabilibus peccatis et offensionibus et negligentiis meis. Que l’on songe à l’admirable « Placeat Sancta Trinitas », lui aussi tombé sous les coups des novateurs, où la propitiation elle-même est affirmée. Tibi sit acceptabile, mihique et omnibus pro quibus illud obtuli sit, te miserante, propitiabile… Que l’on songe enfin à l’atmosphère de recueillement, de prière silencieuse, de supplication de l’ancien rite qui véhicule à tout moment ce désir des pécheurs que nous sommes de rentrer en grâce et en faveur devant la Majesté divine et qui se trouve remplacée par cette déclamation haute, distincte et ostentatoire du nouveau rite qui n’évoque sûrement pas la componction requise de celui qui offre un sacrifice pour ses fautes (NDLR).
Vous savez également que pour l’interprétation du missel, l’essentiel n’est pas ce que disent les auteurs privés, mais seulement les documents officiels du Saint-Siège. Les affirmations du P. Boyer et de Mgr Bugnini auxquelles vous faites allusion ne sont que des opinions privées.
Commentaire n°3 : On est stupéfait de voir comment le Cardinal méconnaît l’autorité de Mgr Bugnini, Président de la Commission pour la Liturgie, Secrétaire des Congrégations réunies du Culte et des Sacrements. Mgr Bugnini avait toute la confiance de Paul VI et a répondu maintes fois en son nom et au nom des Congrégations dont il était le Secrétaire. On peut se demander alors que vaut la Réforme liturgique, dont il est la cheville ouvrière, s’il s’agit d’une œuvre privée !
Quant au Rév. Père Boyer, son poste de secrétaire du Secrétariat de l’unité des chrétiens et son autorité morale incontestée à Rome, donnent à son jugement sur l’œcuménisme et à ses citations du Saint Père une valeur indéniable.
Que signifie la présence de protestants à la Commission de la Liturgie lors de l’institution des Réformes ? (Mgr Lefebvre).
Le Cardinal Ratzinger affirme que la nouvelle messe est critiquable, mais pas rejetable
Avec le consentement du Saint-Père, je puis vous dire encore une fois que toute critique des livres liturgiques n’est pas a priori exclue, que même l’expression du désir d’une nouvelle révision est possible, à la manière dont le mouvement liturgique antérieur au Concile a pu souhaiter et préparer la réforme. Mais ceci à condition que la critique n’empêche pas et ne détruise pas l’obéissance, et qu’elle ne mette pas en discussion la légitimité de la liturgie de l’Eglise.
Je vous demande donc avec insistance et au nom du Saint-Père d’examiner à nouveau vos affirmations en tout humilité devant le Seigneur et compte tenu de votre responsabilité d’Evêque, et de réviser celles qui sont inconciliables avec l’obéissance due au Successeur de saint Pierre.
Il n’est pas admissible que vous parliez d”« une messe équivoque, ambigüe, dont la doctrine catholique a été estompée », ni que vous déclariez votre intention de « détourner les prêtres et les fidèles de l’usage de ce nouvel « Ordo Missae ».
Commentaire n°4 : Au sujet de la nouvelle Messe, détruisons immédiatement cette idée absurde : si la messe nouvelle est valide, donc on peut y participer. L’Eglise a toujours défendu d’assister aux Messes des schismatiques et des hérétiques, même si elles sont valides.
Il est évident qu’on ne peut participer à des Messes sacrilèges, ni à des Messes qui mettent notre foi en danger.
Or il est aisé de démontrer que la Messe nouvelle telle qu’elle a été formulée par la Commission de Liturgie, avec toutes les autorisations données par le Concile d’une manière officielle, avec toutes les explications de Mgr Bunigni, manifeste un rapprochement inexplicable avec la théologie et le culte protestants.
N’apparaissent plus clairement et sont même contredits les dogmes fondamentaux de la Sainte Messe qui sont les suivants :
- le Prêtre est le seul ministre ;
- il y a un véritable sacrifice, une action sacrificale ;
- la Victime ou l’Hostie est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même présent sous les espèces du pain et du vin, avec son corps, son sang, son âme et sa divinité ;
- ce Sacrifice est propitiatoire ;
- le Sacrifice et le Sacrement se réalisent par les paroles de la Consécration et non par les paroles qui précèdent ou suivent.
Il suffit d’énumérer quelques-unes des nouveautés pour être convaincu du rapprochement avec le Protestantisme :
- l’autel transformé en table sans pierre d’autel ;
- la Messe face au peuple – concélébrée – en langue vernaculaire à voix haute ;
- la Messe a deux parties : la Liturgie de la Parole et celle de l’Eucharistie ;
- les ustensiles vulgarisés, le pain fermenté, la distribution de l’Eucharistie par des laïcs, dans les mains ;
- la Sainte réserve cachée dans les parois ;
- les lectures faites par des femmes ;
- la communion aux malades par des laïcs.
