Saint Grégoire II

Saint Grégoire II

Pape au VIIIe siècle. Il com­bat­tit l’hé­ré­sie ico­no­claste, envoya saint Boniface en mis­sion et empê­cha l’in­va­sion de Rome par les lombards.

Fête le 11 février.

Vie résumée

Grégoire II naquit à Rome, et joi­gnit une émi­nente sain­te­té à une pro­fonde connais­sance de l’Écriture sainte et de toutes les matières ecclé­sias­tiques. Il fut ordon­né sous-​diacre par le pape Serge 1er, qui l’aimait beau­coup. Son rare mérite le fit éle­ver aux places de sacel­laire et de biblio­thé­caire, qui étaient alors très consi­dé­rables. Il fut char­gé de plu­sieurs mis­sions impor­tantes, dont il s’acquitta avec une grande capa­ci­té. Il sui­vit à Constantinople le pape Constantin, et satis­fit à toutes les ques­tions des Grecs, par les réponses les plus solides. Après la mort de ce pape, il fut élu pour lui succéder.

Il signa­la son entrée au pon­ti­fi­cat par la dépo­si­tion de Jean VI, faux patriarche de Constantinople, qui favo­ri­sait l’hérésie des mono­thé­lites. Il fon­da deux monas­tères à Rome, et fit rebâ­tir celui du Mont-​Cassin, détruit par les Lombards. Il tra­vaillait sans relâche à extir­per toutes les erreurs qui cor­rom­paient la pure­té de la foi. Comme plu­sieurs peuples de la Germanie vivaient encore dans les impié­tés du paga­nisme, il leur envoya des mis­sion­naires zélés pour les ins­truire et les ame­ner à la connais­sance de la véri­té. Il sacra saint Corbinien et saint Boniface, évêques, l’un de Frisingen et l’autre de Mayence.

L’empereur Léon l’Isaurien ayant décla­ré une guerre sacri­lège aux saintes images, en 726, les évêques ortho­doxes d’Orient refu­sèrent d’obéir à ses édits, et s’adressèrent au pape Grégoire. Le saint pon­tife tâcha en vain de flé­chir le per­sé­cu­teur par ses larmes et ses prières. Il sut rete­nir dans le devoir les peuples d’Italie, qui vou­laient se révol­ter à cause des per­sé­cu­tions qu’éprouvaient les catho­liques. Il écri­vit en même temps aux évêques de s’opposer géné­reu­se­ment aux pro­grès de l’hérésie que l’empereur tâchait d’établir. Léon, aux yeux duquel l’attachement à la sainte doc­trine était un crime, don­na plu­sieurs fois des ordres pour faire assas­si­ner notre Saint ; et sans la vigi­lance des Romains et des Lombards, il aurait infailli­ble­ment péri.

Il mou­rut le 10 février 731, après avoir sié­gé 15 ans 8 mois et 23 jours. Le mar­ty­ro­loge romain en fait mémoire le 13 février.

Source : L’Année chré­tienne, La Vie d’un Saint pour chaque jour, Paris, 1846

Version longue (La Bonne Presse)

Le viie siècle avait assis­té – réa­li­té accom­plie désor­mais – à la chute défi­ni­tive du monde romain. De cette immen­si­té qui fait son­ger au déluge, sur­gis­sait, s’affermissait, s’étendait peu à peu, à l’aurore du siècle sui­vant, un conti­nent nou­veau que l’Eglise, – avec quelle ardeur et quel durable éclat ! – sut entraî­ner et enclore dans son orbite. En effet, la reli­gion chré­tienne, en une même loi et dans un com­mun culte, réunis­sait les restes de la nation latine et les peuples ger­mains. En face d’une telle union et d’une telle force gran­dis­sante, l’Orient arabe, dans le jeune épa­nouis­se­ment de sa puis­sance, aigui­sait son glaive contre l’Occident.

