Saint Gabriel de l’Addolorata

Reliques de saint Gabriel dans le sanctuaire d'Isola del Gran Sasso

Passionniste (1838–1862). Modèle et patron de la jeu­nesse chré­tienne.
Fête le 27 février.

Saint Gabriel de l’Addolorata (ou de la Vierge des Douleurs) est une figure de jeune Saint des plus sym­pa­thiques et des plus tou­chantes. Il ne fit pour­tant pas d’actions d’éclat.

– Racontez-​nous quelques traits du bien­heu­reux Gabriel, deman­daient au P. Norbert, son confes­seur, quelques jeunes étu­diants Passionnistes, le jour de la béatification.

– Gabriel fut comme vous, répon­dit le véné­ré vieillard, pieux, simple, gai, plein d’entrain, et pas autre chose.

Naissance. – Jeunesse mondaine.

Il naquit à Assise le Ier mars 1838, et reçut au bap­tême, en sou­venir de son aïeul et par dévo­tion pour le séra­phique Patriarche, le nom de François. Son père, M. Santé Possenti, exer­ça les fonc­tions de gou­ver­neur dans plu­sieurs villes, notam­ment à Urbania, à Assise et à Montalto. En 1842, il vint s’établir à Spolète, avec la charge d’assesseur au tribunal.

François, le onzième de treize enfants, n’avait que quatre ans quand sa pieuse mère mou­rut ; jeune encore, il fut confié aux Frères des Ecoles chré­tiennes, puis aux Pères Jésuites, qui pos­sé­daient à Spolète un col­lège flo­ris­sant. Il y fit toutes ses classes, et les prix qu’il rem­por­ta nous le montrent par­mi les meilleurs élèves.

Sa pié­té pro­fonde, la gaie­té, la fran­chise de son natu­rel lui gagnaient l’affection de tous. Esprit vif, cœur aimant et déli­cat, carac­tère ardent et géné­reux, il joi­gnait à de si belles qua­li­tés morales une phy­sio­no­mie gra­cieuse, un com­merce agréable et des manières distinguées.

Tant d’avantages natu­rels pou­vaient expo­ser à de grands dan­gers le jeune ado­les­cent. Le démon livra à son inno­cence de ter­ribles assauts. Un de ses condis­ciples, le ren­con­tra un jour un poi­gnard à la main. Etonné de voir une telle arme entre les mains d’un jeune homme de sa condition :

– J’ai dû m’en sai­sir, lui dit François sous le coup d’une forte émo­tion, pour repous­ser les vio­lences d’un jeune homme vicieux qui vou­lait m’entraîner au mal, et qui n’a renon­cé à son pro­jet que lorsqu’il m’a vu bien déci­dé à faire usage de la force.

La beau­té de son âme, néan­moins, fut alté­rée par une teinte de légè­re­té et de vani­té qui ne le quit­ta pas jusqu’à son entrée en reli­gion. Il était mobile et incons­tant. Aujourd’hui stu­dieux à l’excès, demain se lais­sant domi­ner par le dégoût et la paresse ; tan­tôt plein de pié­té et de modes­tie, tan­tôt folâtre et vaniteux.

Il aimait que ses habits fussent du meilleur goût et de la der­nière mode. Il se par­fu­mait les che­veux et les dis­po­sait avec recherche. Ami des joyeuses réunions, des conver­sa­tions mon­daines, des socié­tés brillantes, il s’y livrait avec ardeur à des amu­se­ments fri­voles et deman­dait sou­vent à son père, excellent chré­tien, de l’accompagner, le soir, dans les salons de la cité. A ce vif pen­chant pour des diver­tis­se­ments par­fois périlleux, s’ajoutait un attrait mar­qué pour le théâtre, la lec­ture des romans et le bal, à ce point que ses com­pagnons le sur­nom­mèrent « Il bal­le­ri­no », le danseur.

