Catholiques traditionalistes ?

Traditionalistes : c’est ain­si que, sou­vent, on appelle les catho­liques qui s’op­posent aux nou­veau­tés doc­tri­nales impo­sées à l’Église, suite au der­nier concile.

Mais que veut dire cet adjec­tif ? Est-​il cor­rect d’ac­cep­ter ce titre ou faut-​il le reje­ter comme inutile et nous dire catho­liques, tout court ?

Pour répondre à cette ques­tion nous devons tout d’a­bord expli­quer le mot « Tradition », puisque – dans son sens obvie – « tra­di­tio­na­liste » signi­fie catho­lique qui se réfère à la Tradition de l’Église.

La Tradition antérieure à la Révélation

Qu’est donc la Tradition ? On peut la défi­nir comme « l’enseignement de Jésus-​Christ et des apôtres, fait de vive voix et trans­mis par l’Eglise jusqu’à nous sans alté­ra­tion. »[1] Jésus a prê­ché sa doc­trine, sans rien écrire de sa main. Les apôtres ont conti­nué son ensei­gne­ment et, quelques années seule­ment après l’Ascension de Notre-​Seigneur au Ciel, ils ont écrit les Évangiles [2], comme un résu­mé de leur prédication.

Il en résulte que la Tradition est une source de la Révélation qui pré­cède l’Écriture Sainte et qui en est à l’origine. Les écri­vains sacrés, en effet, ins­tru­ments humains, tout en étant ins­pi­rés par Dieu, puisent leurs connais­sances dans ce qu’il ont recueilli eux-​mêmes ou par les apôtres. Saint Luc com­mence ain­si son Évangile :

Puisque beau­coup ont entre­pris de com­po­ser un récit des évé­ne­ments qui se sont accom­plis par­mi nous, d’a­près ce que nous ont trans­mis ceux qui furent dès le début témoins ocu­laires et ser­vi­teurs de la Parole, j’ai déci­dé, moi aus­si, après m’être infor­mé exac­te­ment de tout depuis les ori­gines, d’en écrire pour toi l’ex­po­sé sui­vi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûre­té des ensei­gne­ments que tu as reçus.

Lc 1, 1–2

La Tradition est donc anté­rieure à la sainte Écriture et son champ est plus éten­du. Après sa résur­rec­tion, Jésus res­te­ra qua­rante jours avec ses apôtres, pour les entre­te­nir « du Royaume de Dieu. » (Actes I, 1–3.)

La mission

Saint Jean ter­mine son Évangile par des paroles très claires, qui nous montrent bien que les Évangiles ne sont qu’un résu­mé de la Révélation chrétienne :

Il y a encore bien d’autres choses qu’a faites Jésus. Si on les met­tait par écrit une à une, je pense que le monde lui-​même ne suf­fi­rait pas à conte­nir les livres qu’on en écrirait.

Jn 21, 25.

La Tradition, source de la Révélation dis­tincte de l’Écriture Sainte, mérite la même foi qu’elle. Saint Paul nous l’indique bien quand il écrit aux Thessaloniciens :

Dès lors, frères, tenez bon, gar­dez fer­me­ment les tra­di­tions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre

2 Tess. 2,15

ou encore à Timothée :

Ce que tu as appris de moi sur l’at­tes­ta­tion de nom­breux témoins, confie-​le à des hommes sûrs, capables à leur tour d’en ins­truire d’autres.

2 Tim. 2, 2

Ces véri­tés ensei­gnées d’abord par la pré­di­ca­tion ont été trans­mises par l’Église dans les sym­boles de foi,[3] dans les défi­ni­tions des conciles, dans les actes des papes.

