Le 11 Octobre 2017, s’adressant aux participants à la rencontre organisée par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, le pape François déclarait que la peine de mort était « inhumaine », qu’elle « blessait la dignité personnelle », qu’elle était même « contraire à l’Evangile ». Tous les philosophes, les théologiens et les papes qui ont soutenu la légitimité de la peine de mort, avant le souverain pontife actuel, ont-ils trahi l’Evangile ?
La peine de mort selon François.
1. « On doit affirmer avec force que la condamnation à la peine de mort est une mesure inhumaine, qui blesse la dignité personnelle, quel que soit son mode opératoire. En décidant volontairement de supprimer une vie humaine, toujours sacrée aux yeux du Créateur, et dont Dieu est en dernière analyse le véritable juge et le garant, elle est par elle-même contraire à l’Evangile » [1]. Ainsi s’est exprimé, tout dernièrement, le Pape François, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la publication du Nouveau Catéchisme. Cette réflexion n’est pas nouvelle. Le discours de ce mois d’octobre 2017 ne fait que reprendre, en les résumant, des idées déjà largement développées par le Souverain Pontife dans une Lettre de 2015 [2], laquelle renvoie à deux autres documents de 2014 [3].
2. François estime que son prédécesseur Jean-Paul II a déjà condamné la peine de mort dans la Lettre Encyclique Evangelium vitae (au n° 56) ainsi que dans le Catéchisme de l’Eglise catholique (au n° 2267) [4]. Lui-même englobe dans cette condamnation de la peine de mort celle de la peine de la réclusion à perpétuité, qui est selon lui « une peine de mort déguisée ». Voilà pourquoi le récent discours d’octobre 2017 n’entend pas promouvoir une révision du Nouveau Catéchisme de 1992. Si révision il y a, elle doit consister à faire avancer la doctrine pour pouvoir la conserver, et à « abandonner des prises de position liées à des arguments qui paraissent désormais réellement contraires à une nouvelle compréhension de la vérité ».
3. Le principal argument grâce auquel que le Pape voudrait justifier cette évolution de la conscience est que « la vie humaine est sacrée car dès son commencement, du premier instant de sa conception, elle est le fruit de l’action créatrice de Dieu et, à compter de ce moment, l’homme, l’unique créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, est l’objet d’un amour personnel de la part de Dieu. […] La vie, et surtout la vie humaine, n’appartient qu’à Dieu. Même celui qui tue ne perd pas sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en faut le garant ». De ce point de vue, la peine de mort apparaîtrait logiquement comme contraire au cinquième commandement.
La peine de mort selon la doctrine catholique traditionnelle [5]
4. Même dans les sociétés les plus chrétiennes, il a toujours été pourtant considéré comme juste que l’autorité politique punisse de mort certains crimes. Et les données de la révélation confirment sur ce point les données naturelles du sens commun. Lorsque le Décalogue défend de tuer [6] , il sous-entend : injustement. Car nous voyons bien que l’Ancien Testament prescrit à plusieurs reprises la peine de mort [7]. Sur ce point, le Nouveau Testament n’a pas aboli l’Ancien. Saint Paul, parlant de l’autorité politique, évoque le glaive, instrument de la peine de mort : « Ce n’est pas en vain qu’elle porte l’épée, étant ministre de Dieu, chargée de châtier celui qui fait le mal » [8] . Et dans la Cité de Dieu, saint Augustin a commenté ainsi ces passages de l’Ecriture : « La même autorité divine qui a dit : Tu ne tueras pas a établi certaines exceptions à la défense de tuer l’homme. Dieu ordonne alors, soit par loi générale, soit par précepte privé et temporaire, qu’on applique la peine de mort. Or, celui-là n’est pas vraiment homicide qui doit son ministère à l’autorité ; il n’est qu’un instrument, comme le glaive dont il frappe. Aussi n’ont-ils aucunement violé le Tu ne tueras pas ceux qui, sur l’ordre de Dieu, ont fait la guerre, ou qui, dans l’exercice de la puissance publique, ont, conformément aux lois divines, c’est à dire conformément à la décision de la plus juste des raisons, puni des criminels » [9].
