Saint François de Sales

Evêque et prince de Genève, Docteur de l’Église (1567- † 1622).
Nous avons récem­ment fêté les 400 ans de sa mort qui eut lieu le 28 décembre 1622.

Fête le 29 janvier.

Version courte

Saint François de Sales naquit au châ­teau de Sales, en Savoie, de parents plus recom­man­dables encore par leur pié­té que par la noblesse de leur sang. Nommer ce saint, c’est per­son­ni­fier la ver­tu de dou­ceur ; il fut le saint aimable par excel­lence et, sous ce rap­port par­ti­cu­liè­re­ment, le par­fait imi­ta­teur de Celui qui a dit : « Apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur. » Ce sera là tou­jours le cachet et la gloire de François de Sales.

Toutes les ver­tus, du reste, lui étaient chères, et sa vie, depuis son enfance, nous en montre le déve­lop­pe­ment pro­gres­sif, constant et com­plet. Jeune enfant, au col­lège, il était le modèle de ses condis­ciples, et dès qu’ils le voyaient arri­ver, ils disaient : « Soyons sages, voi­là le saint ! »

Jeune homme, il mena la vie des anges. Prêtre, il se mon­tra digne émule des plus grands apôtres, par ses tra­vaux et par les innom­brables conver­sions qu’il opé­ra par­mi les pro­tes­tants. Évêque, il fut le rem­part de la foi, le père de son peuple, le doc­teur de la pié­té chré­tienne, un Pontife incomparable.

Revenons à sa dou­ceur ; elle était si éton­nante que saint Vincent de Paul pou­vait dire : « Que Dieu doit être bon, puisque l’é­vêque de Genève, Son ministre est si bon ! » Un jour ses fami­liers s’in­di­gnaient des injures qu’un misé­rable lui adres­sait, et se plai­gnaient de le voir gar­der le silence : « Eh quoi ! dit-​il, voulez-​vous que je perde en un ins­tant le peu de dou­ceur que j’ai pu acqué­rir par vingt ans d’efforts ? »

« On disait com­mu­né­ment, écrit sainte Jeanne de Chantal, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen de gagner sa faveur que de lui faire du mal, et que c’é­tait la seule ven­geance qu’il sût exer­cer. » – « Il avait un cœur tout à fait inno­cent, dit la même sainte ; jamais il ne fit aucun acte par malice ou amer­tume de cœur. Jamais on n’a vu un cœur si doux, si humble, si débon­naire, si gra­cieux et si affable qu’é­tait le sien. »

Citons quelques paroles de François lui-​même : « Soyez, disait-​il, le plus doux que vous pour­rez, et souvenez-​vous que l’on prend plus de mouches avec une cuille­rée de miel qu’a­vec cent barils de vinaigre. S’il faut don­ner en quelque excès, que ce soit du côté de la dou­ceur. » – « Je le veux tant aimer, ce cher pro­chain, je le veux tant aimer ! Il a plu à Dieu de faire ain­si mon cœur ! Oh ! Quand est-​ce que nous serons tout détrem­pés en dou­ceur et en charité ! »

Saint François de Sales mou­rut à Lyon, le jour des saints Innocents.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

François de Sales naquit le 21 août 1667, au châ­teau de Sales, en Savoie. Il était le fils de M. de Boisy, mar­quis de Sales, et de Françoise de Sionnas. Consacré à Dieu, avant d’avoir vu le jour, par sa pieuse mère, il devait être la plus grande gloire de sa noble famille. Il fut bap­ti­sé le len­de­main de sa nais­sance, dans l’église parois­siale de Thorens, et reçut les noms de François-Bonaventure.

L’enfance.

Les pre­miers mots qu’il bal­bu­tia furent ceux-​ci : « Le bon Dieu et maman m’aiment bien. »

Son visage était gra­cieux, écrit le P. de La Rivière en 1624, ses yeux doux, son regard aimant et son petit main­tien si modeste, que rien de plus : il sem­blait un petit ange.

Son grand plai­sir était de por­ter quelque chose aux pauvres ou d’élever de petits autels à l’intérieur du château.

