Saint Grégoire le Grand

La Messe de saint Grégoire le Grand, par le Maître de la bible de Lübeck (Bruges, Belgique, actif vers 1485-1520)

Pape et doc­teur de l’Église (540–604). Il déve­lop­pa la litur­gie romaine. Fête le 12 mars.

Vie résumée par l’abbé Jaud

C’est à bon droit que cet illustre Pape est appe­lé le Grand ; il fut, en effet, grand par sa nais­sance, – fils de séna­teur, neveu d’une sainte, la vierge Tarsille ; – grand par sa science et par sa sain­te­té ; – grand par les mer­veilles qu’il opé­ra ; – grand par les digni­tés de car­di­nal, de légat, de Pape, où la Providence et son mérite l’é­le­vèrent graduellement.

Grégoire était né à Rome. Il en occu­pa quelques temps la pre­mière magis­tra­ture, mais bien­tôt la cité, qui avait vu cet opu­lent patri­cien tra­ver­ser ses rues en habits de soie, étin­ce­lants de pier­re­ries, le vit avec bien plus d’ad­mi­ra­tion, cou­vert d’un gros­sier vête­ment, ser­vir les men­diants, men­diant lui-​même, dans son palais deve­nu monas­tère et hôpi­tal. Il n’a­vait conser­vé qu’un seul reste de son ancienne splen­deur, une écuelle d’argent dans laquelle sa mère lui envoyait tous les jours de pauvres légumes pour sa nour­ri­ture ; encore ne tarda-​t-​il pas de la don­ner à un pauvre mar­chand qui, après avoir tout per­du dans un nau­frage, était venu sol­li­ci­ter sa cha­ri­té si connue.

Grégoire se livra avec ardeur à la lec­ture des Livres Saints ; ses veilles, ses mor­ti­fi­ca­tions étaient telles, que sa san­té y suc­com­ba et que sa vie fut com­pro­mise. Passant un jour sur le mar­ché, il vit de jeunes enfants d’une ravis­sante beau­té que l’on expo­sait en vente. Apprenant qu’ils étaient Angles, c’est-​à-​dire du pays, encore païen, d’Angleterre : « Dites plu­tôt des Anges, s’écria-​t-​il, s’ils n’é­taient pas sous l’empire du démon. » Il alla voir le Pape, et obtint d’al­ler prê­cher l’Évangile à ce peuple ; mais les mur­mures de Rome for­cèrent le Pape à le retenir.

Le Souverain Pontife étant venu à mou­rir, Grégoire dut cour­ber ses épaules sous la charge spi­ri­tuelle de tout l’u­ni­vers. L’un des faits remar­quables de son pon­ti­fi­cat, c’est l’é­van­gé­li­sa­tion de ce peuple anglais dont il eût vou­lu lui-​même être l’apôtre.

Grégoire s’est ren­du célèbre par la réforme de la litur­gie et le per­fec­tion­ne­ment du chant ecclé­sias­tique. Il prê­chait sou­vent au peuple de Rome, et lorsque la mala­die lui ôtait cette conso­la­tion, il com­po­sait des ser­mons et des homé­lies qui comptent par­mi les chefs-​d’œuvre de ce grand doc­teur. Son pon­ti­fi­cat fut l’un des plus féconds dont s’ho­nore l’Église. Grégoire mou­rut le 12 mars 604. On le repré­sente écou­tant une colombe qui lui parle à l’o­reille. Il est regar­dé comme le patron des chantres.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Au VIeme siècle, dans la déso­la­tion de Rome, de l’Italie et d’une Europe où il semble qu’avec les Barbares les païens soient rede­ve­nus les maîtres, la Providence a ména­gé l’entrée en scène d’un Pape qui, sans cher­cher à gou­ver­ner le monde, devait jouir d’un pres­tige excep­tion­nel de son vivant tan­dis que sa mémoire demeu­re­rait en bénédiction.