La Providence veillait. Elle veillait plus jalou­se­ment encore dans Rome et par Rome. Depuis près de cin­quante années, Rome n’était-elle pas deve­nue l’attrait, le point de mire uni­ver­sel ? Laissant les contrées les plus loin­taines et les plus soli­taires, vers elle s’en venaient d’Espagne, de Bretagne, de Gaule et d’Angleterre nombre de pèle­rins. Le désir qui les empor­tait hors de leurs foyers n’était ni la curio­si­té ni la convoi­tise humaine, mais l’unique pié­té envers le tom­beau de l’Apôtre et le dévoue­ment au Saint-​Siège. Certains d’entre eux n’étaient point retour­nés en leur terre natale ; ils avaient, en quelque sorte, pris droit de cité. La force morale de Papauté était plus que jamais rayon­nante depuis saint Serge, Jean VI et Jean VII, Sisinnius et Constantin.

Origine de saint Grégoire II. – Sa jeune activité avant son pontificat

Le vieux nom de Marcellus, qui était celui de son père, évoque la sou­ve­nance des temps de l’antiquité et donne à pen­ser qu’il descen­dait d’une race patri­cienne illustre. Certains rares auteurs, sans grands argu­ments d’ailleurs, s’in­gé­nient à le rat­ta­cher à la famille Savelli. Ce qui demeure incon­tes­table, c’est que, par la nais­sance, il était déjà célèbre avant d’en impo­ser bien­tôt par les dons de son esprit et de son cœur et par ses ver­tus d’honnêteté sans pareille, de sagesse et de force. Sa mère avait nom Honesta. Dès l’enfance – hon­neur pour des parents fort consi­dé­rés – il avait été, pour ain­si dire, adop­té, puis édu­qué, for­mé et gar­dé par le Palais apos­to­lique. Avant de deve­nir Pape lui-​même, il avait été, depuis la fleur de l’âge, à la rude autant que pieuse et savante école des Papes. Saint Serge, en per­sonne, l’avait ini­tié aux sciences sacrées et pro­fanes et ordon­né sous-​diacre ; non seule­ment il lui avait confié le soin des ora­toires et des cha­pelles pon­ti­fi­cales, mais encore il avait créé pour lui la charge de biblio­thé­caire de l’Eglise romaine.

Fervent, fidèle à ses devoirs et à ses fonc­tions, Grégoire était cité en exemple à tous quant à la pure­té rayon­nante de son être, à la mâle sûre­té de son juge­ment et de son savoir, à la belle conci­sion de ses argu­ments et de ses repar­ties. Ainsi la pourpre car­di­na­lice ne pouvait-​elle man­quer de venir rapi­de­ment peser à ses humbles épaules. Selon l’attestation d’Anastase et celle de Pagi dans son Bré­viaire, saint Serge la lui avait confé­rée, bien que Ciacconius, non moins péremp­toire, attri­bue cette ini­tia­tive au Pape Constantin.

Avec le Pape, à Byzance.

Le 5 octobre 710, Constantin s’était embar­qué, fai­sant voile vers Constantinople, à Porto. Quelques-​uns des per­son­nages les plus insignes de l’épiscopat, tels Nicet, évêque de Silva Candida, et Georges, évêque de Porto, ain­si que plu­sieurs car­di­naux et offi­ciers du palais, accom­pa­gnaient le Saint-​Père qui pre­nait édi­fi­ca­tion et un insigne plai­sir à s’entretenir avec ses com­pa­gnons de voyage ; Grégoire, sans y tendre et sans même y pen­ser, était le plus en vue de ceux-​ci, tant res­tent irré­sis­tibles l’exemple, le pres­tige et l’attrait de la per­fec­tion en toutes choses. On fit escale à Naples, on gagna la Sicile, peut-​être Messine, puis Reggio, Cortone et Gallipoli. A Otrante furent éta­blis les quar­tiers d’hiver, et, le prin­temps venu, le noble cor­tège, repre­nant son che­min, par­cou­rut les cotes de la Grèce, tou­cha l’île de Céos et, de là, Byzance. Partout les magis­trats avaient ordre d’accueillir le Pape avec hon­neur. De la capi­tale sor­tirent à sa ren­contre Tibère, fils de l’empereur, à la tête du Sénat, et le patriarche à la tête du clergé.