5. Aussi le Pape Innocent III ne fait que défendre une vérité biblique et traditionnelle, lorsqu’il propose aux hérétiques qui veulent entrer dans l’Eglise une profession de foi portant, entre autres vérités, que « le pouvoir séculier peut, sans péché mortel, exercer le jugement du sang, pourvu qu’il châtie par justice et non par haine, avec sagesse et non avec précipitation » [10] . Léon X condamne pareillement la proposition de Luther, selon laquelle « brûler les hérétiques est contraire à la volonté du Saint Esprit » [11] . Léon XIII, lorsqu’il condamne le duel, reconnaît le droit de l’autorité publique à infliger la peine de mort [12] . Enfin, Pie XII déclare avec une précision extrêmement remarquable :
« Même quand il s’agit de l’exécution d’un condamné à mort, l’État ne dispose pas du droit de l’individu à la vie. Il est réservé alors au pouvoir public de priver le condamné du bien de la vie, en expiation de sa faute, après que, par son crime, il s’est déjà dépossédé de son droit à la vie »
Pie XII (1939–1958), Allocution au Congrès d’histopathologie, 13 septembre 1952, Les Enseignements Pontificaux par les moines de Solesmes, « Le corps humain », n° 375.
6. Saint Thomas [13] a pensé que l’on peut parfaitement légitimer la peine de mort, même en droit naturel, sans faire appel aux données de la révélation surnaturelle. Cette légitimation résulte de deux principes, absolument nécessaires l’un et l’autre. Le premier [14] est la nécessité du bien commun. De même que l’on peut, pour sauver le corps, amputer un membre putride qui menace l’ensemble, de même pourra-t-on, pour le bien de tous, amputer du corps social un de ses membres particuliers, lorsque celui-ci est un danger pour tous, ne serait-ce qu’en raison du genre de crimes que son exemple autorise, s’ils ne sont pas suffisamment châtiés. Il est vrai que, dans le corps social, ceux que l’on désigne analogiquement comme les « membres » de la société sont des personnes qui ont sur elles-mêmes et sur leur vie corporelle un droit antérieur à celui qu’a aussi la société. Elles ne font pas partie de la société qui est un tout d’ordre de la même manière que les membres font partie du corps, qui est un tout physique, car « l’homme ne fait pas partie de la communauté politique selon tout ce qu’il est » [15] . Ce bien qui est leur vie appartient, après Dieu, d’abord à elles et non pas d’abord à l’Etat. C’est pourquoi saint Thomas fait intervenir un autre principe [16] , selon lequel, par le crime, l’homme déchoit de sa dignité personnelle : « Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; c’est pourquoi il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il tombe ainsi dans la servitude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut disposer de lui selon qu’il est utile aux autres ». Il mérite donc un châtiment dans l’ordre même des biens dont il use mal. Il appartient dès lors non seulement à Dieu, mais à l’autorité humaine, de le priver non pas précisément du droit à la vie – car ce droit ne dépend pas de l’autorité et le criminel l’a déjà perdu en raison de son crime – mais du bien de la vie corporelle, sur laquelle il ne peut plus revendiquer son droit personnel. C’est exactement ce que dit Pie XII, en reprenant la réflexion de saint Thomas : « Il est réservé alors au pouvoir public de priver le condamné du bien de la vie, en expiation de sa faute, après que, par son crime, il s’est déjà dépossédé de son droit à la vie ».
