Evêque et prince de Genève, Docteur de l’Église (1567- † 1622).
Nous avons récemment fêté les 400 ans de sa mort qui eut lieu le 28 décembre 1622.Fête le 29 janvier.
Version courte
Saint François de Sales naquit au château de Sales, en Savoie, de parents plus recommandables encore par leur piété que par la noblesse de leur sang. Nommer ce saint, c’est personnifier la vertu de douceur ; il fut le saint aimable par excellence et, sous ce rapport particulièrement, le parfait imitateur de Celui qui a dit : « Apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur. » Ce sera là toujours le cachet et la gloire de François de Sales.
Toutes les vertus, du reste, lui étaient chères, et sa vie, depuis son enfance, nous en montre le développement progressif, constant et complet. Jeune enfant, au collège, il était le modèle de ses condisciples, et dès qu’ils le voyaient arriver, ils disaient : « Soyons sages, voilà le saint ! »
Jeune homme, il mena la vie des anges. Prêtre, il se montra digne émule des plus grands apôtres, par ses travaux et par les innombrables conversions qu’il opéra parmi les protestants. Évêque, il fut le rempart de la foi, le père de son peuple, le docteur de la piété chrétienne, un Pontife incomparable.
Revenons à sa douceur ; elle était si étonnante que saint Vincent de Paul pouvait dire : « Que Dieu doit être bon, puisque l’évêque de Genève, Son ministre est si bon ! » Un jour ses familiers s’indignaient des injures qu’un misérable lui adressait, et se plaignaient de le voir garder le silence : « Eh quoi ! dit-il, voulez-vous que je perde en un instant le peu de douceur que j’ai pu acquérir par vingt ans d’efforts ? »
« On disait communément, écrit sainte Jeanne de Chantal, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen de gagner sa faveur que de lui faire du mal, et que c’était la seule vengeance qu’il sût exercer. » – « Il avait un cœur tout à fait innocent, dit la même sainte ; jamais il ne fit aucun acte par malice ou amertume de cœur. Jamais on n’a vu un cœur si doux, si humble, si débonnaire, si gracieux et si affable qu’était le sien. »
Citons quelques paroles de François lui-même : « Soyez, disait-il, le plus doux que vous pourrez, et souvenez-vous que l’on prend plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec cent barils de vinaigre. S’il faut donner en quelque excès, que ce soit du côté de la douceur. » – « Je le veux tant aimer, ce cher prochain, je le veux tant aimer ! Il a plu à Dieu de faire ainsi mon cœur ! Oh ! Quand est-ce que nous serons tout détrempés en douceur et en charité ! »
Saint François de Sales mourut à Lyon, le jour des saints Innocents.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
François de Sales naquit le 21 août 1667, au château de Sales, en Savoie. Il était le fils de M. de Boisy, marquis de Sales, et de Françoise de Sionnas. Consacré à Dieu, avant d’avoir vu le jour, par sa pieuse mère, il devait être la plus grande gloire de sa noble famille. Il fut baptisé le lendemain de sa naissance, dans l’église paroissiale de Thorens, et reçut les noms de François-Bonaventure.
L’enfance.
Les premiers mots qu’il balbutia furent ceux-ci : « Le bon Dieu et maman m’aiment bien. »
Son visage était gracieux, écrit le P. de La Rivière en 1624, ses yeux doux, son regard aimant et son petit maintien si modeste, que rien de plus : il semblait un petit ange.
Son grand plaisir était de porter quelque chose aux pauvres ou d’élever de petits autels à l’intérieur du château.
A sept ans, il commença ses études au collège de La Roche, et fut ensuite envoyé au collège d’Annecy. Sa piété et sa modestie impressionnaient vivement ses camarades. Dès qu’ils le voyaient arriver : « Soyons sages, disaient-ils, voici le Saint. » Si l’un d’eux se permettait un mensonge ou quelque mauvaise parole, François le priait si affectueusement de cesser que le coupable n’osait plus recommencer. On craignait d’ailleurs de lui faire de la peine, car on l’aimait : sa bonté était si grande, qu’un jour il s’offrit à recevoir le fouet à la place de son cousin, Gaspard de Sales.