L’empereur Justinien Rhinomète se trou­vant à Nicée, le Pape et son escorte allèrent au-​devant de lui, et l’entrevue eut lieu à Nicomédie. Ce prince, cruel pour les chré­tiens, s’abîma en pro­tes­ta­tions de repen­tir et de ferme pro­pos. Grégoire, qui jouis­sait de plus en plus de la confiance du Saint-​Père, sus­ci­ta son admi­ra­tion par la lumière de ses vues et de ses rai­son­ne­ments. Admiration qui devait bien­tôt se pro­lon­ger et gran­dir au Concile de Constantinople in Trullo, où le futur suc­ces­seur de Pierre par­la avec une dou­ceur véhé­mente, en Docteur de l’Eglise. L’évêque de Rome et sa suite, à l’au­tomne de l’an 711, étaient de retour dans la Ville Eternelle.

Saint Grégoire II est élu Pape. – Restauration des murs de Rome. – Premiers heurts avec les Lombards.

Moins de cinq ans s’étalent écou­lés lorsque mou­rut Constantin (8 avril 715). Par l’accord le plus har­mo­nieux, comme aus­si le plus empres­sé, du cler­gé et du peuple, Grégoire II, le 19 mai sui­vant, troi­sième année du règne de l’empereur Anastase, fut éle­vé à l’auguste digni­té papale. Après la suc­ces­sion de sept Pontifes d’ori­gine grecque ou syrienne, il était le pre­mier des Romains qui mon­tât les degrés de la Chaire de saint Pierre.

L’un des pre­miers sou­cis de Grégoire II fut de res­tau­rer la muraille chan­ce­lante d’Aurélien. Souci qui s’imposait à sa grande sagesse réa­liste et pré­voyante. D’un mot, il s’agissait bel et bien de l’indépendance et de la sécu­ri­té du Siège apos­to­lique. Luitprand, roi des Lombards, ne venait-​il pas de se refu­ser à confir­mer la dona­tion des Alpes Cottiennes qu’avait faite, en lettres d’or, Aripert, l’un de ses pré­dé­ces­seurs, au Pape Jean VII ? Oubliait-​il donc que ce pré­sent n’était qu’une res­ti­tu­tion due en toute jus­tice ? Plein de pru­dence autant que de cha­ri­té, Grégoire avait réus­si, par ses envoyés, à ne pas irri­ter le sou­ve­rain, catho­lique d’ailleurs et cour­tois en ses pour­par­lers. Mais cela ne suf­fi­sait pas à garan­tir, pro­té­ger et épar­gner l’avenir. Des fours à chaux furent ouverts ; sans lar­der, l’on entre­prit de rele­ver les murs situés à la porte Saint-​Laurent. Des obs­tacles, œuvre des convul­sions de la nature, d’abord, puis de la rébel­lion des hommes, sur­girent, arrê­tant et rui­nant l’exé­cu­tion conçue. Le Tibre gros­sit en de telles pro­por­tions que la cité fut dan­ge­reu­se­ment inon­dée. L’immense affluence des dom­mages déso­la le Champ de Mars. Les eaux sub­mer­gèrent la porte Flaminienne ou porte Saint-​Valentin, se répan­dirent jusqu’aux alen­tours de la basi­lique de Saint-​Marc, éten­dirent leur ravage de la porte de Saint-​Pierre au pont Milvius et, dans la Via Grande, s’élevèrent à une fois et demi la hau­teur d’un homme. La lune, alors, parut comme dans un halo de sang jusqu’au milieu de la nuit. Le Pape, le cler­gé et le peuple mul­ti­plièrent vers le ciel leurs sup­pli­ca­tions, et, le hui­tième jour, le fléau se retirait.