Son inno­cence pour­tant ne reçut pas de graves atteintes. Les témoi­gnages sont una­nimes à cet égard, et il ne fau­drait pas prendre à la lettre ces doléances d’une âme de Saint, qui revien­dront sou­vent sur les lèvres de Fr. Gabriel :

– O mon Dieu ! que de sou­pirs m’arrache le sou­ve­nir des amuse­ments fri­voles aux­quels je me livrais. Je ne sais s’il suf­fi­ra d’une vie tout entière pas­sée dans cette sainte Congrégation pour répa­rer mes fautes…

Dieu, qui le vou­lait tout à lui, allait chan­ger son cœur incons­tant et léger en le bri­sant par la douleur.

Epreuves. – Le noviciat. – Esprit de sacrifice.

François aimait ten­dre­ment sa jeune sœur Marie. La mort vint la fau­cher dans tout l’éclat de sa jeu­nesse. Elle fut la pre­mière vic­time du cho­lé­ra qui rava­gea Spolète en 1855. Ce fut un coup de foudre pour le jeune mon­dain et qui lui arra­cha d’amères réflexions.

Deux mala­dies qui le mirent aux portes du tom­beau le firent trem­bler. Il pro­mit alors à Dieu de se faire reli­gieux, s’il gué­ris­sait, et il sol­li­ci­ta son admis­sion dans la Compagnie de Jésus. Guéri deux fois comme par miracle, mais oublieux de ses pro­messes, il revint à ses vani­tés et res­ta sourd à l’appel de Dieu qui se fai­sait pres­sant au fond de son âme. Il son­gea même, avec l’agrément de son père, à épou­ser une ver­tueuse jeune fille ; celle-​ci se maria plus tard avec un offi­cier ; elle devait assis­ter, en 1908, à la béa­ti­fi­ca­tion du Fr. Gabriel.

Trois aver­tis­se­ments de la grâce n’avaient pas suf­fi. Un regard de Marie mar­qua l’heure de la Providence et l’arracha au monde pour toujours.

Le 22 août 1856, fête de l’octave de l’Assomption, François assis­tait à la pro­ces­sion de la « Sainte Icône », si solen­nelle à Spolète. Arrivé près de la sainte image, il la contemple d’un œil dis­trait. Bientôt il se met à pleu­rer ; il lui a sem­blé, en effet, que la Sainte Vierge l’a fixé avec une ten­dresse inef­fable et lui a dit au fond du cœur : « François, le monde n’est plus pour toi. Pourquoi résis­ter ? Il te faut entrer en reli­gion. » Il n’eut plus alors d’hésitation.

François assite à la pro­ces­sion de la Sainte Image à Spolète.

Le désir d’expier ce qu’il appe­lait « son aveu­gle­ment pas­sé » lui fit choi­sir une Congrégation très aus­tère, celle des Passionnistes, dont le novi­ciat se trou­vait alors à Morrovalle, à quelque dis­tance au nord de Lorette. Fort de l’assentiment de son direc­teur, il sol­li­ci­ta par lettre son admis­sion. Le 21 sep­tembre, il pre­nait l’habit et échan­geait son nom contre celui de Gabriel de l’Addolorata. Des larmes de joie inon­dèrent son visage quand il reçut les pré­cieuses livrées de la Passion du Sauveur. Dans son rude cos­tume de Passionniste, le jeune novice était radieux. Une pro­di­gieuse trans­for­ma­tion s’était opé­rée en lui. Il allait se don­ner à Dieu avec la même ardeur, la même géné­ro­si­té qu’il s’était don­né au monde.

C’est en toute connais­sance de cause qu’il avait choi­si un Ordre sévère ; comme s’il en trou­vait la règle encore trop douce il s’in­terdira de recher­cher la moindre conso­la­tion natu­relle. Un mot, renon­ce­ment, carac­té­rise, en effet, le tra­vail intime de sa sancti­fication, renon­ce­ment à ses fri­vo­li­tés, à ses vani­tés et même aux affec­tions les plus légi­times et les plus chères.

S’il consent à écrire de temps en temps à sa famille, c’est sur l’ordre for­mel de ses supérieurs :

– M’assurez-vous, disait-​il à son direc­teur spi­ri­tuel, m’assurez- vous que je n’aurai pas à en rendre compte à Dieu ? En prenez-​vous sur votre conscience toute la responsabilité ?