A sept ans, il com­men­ça ses études au col­lège de La Roche, et fut ensuite envoyé au col­lège d’Annecy. Sa pié­té et sa modes­tie impres­sion­naient vive­ment ses cama­rades. Dès qu’ils le voyaient arri­ver : « Soyons sages, disaient-​ils, voi­ci le Saint. » Si l’un d’eux se per­met­tait un men­songe ou quelque mau­vaise parole, François le priait si affec­tueu­se­ment de ces­ser que le cou­pable n’osait plus recom­men­cer. On crai­gnait d’ailleurs de lui faire de la peine, car on l’aimait : sa bon­té était si grande, qu’un jour il s’offrit à rece­voir le fouet à la place de son cou­sin, Gaspard de Sales.

A dix ans, il fît sa pre­mière Communion et reçut le sacre­ment de Confirmation, dans l’église des Dominicains d’Annecy. Il réso­lut dès lors de se consa­crer à Dieu dans l’état ecclé­sias­tique, et bien­tôt après, il deman­dait à son père la per­mis­sion d’aller rece­voir la ton­sure à Clermont-​en-​Genevois, où l’évêque fai­sait une ordi­na­tion. Il avoua lui-​même que le sacri­fice de sa belle che­ve­lure lui fut assez pénible. Il n’avait que onze ans.

Etudes à Paris. – Tentation.

Le jeune sei­gneur savoi­sien fut envoyé à Paris en 1580, pour y étu­dier la rhé­to­rique et la phi­lo­so­phie. Un sage pré­cep­teur prêtre, M. Déage, l’accompagnait. La grande ville ne put dis­si­per son âme : 

« Notre-​Seigneur, disait-​il, est mon maître dans la science des Saints ; je vais sou­vent à lui afin qu’il me l’apprenne, car je me sou­cie­rais fort peu d’être savant si je ne deve­nais saint. »

Il s’affilia avec bon­heur à la Congrégation de la Sainte Vierge, éta­blie au col­lège des Jésuites, dont il sui­vait les cours. La dévo­tion à la Reine du ciel était la grande force de son âme. Marie était la confi­dente de ses joies et de ses peines : 

« Ah ! qui pour­rait ne pas vous aimer, ma très chère Mère ? s’écriait-il sou­vent ; que je sois éter­nel­le­ment à vous, et qu’avec moi, toutes les créa­tures vivent et meurent pour votre amour. »

Les ten­ta­tions ne lui man­quèrent pas, mais, avec l’aide de Marie, François échap­pa à tous les pièges de l’ennemi infer­nal. Le démon essaya alors de le jeter dans le décou­ra­ge­ment et le déses­poir. La ten­ta­tion com­men­ça par la pen­sée que peut-​être il n’était pas en état de grâce ; puis, qu’il était écar­té pour tou­jours du nombre des élus. Ce fut une dou­lou­reuse ago­nie inté­rieure ; son corps même allait dépé­ris­sant. Dans ces mor­telles angoisses, François recou­rut à sa douce Consolatrice. Prosterné devant une image de Marie, dans l’église Saint-​Etienne-​des-​Grès, il dit à Dieu : « Ô mon Dieu, si je suis assez mal­heu­reux pour ne pou­voir vous aimer et vous hono­rer pen­dant l’éternité, je veux au moins vous ser­vir en ce monde et employer pour votre gloire tout le temps que vous me don­ne­rez à vivre. » Et après avoir réci­té le « Souvenez-​vous », il pro­non­ça le vœu de chas­te­té per­pé­tuelle. A l’instant, la paix ren­tra dans son âme [1].

Après six ans d’études à Paris, le jeune homme revint en Savoie et fut envoyé par son père à l’Université de Padoue, en Italie, pour y étu­dier la juris­pru­dence et la théo­lo­gie. Là encore, il fut vic­to­rieux des plus dan­ge­reuses ten­ta­tions ; étant tom­bé gra­ve­ment malade, il revint peu à peu à la san­té, à l’étonnement des méde­cins. Après de brillants exa­mens, il reçut le bon­net de doc­teur des mains de l’évêque de Padoue, et quit­ta cette ville savante, au milieu d’un concert una­nime de louanges et de béné­dic­tions. François fit ensuite le pèle­ri­nage de Rome et de Lorette.

