Saint Mathias, apôtre

Saint Mathias portant la hache, instrument de son martyre, par Rubens

Apôtre (Ier siècle). Qui fut choi­sit par le sort pour prendre la place du traitre Judas.

Fête le 24 février.

Vie résumée par l’abbé Jaud

S. Mathias eut le bon­heur de s’attacher à la suite de Jésus-​Christ dès le com­men­ce­ment de sa pré­di­ca­tion ; mais il ne fut pas du nombre des douze que le Sauveur choi­sit pour apôtres : on croit qu’il était un des soixante-​douze dis­ciples, et ce ne fut qu’a­près l’ascension de Jésus-​Christ qu’il fut éle­vé à l’apostolat de la ma­nière qui est rap­por­tée au pre­mier cha­pitre des Actes des Apôtres.

Après que le Sauveur eut été enle­vé au ciel, ses dis­ciples retour­nèrent à Jérusalem, et se ren­fer­mèrent dans une mai­son pour y attendre la des­cente du Saint-​Esprit. Ils étaient dans une chambre haute, au nombre d’environ cent vingt, per­sé­vé­rant tous en union d’esprit dans la prière avec Marie, mère de Jésus, et ses frères, c’est-​à-​dire ses cou­sins ger­mains. Alors Pierre, s’étant levé au milieu de l’as­sem­blée, dit : « Mes frères, il faut que ce que le Saint-​Esprit a pré­dit dans l’Ecriture, par la bouche de David, tou­chant Judas, qui a été le chef et le guide de ceux qui ont pris Jésus, soit accom­pli. Il était dans le même rang que nous ; il avait été appe­lé aux fonc­tions du même minis­tère ; et, après avoir acquis un champ du prix de son péché, il s’est pen­du, son corps s’est ouvert, et toutes ses entrailles se sont répan­dues. Car il est écrit dans le livre des Psaumes : « Que sa demeure devienne déserte : qu’il n’y ait per­sonne qui l’habite, et qu’un autre prenne sa place dans l’épiscopat. » Il faut donc qu’entre ceux qui ont été en notre com­pa­gnie pen­dant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu par­mi nous, depuis le bap­tême de Jean jus­qu’à ce jour, que nous l’avons vu mon­ter au ciel, on en choi­sisse un qui soit, comme nous, témoin de sa résur­rec­tion. « Après ce dis­cours de S. Pierre, les dis­ciples pro­po­sèrent deux sujets, Joseph, appe­lé Barsabas, sur­nom­mé le Juste, et Mathias ; et, se met­tant tous en prière, ils dirent : « Seigneur, vous qui connais­sez les cœurs de tous les hommes, montrez-​nous lequel de ces deux vous avez choi­si pour entrer dans ce minis­tère et dans l’apostolat, dont Judas est déchu par son crime. » Aussitôt ils les tirèrent au sort, et le sort tom­ba sur Mathias, qui fut asso­cié aux onze apôtres.

Telle est l’histoire de l’élection de S. Mathias, dans laquelle le Saint-​Esprit nous a tra­cé un modèle admi­rable de la manière dont se doit faire le choix des ministres du Seigneur. On ne connaît point ici les sol­li­ci­ta­tions et les brigues. Personne ne se pré­sente pour rem­plir cette place. L’assemblée pro­cède à l’é­lec­tion dans un esprit d’ordre et de paix ; les vues humaines n’y entrent pour rien : les dis­ciples veulent que Dieu décide, per­suades qu’il n’appartient qu’à Celui qui connaît le fond des cœurs de choi­sir et d’appeler ses ministres. C’est pour cela qu’après s’être adres­sés à lui par une prière courte mais pleine de foi, ils emploient le sort, où Dieu fait tout, et ne laisse rien à faire aux lumières et à l’in­dus­trie de l’homme.