Quand il rece­vait une lettre de sa famille :

– N’y a‑t-​il rien d’inutile ? demandait-​il à son supé­rieur. En avez- vous pris connaissance ?

Il pré­fé­rait ne pas lire lui-​même ses lettres. Son supé­rieur, pour le tran­quilli­ser, ne fit désor­mais que lui en rendre compte.

Un jour, il apprend qu’une de ses sœurs veut venir le voir avec quelques parents. Il écrit aus­si­tôt pour la dis­sua­der de son pro­jet, « de peur, ajoutait-​il, que ce ne soit une cause de dis­trac­tion et de dis­si­pa­tion pour mon âme ». Un peu plus tard, c’est son père, qui, incon­so­lable de son départ, veut abso­lu­ment le revoir. Gabriel l’en détourne par ces belles paroles :

– Si je ne puis vous voir cor­po­rel­le­ment, ô père bien-​aimé, je vous rever­rai spi­ri­tuel­le­ment, n’en dou­tez pas, devant le Très Saint Sacrement et les dou­leurs de Jésus et de Marie. C’est là que vous vien­drez, vous aus­si, je l’espère. Dieu et la Très Sainte Vierge béni­ront ces visites, et nous obtien­drons la grâce d’arriver au ciel où nous serons réunis pour ne plus nous séparer.

– Au moins, demande le père, envoie sou­vent de tes nouvelles.

L’admirable enfant répond :

– Ne vous pré­oc­cu­pez pas, cher papa, d’avoir de mes nou­velles. J’ai une tendre Mère qui prend soin de moi. Je la consti­tue votre conso­la­trice. Quand votre cœur deman­de­ra des lettres de son Gabriel, allez à ses pieds et dites-​lui que c’est à elle de vous conso­ler, puisque c’est pour son amour que je fais ce sacrifice…

Ce déta­che­ment, pour son cœur si sen­sible, fut tout sim­ple­ment héroïque.

Le 23 sep­tembre 1867, il pro­non­ça ses vœux perpétuels.

Mardi, écrivait-​il, avec la grâce de Dieu et la pro­tec­tion de la bienheu­reuse Vierge Marie, mes dési­rs ont été accom­plis. Oui, c’est avec des trans­ports de bon­heur que j’ai fait pro­fes­sion. Ayant été si hau­te­ment pri­vi­lé­gié, je sens croître sans cesse dans mon âme l’obligation de répondre à une aus­si grande faveur·.

Après son novi­ciat, il alla conti­nuer ses études de phi­lo­so­phie à Pievetorina, puis au couvent d’Isola del Gran Sasso, dio­cèse de Penne, dans les Abruzzes, où il ren­dra sa belle âme à Dieu.

Pratique exacte des ver­tus religieuses.

« Notre per­fec­tion ne consiste pas à faire de grandes choses, disait sou­vent le jeune reli­gieux, mais à bien faire les pres­crip­tions ordi­naires de la règle. »

Le nou­veau pro­fès les accom­pli­ra avec une fidé­li­té mer­veilleuse jusqu’à son der­nier sou­pir, et cinq ans à peine lui suf­fi­ront pour s’élever à une émi­nente sainteté.

On ne trou­ve­ra donc pas ici des actes extra­or­di­naires de ver­tu. Mais les quelques traits que nous cite­rons nous mon­tre­ront la pure­té de son âme, la déli­ca­tesse de son amour pour Dieu.

Il aima ten­dre­ment la pau­vre­té, dans ses plus humbles renonce­ments. Lui, autre­fois si recher­ché dans sa mise, récla­mait mainte­nant une sou­tane et un man­teau tout usés. Il les por­tait avec un grand res­pect, avec dévo­tion même, comme les vête­ments de Jésus- Christ. Il les rac­com­mo­dait lui-​même et, par pau­vre­té encore, il employait à cet usage les vieux mor­ceaux d’étoffe.