A peine eut-​il flé­chi les genoux dans ce der­nier sanc­tuaire, qu’il se sen­tit embra­sé d’amour de Dieu comme s’il fût entré dans une four­naise. Il se confes­sa, com­mu­nia et renou­ve­la son vœu de chasteté.

Sacrifice du monde et ordination.

François de Sales ren­trait en Savoie à l’âge de vingt-​cinq ans. C’était le plus accom­pli des jeunes sei­gneurs de son temps. Justement fier d’un tel fils, M. de Boisy fon­dait sur lui les plus brillantes espé­rances. Il lui confé­ra la sei­gneu­rie de Villaroget, puis l’envoya à Chambéry subir les épreuves d’u­sage pour être reçu avo­cat au Sénat de Savoie. François fut reçu brillam­ment par l’assemblée réunie en séance solen­nelle. C’est en reve­nant à Annecy, dans la forêt de Sonnaz, que, son che­val s’étant abat­tu par trois fois, par trois fois aus­si le four­reau et l’épée de François for­mèrent sur le che­min une croix par­fai­te­ment régu­lière. Le jeune avo­cat y vit un signe du ciel et réso­lut de suivre son attrait pour l’état ecclé­sias­tique. Aussi, lorsque son père vou­lut le marier à la fille du sei­gneur de Veigy, qui, à une grande for­tune, joi­gnait les plus belles qua­li­tés de l’esprit et du cœur, François refusa-​t-​il avec habi­le­té et fermeté.

En vain, le mar­quis mul­ti­plia ses pro­po­si­tions et ses ins­tances, François res­ta inébran­lable dans sa réso­lu­tion. Il se jeta aux pieds de son père pour le conju­rer de ne plus contra­rier les des­seins de Dieu, et lui fît connaître son vœu de chasteté.

François entra donc dans l’état ecclé­sias­tique, fut nom­mé pré­vôt du Chapitre de Genève, et ordon­né prêtre à Annecy, le 18 décembre 1593. En lui impo­sant, les mains, le véné­rable évêque de Genève, Claude Granier, ne put rete­nir ses larmes ; il lui sem­blait voir à ses pieds un séra­phin plu­tôt qu’un homme. L’émotion gagna toute l’as­sistance, et la céré­mo­nie s’acheva au milieu des sanglots.

Peu de jours après, le nou­veau prêtre inau­gu­ra son minis­tère avec un zèle digne des apôtres. Il prê­chait sou­vent, avec une sim­pli­ci­té, une onc­tion, une doc­trine qui gagnaient les esprits et les cœurs. Il pas­sait une par­tie de ses jour­nées au confes­sion­nal, ne se las­sant jamais d’accueillir les pécheurs et les pauvres.

Mission du Chablais.

Le duché du Chablais et le lac Léman en 1682

Le Chablais, région de l’ancien duché de Savoie, est un mas­sif mon­ta­gneux qui s’élève sur la rive méri­dio­nale du lac de Genève.

En l’an 1536, les pro­tes­tants de Berne, pro­fi­tant de dis­sen­sions sur­ve­nues entre le duc de Savoie et le roi de France François Ier, l’envahirent tout à coup.

L’exercice du culte catho­lique y fut pros­crit ; les héré­tiques firent abattre les croix et les images, ven­dirent ou démo­lirent un grand nombre d’églises, ban­nirent les prêtres qui refu­sèrent d’apostasier, expul­sèrent les com­mu­nau­tés reli­gieuses, confis­quèrent leurs biens, et dans toutes les paroisses, rem­pla­cèrent les curés par des ministres pro­tes­tants. Cet état de choses dura près de soixante ans.

