Saint Flavien de Constantinople

Saint Flavien

Évêque de Constantinople et mar­tyr (+ 449)

Fête le 18 février.

À la mort de saint Proclus qui avait occu­pé avec beau­coup d’éclat le siège épis­co­pal de Constantinople, l’ambitieux Chrysaphius, le grand-​chambellan, qui de fait gou­ver­nait l’empire d’Orient depuis cinq ans à la place de Théodose le Jeune, vou­lut qu’on mît à sa place le supé­rieur d’un monas­tère de la ville l’archimandrite Eutychès. Ce reli­gieux l’avait tenu sur les fonts bap­tis­maux ; il était déjà célèbre et il le devint encore plus par son héré­sie. Au contraire le cler­gé et le peuple, meilleurs juges, don­nèrent leurs suf­frages au véné­rable prêtre Flavien, char­gé de gar­der les vases sacrés et les reliques de l’église cathédrale.

De la vie de Flavien, nous ne savons rien avant son épis­co­pat ; toute son his­toire tient en trois années, de juillet 446, date de sa nomi­na­tion, au mois d’août 449, date de sa mort. Mais les éloges qui lui sont don­nés et sa glo­rieuse atti­tude devant les per­sé­cu­teurs de l’Eglise témoignent assez com­bien il s’était pré­pa­ré à la rude mis­sion que Dieu lui confiait. L’évêque Théodoret, lui aus­si grand lut­teur pour la foi, le com­pare à un flam­beau don­né par Dieu à son Eglise, pour chan­ger les ténèbres qui cou­vraient l’univers en une très vive lumière. L’historien saint Théophane l’appelle un homme plein de ver­tu, en qui tout hono­rait le minis­tère sacré. Enfin, le Pape saint Léon le Grand, son ami, dit qu’il dut à sa modes­tie et à son humi­li­té d’être éle­vé jusqu’à la gloire du martyre.

Un évêque qui déplaît à un ministre.

La nomi­na­tion de Flavien, faite mal­gré Chrysaphius et contre son can­di­dat pré­fé­ré, avait exas­pé­ré le grand-​chambellan, qui prit dès lors l’évêque en aver­sion et mit tout en œuvre pour le perdre. Il réus­sit tout de suite à le brouiller avec l’empereur. Dès le len­de­main du sacre, le tout-​puissant ministre fai­sait deman­der à Flavien les pré­sents que les nou­veaux élus avaient cou­tume d’offrir au souve­rain ; l’évêque envoya des fruits et des gâteaux qu’il avait lui-​même bénis. Son offrande fut reje­tée par Chrysaphius, qui dit à l’envoyé : « Faites savoir à l’évêque que l’empereur a besoin d’or et non de pain. » La réponse du pré­lat fut très cou­ra­geuse : « Les biens de l’Eglise sont la pro­prié­té des pauvres. Si l’empereur veut un sou­ve­nir de ma consé­cra­tion, je lui enver­rai les vases sacrés qui ont ser­vi aux saints mys­tères ; qu’il les fasse fondre. »

Chrysaphius, irri­té, ne pous­sa cepen­dant pas plus loin et réser­va à plus tard le temps de sa vengeance.

Un autre jour, vou­lant écar­ter du pou­voir sainte Pulchérie, sœur du faible sou­ve­rain et pro­tec­trice du ver­tueux évêque, le grand cham­bel­lan enjoi­gnit à Flavien d’ordonner Pulchérie en qua­li­té de dia­co­nesse. Se sen­tant dans l’impuissance maté­rielle d’opposer un refus, le pré­lat pré­vint secrè­te­ment la prin­cesse de lui faire inter­dire l’accès de sa mai­son, « parce que, lui mandait-​il, je serais contraint de faire une chose qui vous serait fâcheuse ». La prin­cesse com­prit l’avis et se reti­ra dans un palais impé­rial, où elle se condam­na à la plus sévère retraite. Une fois de plus, les pro­jets du ministre avaient échoué, ce qui ne fît que l’indisposer davan­tage encore contre l’évêque.

Les erreurs de l’archimandrite Eutychès.