Il ne s’agit là que de nouveautés autorisées.
On peut donc, sans éxagération, aucune, dire que la plupart de ces Messes sont sacrilèges et qu’elles pervertissent toute la foi en la diminuant. La désacralisation est telle que cette Messe perd son caractère surnaturel, « son mystère de la foi » pour n’être plus qu’un acte de religion naturelle. Ces Messes nouvelles non seulement ne peuvent être l’objet d’une obligation pour le précepte dominical, mais on doit leur appliquer les règlement canoniques que l’Eglise a coutume d’appliquer à la « communio in sacris » avec les cultes orthodoxes schismatiques, et avec les cultes protestants.
Doit-on pour autant dire que toutes ces Messes sont invalides ? Dès lors que les conditions essentielles existent pour la validité, c’est-à-dire la matière, la forme, l’intention et le prêtre validement ordonné, on ne voit pas comment on pourrait l’affirmer. Les prières de l’Offertoire, du Canon, et de la Communion du Prêtre qui entourent la Consécration sont nécessaires à l’intégrité du Sacrifice et du Sacrement mais non à sa validité. Le Cardinal Mindzensty prononçant « à la sauvette » dans sa prison les paroles de la Consécration sur un peu de pain et de vin pour se nourrir du corps et du sang de Notre-Seigneur, sans être aperçu de ses gardiens, a certainement accompli le Sacrifice et le Sacrement. […]
Toutefois pour juger de la faute subjective de ceux qui célèbrent la nouvelle Messe et de ceux qui y assistent, nous devons appliquer les règles du discernment des esprits selon les directives de la théologie morale et pastorale. Nous devons toujours agir en médecins des âmes et non en justiciers et en bourreaux comme sont tentés de le faire ceux qui sont animés du zèle amer et non du vrai zèle. Que les jeunes prêtres s’inspirent des paroles de saint Pie X dans sa première encyclique ! (Mgr Lefebvre)
Le Cardinal Ratzinger accuse Mgr Lefebvre d’encourager la désobéissance, est-ce vraiment le cas ?
Vous apporteriez une véritable contribution à la pureté de la foi dans l’Eglise si vous vous limitiez à rappeler aux prêtres et aux fidèles qu’on doit renoncer à l’arbitraire, qu’il faut s’en tenir avec soin aux livres liturgiques de l’Eglise, qu’il faut interpréter et réaliser la liturgie selon la tradition de la foi catholique en accord avec les intentions des Papes. En fait, pour l’instant, vous n’encouragez malheureusement que la désobéissance. […]
La suite de la lettre traite du Concile Vatican II.
Commentaire n°5 : Le Cardinal reproche à Mgr Lefebvre d’encourager la désobéissance. Son objection pourrait se formuler ainsi : au supérieur il revient de commander et au sujet d’obéir. Une fois que Paul VI a promulgué le nouvel Ordo et que les évêques nous l’ont imposé, est-ce qu’on ne pèche pas par désobéissance en le refusant ?
Rappelons tout d’abord l’enseignement de l’Eglise sur l’obéissance. Elle est une vertu surnaturelle morale qui incline notre volonté à se soumettre à la volonté de Dieu ou à celle d’un Supérieur en le considérant comme l’intermédiaire de la volonté divine. Comme toutes les vertus morales, l’obéissance pour être vertueuse, doit être gouvernée par la prudence. Tandis que les vertus théologales ne peuvent être transgressées que par défaut, les vertus morales peuvent être transgressés par défaut ou par excès. D’où le proverbe bien connu : la vertu est dans un juste milieu. Ce juste milieu est indiqué par la prudence (surnaturelle). Il faut un ordre. Mais un ordre qui vienne d’un supérieur légitime ordonnant dans le domaine où il peut exercer son autorité. Ce droit de commander vient de Dieu : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en-haut ».
Dans ces conditions, si celui qui commande dépasse les limites de ses attributions, son pouvoir en ce point ne vient pas d’en-haut ; il n’existe pas d’ordre à proprement parler, mais un abus de pouvoir. Tout inférieur est tenu d’obéir à son supérieur en tout ce en quoi il lui est soumis ; c’est-à-dire en tout ce en quoi le supérieur a droit sur lui. L’obéissance inconditionnelle et en tout, on ne la doit qu’à Dieu seul.
L’obéissance aveugle n’enlève pas la responsabilité des sujets et ceux-ci auront à en rendre compte à Dieu.
En refusant le Nouvel Ordo Missae promulgué par le pape et imposé par les évêques nous ne désobéissons pas. Nous ne faisons que rappeler respectueusement les frontières que la Révélation impose aux autorités dans l’Eglise. (N.D.L.R.)
Source : Fideliter n°45
- Le pape Paul VI, promulgateur de la nouvelle messe, faisant cardinal Joseph Ratzinger le 27 juin 1977. Le même cardinal est élu pape en 2005 sous le nom de Benoît XVI[↩]