Pendant cet inter­valle, l’hérésie, par son cory­phée Calvin, put en liber­té exer­cer ses ravages : lorsqu’en 1593 le duc Charles-​Emmanuel put enfin chas­ser les Bernois, le catho­li­cisme avait presque tota­le­ment dis­pa­ru de la contrée. Les nou­velles géné­ra­tions, éle­vées dans l’er­reur, étaient très atta­chées à la secte des calvinistes.

Redevenu maître du Chablais, le duc de Savoie vou­lut y réta­blir la reli­gion catho­lique et deman­da des mis­sion­naires à l’évêque de Genève. C’était une œuvre dif­fi­cile s’il en fut ; il fal­lait chaque jour expo­ser sa vie aux fureurs des hérétiques.

François de Sales, jeune prêtre de vingt-​six ans, n’hésita pas à s’offrir. Mme de Boisy ver­sa beau­coup de larmes, mais esti­mant que son fils appar­te­nait à Dieu avant d’être à elle, cette femme vrai­ment chré­tienne ne dit pas un mot pour le détour­ner de son glo­rieux devoir. Le mar­quis de Sales fut moins héroïque :

J’avais, dira le saint évêque, le meilleur père du monde, mais qui avait pas­sé une grande par­tie de sa vie à la cour et à la guerre, dont il savait mieux les maximes que celles de la théologie.

Quand le bon M. de Boisy apprit la réso­lu­tion de son fils de par­tir pour la mis­sion périlleuse du Chablais, ce fut pour le pauvre père comme un coup de poi­gnard. Il se trou­vait à ce moment au châ­teau de Sales. Sans perdre un ins­tant, il fait sel­ler un che­val, et, oubliant ses soixante-​douze ans, court à Annecy, réso­lu à tout faire pour empê­cher ce qu’il appelle une folie.

Il essaye près de François les remon­trances les plus vives et les plus tou­chantes ; le pré­vôt, pro­fon­dé­ment ému, s’efforce de rele­ver le cou­rage de son père, l’exhorte dou­ce­ment au sacri­fice, mais demeure inébran­lable comme un roc.

Désolé, M. de Boisy entraîne son fils chez l’évêque.

– Monseigneur, s’écrie-t-il avec des san­glots, mais non sans esprit, j’ai per­mis à mon fils aîné, l’espoir de ma mai­son, l’appui de ma vieillesse, de se vouer à l’Eglise pour être confes­seur, mais je ne puis consen­tir à ce qu’il soit mar­tyr, et que vous l’envoyiez à la bou­che­rie, comme une vic­time, pour être déchi­ré par les loups.

L’évêque eût peut-​être cédé à ces sup­pli­ca­tions, si François, avec une éner­gie tout apos­to­lique, ne se fût écrié :

– Tenez ferme, Monseigneur ! Quoi ! vous vou­lez donc me rendre indigne du royaume de Dieu ? J’ai mis la main à la char­rue, voulez-​vous que je regarde en arrière par des consi­dé­ra­tions humaines ?

Saint François de Sales insul­té par des héré­tiques, image tirée d’un caté­chisme italien.

Stérilité des premiers efforts.

Le pré­vôt par­tit avec son cou­sin, le cha­noine Louis de Sales, le 14 sep­tembre 1594, fête de l’Exaltation de la sainte Croix, à pied, sans ser­vi­teurs, presque sans argent. En met­tant le pied sur le ter­ritoire du Chablais, ils saluèrent l’ange gar­dien de la pro­vince. Plus tard, aper­ce­vant, du haut de la for­te­resse des Allinges, toute la contrée avec ses églises et ses pres­by­tères en ruines, les gibets à la place des croix, des vil­lages brû­lés, des châ­teaux déman­te­lés, par­tout la déso­la­tion et le ravage, indices d’une ruine plus lamen­table encore, celle des âmes, François ne put rete­nir ses larmes.