Son supé­rieur l’en repre­nait agréablement :

– Quel avare vous êtes ! Ah ! je plains vos subor­don­nés, si jamais vous deve­nez supérieur !…

Toujours plei­ne­ment satis­fait de ce qu’on lui ser­vait au réfec­toire, il était dans la joie quand quelque chose venait à lui manquer :

– Nous sommes pauvres, disait-​il sou­vent, les pauvres manquent du néces­saire, nous devons être dis­po­sés à en man­quer volon­tiers, nous aussi.

L’obéissance fut sa ver­tu de pré­di­lec­tion. On le pro­po­sait comme modèle à tous ses com­pa­gnons d’étude. Il écri­vait dans son car­net de notes ces belles paroles :

La volon­té propre n’est point agréable à Dieu. Eût-​on toutes les rai­sons et les meilleures inten­tions du monde, la volon­té propre ne plaît point à Dieu.

Avec son direc­teur spi­ri­tuel, il était comme un enfant avec sa mère, se lais­sant gui­der en toute chose. Un grand attrait le por­tait vers les péni­tences cor­po­relles. Par obéis­sance, il y renon­ça sans récrimination.

Il se soi­gnait de la manière pres­crite. Son direc­teur, s’apercevant que sa san­té com­men­çait à décli­ner, lui enjoi­gnit, entre autres choses, de bien mâcher les ali­ments, afin de faci­li­ter la diges­tion. Gabriel exé­cu­ta la recom­man­da­tion avec une scru­pu­leuse exactitude.

On lui inter­dit de médi­ter pour la même rai­son. Ce fut une des plus grandes peines de son âme, mais il s’y sou­mit humblement.

Minutie que tout cela, exa­gé­ra­tion et fai­blesse de cer­veau ! dira peut-​être quelque esprit fort. Héroïsme et gran­deur d’âme, pour qui com­prend et connaît le mobile éle­vé auquel obéis­sait le Fr. Gabriel.

– Je regar­de­rai la voix du supé­rieur comme la voix de Dieu même et, son­geant que c’est l’ordre de Dieu même, je dirai : j’exé­cute cet ordre, ô Seigneur, parce que vous le vou­lez ainsi.

Léon XIII appe­lait le jeune reli­gieux le saint Louis de Gonzague des temps modernes. « Il m’est impos­sible, déclare son direc­teur, de trou­ver des paroles capables de faire com­prendre tout l’amour que le Fr. Gabriel por­tait à la sainte ver­tu de pure­té. » Dès les pre­miers jours du novi­ciat, il prit la réso­lu­tion de ne jamais fixer les yeux sur per­sonne. Plus tard, il vou­lut même faire le vœu de ne jamais regar­der le visage d’une femme, mais son direc­teur ne le lui per­mit pas. Il était avec ses frères d’une extrême réserve :

– Je ne tou­che­rai jamais per­sonne ni au visage ni aux mains ; je ne me lais­se­rai non plus tou­cher par personne.

Tandis qu’il était sur le point d’expirer, un reli­gieux lui tou­cha légè­re­ment les pieds pour savoir s’ils étaient froids. Le ser­vi­teur de Dieu en éprou­va comme une com­mo­tion désa­gréable ; il les reti­ra aus­si­tôt en disant :

– Laissez, lais­sez, ne me tou­chez pas.

Non content d’observer avec la plus grande per­fec­tion cette admi­rable ver­tu, il cher­che­ra à en ins­pi­rer aux autres l’estime et l’amour, comme nous le consta­tons dans ses lettres.

Ce n’est pas néan­moins qu’il fût exempt de ten­ta­tions ; mais il sor­tit tou­jours vain­queur de la lutte.

La mor­ti­fi­ca­tion fut le secret de sa force. Il sup­pliait son direc­teur de lui per­mettre de por­ter le cilice, des chaînes de fer.

– Cela m’aidera, disait-il.

Ce der­nier le ren­voyait tou­jours avec une fin de non-​recevoir. Un jour, néan­moins, pour le mor­ti­fier, il lui per­mit de les por­ter, mais publi­que­ment sur ses habits. Malgré une répu­gnance facile à com­prendre, Gabriel obéit.