7. La doctrine de l’Eglise, confirmée par les lumières de la raison théologique, établit ainsi ni plus ni moins que, en raison de la loi naturelle, l’autorité publique a le droit d’infliger la peine de mort. Cela ne signifie pas que la même loi naturelle exige que l’autorité exerce ce droit, encore moins qu’elle détermine des cas où cet exercice s’imposerait. Concrètement, la peine de mort sera toujours, dans le cadre d’une législation, une détermination du droit positif humain, de la loi civile, sujette par conséquent à modification, évolution, limitation. Il est donc possible et il ne serait pas illégitime de soutenir que ce genre de peine n’est pas opportun dans un contexte donné, voire d’en réclamer, sur le plan de la loi humaine civile, l’abolition. Mais il reste que l’autorité publique a toujours le droit de maintenir la peine de mort ou d’y revenir, si le besoin s’en fait sentir. Et si l’opportunité demande de ne pas l’exercer, il appartient à la même autorité de l’apprécier. Ceux qui font valoir leurs arguments en faveur de la suppression de la peine de mort ont habituellement le tort de vouloir prouver que celle-ci est contraire au droit naturel, ou du moins, quand ils n’ont pas une idée très nette de ce droit (ce qui est fréquent) à ce qu’ils appellent la dignité de la personne humaine ou la valeur inconditionnelle de la vie. Ces arguments ne sont pas les bons. La peine de mort est conforme au droit naturel. Autre est la détermination positive de ce droit qui a lieu avec la loi civile. S’il n’est pas illégitime de réclamer l’abolition de la peine de mort, il serait faux et condamnable de le faire au non du droit naturel lui-même. Ou au nom de l’Evangile et de la charité, qui ne peuvent renier ce droit naturel.
Que penser de la vision de François ?
8. Il est clair qu’elle ne peut pas s’autoriser des enseignements de Jean-Paul II. Celui-ci en effet distingue entre la légitimité de principe de la peine de mort et l’opportunité de son exercice, dans le contexte des sociétés modernes. Le n° 56 de Evangelium vitae dit précisément : « Il est clair que la mesure et la qualité de la peine doivent être attentivement évaluées et déterminées ; elles ne doivent pas conduire à la mesure extrême de la suppression du coupable, si ce n’est en cas de nécessité absolue, lorsque la défense de la société ne peut être possible autrement. Aujourd’hui, cependant, à la suite d’une organisation toujours plus efficiente de l’institution pénale, ces cas sont désormais assez rares, si non même pratiquement inexistants ». Quant au n° 2267 du Nouveau Catéchisme (d’ailleurs cité par Evangelium vitae) il dit ni plus ni moins que « si les moyens non sanglants suffisent à défendre les vies humaines contre l’agresseur et à protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ». Certes, nous n’irions pas jusqu’à dire que cet enseignement de Jean-Paul II se fait l’écho, d’une manière totalement satisfaisante, de la Tradition de l’Eglise. D’une part en effet, l’écho est quand même affaibli, car la distinction entre la légitimité de principe et l’opportunité de l’exercice, si elle est présente, demeure seulement implicite et Jean-Paul II ne rappelle plus que la peine de mort tire sa légitimité du droit naturel, en raison du double principe indiqué par saint Thomas d’Aquin. D’autre part, il semble un peu naïf ou irénique – en tout cas peu crédible – de vouloir justifier l’abolition de la peine de mort en faisant valoir l’adoucissement des mœurs dans les sociétés modernes, en une époque où avortement, infanticide, terrorisme, traite humaine font la une de la presse, presque quotidiennement. Quant à l’argument des peines de substitution, il n’est pas universellement admis. Au surplus, on peut douter qu’il appartienne à l’Eglise de se prononcer d’une manière aussi explicite et catégorique, pour décider de l’opportunité de la peine de mort, sur le plan du droit positif et de la loi civile. On ne peut pas ne pas être frappé de la grande sobriété avec laquelle les Papes d’avant Vatican II ont abordé cette question, même à partir de l’époque moderne : ils se bornent le plus souvent à rappeler le principe de la légitimité de la peine de mort sur le plan du droit naturel, et pour le reste laissent le champ libre à la prudence des gouvernements civils. Voilà qui montre bien les limites et les faiblesses de la prédication de Jean-Paul II. Cependant, il faut bien reconnaître qu’il y a seulement là une insuffisance, qui, même s’il elle s’avère grave, et même si elle penche nettement (et indiscrètement) en faveur de l’abolition, ne va pas jusqu’à autoriser la remise en cause radicale entreprise par le Pape François.