Il allait chaque jour des Allinges à Thonon ; c’était là le siège de l’hérésie, la place forte qu’il fal­lait conqué­rir. Il allait aus­si dans les vil­lages et les cam­pagnes. Ni la pluie, ni la glace, ni la neige, ni les orages les plus ter­ribles ne pou­vaient l’arrêter. Parfois le ver­glas ren­dait les che­mins si impra­ti­cables qu’il devait s’aider des mains et des genoux, et les cre­vasses de ses talons et de ses doigts rou­gis­saient la neige de taches de sang. Une nuit, il fut sur­pris dans un bois par des loups cou­rant à tra­vers la neige. Pour leur échap­per, il dut se réfu­gier sur un arbre, et pour ne pas tom­ber durant son som­meil, il s’y atta­cha avec sa cein­ture. La nuit fut si froide que le len­de­main les pay­sans le trou­vèrent à demi mort.

Si les nuits étaient par­fois affreuses, le jour appor­tait au mis­sionnaire d’autres amertumes.

Ses ser­mons n’eurent d’autre effet appa­rent que de sou­le­ver contre lui les cla­meurs et la rage des adver­saires. Les ministres héré­tiques le pré­sen­tèrent à leurs core­li­gion­naires comme un séduc­teur hypo­crite, un sor­cier. D’autres, plus vio­lents, par­lèrent de chas­ser à coups de fouet ce papiste.

Aucun pro­tes­tant ne venait l’écouter. On lui fer­mait l’en­trée des mai­sons, on lui refu­sait même à man­ger, tant les pré­ven­tions étaient grandes contre lui.

Comment atteindre ceux qui ne venaient pas l’entendre ? Le Saint ima­gi­na de courts écrits des­ti­nés à expo­ser clai­re­ment la véri­té catho­lique qu’il glis­sait ensuite sous les portes, dis­tri­buait dans les rues, affi­chait sur les murs.

Enfin, on s’émut de si beaux exemples de dévoue­ment et d’intré­pide per­sé­vé­rance. Quelques-​uns eurent envie de connaître ce qu’un homme si entê­té pou­vait bien avoir à dire. Ils bra­vèrent la défense géné­rale de venir à ses pré­di­ca­tions et s’en retour­nèrent tou­chés de ce qu’ils avaient enten­du. Au ser­mon sui­vant, ils revinrent plus nom­breux, et ain­si de suite. Bref, ils se convertirent.

Il y eut alors grand émoi dans le camp pro­tes­tant. Les ministres, effrayés, s’assemblèrent et conclurent qu’il fal­lait à tout prix se débar­ras­ser du mis­sion­naire catholique.

Des assas­sins furent pos­tés sur la route des Allinges, avec ordre de le tuer à son pro­chain pas­sage. François reve­nait de Thonon à son heure accou­tu­mée, quand il vit deux bri­gands sor­tir d’une embus­cade et s’élancer vers lui l’épée nue. Roland, le fidèle ser­vi­teur que M. de Boisy avait envoyé pour veiller sur les jours de son fils, se jette entre lui et les meur­triers ; le Saint l’écarte, va droit à ses enne­mis, les dompte et les arrête par sa fière conte­nance, les apaise par la dou­ceur de ses paroles et finit par les faire tom­ber à ses pieds, repen­tants et vaincus.

Les pré­ven­tions tom­bèrent. On se mon­tra dis­po­sé à l’écouter, et il en vint à pou­voir prê­cher, mon­té sur une chaise, au milieu même du mar­ché de Thonon ; là, pen­dant deux heures de suite, il dévelop­pait les argu­ments de la foi catho­lique avec tant d’éloquence et d’in­térêt que le peuple ces­sait tout négoce pour l’écouter en silence. Chaque exhor­ta­tion était sui­vie de nou­velles conversions.

Saint François de Sales prêche aux Huguenots du Chablais.

Quand nous arri­vâmes, il n’y avait pas plus de quinze catho­liques dans le Chablais ; aujourd’hui, il n’y a pas plus de quinze calvinistes.