A dix ans, il fît sa première Communion et reçut le sacrement de Confirmation, dans l’église des Dominicains d’Annecy. Il résolut dès lors de se consacrer à Dieu dans l’état ecclésiastique, et bientôt après, il demandait à son père la permission d’aller recevoir la tonsure à Clermont-en-Genevois, où l’évêque faisait une ordination. Il avoua lui-même que le sacrifice de sa belle chevelure lui fut assez pénible. Il n’avait que onze ans.
Etudes à Paris. – Tentation.
Le jeune seigneur savoisien fut envoyé à Paris en 1580, pour y étudier la rhétorique et la philosophie. Un sage précepteur prêtre, M. Déage, l’accompagnait. La grande ville ne put dissiper son âme :
« Notre-Seigneur, disait-il, est mon maître dans la science des Saints ; je vais souvent à lui afin qu’il me l’apprenne, car je me soucierais fort peu d’être savant si je ne devenais saint. »
Il s’affilia avec bonheur à la Congrégation de la Sainte Vierge, établie au collège des Jésuites, dont il suivait les cours. La dévotion à la Reine du ciel était la grande force de son âme. Marie était la confidente de ses joies et de ses peines :
« Ah ! qui pourrait ne pas vous aimer, ma très chère Mère ? s’écriait-il souvent ; que je sois éternellement à vous, et qu’avec moi, toutes les créatures vivent et meurent pour votre amour. »
Les tentations ne lui manquèrent pas, mais, avec l’aide de Marie, François échappa à tous les pièges de l’ennemi infernal. Le démon essaya alors de le jeter dans le découragement et le désespoir. La tentation commença par la pensée que peut-être il n’était pas en état de grâce ; puis, qu’il était écarté pour toujours du nombre des élus. Ce fut une douloureuse agonie intérieure ; son corps même allait dépérissant. Dans ces mortelles angoisses, François recourut à sa douce Consolatrice. Prosterné devant une image de Marie, dans l’église Saint-Etienne-des-Grès, il dit à Dieu : « Ô mon Dieu, si je suis assez malheureux pour ne pouvoir vous aimer et vous honorer pendant l’éternité, je veux au moins vous servir en ce monde et employer pour votre gloire tout le temps que vous me donnerez à vivre. » Et après avoir récité le « Souvenez-vous », il prononça le vœu de chasteté perpétuelle. A l’instant, la paix rentra dans son âme [1].
Après six ans d’études à Paris, le jeune homme revint en Savoie et fut envoyé par son père à l’Université de Padoue, en Italie, pour y étudier la jurisprudence et la théologie. Là encore, il fut victorieux des plus dangereuses tentations ; étant tombé gravement malade, il revint peu à peu à la santé, à l’étonnement des médecins. Après de brillants examens, il reçut le bonnet de docteur des mains de l’évêque de Padoue, et quitta cette ville savante, au milieu d’un concert unanime de louanges et de bénédictions. François fit ensuite le pèlerinage de Rome et de Lorette.
A peine eut-il fléchi les genoux dans ce dernier sanctuaire, qu’il se sentit embrasé d’amour de Dieu comme s’il fût entré dans une fournaise. Il se confessa, communia et renouvela son vœu de chasteté.
Sacrifice du monde et ordination.
François de Sales rentrait en Savoie à l’âge de vingt-cinq ans. C’était le plus accompli des jeunes seigneurs de son temps. Justement fier d’un tel fils, M. de Boisy fondait sur lui les plus brillantes espérances. Il lui conféra la seigneurie de Villaroget, puis l’envoya à Chambéry subir les épreuves d’usage pour être reçu avocat au Sénat de Savoie. François fut reçu brillamment par l’assemblée réunie en séance solennelle. C’est en revenant à Annecy, dans la forêt de Sonnaz, que, son cheval s’étant abattu par trois fois, par trois fois aussi le fourreau et l’épée de François formèrent sur le chemin une croix parfaitement régulière. Le jeune avocat y vit un signe du ciel et résolut de suivre son attrait pour l’état ecclésiastique. Aussi, lorsque son père voulut le marier à la fille du seigneur de Veigy, qui, à une grande fortune, joignait les plus belles qualités de l’esprit et du cœur, François refusa-t-il avec habileté et fermeté.