Nous n’avons rien de cer­tain sur le détail des actions de S. Ma­thias : on sait seule­ment qu’après avoir reçu le Saint-​Esprit le jour de la Pentecôte, il alla prê­cher l’Évangile de Jésus-​Christ, et qu’il se consa­cra pen­dant tout le reste de sa vie aux tra­vaux de l’apos­tolat, auquel Dieu l’avait appe­lé. S. Clément d’Alexandrie rap­porte de lui cette sen­tence : « Il faut com­battre contre sa chair, et la domp­ter entiè­re­ment, en ne lui accor­dant rien de ce que de­mandent les dési­rs déré­glés de la sen­sua­li­té, et il faut au contraire for­ti­fier et faire croître l’âme par la foi. »

Source : Vie des saints pour tous les jours de l’an­née, Abbé L. Jaud.

Version longue (La Bonne Presse)

Saint Mathias, un des plus fidèles dis­ciples de Notre-​Seigneur, s’était mis de bonne heure à la suite du divin Maître, et fut témoin de toute sa vie publique, depuis son bap­tême au Jourdain jusqu’à son Ascension au mont des Oliviers. Si Jésus ne le mit pas au rang de ses apôtres durant sa vie mor­telle, il le desti­nait néan­moins à rem­pla­cer Judas et, sachant l’avenir, il dut arrê­ter sou­vent des regards de par­ti­cu­lière ten­dresse sur ce futur membre du col­lège apostolique.

Les « Douze ».

Ce n’est pas sans rai­son que, dans le choix de ses apôtres, le Sauveur en avait fixé le nombre à douze. Ce chiffre était figu­ré à l’avance par les douze patriarches, pères des douze tri­bus, par les douze princes qui por­taient l’Arche du Testament, par les douze lions du trône de Salomon, etc. Le nombre douze est un nombre sacré dans l’histoire du peuple de Dieu. Plus tard, saint Jean, contem­plant la Jérusalem céleste dans ses sublimes visions de Pathmos, note­ra qu’elle a douze portes gar­dées cha­cune par un ange, et douze fon­dements sur les­quels « sont gra­vés les noms des douze apôtres ». (Apoc. XXI, 12–14.) Saint Paul avait déjà appe­lé les apôtres les « fon­de­ments » de l’Eglise du Christ.

Ce nombre sym­bo­lique avait été détruit par la défaillance du traître. Les onze qui res­taient se pré­oc­cu­pèrent aus­si­tôt de le com­pléter. Ils s’adjoignirent un dou­zième apôtre : ce fut saint Mathias.

De sa vie nous ne connais­sons avec pleine cer­ti­tude que son élec­tion racon­tée par les Actes des Apôtres. Arrêtons-​nous d’abord à cette page de nos Saints Livres.

Au soir de l’Ascension.

Quand Jésus-​Christ fut mon­té au ciel, les apôtres se trou­vèrent désem­pa­rés. Ils l’avaient sui­vi du regard et ne pou­vaient déta­cher leurs yeux de cette nuée der­rière laquelle il avait dis­pa­ru. Il fal­lut que deux anges vinssent leur dire, comme pour les tirer de leur tor­peur : « Hommes de Galilée, pour­quoi restez-​vous là, regar­dant au ciel ? » C’était à eux main­te­nant de par­faire l’œuvre du Sau­veur. Elle était, en effet, à peine ébau­chée, si bien que, à par­ler humai­ne­ment on aurait pu dire que le Fils de Dieu, remon­tant au ciel, renon­çait à l’achèvement de son grand dessein.

Mais les vues de Dieu ne sont pas les nôtres. C’est par ses apôtres que Jésus vou­lait éta­blir son Eglise. Au moment de les pri­ver de sa pré­sence visible, il leur avait pres­crit « de demeu­rer dans la ville jusqu’à ce qu’ils fussent revê­tus de la force d’en haut ». (Luc. XXIV, 49) « Vous rece­vrez, leur dit-​il, la ver­tu de l’Esprit-Saint qui vien­dra sur vous, et vous serez témoins pour moi à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extré­mi­tés de la terre. » (Act. 1, 8.)