La jeunesse de saint Grégoire. – Son entrée en religion.

Grégoire, appe­lé à si juste titre le Grand, naquit à Rome vers l’an 540. Son père, Gordien, était séna­teur, mais il se voua dans la suite au ser­vice des pauvres. Sa mère, Sylvie, consa­cra aus­si la fin de sa vie à la contem­pla­tion dans un petit ora­toire, où elle s’était reti­rée. Arrière petit-​fils du Pape Félix III (483–192) et neveu de la vierge Tarsilla qui méri­ta d’entendre à l’heure de sa mort les concerts des anges, et de voir Jésus-​Christ venir au-​devant de son âme bien­heu­reuse, Grégoire apprit avec faci­li­té les lettres divines et humaines ; du vivant de son père, il entra dans l’administration impé­riale et fut même, croit-​on, pré­fet de Rome. Mais il aspi­rait à se reti­rer dans la soli­tude et à mener une vie toute de prière.

A la mort de Gordien, Grégoire put enfin exé­cu­ter son vœu le plus cher. Il fon­da d’abord six monas­tères en Sicile et un autre à Rome, en s’inspirant sans doute de la règle de saint Benoît. C’est dans ce der­nier couvent dési­gné sous le nom de Saint-​André, et situé sur la pente du mont Caelius, qu’il prit l’habit monas­tique, à l’âge de trente et un ans, après avoir dis­tri­bué aux pauvres ce qui lui res­tait de son patrimoine.

L’écuelle d’argent et le mendiant.

Le nou­veau reli­gieux n’avait conser­vé de tous ses biens qu’une écuelle d’argent, dans laquelle sa mère lui envoyait chaque jour des légumes cuits à l’eau pour sa nourriture.

Or, il arri­va qu’un mar­chand vint le trou­ver à son monas­tère ; il lui racon­ta qu’il avait fait nau­frage et per­du toute sa for­tune. Grégoire aus­si­tôt don­na ordre de lui comp­ter six pièces de mon­naie. Mais le sol­li­ci­teur ayant fait obser­ver que cela était bien peu de chose, vu sa détresse, Grégoire fit aus­si­tôt dou­bler la somme.

Deux jours après, le même mar­chand revint à la charge en arguant de son extrême pau­vre­té. Mais il ne res­tait plus d’argent au jeune moine. Toutefois, ne vou­lant pas ren­voyer son visi­teur les mains vides, il lui don­na son écuelle d’argent. A la suite de cette action, Grégoire opé­ra un grand nombre de miracles. Car le mar­chand nau­fra­gé était un ange envoyé du ciel pour éprou­ver la cha­ri­té du religieux.

Saint Grégoire donne à un pauvre une écuelle d’argent.

Un des pre­miers actes de Pelage II, élu Pape en 579, fut de confé­rer à Grégoire le dia­co­nat, ce qui, d’après l’usage des pre­miers siècles, lui don­nait une impor­tance consi­dé­rable, et de l’envoyer à Constantinople pour y ser­vir auprès de l’empereur les inté­rêts de Rome et de l’Italie, alors enva­hie par les Lombards. Son séjour en Orient se pro­lon­gea pro­ba­ble­ment jusqu’en 586.

Election au Souverain Pontificat. –« Regina Caeli ».

Lorsque Pélage II vint à mou­rir, empor­té par la peste (jan­vier 590), la voix una­nime du peuple, du cler­gé et du Sénat, deman­da que le diacre Grégoire lui succédât.