En vain, le marquis multiplia ses propositions et ses instances, François resta inébranlable dans sa résolution. Il se jeta aux pieds de son père pour le conjurer de ne plus contrarier les desseins de Dieu, et lui fît connaître son vœu de chasteté.
François entra donc dans l’état ecclésiastique, fut nommé prévôt du Chapitre de Genève, et ordonné prêtre à Annecy, le 18 décembre 1593. En lui imposant, les mains, le vénérable évêque de Genève, Claude Granier, ne put retenir ses larmes ; il lui semblait voir à ses pieds un séraphin plutôt qu’un homme. L’émotion gagna toute l’assistance, et la cérémonie s’acheva au milieu des sanglots.
Peu de jours après, le nouveau prêtre inaugura son ministère avec un zèle digne des apôtres. Il prêchait souvent, avec une simplicité, une onction, une doctrine qui gagnaient les esprits et les cœurs. Il passait une partie de ses journées au confessionnal, ne se lassant jamais d’accueillir les pécheurs et les pauvres.
Mission du Chablais.
Le Chablais, région de l’ancien duché de Savoie, est un massif montagneux qui s’élève sur la rive méridionale du lac de Genève.
En l’an 1536, les protestants de Berne, profitant de dissensions survenues entre le duc de Savoie et le roi de France François Ier, l’envahirent tout à coup.
L’exercice du culte catholique y fut proscrit ; les hérétiques firent abattre les croix et les images, vendirent ou démolirent un grand nombre d’églises, bannirent les prêtres qui refusèrent d’apostasier, expulsèrent les communautés religieuses, confisquèrent leurs biens, et dans toutes les paroisses, remplacèrent les curés par des ministres protestants. Cet état de choses dura près de soixante ans.
Pendant cet intervalle, l’hérésie, par son coryphée Calvin, put en liberté exercer ses ravages : lorsqu’en 1593 le duc Charles-Emmanuel put enfin chasser les Bernois, le catholicisme avait presque totalement disparu de la contrée. Les nouvelles générations, élevées dans l’erreur, étaient très attachées à la secte des calvinistes.
Redevenu maître du Chablais, le duc de Savoie voulut y rétablir la religion catholique et demanda des missionnaires à l’évêque de Genève. C’était une œuvre difficile s’il en fut ; il fallait chaque jour exposer sa vie aux fureurs des hérétiques.
François de Sales, jeune prêtre de vingt-six ans, n’hésita pas à s’offrir. Mme de Boisy versa beaucoup de larmes, mais estimant que son fils appartenait à Dieu avant d’être à elle, cette femme vraiment chrétienne ne dit pas un mot pour le détourner de son glorieux devoir. Le marquis de Sales fut moins héroïque :
J’avais, dira le saint évêque, le meilleur père du monde, mais qui avait passé une grande partie de sa vie à la cour et à la guerre, dont il savait mieux les maximes que celles de la théologie.
Quand le bon M. de Boisy apprit la résolution de son fils de partir pour la mission périlleuse du Chablais, ce fut pour le pauvre père comme un coup de poignard. Il se trouvait à ce moment au château de Sales. Sans perdre un instant, il fait seller un cheval, et, oubliant ses soixante-douze ans, court à Annecy, résolu à tout faire pour empêcher ce qu’il appelle une folie.
Il essaye près de François les remontrances les plus vives et les plus touchantes ; le prévôt, profondément ému, s’efforce de relever le courage de son père, l’exhorte doucement au sacrifice, mais demeure inébranlable comme un roc.