Lui-​même s’était conten­té de jeter les fon­de­ments du royaume des cieux et il char­geait ses apôtres de le consti­tuer et de l’organiser. Or, nul d’entre eux n’avait grand cou­rage ; il ne semble même pas qu’ils eussent encore une idée bien nette de l’œuvre à entre­prendre. La Sainte Vierge, il est vrai, leur était lais­sée comme une conseil­lère pré­cieuse, mais elle n’avait pas de rôle offi­ciel. Ce n’est pas elle, c’est Pierre qui est le chef ; ce sont les apôtres qui doivent ensei­gner et gou­ver­ner. Sans l’Esprit-Saint que pourraient-​ils ? C’est lui qui les trans­for­me­ra. « Ce qu’est l’âme pour le corps de l’homme, dit saint Augustin, le Saint-​Esprit l’est pour le corps du Christ qui est l’Eglise. » (Sermon CCLXVII.) A la venue de l’Esprit, l’Eglise naî­tra et sera vivante, comme fut vivant le corps d’Adam quand il eut reçu le souffle de la bouche de Dieu.

Au Cénacle.

Aussitôt des­cen­dus du mont des Oliviers, où le divin Sauveur les avait lais­sés, les apôtres, pour se confor­mer à ses ins­truc­tions, mon­tèrent au Cénacle. C’était là que se tenaient Pierre et Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Simon le Zélé et Jude, frère de Jacques.

Ils étaient là avec la Mère de Jésus et de nom­breux dis­ciples. Notons sur­tout la pré­sence de Marie en ce nou­veau Bethléem, en cette nou­velle crèche où va naître l’Eglise. Comme Marie avait été autre­fois près du ber­ceau du Sauveur, il conve­nait qu’elle fût aujourd’hui près du ber­ceau de l’Epouse du Christ. Ils per­sé­vé­raient tous ensemble dans la prière avec les femmes, et avec Marie, Mère de Jésus, et avec ses frères, c’est-à-dire avec ses cou­sins, selon la manière de par­ler des Juifs à cette époque. Les trois der­niers apôtres de la liste ci-​dessus étaient de ceux-​là. Leur prière appe­lait avec fer­veur l’Esprit que le Fils de Dieu leur avait promis.

Mais avant de leur envoyer le divin Paraclet, Jésus, vou­lant que le col­lège apos­to­lique fût au com­plet, ins­pi­ra à saint Pierre de pro­céder au choix du dou­zième apôtre. Et cela se fît pen­dant l’attente du jour de la Pentecôte.

Election de saint Mathias.

Le livre des Actes des Apôtres nous la raconte ain­si (I, 15–26) :

En ces jours-​là, Pierre, se levant au milieu de ses frères (qui étaient ras­sem­blés au nombre d’environ cent vingt), leur dit :

– Hommes, mes frères, il faut que s’accomplisse la pro­phé­tie ins­pi­rée à David par l’Esprit-Saint au sujet de Judas, qui a été le guide de ceux qui ont arrê­té Jésus. […] Il est, en effet, écrit au livre des Psaumes : « Que leur mai­son soit déserte, que nul ne vienne y habi­ter et que son épis­co­pat soit confié à un autre. » [1] Il faut donc que, par­mi ces hommes qui nous ont accom­pa­gnés pen­dant toute la durée de la vie publique du Seigneur Jésus, depuis le bap­tême de Jean jusqu’au jour de l’Ascension, l’un d’eux soit consti­tué avec nous témoin de sa Résurrection.

Ils en pré­sen­tèrent deux : Joseph Barsabas, sur­nom­mé le Juste, et Mathias. Priant ensuite, ils dirent :

« Seigneur, vous qui connais­sez les cœurs de tous, mon­trez lequel de ces deux vous avez choi­si pour lui don­ner, dans ce minis­tère et dans cet apos­to­lat, la place que Judas a quit­tée par sa pré­va­ri­ca­tion, pour s’en aller en son lieu. »

Alors ils tirèrent au sort, et le sort tom­ba sur Mathias, qui fut asso­cié aux onze apôtres.