La Révélation nous est com­mu­ni­quée aus­si par les écrits des pre­miers écri­vains catho­liques (les pères apos­to­liques et les pre­miers théo­lo­giens) qui se font un écho de la foi de l’Église. Elle nous est ensei­gnée par la litur­gie (la loi de la prière est la loi de la foi) ain­si que par l’art chré­tien : les fresques et les graf­fi­tis qu’on retrouve dans les cata­combes, par exemple, mani­festent que les pre­miers chré­tiens avaient la même foi que nous, sur la sainte Eucharistie, la prière pour les défunts, la véné­ra­tion des mar­tyrs, la pri­mau­té de Pierre, etc.

La Tradition, critère de vérité

La fidé­li­té à l’enseignement de la Tradition a tou­jours été un cri­tère de véri­té, contre les erreurs et les héré­sies qui ont sur­gi tout au long des siècles.

Origène disait déjà au IIIe siècle :

Que les héré­tiques allèguent les écri­tures, nous ne devons pas ajou­ter foi à leurs paroles, ni nous écar­ter de la tra­di­tion pri­mi­tive de l’Église, ni croire autre chose que ce qui a été trans­mis par suc­ces­sion dans l’Église de Dieu.

Cité par Boulanger, Le Dogme catho­lique, p.17.

Le magis­tère de l’Église (le Pape, seul ou uni aux évêques en concile, et le magis­tère ordi­naire uni­ver­sel des évêques dis­per­sés) qui est infaillible – dans les condi­tions défi­nies par l’Eglise [4] – est l’interprète de la Tradition. C’est lui qui nous dit ce qui fait par­tie du dépôt révé­lé et qui nous le trans­met mais… il ne pour­ra jamais le chan­ger car, comme le dit le concile Vatican I :

Le Saint-​Esprit n’a pas été pro­mis aux suc­ces­seurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître sous sa révé­la­tion une nou­velle doc­trine, mais pour qu’a­vec son assis­tance ils gardent sain­te­ment et exposent fidè­le­ment la Révélation trans­mise par les apôtres, c’est-​à-​dire le dépôt de la foi.

4e ses­sion, 18 juillet 1870 : pre­mière consti­tu­tion dog­ma­tique Pastor aeter­nus.

Contre les pro­tes­tants, il est très impor­tant de rap­pe­ler cette doc­trine. Pour eux, seule l’Écriture Sainte compte, comme si, avant que les apôtres n’écrivissent le Nouveau Testament, il n’y avait pas de christianisme !

Ses carac­té­ris­tiques font de la Tradition l’interprète de la Sainte Écriture elle-​même, qui doit être lue à la lumière de l’enseignement constant de l’Église, sous peine de tom­ber dans des erreurs. Les pro­tes­tants – qui admettent le prin­cipe du libre exa­men – sombrent dans l’interprétation sub­jec­tive et sont divi­sés aujourd’hui en des mil­liers de sectes.

Fils de l’hérésie pro­tes­tante, dans son sub­jec­ti­visme, le moder­nisme affirme que les véri­tés de foi, les dogmes, ne sont que des for­mules des­ti­nées à tra­duire le sen­ti­ment reli­gieux qui est en nous. Puisque ce sen­ti­ment est quelque chose de chan­geant, qui dépend des cir­cons­tances et des époques, il est sou­mis à des trans­for­ma­tions. D’où il suit que les for­mules qui expriment ces sen­ti­ments peuvent varier avec eux.

Ces erreurs se sont infil­trées aujourd’hui dans l’Église ; depuis le der­nier concile, elle s’est comme cou­pée de la racine de son ensei­gne­ment tra­di­tion­nel sur des points bien pré­cis tels que l’œcuménisme et la liber­té religieuse.

Une nouvelle conception du magistère

Ce bou­le­ver­se­ment s’est fait au nom d’une concep­tion nou­velle du « magis­tère vivant », selon laquelle l’Église peut ensei­gner aujourd’hui le contraire de ce qu’elle a ensei­gné pen­dant vingt siècles d’histoire et néan­moins être en conti­nui­té avec l’enseignement anté­rieur… parce que les temps ont chan­gé. Ainsi le concile Vatican II serait en conti­nui­té avec les autres [5], la nou­velle messe en conti­nui­té avec la messe tra­di­tion­nelle. [6]

Ce concept de magis­tère vivant s’inspire de la doc­trine moder­niste et il est contraire à la foi catho­lique. Pour cela Monseigneur Lefebvre n’a pas pu l’accepter et l’a com­bat­tu de toutes ses forces. Ce qui lui a valu la condam­na­tion de l’Église officielle.