Rome avait comp­té sans la modes­tie de l’élu qui, pour gagner du temps, décla­ra vou­loir dif­fé­rer son accep­ta­tion jusqu’à l’arrivée de l’approbation impé­riale. En atten­dant, Grégoire se dévoua pour sou­la­ger les infor­tunes et com­battre le fléau, il pres­cri­vit des pro­ces­sions expia­toires pen­dant trois jours consé­cu­tifs ; mais le pre­mier jour, quatre-​vingts per­sonnes mou­rurent en une heure avant d’arriver à Sainte-​Marie Majeure. Alors, comme pour faire vio­lence au ciel, il prit dans ses mains l’image de la Mère de Dieu peinte par saint Luc, et nu-​pieds, les épaules cou­vertes d’un sac de péni­tent, il tra­ver­sa toute la ville pour se rendre à la basi­lique de Saint-​Pierre. La foule éplo­rée le suivit.

D’après la tra­di­tion, en arri­vant sur le pont qui fait face au mau­so­lée d’Adrien, on enten­dit dans les airs des chœurs angé­liques chan­tant ces paroles :

« Regina cae­li lae­tare Réjouissez-​vous, ô Reine du ciel, allé­luia ! parce que celui que vous avez méri­té de por­ter, allé­luia, est res­sus­ci­té, comme il l’a pré­dit, allé­luia ! »

Pénétré d’allégresse et de recon­nais­sance, le peuple s’agenouilla, et Grégoire, les yeux fixés au ciel, s’écria :

« Ora pro nobis Deum, priez Dieu pour nous, allé­luia ! »

En ce moment, un ange parut sur la cime du mau­so­lée ; il tenait à la main un glaive qu’il ren­trait dans le four­reau. Dès lors, la peste ne fit plus de victime.

Cet évé­ne­ment mira­cu­leux gran­dit beau­coup le pres­tige de Grégoire. Mais celui-​ci, non content d’écrire à l’empereur Maurice pour le conju­rer de ne pas rati­fier son élec­tion, s’échappa de Rome sous un dégui­se­ment. On s’aperçut bien­tôt de sa dis­pa­ri­tion, et ce fut un deuil public. Durant trois jours tous les habi­tants jeû­nèrent et rem­plirent les églises pour obte­nir de Dieu la grâce de retrou­ver leur pas­teur bien-aimé.

Les lettres de rati­fi­ca­tion venaient pré­ci­sé­ment d’arriver de Constantinople. Le soir, toute la popu­la­tion se répan­dit dans la cam­pagne, cher­chant le fugi­tif. Celui-​ci s’était caché dans une caverne. Mais Dieu le fit décou­vrir au moyen d’une colonne de lumière qui parais­sait au-​dessus de lui et l’accompagnait par­tout où il allait.

Grégoire fut rame­né en triomphe à la basi­lique vati­cane, et le len­de­main, 3 sep­tembre 590, il fut cou­ron­né au milieu de l’allégresse géné­rale. Maintenant, le sacri­fice était fait ; il l’accepta cou­ra­geu­se­ment mal­gré une san­té débile et il ne tar­da pas à faire sen­tir sa volon­té de main­te­nir l’ordre maté­riel et moral et le res­pect de l’autorité.

L’apôtre de l’Angleterre.

Une tra­di­tion veut qu’au temps où il était encore moine à Saint-​André, à Rome, Grégoire ait deman­dé au Pape Benoît Ier la per­mis­sion d’aller prê­cher l’Evangile en Angleterre, mais que le peuple l’ait empê­ché de quit­ter Rome. Ce désir lui aurait été ins­pi­ré par la vue de jeunes enfants ori­gi­naires de ce pays, pauvres païens mis en vente sur un mar­ché et dont l’allure franche, le regard clair lui auraient ins­pi­ré ce joli mot : « Ce ne sont pas des Angles, mais des anges. » (Non Angli sed angeli.)

Quoi qu’il en soit de l’authenticité de ce trait, un fait est réel : c’est le Pape Grégoire qui a don­né à l’Angleterre le tré­sor de la foi en lui envoyant, au prin­temps de 596 le prieur du monas­tère de Saint-​André, nom­mé Augustin, avec qua­rante de ses frères. Sans doute, au Concile d’Arles, en 314, on avait comp­té trois évêques de Grande-​Bretagne, mais le pays était retom­bé dans le paga­nisme à la suite de l’invasion des Anglo-​Saxons en 428.