Les deux can­di­dats pro­po­sés par l’assemblée parais­saient d’un égal mérite aux yeux de tous. C’est sans doute pour ce motif que, dans l’embarras du choix, Pierre recou­rut à la dési­gna­tion par le sort.

Une autre rai­son dut encore le déter­mi­ner à pro­cé­der ain­si, c’était le désir de faire inter­ve­nir direc­te­ment Notre-​Seigneur dans une affaire aus­si impor­tante, comme le prouve la confiante prière qu’il lui fit adres­ser par tous. C’est Jésus, en effet, qui avait choi­si les Douze ; il conve­nait que le rem­pla­çant de celui qui avait failli fût encore dési­gné par lui. De la sorte, le col­lège des Douze serait tou­jours le résul­tat du choix divin.

Saint Mathias est agréé par les apôtres pour rem­pla­cer Judas.

La Pentecôte.

Mathias fai­sait donc par­tie du col­lège apos­to­lique lorsque, dix jours après l’Ascension, au matin de la Pentecôte, à la troi­sième heure (9 heures du matin selon notre manière de divi­ser le jour), se pro­dui­sit la des­cente du Saint-​Esprit au milieu de mani­fes­ta­tions extra­or­di­naires qui rem­plirent de stu­peur les habi­tants de Jérusalem ain­si que la foule énorme de pèle­rins accou­rus de la Palestine et des pays voi­sins, pour célé­brer au Temple la Pentecôte, une des plus grandes fêtes de l’année. En ce jour, on com­mé­mo­rait, chez les Juifs, la pro­mul­ga­tion de la loi sur le Sinaï, et on offrait au Temple les pré­mices de la mois­son. Ces antiques céré­mo­nies préfigu­raient le nou­vel ordre de choses. Désormais la loi de grâce rempla­cera l’ancienne loi de crainte, et aux pré­mices de la mois­son ter­restre vont se sub­sti­tuer les pré­mices de la mois­son évan­gé­lique. Un bruit aus­si sou­dain que violent, qui rap­pe­lait le ton­nerre du Sinaï, reten­tit comme un souffle de tem­pête. Des langues de feu appa­rurent sur la tête des apôtres, sym­bole de leur mis­sion d’enseigner et de la fer­veur dont ils devaient embra­ser l’univers.

« Et les apôtres, rem­plis de l’Esprit-Saint, com­men­cèrent à par­ler en diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur don­nait de s’en ser­vir. » (Act. II, 4.)

Or, à Jérusalem se trou­vaient des Juifs venus de toute nation, et tous s’étonnaient et admi­raient, disant :

– Tous ces hommes qui parlent ne sont-​ils pas Galiléens ? Com­ment donc entendons-​nous cha­cun notre langue ? Parthes, Mèdes, Elamites, habi­tants de la Mésopotamie, de la Cappadoce, du Pont de l’Asie, de la Phrygie, de la Pamphilie, de l’Egypte et des régions de la Libye qui avoi­sinent Cyrène, et ceux venus de Rome, Juifs et pro­sé­lytes, Crétois et Arabes, nous les enten­dons par­ler, en notre propre langue, des mer­veilles de Dieu. (Act. II, 8‑II.)

Ce pro­dige les stupéfiait.

Dieu signi­fiait par-​là que les temps étaient venus de rame­ner à l’unité les nations diverses, divi­sées depuis Babel. Il indi­quait aus­si que toute langue ser­vi­ra désor­mais à pro­pa­ger la doc­trine de la foi ; c’est la remarque de saint Augustin : « S’il y a des langues que l’Eglise ne parle pas encore, dit-​il, elle les par­le­ra, car elle gran­di­ra jusqu’à ce qu’elle se soit empa­rée de toutes les langues de l’univers. » (Super Ps. 147, 19.)