Le temps de la mois­son arri­va. L’évêque de Genève put enfin visi­ter, en pas­teur et en père, ces popu­la­tions si rebelles quatre ans aupa­ra­vant. Il y pré­si­da les solen­ni­tés des Quarante-​Heures, en 1598, et y don­na la confir­ma­tion à un grand nombre des conver­tis. Le saint mis­sion­naire pou­vait dire quelques années après : « Quand nous arri­vâmes, il n’y avait pas plus de quinze catho­liques dans le Chablais ; aujourd’hui, il n’y a pas plus de quinze calvinistes. »

Son zèle apos­to­lique, sa patience, son cou­rage et sa science avaient pu en quatre ans rame­ner à l’Eglise toute une province.

L’évêque et le docteur.

La reli­gion catho­lique réta­blie dans le Chablais, Mgr Granier envoya le mis­sion­naire à Rome pour y régler tout ce qui concer­nait cette région. Un autre mes­sa­ger l’accompagnait, por­teur d’une sup­plique secrète de l’évêque deman­dant au Pape de lui don­ner François de Sales pour coad­ju­teur. Il obtint satis­fac­tion, et François dut retour­ner à Rome pour y subir un exa­men théo­lo­gique, qui lui valut ces paroles du Souverain Pontife :

– Aucun de ceux que nous avons exa­mi­nés jusqu’à ce jour ne nous a satis­fait d’une façon aus­si complète.

Nommé coad­ju­teur en 1599 et deve­nu, en 1602, par suite de la mort de Claude Granier, évêque de Genève, François redou­bla de zèle dans ses tra­vaux apostoliques.

Impossible de racon­ter ici, même en abré­gé, ses œuvres innom­brables, soit comme direc­teur, soit comme pas­teur des âmes. Il par­courait fré­quem­ment son dio­cèse, fai­sant le caté­chisme, réfor­mant des monas­tères, prê­chant, rame­nant tou­jours quelques âmes éga­rées et fai­sant du bien à toutes. Il prê­cha un grand nombre de Carêmes : à Annecy, Thonon, Dijon, Chambéry, Grenoble, etc. Il alla même jusqu’à Paris, envoyé par le duc de Savoie pour rem­plir une mis­sion diplo­ma­tique auprès d’Henri IV. Là, comme ailleurs, il dut prê­cher, et l’on s’émerveilla que de la loin­taine Savoie il pût venir tant de finesse et tant de doc­trine. Il y connut Vincent de Paul, s’occupa de l’établissement des Carmélites en France, conquit, par son esprit sur­na­tu­rel et sa fran­chise, le roi Henri IV, qui vou­lut même le rete­nir à Paris, lui pro­met­tant une digni­té plus éle­vée. On pense si Monsieur de Genève refu­sa, avec esprit d’ailleurs, disant qu’il était marié à une pauvre dame, qui s’appelait l’Eglise de Genève et que pour rien au monde il ne vou­drait l’abandonner. Partout où il pas­sait, il lais­sait ain­si, tout natu­rel­le­ment, des mots ou des traits d’un charme exquis.

Dans sa rési­dence à Annecy il était tout au soin de ses ouailles. Tous, sur­tout les plus humbles, pou­vaient entrer chez lui et même abu­ser de son temps. C’était un homme déli­cieux : quelque chose d’ailleurs nous en est res­té. Qui ne connaît ses écrits, admi­rés par tous, rem­plis d’une pié­té si suave et d’une doc­trine si sûre, en par­ticulier son Introduction à la vie dévote et son Traité de l’amour de Dieu ? Il condui­sait cha­cun selon son état ; esti­mant que la vraie pié­té consiste, avant tout, à faire la volon­té de Dieu, en étant fidèle à tous les devoirs de son état ; et qu’ainsi il n’y a pas de condi­tion ni de voca­tion où l’on ne puisse et où l’on ne doive s’employer au ser­vice de Dieu.

La com­tesse de Ville-​Savin disait du saint évêque : « C’est de lui que j’ai appris à ser­vir Dieu à la franche gau­loise », c’est-à-dire avec sim­pli­ci­té, ron­deur et sans scrupule.

Sainte Jeanne de Chantal et la Visitation.