Pendant que ces inci­dents se pas­saient à la cour, au dehors tous les esprits étaient pré­oc­cu­pés par de nou­velles contro­verses théolo­giques. Plusieurs per­sonnes, conduites par un sen­ti­ment de vani­té beau­coup plus que par le zèle de la véri­té et par la vraie science, pre­naient sur elles de réfu­ter les pro­po­si­tions erro­nées de Nestorius, que le Concile d’Ephèse avait condam­nées en l’année 431 et que le peuple de Constantinople n’avait jamais vou­lu admettre. Ce zèle indis­cret devait entraî­ner les doc­teurs impor­tuns dans de fâcheuses erreurs.

Eutychès était du nombre. Dans son grand couvent, où plus de trois cents moines vivaient sous sa dis­ci­pline, il dis­ser­tait lon­gue­ment sur les ques­tions les plus dif­fi­ciles de la théo­lo­gie, tout en les igno­rant pro­fon­dé­ment. C’est ain­si que, sous pré­texte de conser­ver l’unité de per­sonne en Jésus-​Christ, il en vint à contes­ter que l’humanité du Christ fût une huma­ni­té comme la nôtre. De pareils pro­pos sur les lèvres de ce véné­rable vieillard, qui avait lut­té contre l’hérésie de Nestorius et qui depuis l’an 440 était le chef moral des moines de la capi­tale, pou­vaient avoir des consé­quences redou­tables, sur­tout si l’on se sou­vient qu’Eutychès était le par­rain et le direc­teur spi­ri­tuel de Chrysaphius, pre­mier ministre de l’empire.

Aussi, en dépit de sa mons­trueuse héré­sie, le cré­dit tout-​puissant d’Eutychès à la cour fai­sait que per­sonne n’osait l’attaquer en face. Toutefois, l’évêque de Cyr, dans la Haute-​Syrie, Théodoret, qui était l’homme le plus savant de son temps, eut ce cou­rage et, dans un livre paru en 447, il réfu­ta les erreurs de l’archimandrite byzan­tin. C’en fut assez pour que la cour prît ouver­te­ment fait et cause pour Eutychès, et des mesures qui atten­taient à la liber­té de l’Eglise ne tar­dèrent pas à être employées contre cer­tains évêques, amis de Théodoret. Saint Flavien, obli­gé par sa situa­tion offi­cielle à une grande cir­cons­pec­tion, atten­dait l’occasion favo­rable d’intervenir ; elle ne tar­da pas à se présenter.

L’évêque Eusèbe de Dorylée et l’archimandrite.

A ce moment était de pas­sage à Constantinople l’évêque de Dorylée, aujourd’hui Eski-​Chéir, en Asie Mineure, celui-​là même qui, étant simple laïque, avait démas­qué l’hérésie du patriarche Nestorius et avait réus­si à le faire dépo­ser de son siège. Ce pré­lat, très ins­truit et fort sou­cieux de tout ce qui tou­chait à la foi, était lié d’une vieille ami­tié avec l’archimandrite Eutychès. Il se fit un devoir de lui rendre de fré­quentes visites et ne tar­da pas à remar­quer avec tris­tesse que les opi­nions de son ami s’écartaient fort de la véri­té catho­lique. Sous pré­texte de mieux réfu­ter l’hérésie de Nestorius, Eutychès était tom­bé dans une autre héré­sie non moins pré­ju­di­ciable à la foi que la pré­cé­dente. L’évêque de Dorylée l’en aver­tit charitable­ment, comp­tant le rame­ner vite dans la voie de la véri­table doc­trine, et il mul­ti­plia, à cette fin, ses visites auprès de lui. Hélas ! il s’aperçut bien­tôt que le mal était plus pro­fond qu’il ne pen­sait. Eutychès défen­dait ses opi­nions erro­nées avec une obs­ti­na­tion qui ne cédait devant aucune consi­dé­ra­tion ; il trou­vait un peu par­tout, dans les monas­tères de la capi­tale, des amis ou des flat­teurs qui se fai­saient un devoir de les accré­di­ter auprès des reli­gieux. L’heure était venue de recher­cher un autre remède.

Voyant que l’amitié n’obtenait rien contre cet entê­te­ment, l’évêque de Dorylée recou­rut à des confé­rences plus solen­nelles et il finit par ame­ner avec lui trois évêques, qui lui ser­virent de témoins dans ses dis­cus­sions avec le vieil archi­man­drite. Tout fut inutile. Eutychès ne vou­lut rien aban­don­ner de son sys­tème théo­lo­gique. Force était donc à Eusèbe de rompre avec lui et d’en réfé­rer au supé­rieur hié­rar­chique du moine. Sa conscience était de celles qui ne reculent ni devant les inté­rêts d’une longue ami­tié, ni devant les autres con­sidérations humaines.