Dès ce pre­mier jour, saint Pierre, pre­nant la parole au nom de tous les apôtres, adres­sa un dis­cours à la foule ; il fut si per­sua­sif et si émou­vant que trois mille hommes se conver­tirent aus­si­tôt et deman­dèrent le baptême.

La dispersion des apôtres.

Les Douze ne devaient pas demeu­rer ensemble. Notre-​Seigneur leur avait ordon­né d’aller et de prê­cher à toutes les nations de la terre. Ils com­men­cèrent évi­dem­ment par Jérusalem et la Palestine, puis vint le temps de se sépa­rer pour leurs diverses missions.

Ils durent d’abord se concer­ter pour arrê­ter les lignes com­munes de leur ensei­gne­ment. De là est née la tra­di­tion qui les fait com­poser ensemble le sym­bole dit « des Apôtres », lequel, s’il n’est pas une for­mule rédi­gée par eux-​mêmes, est le résu­mé de leur prédication.

Se distribuèrent-​ils ensuite les pays à évan­gé­li­ser ? On peut le croire, mais l’histoire ne nous apprend rien de posi­tif sur ce point.

On est obli­gé de gla­ner, de-​ci, de-​là, quelque allu­sions échap­pées aux écri­vains ecclé­sias­tiques de l’antiquité, pour soup­çon­ner en quelles contrées les dif­fé­rents apôtres exer­cèrent leur zèle. De cer­tains d’entre eux, notam­ment de saint Mathias, on sait si peu de chose que l’Eglise n’a pas même trou­vé de quoi com­po­ser une légende pour son Bréviaire. On serait si heu­reux, pour­tant, d’avoir des détails sur leur apos­to­lat, mais pour la plu­part d’entre eux il faut nous conten­ter de vagues probabilités.

On pense que leur départ défi­ni­tif de Jérusalem eut lieu en l’an 42, lors de la per­sé­cu­tion d’Hérode Agrippa, pen­dant laquelle saint Jacques le Majeur eut la tête tran­chée, et saint Pierre fut empri­son­né. Celui-​ci n’échappa alors au mar­tyre que par la mira­cu­leuse déli­vrance de l’ange.

Nous savons d’une façon cer­taine que le Prince des apôtres alla d’abord à Antioche, qu’il évan­gé­li­sa plu­sieurs pro­vinces d’Asie Mineure, et ensuite Rome, où il éta­blit sa rési­dence et où il fut crucifié.

Nous savons aus­si que saint Jacques le Mineur res­ta à Jérusalem et que, vingt ans après, en l’an 62, les Juifs le pré­ci­pi­tèrent du haut des por­tiques du Temple et le lapidèrent.

En ce qui concerne les dix autres nous ne savons presque rien, et sur quelques-​uns rien du tout. S’il est pour­tant des per­son­nages dignes d’une ample bio­gra­phie, ce sont assu­ré­ment ces hérauts de la bonne nou­velle. Mais, après tout, qu’importent les détails ? Leur vie sublime se résume dans ces paroles que la litur­gie chante en leur honneur :

« Voilà les triom­pha­teurs et les amis de Dieu qui, sans tenir compte des ordres des princes, ont méri­té d’éternelles récom­penses. Ce sont eux qui pen­dant leur vie ont plan­té l’Eglise dans leur sang. Ils ont bu le calice du Seigneur. Leur voix a reten­ti jusqu’aux extré­mi­tés de la terre, et l’Eglise est éclai­rée par leur doc­trine comme la lune par le soleil. »

Office des Apôtres.

Ces magni­fiques louanges s’appliquent indis­tinc­te­ment à tous les membres du col­lège apostolique.

La part de saint Mathias.

Quels furent les voyages de l’apôtre saint Mathias ? Quels pays évangélisa-t-il ?