Désolé, M. de Boisy entraîne son fils chez l’évêque.
– Monseigneur, s’écrie-t-il avec des sanglots, mais non sans esprit, j’ai permis à mon fils aîné, l’espoir de ma maison, l’appui de ma vieillesse, de se vouer à l’Eglise pour être confesseur, mais je ne puis consentir à ce qu’il soit martyr, et que vous l’envoyiez à la boucherie, comme une victime, pour être déchiré par les loups.
L’évêque eût peut-être cédé à ces supplications, si François, avec une énergie tout apostolique, ne se fût écrié :
– Tenez ferme, Monseigneur ! Quoi ! vous voulez donc me rendre indigne du royaume de Dieu ? J’ai mis la main à la charrue, voulez-vous que je regarde en arrière par des considérations humaines ?
Stérilité des premiers efforts.
Le prévôt partit avec son cousin, le chanoine Louis de Sales, le 14 septembre 1594, fête de l’Exaltation de la sainte Croix, à pied, sans serviteurs, presque sans argent. En mettant le pied sur le territoire du Chablais, ils saluèrent l’ange gardien de la province. Plus tard, apercevant, du haut de la forteresse des Allinges, toute la contrée avec ses églises et ses presbytères en ruines, les gibets à la place des croix, des villages brûlés, des châteaux démantelés, partout la désolation et le ravage, indices d’une ruine plus lamentable encore, celle des âmes, François ne put retenir ses larmes.
Il allait chaque jour des Allinges à Thonon ; c’était là le siège de l’hérésie, la place forte qu’il fallait conquérir. Il allait aussi dans les villages et les campagnes. Ni la pluie, ni la glace, ni la neige, ni les orages les plus terribles ne pouvaient l’arrêter. Parfois le verglas rendait les chemins si impraticables qu’il devait s’aider des mains et des genoux, et les crevasses de ses talons et de ses doigts rougissaient la neige de taches de sang. Une nuit, il fut surpris dans un bois par des loups courant à travers la neige. Pour leur échapper, il dut se réfugier sur un arbre, et pour ne pas tomber durant son sommeil, il s’y attacha avec sa ceinture. La nuit fut si froide que le lendemain les paysans le trouvèrent à demi mort.
Si les nuits étaient parfois affreuses, le jour apportait au missionnaire d’autres amertumes.
Ses sermons n’eurent d’autre effet apparent que de soulever contre lui les clameurs et la rage des adversaires. Les ministres hérétiques le présentèrent à leurs coreligionnaires comme un séducteur hypocrite, un sorcier. D’autres, plus violents, parlèrent de chasser à coups de fouet ce papiste.
Aucun protestant ne venait l’écouter. On lui fermait l’entrée des maisons, on lui refusait même à manger, tant les préventions étaient grandes contre lui.
Comment atteindre ceux qui ne venaient pas l’entendre ? Le Saint imagina de courts écrits destinés à exposer clairement la vérité catholique qu’il glissait ensuite sous les portes, distribuait dans les rues, affichait sur les murs.
Enfin, on s’émut de si beaux exemples de dévouement et d’intrépide persévérance. Quelques-uns eurent envie de connaître ce qu’un homme si entêté pouvait bien avoir à dire. Ils bravèrent la défense générale de venir à ses prédications et s’en retournèrent touchés de ce qu’ils avaient entendu. Au sermon suivant, ils revinrent plus nombreux, et ainsi de suite. Bref, ils se convertirent.
Il y eut alors grand émoi dans le camp protestant. Les ministres, effrayés, s’assemblèrent et conclurent qu’il fallait à tout prix se débarrasser du missionnaire catholique.
Des assassins furent postés sur la route des Allinges, avec ordre de le tuer à son prochain passage. François revenait de Thonon à son heure accoutumée, quand il vit deux brigands sortir d’une embuscade et s’élancer vers lui l’épée nue. Roland, le fidèle serviteur que M. de Boisy avait envoyé pour veiller sur les jours de son fils, se jette entre lui et les meurtriers ; le Saint l’écarte, va droit à ses ennemis, les dompte et les arrête par sa fière contenance, les apaise par la douceur de ses paroles et finit par les faire tomber à ses pieds, repentants et vaincus.