Le calme des élé­ments reve­nu, on se voyait, d’un coup, dans l’im­possibilité de reprendre et de pour­suivre le labeur ini­tial. Les maté­riaux, naguère pré­pa­rés par Sisinnius, gisaient là, sans que l’on eût le loi­sir de les uti­li­ser. Plus forte, en effet, que les paci­fiques dési­rs de Grégoire II, la fré­né­tique ambi­tion des Lombards de Bénévent déchaî­nait un conflit armé. Ceux-​ci, à l’improviste, s’empa­raient de Cumes, pré­cieux point stra­té­gique qui fai­sait par­tie du patri­moine napo­li­tain. A Jean, duc de Naples, le Souverain Pon­tife deman­dait aide et secours. C’était vrai­ment la lutte pour la vie de l’Eglise dont les phases devaient s’amplifier, au spi­ri­tuel comme au tem­po­rel, sur des scènes infi­ni­ment variées, sou­vent téné­breuses et tra­giques, pen­dant ce magni­fique pon­ti­fi­cat. Cumes était arra­chée à ses agres­seurs, et, en récom­pense d’une si glo­rieuse libéra­tion, le duc Jean rece­vait du Pape Grégoire soixante-​dix livres d’or.

Saint Grégoire II et saint Boniface.

Le royaume des âmes fut, par excel­lence, celui de Grégoire II. Le soin de la cause de Dieu et de la véri­té ne lui lais­sa ni trêve ni repos. Une acti­vi­té de tous les moments mon­tra à quel fervent degré d’élévation ses yeux vigi­lants regar­daient le monde entier pour le pro­té­ger, pour le conso­ler. Sous son règne furent évan­gé­li­sées l’Angleterre où le schisme prit fin, et par elle, dans un de ses fils les plus magna­nimes, l’Allemagne, proie vivante de l’idolâtrie. Ce fils, né à Kirton dans la seconde moi­tié du viie siècle, s’appelait Winfried. De bonne heure il prit le nom de Boniface et se fit remar­quer par ses ver­tus. Malgré la résis­tance réité­rée de son père, il se décla­ra, sans faillir, déci­dé d’embrasser la vie mona­cale. Par la grâce divine, vain­queur enfin de tous les obs­tacles, il entra au monas­tère d’Exeter d’où, après trois ans d’existence exem­plaire, stu­dieuse et mor­ti­fiée, il fut envoyé à celui de Nutcell. Ordonné prêtre dans la tren­tième année de son âge, il dédia toutes ses forces au ser­vice de la parole.

Comme il était très en consi­dé­ra­tion chez les évêques de la pro­vince, ceux-​ci avaient recours à ses lumières et à son conseil dans les affaires de haute impor­tance. Boniface, lui, n’ayant d’autre et saint désir que celui d’éclairer, d’enseigner les peuples plon­gés dans les ténèbres et l’ombre de mort, obtint de son Abbé, en 716, licence de s’acheminer vers la Frise.

Arrivé à Utrecht, qui en était la capi­tale, il se pré­sen­ta au roi pour requé­rir la liber­té d’exercer son minis­tère, mais, sur un refus sans appel, il fut contraint de rega­gner son couvent. Le Père Abbé étant mort peu après son retour, les voix una­nimes dési­gnèrent Boniface comme son suc­ces­seur. L’humble reli­gieux, tout ému, rési­gna cet hon­neur entre les mains consen­tantes de l’évêque de Winchester. Libéré d’un tel far­deau, enva­hi plus que jamais du zèle conqué­rant d’un apôtre, il sen­tit logi­que­ment naître en lui la réso­lu­tion suprême d’aller à Rome se jeter aux pieds du Pontife, d’impétrer l’agrément et de rece­voir la béné­dic­tion, grâce à quoi, dès lors, il pour­rait cou­rir vers les infidèles.