Le Concile de Constantinople contre Eutychès.

Un Concile d’une ving­taine d’évêques devait se réunir à Constan­tinople, en novembre 448, pour régler des dif­fé­rends de mince impor­tance. Eusèbe de Dorylée y assis­ta. Quand les affaires qui avaient moti­vé la tenue du Concile furent ter­mi­nées, il por­ta plainte offi­cielle contre l’archimandrite et lut un long mémoire juri­dique contre Eutychès, se plai­gnant d’avoir été accu­sé par lui de nestoria­nisme, alors qu’il se fai­sait fort de prou­ver qu’Eutychès por­tait indû­ment le nom de catho­lique et ne pro­fes­sait plus la doc­trine tradition­nelle. Comme cette affaire ne figu­rait pas à l’ordre du jour et qu’il redou­tait les colères tou­jours à craindre de la cour impé­riale, saint Flavien aurait dési­ré que l’on pro­cé­dât avec plus de len­teur, igno­rant encore que l’accusateur avait recou­ru déjà à tous les moyens recom­man­dés par Notre-​Seigneur lui-​même pour flé­chir l’obstination des éga­rés. Devant le récit détaillé des ten­ta­tives qu’avait déjà faites Eusèbe de Dorylée et devant la som­ma­tion que celui-​ci adres­sait au Concile de faire com­pa­raître Eutychès devant lui, il dut s’incliner. En consé­quence, une invi­ta­tion fut envoyée à l’archimandrite d’avoir à se pré­sen­ter, quatre jours plus tard, devant les Pères du Concile.

Dans les séances sui­vantes on ne vit point paraître Eutychès. Le moine rusé allé­guait toutes sortes de pré­textes qui l’empêchaient de sor­tir de son couvent ; son vœu de réclu­sion qui le tenait confi­né chez lui, son grand âge, une fièvre vio­lente qui, jour et nuit, l’empêchait de dor­mir, etc. Enfin, après qua­torze jours de visites, de dis­cussions, de refus abso­lus ou condi­tion­nels, devant la ferme volon­té du Concile de le mettre hors de la com­mu­nion de l’Eglise s’il ne se pré­sen­tait pas, l’inculpé se déci­da à comparaître.

Mais il n’était pas seul. Quand il entra le 22 novembre 448 dans la salle du Concile, il avait lais­sé devant la porte une grande foule de fonc­tion­naires, de sol­dats, de moines et de ser­vi­teurs du pré­fet du pré­toire qui avaient tenu à l’escorter ; de plus, un impor­tant fonc­tion­naire de la cour était char­gé par une lettre de l’empereur d’assister aux débats. Ce déploie­ment de forces en faveur de l’inculpé mon­trait bien quel haut per­son­nage se cachait der­rière lui et com­bien il était dif­fi­cile à Byzance de régler une fois pour toutes les contro­verses dog­ma­tiques, alors que le pou­voir civil s’immisçait constam­ment dans les affaires de l’Eglise.

Malgré toutes les objur­ga­tions et toutes les ins­tances, le Concile ne réus­sit point à obte­nir d’Eutychès une pro­fes­sion de foi ortho­doxe, non plus qu’à lui faire rétrac­ter les pro­po­si­tions héré­tiques qu’on lui attri­buait. S’il reje­tait dans une phrase les mots sus­pects, il ne man­quait pas, dans la phrase sui­vante, de les rap­pe­ler sous une autre forme, et les menaces comme les épan­che­ments les plus affec­tueux se bri­saient contre l’entêtement de ce vieillard. Le pré­sident de l’assemblée, saint Flavien, mon­tra à son égard une condescen­dance admi­rable, essayant par tous les moyens de l’amener à une rétrac­ta­tion ou à des aveux qui dis­pen­se­raient d’aller plus loin ; rien n’y fit.