Les préventions tombèrent. On se montra disposé à l’écouter, et il en vint à pouvoir prêcher, monté sur une chaise, au milieu même du marché de Thonon ; là, pendant deux heures de suite, il développait les arguments de la foi catholique avec tant d’éloquence et d’intérêt que le peuple cessait tout négoce pour l’écouter en silence. Chaque exhortation était suivie de nouvelles conversions.
Le temps de la moisson arriva. L’évêque de Genève put enfin visiter, en pasteur et en père, ces populations si rebelles quatre ans auparavant. Il y présida les solennités des Quarante-Heures, en 1598, et y donna la confirmation à un grand nombre des convertis. Le saint missionnaire pouvait dire quelques années après : « Quand nous arrivâmes, il n’y avait pas plus de quinze catholiques dans le Chablais ; aujourd’hui, il n’y a pas plus de quinze calvinistes. »
Son zèle apostolique, sa patience, son courage et sa science avaient pu en quatre ans ramener à l’Eglise toute une province.
L’évêque et le docteur.
La religion catholique rétablie dans le Chablais, Mgr Granier envoya le missionnaire à Rome pour y régler tout ce qui concernait cette région. Un autre messager l’accompagnait, porteur d’une supplique secrète de l’évêque demandant au Pape de lui donner François de Sales pour coadjuteur. Il obtint satisfaction, et François dut retourner à Rome pour y subir un examen théologique, qui lui valut ces paroles du Souverain Pontife :
– Aucun de ceux que nous avons examinés jusqu’à ce jour ne nous a satisfait d’une façon aussi complète.
Nommé coadjuteur en 1599 et devenu, en 1602, par suite de la mort de Claude Granier, évêque de Genève, François redoubla de zèle dans ses travaux apostoliques.
Impossible de raconter ici, même en abrégé, ses œuvres innombrables, soit comme directeur, soit comme pasteur des âmes. Il parcourait fréquemment son diocèse, faisant le catéchisme, réformant des monastères, prêchant, ramenant toujours quelques âmes égarées et faisant du bien à toutes. Il prêcha un grand nombre de Carêmes : à Annecy, Thonon, Dijon, Chambéry, Grenoble, etc. Il alla même jusqu’à Paris, envoyé par le duc de Savoie pour remplir une mission diplomatique auprès d’Henri IV. Là, comme ailleurs, il dut prêcher, et l’on s’émerveilla que de la lointaine Savoie il pût venir tant de finesse et tant de doctrine. Il y connut Vincent de Paul, s’occupa de l’établissement des Carmélites en France, conquit, par son esprit surnaturel et sa franchise, le roi Henri IV, qui voulut même le retenir à Paris, lui promettant une dignité plus élevée. On pense si Monsieur de Genève refusa, avec esprit d’ailleurs, disant qu’il était marié à une pauvre dame, qui s’appelait l’Eglise de Genève et que pour rien au monde il ne voudrait l’abandonner. Partout où il passait, il laissait ainsi, tout naturellement, des mots ou des traits d’un charme exquis.
Dans sa résidence à Annecy il était tout au soin de ses ouailles. Tous, surtout les plus humbles, pouvaient entrer chez lui et même abuser de son temps. C’était un homme délicieux : quelque chose d’ailleurs nous en est resté. Qui ne connaît ses écrits, admirés par tous, remplis d’une piété si suave et d’une doctrine si sûre, en particulier son Introduction à la vie dévote et son Traité de l’amour de Dieu ? Il conduisait chacun selon son état ; estimant que la vraie piété consiste, avant tout, à faire la volonté de Dieu, en étant fidèle à tous les devoirs de son état ; et qu’ainsi il n’y a pas de condition ni de vocation où l’on ne puisse et où l’on ne doive s’employer au service de Dieu.