Il n’est pas besoin, si grande est l’évidence, d’insister sur cette pre­mière ren­contre de Grégoire II et de saint Boniface. Lorsque l’amour de Dieu est le lien, le seul lien des âmes, elles se recon­naissent à pre­mière vue, s’harmonisent et agissent sous les rayons d’une inex­tin­guible cha­ri­té. Muni, main­te­nant, d’augustes récon­forts, le moine anglais pou­vait por­ter ses pas en Bavière, en Thuringe et dans la Frise, dont le roi venait de mou­rir. Là, de concert avec l’évêque Willibrord, il fut l’instrument de conver­sions mul­tiples et reten­tis­santes, au point d’être cha­leu­reu­se­ment choi­si comme devant suc­cé­der au pré­lat. Alors, lais­sant la contrée, il se réfu­gia dans la Hesse et par­cou­rut ensuite une par­tie de la Saxe, bap­ti­sant, par­don­nant, éri­geant des églises sur les ruines du paga­nisme. Ce qu’ayant appris avec beau­coup de joie, Grégoire lui man­da par une lettre auto­graphe l’ordre de reve­nir à Rome. La digni­té que Boniface redou­tait tant y atten­dait ce docile ser­vi­teur de Dieu. Après avoir reçu sa pro­fes­sion de foi, le Pape le consa­cra évêque. Boniface, ensuite, repre­nant son bâton de voyageur-​apôtre, s’en fut de nou­veau aux pays qu’il avait quit­tés et qui bien­tôt lui devraient leur pleine régé­né­ra­tion spirituelle.

Abdication du roi des Saxons. – Léon l’Isaurien et le culte des images. – Complots.

Le pres­tige de Grégoire, le rayon­ne­ment de sa mâle auto­ri­té, l’exemple de ses ver­tus tou­jours gran­dis­santes atti­raient les puis­sants de la terre et leur don­naient la salu­taire vision du néant des choses qui passent. Ainsi en advint-​il, en 725, d’Ina, roi de Wessex, l’un des royaumes de l’heptarchie anglo-​saxonne, qui, dépo­sant sa cou­ronne, vint avec sa femme, Oethelbuch, en pèle­ri­nage au tom­beau de saint Pierre et s’enferma dans un cloître où, moine, il finit ses jours en 726. C’est lui qui, avant d’abdiquer, avait pris, pour lui et ses suc­ces­seurs, l’obligation d’être tri­bu­taire du Saint-​Siège en fai­sant, chaque année, une large aumône à l’Eglise de Rome, et s’était, de la sorte, ins­ti­tué fon­da­teur du denier de saint Pierre.

L’affaire prin­ci­pale, si l’on peut dire ain­si d’une héré­sie, source de mort spi­ri­tuelle et cor­po­relle, qui occu­pa, angois­sa, illus­tra à jamais le pon­ti­fi­cat de Grégoire II, fut celle des icônes et des images. Connue entre toutes, elle est une leçon qui demeure, en même temps que le témoi­gnage écla­tant de l’assistance du Christ envers son Vicaire. L’on garde en mémoire le san­glant pano­ra­ma des faits qui se déroulent sous le règne de l’empereur de Byzance, Léon III l’Isaurien.

Profitant des révoltes mili­taires qui détrô­nèrent suc­ces­si­ve­ment Anastase II et Théodose III, les­quels se sont réfu­giés l’un et l’autre dans un monas­tère, Léon, par ses propres sol­dats, s’est fait don­ner le pou­voir le 25 mars 717. Guerrier valeu­reux, et qui sau­ra, quand l’exigera l’intérêt de sa sau­ve­garde et de sa poli­tique, défendre les chré­tiens contre les infi­dèles, il a le tort, l’indomptable orgueil de pré­tendre juger en der­nier res­sort des ques­tions théo­lo­giques. Empe­reur, il se croit, il veut être le Pontifex Maximus, comme au vieux temps romain. En der­nière ana­lyse, il sert de vastes intrigues, our­dies par des enne­mis du catholicisme.