9. Les principes rappelés par saint Thomas, et repris par Pie XII, manifestent aussi l’inanité de l’argument avancé par le Pape François pour juger inadmissible la peine de mort. Car si l’on fait état de la dignité inamissible de la personne ainsi que du caractère sacré et inviolable de la vie humaine, l’on oublie trop vite que, par le péché, l’homme perd sa dignité et son droit à la vie. « S’il est mauvais en soi », dit saint Thomas, « de tuer un homme qui garde sa dignité, ce peut être un bien que de mettre à mort un pécheur, absolument comme on abat une bête ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête et plus nuisible » [17] . Quant au caractère inviolable de la vie humaine, c’est oublier que, comme le rappelle Pie XII, par son crime, l’homme criminel s’est déjà « dépossédé de son droit à la vie ».
Que conclure ?
10. Premièrement, la vision du Pape actuel représente une impiété à l’égard de toute la Tradition de l’Eglise, accusée d’avoir odieusement trahi l’Evangile. Deuxièmement, elle méconnaît la gravité du péché, qui fait déchoir la personne de sa dignité humaine morale et mérite le châtiment proportionné. Troisièmement, elle néglige la primauté du bien commun de la société et de l’Eglise, bien pourtant meilleur que tous les biens particuliers. Quatrièmement, elle confond la légitimité de principe et l’opportunité de fait, et fait ainsi dépendre la valeur des choses de l’évolution de la conscience du peuple chrétien. Cinquièmement enfin, elle se démarque même de la ligne suivie jusqu’ici par ses prédécesseurs, depuis le concile Vatican II.
11. Enfin et surtout, pour les catholiques d’aujourd’hui, c’est malheureusement un scandale de plus, après la remise en cause de la morale du mariage et la réhabilitation de Luther.
Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : La Porte Latine du 3 novembre 2017
- François, Discours aux participants à la rencontre organisée par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, le mercredi 11 octobre 2017.[↩]
- François, Lettre au président de la Commission internationale contre la peine de mort, le 20 mars 2015 (DC n° 2519, p. 94–96).[↩]
- François, Lettre aux participants au XIXe Congrès de l’Association internationale de droit pénal et du IIIe Congrès de l’Association latino-américaine de droit pénal et de criminologie, le 30 mai 2014 et Discours à une délégation de l’Association Internationale de Droit Pénal, le jeudi 23 octobre 2014.[↩]
- Lettre du 23 octobre 2014.[↩]
- Michel-Marie Labourdette, Cours de théologie morale, « La justice », p. 100–105 (sur 2a2ae, question 64, article 2), Toulouse, 1960–1961 ; Charles Journet, L’Eglise du Verbe Incarné, t. I « La Hiérarchie apostolique », Desclée, 1955 (2e édition revue et augmentée), p. 356–358.[↩]
- Exode, XX, 13.[↩]
- Lévitique, XX, 2 ; XX, 9–10 ; XX, 27 ; XXIV, 16–17.[↩]
- Rm, XIII, 4.[↩]
- Saint Augustin, De la cité de Dieu, livre I, chapitre 21, Migne latin, t. XLI, col. 35.[↩]
- Innocent III (1198–1215), Lettre Ejus exemplo adressée à l’archevêque de Tarragone, du 18 décembre 1208, DS 795.[↩]
- Léon X (1510–1522), Bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520, DS 1483[↩]
- Léon XIII (1878–1903), Lettre Pastoralis officii aux évêques d’Allemagne et d’Autriche, du 12 septembre 1891, DS 3272. Le pape dit en effet que « les deux lois divines, aussi bien celle qui a été proclamée par la lumière de la raison naturelle que celle qui l’a été par les Ecriture composées sous l’inspiration divine, défendent formellement que personne, en dehors d’une cause publique, blesse ou tue un homme ».[↩]
- Somme théologique, 1a2ae, question 94, article 5, ad 2 ; question 100, article 8, ad 3 ; 2a2ae, question 64, article 2.[↩]
- 2a2ae, question 64, article 2, corpus.[↩]
- Somme théologique, 1a2ae, question 21, article 4, ad 3.[↩]
- 2a2ae, question 64, article 2, ad 3.[↩]
- 2a2ae, question 64, article 2, ad 3.[↩]