La comtesse de Ville-Savin disait du saint évêque : « C’est de lui que j’ai appris à servir Dieu à la franche gauloise », c’est-à-dire avec simplicité, rondeur et sans scrupule.
Sainte Jeanne de Chantal et la Visitation.
François prêcha le Carême de l’année 1604 à Dijon. La baronne de Chantal, veuve depuis quelque temps, vint entendre l’éminent prédicateur. Elle connut, par une révélation divine, que c’était là le directeur qu’elle cherchait ; et François de Sales vit aussi qu’il avait trouvé l’âme qui devait l’aider à réaliser l’un de ses plus chers projets.
Quand cette âme forte et ardente se mit sous la conduite du saint évêque, l’éducation de ses quatre petits enfants la retenait encore dans le monde ; mais, lorsqu’elle eut amplement pourvu à tous ses devoirs maternels, François lui dévoila les desseins plus hauts que Dieu avait sur elle, et il l’établit première supérieure de la Visitation.
François de Sales songeait depuis longtemps à établir une Congrégation de femmes, dont la vie, moins austère que celle des autres couvents, permettrait d’y recevoir les veuves, les filles âgées, et même les infirmes. Il voulut que les austérités corporelles fussent en partie remplacées par une obéissance si minutieuse, que la nature y eût tout à souffrir et la grâce tout à gagner. De plus, sa première pensée avait été de ne pas établir de clôture, d’envoyer les « Filles de Sainte-Marie » visiter les malades. De là, le nom de Visitandines. Mais les obstacles apportés à ce dessein parurent à François des indices suffisants de la volonté de Dieu ; ses filles, tout en conservant leur nom de Visitandines, échangèrent donc l’œuvre de Marthe contre celle de Marie, et c’est ce qui lui faisait dire agréablement : « On m’appelle fondateur d’Ordre, et cependant, j’ai fait ce que je n’ai pas voulu, et je n’ai pas fait ce que je voulais. »
Nous aurions tracé un portrait bien incomplet de saint François de Sales, si nous ne disions pas un mot de sa douceur et de sa bonté si connues ; pourtant, il tenait de la nature un caractère vif et emporté ; mais il sut si bien le soumettre au joug de l’humilité, qu’il devint le plus doux des hommes, ce qui faisait dire à saint Vincent de Paul : « Que Dieu doit être bon puisque Monsieur de Genève, son ministre, est si bon ! »
Sa mort.
Le 27 décembre 1622, François, qui revenait d’Avignon où il avait dû accompagner le duc de Savoie malgré le mauvais état de sa santé, fut frappé d’apoplexie à Lyon et il mourut le lendemain. Il avait cinquante-six ans. Suivant ses dernières volontés, son corps fut transporté à Annecy dans l’église de la Visitation (24 janvier 1628) ; on l’y vénère encore aujourd’hui. Son cœur fut donné au premier monastère de la Visitation de Lyon, place Bellecour, puis porté à Venise, où il est encore dans le monastère qu’y fondèrent les Visitandines de Lyon, après la Révolution française.
L’évêque de Genève a été canonisé à Saint-Pierre de Rome le 19 avril 1665 par Alexandre VII. Sa fête, d’abord fixée au 3 février, a été transférée au 29 janvier et avec le rite double par Innocent XII le 28 novembre 1691. Pie IX l’a déclaré Docteur de l’Eglise universelle le 10 novembre 1877.
A. G.
Sources consultées. – M. Hamon, Vie de saint François de Sales (nouvelle édition, Paris, 1909). – Amédée de Margerie, Saint François de Sales (Collection Les Saints). – (V. S. B. P., n°s 48, 624 et 1091.)
- La statue devant laquelle le jeune Saint pria en cette circonstance se trouve aujourd’hui dans la chapelle des Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve, à Neuilly-sur-Seine. On la vénère sous le vocable de « Notre-Dame de Bonne-Délivrance ».[↩]