Seulement, et c’est là le piège, l’argument a quelque appa­rence de jus­ti­fi­ca­tion. L’Orient se plaint de ce que le peuple voue aux images un culte ido­lâtre, ou, tout au moins, les entoure, au détri­ment du vrai Dieu, d’une véné­ra­tion outrée et super­sti­tieuse. Leur plainte n’est pas iso­lée. Déjà s’en est éle­vée d’Occident une sem­blable par la bouche de saint Sérénus, évêque de Marseille. Gré­goire II avait tou­te­fois à celui-​ci écrit de sa main : « Le zèle que vous déployez pour empê­cher que l’on adore l’œuvre des mains de l’homme est louable, mais je juge que vous avez mal fait de détruire ces images. »

Il y a donc, selon la doc­trine de l’Eglise, confu­sion entre la répres­sion sage d’un abus et l’arbitraire condam­na­tion d’une dévo­tion véné­rable. Mais Léon l’Isaurien ne l’entend pas ain­si et il porte au paroxysme, en les défi­gu­rant, les doléances mur­mu­rées, jette l’émoi dans l’épiscopat d’Orient par des per­sé­cu­tions contre tous ceux qui pos­sèdent ou révèrent les saintes images et icônes.

Paternellement, le Pape se pro­digue à rame­ner l’empereur dans la voie de l’équité et du bon sens. Il envoie vers lui ses légats qui sont odieu­se­ment incar­cé­rés, puis exi­lés et mis à mort. Alors, mes­sagère de sou­lè­ve­ments inévi­tables, l’indignation se pro­page d’Orient jusqu’en Occident. Plus solen­nelle et redou­table, la voix de Gré­goire II s’élève :

Sachez que les Pontifes romains furent, de tout temps, média­teurs et arbitres de la paix entre l’Orient et l’Occident ; qu’ils sont même aujour­d’hui, pour ain­si dire, le mur de sou­tien qui unit entre eux les deux peuples, et que les empe­reurs aux­quels vous suc­cé­dez auraient dif­fi­ci­le­ment obte­nu la paix, s’ils ne se fussent aban­don­nés à la foi des Souverains Pontifes.

Remontrances vaines. Les insi­dieuses pré­ten­tions et per­sé­cu­tions de Léon III redoublent. Avec la manière de Byzance, il rêve de faire périr le Vicaire du Christ avant de l’attaquer de front. Trois con­jurés, avec l’agrément de Maurice, spa­thaire impé­rial (garde du corps), sont choi­sis pour le meurtre : Basile, duc de Rome ; Jourdain-​le-​Chartrier et le sous-​diacre Jean, dit Lurion. La trame éven­tée, ils reviennent à la res­cousse, cette fois, à l’instigation du patri­cien Paul, l’exarque de Ravenne ; mais, aver­tis et las de clé­mence, les Romains assas­sinent Lurion et Jourdain. Quant à Basile, qui sera le der­nier duc envoyé par les empe­reurs d’Orient pour gou­ver­ner Rome et les villes de sa dépen­dance, il s’enfuit dans un couvent où, bien­tôt, il demande la robe de moine.

Nouvelles hostilités. – Extension de l’édit de 726. Victoire pontificale.

Ces évé­ne­ments pleins de gra­vi­té tra­gique ne sont que le pré­lude d’autres atten­tats et de luttes dont, seul, le rac­cour­ci per­met de mesu­rer l’étendue et la téna­ci­té. L’exarque Paul, pour com­plaire à son maître et sou­ve­rain, frappe les pro­vinces d’impôts fabu­leux, ordonne que soient dépouillées de leurs richesses et de leurs vases sacrés les églises, sous pré­texte de détruire les images, et s’efforce en vain de faire élire un anti­pape. Nul insuc­cès n’arrête, ne con­traint l’empereur Léon III à ren­trer en lui-​même. Il frète des navires, envoie à Rome un autre spa­thaire pour chas­ser Grégoire, étend à l’Occident son édit de 726 contre les icônes. Le Pape, par lettres, pro­teste en des termes d’une vigueur qui, jamais peut-​être, n’a été encore dépas­sée : « Pour t’écrire, dit-​il à l’Isaurien dans sa pre­mière lettre, nous devons recou­rir à un style inculte et bru­tal, car tu es un homme inculte et brutal. »