Le Concile ne réus­sit pas davan­tage à lui faire approu­ver le Sym­bole de foi de son évêque qui résu­mait admi­ra­ble­ment la doc­trine de l’Eglise sur le point contro­ver­sé en s’exprimant de la sorte :

Jésus-​Christ, le Fils unique de Dieu, est vrai Dieu et vrai homme, com­posé d’une âme rai­son­nable et d’un corps ; quant à sa divi­ni­té, il est engen­dré du Père avant tous les temps et sans com­men­ce­ment ; quant à son huma­ni­té, au contraire, il est né de la Vierge Marie, dans les der­niers temps, pour nous et pour notre salut ; de même sub­stance que le Père pour la divi­ni­té, de même sub­stance que sa mère pour l’humanité. Nous pro­fessons qu’après l’Incarnation le Christ se com­pose de deux natures, en une seule hypo­stase et en une seule per­sonne, un seul Christ, un seul Fils et un seul Seigneur. Quiconque pense autre­ment est exclu par nous du cler­gé et de l’Eglise.

Eutychès pen­sait autre­ment puisqu’il se refu­sa, après plu­sieurs heures de sup­pli­ca­tion, à don­ner la pro­fes­sion de foi que ses supé­rieurs légi­times, les évêques, exi­geaient de lui ; il fut donc, par la voix de saint Flavien, « pri­vé de tout rang sacer­do­tal, exclu de la commu­nion de l’Eglise et dépo­sé du gou­ver­ne­ment de son monas­tère ». Tous ceux qui, aver­tis, lui par­le­raient et le fré­quen­te­raient à l’avenir, tom­baient sous le coup de la même peine.

Il sem­blait qu’avec cette sen­tence d’excommunication tout allait ren­trer dans l’ordre. En réa­li­té, une ère de troubles, qui dura plus de cent ans, com­men­çait pour l’Eglise, et, pour le pieux évêque, qui avait ain­si défen­du la foi mena­cée, les tri­bu­la­tions et la mort étaient proches.

Complot contre saint Flavien.

La séance était ter­mi­née, quand Eutychès annon­ça au repré­sen­tant de l’empereur, lequel en aver­tit Flavien, qu’il défé­rait la sen­tence aux Conciles de Rome, d’Alexandrie, de Jérusalem et de Thessalonique. Flavien ne consi­dé­ra pas cela comme un appel en forme, ni sur­tout comme un appel qui sus­pen­dait les effets de la sen­tence por­tée contre l’archimandrite ; les supé­rieurs des monas­tères furent donc requis d’accepter la condam­na­tion d’Eutychès. Ils le firent d’assez bonne grâce ; cepen­dant, dans son propre monas­tère, Euty­chès fut sou­te­nu avec éner­gie par ses reli­gieux, et il pro­tes­ta par des affiches contre son excommunication.

Ce moine héré­tique, d’ailleurs, ne res­tait pas inac­tif, et, d’accord avec son filleul, le cham­bel­lan Chrysaphius, il per­sua­da à l’empe­reur qu’un nou­veau Concile œcu­mé­nique était néces­saire pour la révi­sion du pro­cès. On le ferait pré­si­der par le patriarche d’Alexan­drie en Egypte, qui, étant l’ennemi-né de l’évêque de Constantinople, ne man­que­rait pas de se pro­non­cer en faveur de l’accusé. On le tien­drait dans la ville d’Ephèse, où saint Cyrille d’Alexandrie avait déjà fait condam­ner Nestorius de Constantinople ; et Eutychès, qui se don­nait pour le dis­ciple de saint Cyrille, y rem­por­te­rait un triomphe ana­logue sur le suc­ces­seur de Nestorius.

Tel était le plan ima­gi­né par les deux com­plices et dans lequel entra, sans même s’en rendre compte, le trop faible sou­ve­rain. Celui-​ci défen­dit, sur les indi­ca­tions d’Eutychès, à bon nombre d’évêques qu’on savait cou­ra­geux et inac­ces­sibles à la cor­rup­tion, de se rendre au Concile, alors que les hommes faibles et sur­tout les enne­mis de saint Flavien rece­vaient l’injonction de s’y trans­porter. Tout était bien com­bi­né pour la vic­toire de l’erreur.

La cour prend ouvertement parti contre saint Flavien.