François prê­cha le Carême de l’année 1604 à Dijon. La baronne de Chantal, veuve depuis quelque temps, vint entendre l’é­minent pré­di­ca­teur. Elle connut, par une révé­la­tion divine, que c’était là le direc­teur qu’elle cher­chait ; et François de Sales vit aus­si qu’il avait trou­vé l’âme qui devait l’aider à réa­li­ser l’un de ses plus chers projets.

Quand cette âme forte et ardente se mit sous la conduite du saint évêque, l’éducation de ses quatre petits enfants la rete­nait encore dans le monde ; mais, lorsqu’elle eut ample­ment pour­vu à tous ses devoirs mater­nels, François lui dévoi­la les des­seins plus hauts que Dieu avait sur elle, et il l’établit pre­mière supé­rieure de la Visitation.

François de Sales son­geait depuis long­temps à éta­blir une Con­grégation de femmes, dont la vie, moins aus­tère que celle des autres cou­vents, per­met­trait d’y rece­voir les veuves, les filles âgées, et même les infirmes. Il vou­lut que les aus­té­ri­tés cor­po­relles fussent en par­tie rem­pla­cées par une obéis­sance si minu­tieuse, que la nature y eût tout à souf­frir et la grâce tout à gagner. De plus, sa pre­mière pen­sée avait été de ne pas éta­blir de clô­ture, d’envoyer les « Filles de Sainte-​Marie » visi­ter les malades. De là, le nom de Visitandines. Mais les obs­tacles appor­tés à ce des­sein parurent à François des indices suf­fisants de la volon­té de Dieu ; ses filles, tout en conser­vant leur nom de Visitandines, échan­gèrent donc l’œuvre de Marthe contre celle de Marie, et c’est ce qui lui fai­sait dire agréa­ble­ment : « On m’appelle fon­da­teur d’Ordre, et cepen­dant, j’ai fait ce que je n’ai pas vou­lu, et je n’ai pas fait ce que je voulais. »

Nous aurions tra­cé un por­trait bien incom­plet de saint François de Sales, si nous ne disions pas un mot de sa dou­ceur et de sa bon­té si connues ; pour­tant, il tenait de la nature un carac­tère vif et empor­té ; mais il sut si bien le sou­mettre au joug de l’humilité, qu’il devint le plus doux des hommes, ce qui fai­sait dire à saint Vincent de Paul : « Que Dieu doit être bon puisque Monsieur de Genève, son ministre, est si bon ! »

Sa mort.

Le 27 décembre 1622, François, qui reve­nait d’Avignon où il avait dû accom­pa­gner le duc de Savoie mal­gré le mau­vais état de sa san­té, fut frap­pé d’apoplexie à Lyon et il mou­rut le len­de­main. Il avait cinquante-​six ans. Suivant ses der­nières volon­tés, son corps fut trans­por­té à Annecy dans l’église de la Visitation (24 jan­vier 1628) ; on l’y vénère encore aujourd’hui. Son cœur fut don­né au pre­mier monas­tère de la Visitation de Lyon, place Bellecour, puis por­té à Venise, où il est encore dans le monas­tère qu’y fon­dèrent les Visi­tandines de Lyon, après la Révolution française.

L’évêque de Genève a été cano­ni­sé à Saint-​Pierre de Rome le 19 avril 1665 par Alexandre VII. Sa fête, d’abord fixée au 3 février, a été trans­fé­rée au 29 jan­vier et avec le rite double par Innocent XII le 28 novembre 1691. Pie IX l’a décla­ré Docteur de l’Eglise univer­selle le 10 novembre 1877.

A. G.

Sources consul­tées. – M. Hamon, Vie de saint François de Sales (nou­velle édi­tion, Paris, 1909). – Amédée de Margerie, Saint François de Sales (Collection Les Saints). – (V. S. B. P., n°s 48, 624 et 1091.)

Notes de bas de page

  1. La sta­tue devant laquelle le jeune Saint pria en cette cir­cons­tance se trouve aujourd’hui dans la cha­pelle des Sœurs de Saint-​Thomas de Villeneuve, à Neuilly-​sur-​Seine. On la vénère sous le vocable de « Notre-​Dame de Bonne-​Délivrance ».[]