Cependant, les fidèles de Grégoire, l’armée des Vénitiens et la Pentapole se lèvent de concert pour empê­cher l’exécution des ordres impé­riaux et défendre la vie de Grégoire II sans cesse mena­cée. Leur ardeur est si una­nime, si exas­pé­rée, que le ver­tueux Pontife doit les rete­nir. Ils vou­draient ren­ver­ser l’empereur de Constanti­nople, mais le Père com­mun ne veut point d’humaine ven­geance. Grégoire, tout en excom­mu­niant l’exarque Paul, qui a pro­mul­gué l’édit odieux, espère, par sa modé­ra­tion dans le domaine tem­po­rel, rame­ner dans la voie droite l’orgueilleux Léon III. Ces efforts sont super­flus : le Pontife demeure le point de mire de la haine byzan­tine. Léon entraîne à lui prê­ter main-​forte Exclarat, duc de Naples, et son fils Adrien, qui enva­hissent la Campanie et enjoignent le peuple à se rebel­ler contre Grégoire. Les Romains les mettent l’un et l’autre à mort, ain­si qu’un cer­tain Pierre, cou­pable d’avoir écrit à l’Isaurien contre le Pape. L’empereur dépêche alors à Naples Eutychius, avec des pré­sents pour gagner les Lombards à sa cause. Eutychius échoue, parce que l’on devine l’enjeu : la mort de Gré­goire. Ce der­nier excom­mu­nie Léon III en 730, le déclare impéni­tent et héré­tique, et dis­pense toutes les villes d’Italie de payer, désor­mais, tri­but à ce César.

Devant une telle libé­ra­tion, les Lombards et leur roi Luitprand songent à s’emparer de Rome, d’autant plus que Léon III, crai­gnant l’intervention pos­sible de Charles Martel, a ces­sé les hos­ti­li­tés. Il arrive jusqu’au cirque de Néron, mais, pris de remords, il tombe aux pieds de Grégoire qui l’absout.

Saint Grégoire II se pré­sente devant Luiprand mar­chant sur Rome et le per­suade d’é­par­gner la ville.

Activité artistique et liturgique de saint Grégoire II. – Mort et sépulture.

Admirable règne d’amour divin, de fer­me­té, d’activité sous toutes les formes de l’énergie et du beau, tel fut celui de Grégoire II. Sous son pon­ti­fi­cat, les Sarrasins, qui ten­taient de conqué­rir le midi de la France, furent repous­sés par Odon d’Aquitaine et per­dirent, en une seule bataille, trois cent cin­quante mille des leurs. Les sou­cis exté­rieurs ne para­ly­sèrent point chez le grand Pape son soin vigi­lant de l’essor inté­rieur et du pres­tige de l’Eglise. Il créa les Sta­tions des jeu­dis de Carême en diverses églises de Rome, tint divers Conciles, nom­ma cent cin­quante évêques, ordon­na trente-​cinq prêtres et qua­torze diacres. Par lui furent res­tau­rées nombre de basi­liques ou églises dont Saint-​Paul hors les murs, Sainte-​Croix-​de-​Jérusalem et Saint-​Laurent. Il édi­fia dans son palais, en l’honneur de saint Pierre, une cha­pelle aux murs argen­tés où figu­raient les douze apôtres. Après la mort d’Honesta, sa mère, il conver­tit la demeure pater­nelle en une église et un monas­tère pla­cés sous le patro­nage de sainte Agathe, vierge et mar­tyre. Il régna sain­te­ment quinze ans, huit mois et vingt-​trois jours, mou­rut le 10 février 731 et fut, le len­de­main, inhu­mé au Vatican, selon le Liber Pontificalis, et non le 13, sui­vant l’assignation des Martyrologes.

Dominique Roland-​Gosselin.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. II de février (Paris et Rome, 1864). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. II (Paris, 1897). – Annuaire pon­tifical catho­lique, pas­sim (Paris). – P. Moncelle, article « Grégoire II » dans Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique de Vacant et Mangenot, t. VI (Paris, 1920). – (V. S. B. P., n° 676.)

Source de l’ar­ticle : Un saint pour chaque jour du mois, 2e série, La Bonne Presse