Il fal­lait pour­tant obte­nir l’autorisation du Pape pour la réunion de ce Concile uni­ver­sel qui ne parais­sait pas s’imposer. On dépei­gnit à saint Léon Ier la situa­tion sous des cou­leurs si noires, qu’il don­na son consen­te­ment. Mais quand il eut sous les yeux les docu­ments le Pontife n’eut pas de peine à recon­naître que l’évêque de Constan­tinople avait bien jugé et que la doc­trine d’Eutychès était inadmis­sible. Néanmoins, par amour de la paix, il auto­ri­sa la réunion du Concile à Ephèse, à condi­tion que l’assemblée fut pré­si­dée par ses légats, et, à cet effet, il leur remit toute une série de lettres pour les empe­reurs, pour Flavien, pour le Concile, pour les moines.

Par deux fois l’évêque avait déjà envoyé à saint Léon le compte ren­du détaillé de ce qui s’était pas­sé au Concile de Constantinople, mais ses mes­sages, inter­cep­tés par les agents de la cour, n’étaient point arri­vés à des­ti­na­tion. Il fal­lut qu’il en envoyât un troisième.

Ce retard explique pour­quoi le Pape, dans la lettre des­ti­née à Flavien, s’étonne que celui-​ci ne l’ait pas mis plus tôt au cou­rant des évé­ne­ments. Cette lettre du Pape, qui est avant tout un trai­té sur le mys­tère de l’Incarnation, passe à bon droit pour le docu­ment dog­ma­tique le plus impor­tant du Ve siècle. Le IVe Concile de Chalcédoine l’a mise sur le même pied que le Symbole des Apôtres, et toute l’antiquité ecclé­sias­tique l’a entou­rée d’une auréole d’admiration et de res­pect. Or, elle n’est que le déve­lop­pe­ment de la pen­sée de Flavien, qui dut encore la pré­ci­ser, quelques semaines avant l’ouverture du Concile, dans une pro­fes­sion de foi exi­gée de lui par le gou­ver­ne­ment impérial.

Celui-​ci se pro­non­çait de plus en plus contre l’évêque de Constan­tinople. Dans une lettre adres­sée aux deux fonc­tion­naires qui avaient la mis­sion de repré­sen­ter le sou­ve­rain au futur Concile, il est décla­ré que les évêques, qui avaient jugé Eutychès à Constantinople, pour­raient assis­ter aux dis­cus­sions, mais sans avoir voix délibéra­tive, parce que leur propre juge­ment allait être révi­sé. Dans sa lettre au Concile, l’empereur dit qu’il avait prié Flavien, à plu­sieurs reprises, de mettre fin au conflit, mais que l’évêque s’était refu­sé à lais­ser tom­ber la ques­tion ; c’est pour­quoi le sou­ve­rain avait jugé indis­pen­sable la réunion d’un Concile géné­ral qui exami­nerait tout ce qui avait été déjà fait dans cette affaire.

Ainsi, par la volon­té d’un ministre, la ques­tion était dépla­cée. L’accusé deve­nait accu­sa­teur, et le juge dans la foi, l’évêque, avait à se défendre lui-​même devant un tri­bu­nal qui n’était nul­le­ment qua­li­fié pour le juger.

Le « brigandage d’Ephèse ».

Ce Concile qui, dans la pen­sée, du Pape, devait ter­mi­ner le con­flit, s’ouvrit au mois d’août 449. Il vio­la toutes les règles du droit, de sorte que saint Léon Ier, en appre­nant ce qui s’y était pas­sé, le qua­li­fia de « bri­gan­dage », flé­tris­sure qui lui est res­tée dans l’his­toire, et qui ne fut jamais mieux méritée.

Tout d’abord, on n’accorda pas aux légats du Saint-​Siège la pré­sidence de l’assemblée, alors qu’ils avaient droit à la pre­mière place et que le Pape l’avait reven­di­quée pour eux. Les lettres de saint Léon, qui condam­naient la doc­trine d’Eutychès et l’archiman­drite lui-​même, s’il ne se rétrac­tait pas, ne furent pas lues ; bien plus, on s’appliqua aus­si­tôt à réha­bi­li­ter Eutychès et à des­ti­tuer de l’épiscopat tant Flavien qu’Eusèbe de Dorylée et tous ceux qui avaient contre­dit l’archimandrite.