Le récit n’en a pas été fait ou, du moins, ne nous a pas été conservé.

L’historien Nicéphore dit que Mathias prê­cha la bonne nou­velle en Ethiopie et y subit le mar­tyre. Clément d’Alexandrie men­tionne quelques traits de sa pré­di­ca­tion. « Il insis­tait par­ti­cu­liè­re­ment, dit-​il, sur la néces­si­té de mor­ti­fier la chair, de refré­ner ses pas­sions et ses convoi­tises, de gran­dir dans la foi et d’avoir l’intelligence des choses de Dieu. » Avouons qu’il n’y a rien là de bien saillant, et on peut affir­mer que tous les apôtres prê­chaient de même. En outre, Clément d’Alexandrie pré­tend que saint Mathias mou­rut de mort natu­relle, ain­si que Philippe, Matthieu et Thomas, ce qui est contraire à la tra­di­tion com­mu­né­ment reçue.

Plusieurs nous montrent saint Mathias prê­chant d’abord en Judée avec grand fruit, puis, allant tou­jours devant lui, il arri­va jusqu’en Ethiopie, où il fut lapi­dé après trente-​trois ans d’apostolat, tan­dis que d’autres récits plus cir­cons­tan­ciés nous disent qu’il fut cru­ci­fié, puis déta­ché de la croix et enfin décapité.

Ce qui semble devoir être rete­nu par­mi ces diverses contradic­tions, c’est que saint Mathias fut l’apôtre de l’Ethiopie.

Il existe un évan­gile apo­cryphe qui porte son nom. Clément d’Alexandrie le cite sous le titre de « Traditions de saint Mathias ».

Les Philosophumena men­tionnent des « dis­cours » apo­cryphes de saint Mathias. De même l’historien Eusèbe. Cet évan­gile est signa­lé par le Catalogue géla­sien qui lui dénie toute valeur.

Mieux vaut avouer fran­che­ment notre igno­rance sur le minis­tère apos­to­lique de ce grand apôtre et sur son mar­tyre, que cer­tains auteurs placent le 24 février après l’an 60.

Le mar­tyre de saint Mathias, par Stephan Lochner

Ses reliques.

Sommes-​nous mieux ren­sei­gnés sur le sort de ses reliques ? Ici encore règnent bien des incertitudes.

Le corps de saint Mathias fut trans­por­té à Rome par sainte Hélène ; sa tête et ses prin­ci­paux osse­ments se trouvent aujourd’hui à Sainte-​Marie Majeure, sous l’autel papal.

Trêves se vante pour­tant de pos­sé­der le corps du saint apôtre, qui aurait été dépo­sé en l’église de Saint-​Eucher, deve­nue depuis église de Saint-​Mathias. N’oublions pas que Trêves fut la rési­dence de l’empereur Constance Chlore, époux de sainte Hélène, et il n’est pas invrai­sem­blable que la pieuse impé­ra­trice ait fait don à l’église de Trêves d’une par­tie des reliques de saint Mathias [2].

Par ailleurs, le docte Jean Eck, dis­pu­tant contre Luther, écrit que le corps de saint Mathias fut appor­té de Rome à Augsbourg. Il s’agit, sans doute, de quelques reliques, et l’imagination popu­laire aura pris la par­tie pour le tout. Il peut se faire aus­si qu’il y ait confu­sion avec un autre saint Mathias, évêque de Jérusalem en l’an 420.

On véné­rait aus­si une par­tie du chef du saint apôtre à Barbezieux, en Charente. Les cal­vi­nistes la jetèrent au feu.

Sa fête.

Le nom de saint Mathias figure, dès les pre­miers siècles, au Canon de la messe ; non dans la pre­mière liste des apôtres, mais dans la seconde, celle des mar­tyrs, après le mémen­to des défunts.