Il aimait la Reine des vierges d’un amour si tendre, si brû­lant, témoigne son direc­teur, que tout ce que je pour­rais dire à ce sujet serait loin d’at­teindre la réa­li­té. Quand il par­lait de la Très Sainte Vierge, ses expres­sions cou­laient abon­dantes, inépui­sables et empreintes d’une sua­vi­té et d’une élo­quence qui fai­saient l’admiration de tous ceux qui avaient le bon­heur de l’entendre. Même pen­dant son som­meil, son cœur veillait, et presque tous ses rêves avaient Marie pour objet, tant cette douce image était pro­fondément gra­vée dans son esprit.

Sa confiance en elle était admirable.

– Marie m’a fait tant de grâces, puis-​je craindre qu’elle ne me porte pas avec elle en para­dis ? Avec son aide je serai fidèle à Dieu et elle me por­te­ra au ciel. Je n’en puis douter.

Zèle pour le salut des siens.

Sans avoir eu le bon­heur de par­ve­nir au sacer­doce – il n’était que mino­ré, comme saint Louis de Gonzague, quand Dieu l’appela à lui, – le Fr. Gabriel n’en exer­ça pas moins un véri­table apos­to­lat par la prière, le sacri­fice et aus­si par ses lettres. Il conjure son père d’interdire à ses frères le théâtre et les réunions mondaines :

N’admettez pas comme excuse qu’il faut quelques diver­tis­se­ments, qu’il n’y a du reste à cela aucun mal, que ce sont des gens de bien. Moi aus­si, j’ai enten­du à la mai­son ce même lan­gage, et pour­tant Dieu sait si de pareilles choses m’ont été funestes… Un autre sujet de sou­pirs et de larmes pour moi, ce sont ces mau­dits romans. Que je vou­drais ne les avoir jamais lus ! Ils parais­saient inof­fen­sifs et c’étaient autant de démons.

Mort désirée.

Fr. Gabriel pres­sen­tait qu’il ne four­ni­rait pas une longue car­rière. Il dési­rait trop le ciel, et, dans la crainte d’offenser Dieu, s’il vivait plus long­temps, il deman­dait chaque jour la grâce de mou­rir bien­tôt. Il ajou­tait qu’il serait heu­reux de mou­rir de phti­sie pul­monaire, afin de pou­voir plus aisé­ment faire des actes d’amour de Dieu jusqu’à son der­nier soupir.

Dans les der­niers jours de l’année 1861, sa san­té s’altéra tout à coup, à la suite d’un refroi­dis­se­ment. Le mal empi­ra et dégé­né­ra en phti­sie pul­mo­naire. Bien loin d’en mani­fes­ter aucun trouble, Gabriel en sur­abon­dait de joie.

Le 26 février 1862 au soir, le malade com­men­ça à s’agiter, à se trou­bler, puis à redire avec force ces paroles de saint Bernard :

– Mes mérites, ce sont vos plaies, ô Seigneur !

Son père spi­ri­tuel lui deman­da s’il éprou­vait des tentations :

– Oui, répond le malade.

– Quelles ten­ta­tions ? De défiance ou de présomption ?

– De présomption.

Son direc­teur lui adres­sa alors quelques pieuses exhor­ta­tions et asper­gea la chambre d’eau bénite.

– Eh bien ! Frère Gabriel, la ten­ta­tion a‑t-​elle cessé ?

– Oui, grâce à Dieu. Je jouis d’une paix très profonde.

Le jour com­men­çait à poindre, lorsque, se sen­tant mou­rir, il dit au Père à deux reprises :

– Père, ne pourriez-​vous pas me don­ner l’absolution ? J’ai fait un acte de contrition.

Il deman­da ensuite l’image de Notre-​Dame des Sept-​Douleurs. A peine l’eut-il reçue qu’il la cou­vrit de bai­sers, puis, décou­vrant sa poi­trine, il y appli­qua l’image bénie, la pres­sa de ses deux mains avec tant de force qu’il sem­blait la vou­loir faire entrer dans son cœur. Il s’écria alors, avec un sen­ti­ment de confiance et de ten­dresse indicible :

– O ma bonne Mère, faites vite.