L’hérésiarque, intro­duit devant le Concile, triom­phait. Sa profes­sion de foi fut hau­te­ment approu­vée comme la seule catho­lique, et lui-​même se vit réta­blir dans sa digni­té de prêtre et sa charge de supé­rieur. Après avoir absous le condam­né, il ne res­tait plus qu’à condam­ner les juges. On s’y prit d’une manière fort habile. On fit lire des extraits du pré­cé­dent Concile d’Ephèse, où il était inter­dit, sous peine de dépo­si­tion, d’enseigner un autre Symbole que celui de Nicée, et tout le monde sous­cri­vit ce docu­ment. Alors, le par­ti gagné à Eutychès s’écria que Flavien et Eusèbe, avec leur for­mule des deux natures en Jésus-​Christ, avaient contre­ve­nu à cette règle et méri­té la déposition.

Il y avait là une insigne mau­vaise foi, une confu­sion vou­lue du Symbole litur­gique avec les déve­lop­pe­ments théo­lo­giques que les contro­verses néces­si­taient au cours du temps. Si l’on avait admis pareille doc­trine, les apo­lo­gistes chré­tiens et les théo­lo­giens n’au­raient jamais pu défendre la véri­té. Les évêques vrai­ment ortho­doxes pro­tes­tèrent contre cette inter­pré­ta­tion et sup­plièrent le pré­sident Dioscore, patriarche d’Alexandrie, de ne pas don­ner suite à son pro­jet. Celui-​ci fei­gnit alors de voir dans leur atti­tude une menace pour sa vie, et il don­na aux sol­dats qui sta­tion­naient devant la porte l’ordre d’entrer dans la salle du Concile. Ils accou­rurent aus­si­tôt avec des armes et des chaînes pour les récalcitrants.

Déposition et mort de saint Flavien.

Ce fut le triomphe de la force. Quelques membres de l’assem­blée réus­sirent à fuir ; d’autres, un peu mal­trai­tés, rega­gnèrent leurs places ; tous ceux qui res­taient durent, de gré ou de force, appo­ser leur signa­ture au bas d’un papier blanc, sur lequel on ins­cri­vit ensuite la condam­na­tion et la dépo­si­tion de Flavien.

Saint Flavien appré­hen­dé par les soldats.

Celui-​ci, qui avait gar­dé jusque-​là un calme par­fait, s’efforça à la vue des sol­dats de se réfu­gier vers l’autel et de s’y cram­pon­ner ; mais les sol­dats, l’en­tou­rant, s’opposèrent à son des­sein et vou­lurent le traî­ner hors de l’église. Il fut bous­cu­lé et meur­tri, pour­suivi de cris de mort, et c’est à grand’peine qu’il par­vint un moment à leur échap­per. Il se hâta alors de rédi­ger pour le Pape un appel en règle, qui fut remis aux légats et dans lequel il donne tous ces détails. Dans la suite, on ajou­ta que Dioscore lui-​même et les per­sonnes de sa suite s’étaient por­tés sur lui à de telles voies de fait qu’ils l’avaient lais­sé à demi mort sur place.

Il est dif­fi­cile aujourd’hui de pré­ci­ser ce qui se pas­sa à ce moment. Ce qui est sûr, c’est qu’à la suite des bru­ta­li­tés com­mises sur lui, Flavien mou­rut quelques jours après, pro­ba­ble­ment le 11 août, à Hypæpa, aujourd’hui Tapou, sur le che­min de l’exil, et que l’Eglise l’a tou­jours consi­dé­ré comme un martyr.

Deux ans après, le Concile géné­ral de Chalcédoine, après avoir condam­né les meur­triers de l’évêque, réha­bi­li­tait sa mémoire et l’inscrivait au rang des Saints. Enfin, peu après, par les soins de l’impératrice sainte Pulchérie, les restes du vaillant évêque furent rap­por­tés à Constantinople et dépo­sés avec hon­neur près des reliques de saint Jean Chrysostome, dans la basi­lique des Saints-​Apôtres. De là, divers frag­ments ont été trans­por­tés en plu­sieurs villes d’Italie. Sa fête a été fixée au 18 février dès le VIe siècle.

François Delmas. Sources consul­tées. – Acta Sanctorum (t. III de février, p. 72–80). – Héfélé, Histoire des Conciles. – Adolphe Régnier, Saint Léon le Grand (Collection Les Saints).

La basi­lique des douze apôtres à Rome, qui recueille ses reliques