Sa fête, mar­quée au Sacramentaire gré­go­rien, au 24 février, a été éle­vée au rite double par Boniface VIII en 1295, avec celle des autres apôtres et des évan­gé­listes. Elle est actuel­le­ment, depuis saint Pie V, de rite double de seconde classe.

Les Grecs Ruthènes fêtent saint Mathias le 9 août et les Coptes le 8 mars.

Ses divers patronages.

On donne à saint Mathias un insigne dif­fé­rent selon qu’il est repré­sen­té seul ou avec la suite des autres apôtres. En groupe, il tient une hache ou une hal­le­barde, emblème de sa déca­pi­ta­tion. Isolé, il tient ordi­nai­re­ment une croix à longue hampe, en sou­ve­nir do son crucifiement.

C’est sans doute en consi­dé­ra­tion de sa hache que saint Mathias a été choi­si pour patron des char­pen­tiers, char­rons et taillandiers.

On lui assigne encore un autre patro­nage quelque peu inat­ten­du, celui des buveurs et godailleurs repen­tants. Pourquoi a‑t-​il atti­ré l’attention de cette peu flat­teuse corporation ?

Peut-​être parce qu’il est le der­nier des Douze et qu’il ne devint apôtre que sur le tard, après l’Ascension. Mais il vaut mieux pen­ser, en se sou­ve­nant de ce que nous dit Clément d’Alexandrie sur la pré­di­ca­tion de saint Mathias, que ce patro­nage lui est venu de ce qu’il insis­tait sur la néces­si­té de répri­mer sa chair et de mor­ti­fier ses pas­sions, chose dont les buveurs endur­cis ont par­ti­cu­liè­re­ment besoin.

E. Lacoste

Sources consul­tées. – Clément d’Alexandrie, Livre des Hypotyposes. – Eusèbe. Histoire ecclé­sias­tique. (I, 12 ; II, 1 ; III, 26). – Nicéphore, Histoire ecclé­sias­tique. – Gallia chris­tia­na (t. XIII, col. 544)· – Migne, Dictionnaire des abbayes (p. 5o8). – Petits Bollandistes. – Bréviaire de Trêves. – (V. S. B. P., no 366.)

Notes de bas de page
  1. Saint Pierre emprunte cette cita­tion à deux psaumes et en fait un seul texte. La pre­mière par­tie, qui sou­haite l’extinction de la race du traître, est du psaume lxviii, 26. La seconde, qui parle de son rem­pla­ce­ment, est du psaume 108, 8. La par­ti­cule et qui soude les deux textes signi­fie donc : « Il est encore écrit : Que son épis­co­pat soit confié à un autre. »[]
  2. L’impératrice Hélène aurait don­né les reliques de saint Mathias à saint Agrice, arche­vêque de Trêves. Saint Agrice était un clerc de l’église d’Antioche que sainte Hélène pré­sen­ta elle-​même au pape saint Sylvestre. Le Pape le créa pri­mat des Gaules et des deux Germanies, lui assi­gna sa rési­dence à Trêves avec le titre d’archevêque. Sainte Hélène lui don­na de nom­breuses et insignes reliques, notam­ment la tunique sans cou­ture du Sauveur, ain­si qu’un des clous de la Passion. Elle lui don­na encore le corps de saint Mathias (une par­tie seule­ment sans doute) ; saint Agrice le dépo­sa dans le sanc­tuaire de Saint-​Eucher, qui lui ser­vait de cathé­drale. Plus tard, cette église, aug­men­tée d’un monas­tère, fut dédiée à saint Mathias. Saint Agrice gou­ver­na l’Eglise de Trêves de l’an 313 à l’an 335 envi­ron. Le hui­tième cen­te­naire de la décou­verte des reliques de saint Mathias a été solen­nel­le­ment fêté à Trêves, du 1er au 8 sep­tembre 1927, sous la pré­si­dence du car­di­nal Schulte, arche­vêque de Cologne, et du nonce apos­to­lique de Berlin, entou­ré de cinq évêques.[]