Toute la com­mu­nau­té arrive pour assis­ter de ses prières le Frère mou­rant. Gabriel est dans l’altitude de quelqu’un qui va s’endormir, un sou­rire céleste vient sur ses lèvres, il ouvre vive­ment les yeux et les fixe vers un point où il semble contem­pler un ravis­sant spec­tacle. Puis, dou­ce­ment, sans le moindre effort, il rend le der­nier sou­pir. C’était le 27 février 1862. Comme saint Louis de Gonzague, il avait vingt-​quatre ans.

Miracles. – Canonisation.

Déjà, tous les assis­tants pro­cla­maient sa sain­te­té. Cette répu­ta­tion gran­dit de jour en jour, non seule­ment en Italie, mais au dehors. Aussi, en 1891, l’introduction de la cause du ser­vi­teur de Dieu était- elle sol­li­ci­tée du Saint-​Siège. Il fal­lut alors pro­cé­der à la reconnais­sance et à l’exhumation des restes. Le corps avait été des­cen­du dans le caveau de la com­mu­nau­té creu­sé dans la cha­pelle même. Mais la Révolution ita­lienne, usur­pant les Etats de l’Eglise, avait confis­qué les monas­tères et expul­sé les reli­gieux. Le couvent d’Isola avait été ven­du et trans­for­mé en une sorte d’entrepôt. Les supé­rieurs de la Congrégation n’ayant pu le recou­vrer, déci­dèrent du moins de trans­por­ter ailleurs le corps du Fr. Gabriel.

La céré­mo­nie de l’exhumation fut fixée au 17 octobre 1892 ; le trans­fert devait avoir lieu le len­de­main, jour anni­ver­saire de la mort de saint Paul de la Croix, fon­da­teur des Passionnistes. Mais la popu­lation d’Isola et des alen­tours avait eu vent de ce qui se pré­pa­rait ; elle rem­plis­sait l’église et se répan­dait aux abords, décla­rant qu’elle s’opposerait à tout enlè­ve­ment : « Dieu nous a don­né ce Saint, per­sonne ne nous l’ôtera. » On dut renon­cer au pro­jet de trans­fert. Les restes véné­rés furent recueillis et dépo­sés dans une châsse qui fut pla­cée dans l’église elle-​même, près de l’autel de saint Paul de la Croix. Ils furent dès lors l’objet d’incessants pèle­ri­nages, et la sain­teté de Gabriel se mani­fes­ta « par des miracles qui sont légion », sui­vant le décret des Rites de juin 1899.

Le 31 mai 1908, sous Pie X, la basi­lique de Saint-​Pierre voyait se dérou­ler la magni­fique céré­mo­nie de la béa­ti­fi­ca­tion. Parmi les assis­tants on pou­vait remar­quer plu­sieurs parents du nou­veau Bienheureux, entre autres son frère, le Dr Henri Possenti, né en 1834 et méde­cin à l’hôpital de Camerino, décé­dé en juin 1931. Le P. Norbert assis­tait, lui aus­si, à la glo­ri­fi­ca­tion de celui qu’il avait diri­gé dans les sen­tiers de la sainteté.

Les fêtes de la béa­ti­fi­ca­tion étaient à peine ache­vées que, par de nou­velles mer­veilles, Dieu mani­fes­tait déjà sa volon­té de cou­ron­ner son œuvre dans son ser­vi­teur, si bien qu’en juin 1909 la cause était reprise, La cano­ni­sa­tion a eu lieu, sous Benoît XV, le 13 mai 1920, en la fête de l’Ascension. Saint Gabriel de l’Addolorata est le modèle et le patron de la jeu­nesse chrétienne.

A. Arnaud.

Sources consul­tées. – Vita del Beato Gabriela dell Addolorala, Passionnista, scrii­ta dal P. Germano di S. Stanislao, pos­tu­la­tore délia Causa. – R. P. Bernard, Passionniste, Vie de Gabriel de l’Addolorata (5° édi­tion, 1920). – (V. S. B. P., nos 1279 et 1486.)