Dans le motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta du 2 juillet 1988, on l’accuse d’avoir « une notion incom­plète et contra­dic­toire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suf­fi­sam­ment compte du carac­tère vivant de la Tradition. »

Tradition vivante signi­fie, pour le magis­tère post-​conciliaire, qu’on peut allè­gre­ment affir­mer des doc­trines condam­nées par le magis­tère pré­cé­dent (la liber­té reli­gieuse, en pleine contra­dic­tion avec l’Encyclique Quanta cura du pape Pie IX par exemple, ou le faux œcu­mé­nisme, condam­né « ante lit­te­ram » par l’encyclique Mortalium ani­mos de Pie XI) et pré­tendre en même temps à une conti­nui­té dans la pré­di­ca­tion de la foi.

Ceci n’est pas conforme au vrai concept de Tradition ni à la foi catho­lique qui n’est pas sujette aux cir­cons­tances de lieu ni de temps, mais immuable.

C’est aus­si une des rai­sons pour les­quelles on ne peut pas pré­tendre lut­ter pour la Tradition de l’Église … et se réfé­rer au motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta comme à un texte fondateur.

La fidé­li­té à la Tradition nous donne des cri­tères d’action dans la crise dans l’Église. Chaque fois qu’on constate une contra­dic­tion du magis­tère actuel avec l’enseignement constant de l’Église, on est en droit d’affirmer qu’il ne s’agit ni d’un ensei­gne­ment infaillible, ni d’un véri­table magis­tère car il est en rup­ture avec la Tradition. C’est ce qui fonde la légi­time résis­tance des catho­liques à l’autorité : l’attachement non pas à des idées per­son­nelles, mais à l’enseignement bimil­lé­naire de l’Église en matière de foi que per­sonne, pas même le Pape, ne pour­ra changer.

En conclu­sion, on ne peut pas être catho­lique si on n’est pas atta­ché de tout son être à la Tradition de l’Église. Elle exprime la foi de Notre-​Seigneur et des apôtres qui ne peut pas chan­ger. Un catho­lique est for­cé­ment un tra­di­tio­na­liste. Sinon il sépare la foi de la Tradition ce qui revient à affir­mer qu’elle varie avec l’époque : c’est le fond de la théo­rie moderniste.

Voici pour­quoi, même si le terme catho­lique implique déjà, de soi, une fidé­li­té à la Tradition, il n’est pas inutile, dans la confu­sion actuelle, d’utiliser cet adjec­tif, qui tra­duit notre combat.

Abbé Pierpaolo Maria Petrucci , prieur-​doyen de Nantes

Notes de bas de page
  1. Catéchisme St Pie X q. 235.[]
  2. Les évan­giles ont été com­po­sés à peine quelques années après la mort de Jésus : le Père O’Callaghan a iden­ti­fié en 1972 un frag­ment de l’Évangile de saint Marc (7 Q 5), décou­vert dans une grotte à Qumram et daté au plus tard de l’année 50.[]
  3. Les prin­ci­paux sont : celui des Apôtres que nous réci­tons au cha­pe­let, celui de Nicée et Constantinople qu’on récite le dimanche, celui de saint Athanase.[]
  4. Lettre Tuas liben­ter à l’ar­che­vêque de Munich-​Freising, 21 décembre 1863, DZ 2879 ; 3ème ses­sion, 1870 : consti­tu­tion dog­ma­tique Dei Filius sur la foi catho­lique, DZ 3011.[]
  5. Discours à la curie, 22 décembre 2006.[]
  6. Cf. Motu pro­prio Summorum Pontificum.[]