Les mis­sion­naires s’arrêtèrent en Provence, décou­ra­gés devant les fatigues de la route, et Augustin revint à Rome, mais le Pape, loin d’admettre ses rai­sons, lui remit pour ses com­pa­gnons une lettre où il leur repré­sen­tait for­te­ment la volon­té du Seigneur et les encou­ra­geait à la per­sé­vé­rance. Il les recom­man­da aus­si à la pro­tec­tion des rois méro­vin­giens Thierry et Théodebert et de la reine Brunehaut.

Les reli­gieux reprirent cou­rage et abor­dèrent heu­reu­se­ment au royaume de Kent vers Pâques 697. Ils y furent très bien reçus, et firent connaître Jésus-​Christ à Ethelbert, roi de Cantorbéry, et à une grande par­tie de ses sujets.

Sur la demande des mis­sion­naires, Grégoire leur envoya des auxi­liaires ; puis il confé­ra le pal­lium à Augustin, qu’il pla­ça à la tête de la nou­velle Eglise, en orga­ni­sa la hié­rar­chie et méri­ta ain­si le titre glo­rieux d’apôtre de l’Angleterre. Quant au métro­po­li­tain, il méri­ta, lui aus­si, de figu­rer au nombre des Saints ; la fête de saint Augustin de Cantorbéry se célèbre le 28 mai.

Réforme de la liturgie et du chant ecclésiastique.

L’action inces­sante que le Pontife exer­çait sur les empires et les royaumes de la chré­tien­té nais­sante n’absorbait pas tout son temps. Il lui res­tait encore des loi­sirs pour réfor­mer la litur­gie, codi­fier le chant ecclé­sias­tique et com­po­ser de nom­breux ouvrages.

Il por­ta, dit Dom Guéranger, ses soins éclai­rés sur la litur­gie de Rome, et par les per­fec­tion­ne­ments qu’il y intro­dui­sit, pré­pa­ra d’une manière sûre, pour un temps plus ou moins éloi­gné, son intro­duc­tion dans toutes les pro­vinces de l’immense patriar­cat d’Occident.

Nous devons à celui qui est le pre­mier Pape sor­ti du cloître l’usage de chan­ter le Kyrie elei­son pen­dant la messe, l’introduction du Pater nos­ter avant la frac­tion de l’hostie et l’Alleluia aux offices même en dehors du temps pas­cal. Il ne se bor­na pas à sanc­ti­fier les for­mules litur­giques et à les com­plé­ter ; il s’attacha aus­si à don­ner aux céré­mo­nies du culte une pompe exté­rieure qui les ren­dît plus effi­caces encore pour l’instruction et l’édification du peuple.

Dans son Sacramentaire, Grégoire avait réglé l’ensemble de l’office divin et doté la litur­gie de plu­sieurs admi­rables prières qui en font encore l’ornement. Il vou­lut en outre ordon­ner avec les paroles le chant qui est des­ti­né à en com­plé­ter la signi­fi­ca­tion. Il consi­dé­rait que la musique sacrée n’est pas seule­ment un acces­soire appe­lé à rele­ver la splen­deur du culte, mais qu’elle en fait par­tie inté­grante ; qu’elle doit s’unir aux paroles pour consti­tuer avec elles une expres­sion plus com­plète et plus forte de la prière· D’autres Pontifes, comme saint Damase et saint Gélase, ani­més des mêmes sen­ti­ments, avaient fait pour cette par­tie de la litur­gie des tra­vaux consi­dé­rables ; Grégoire devait per­fec­tion­ner leur œuvre. Il publia dans ce but son Antiphonaire où il a ras­sem­blé les mélo­dies admi­rables com­po­sées par ses devan­ciers ; lui-​même en a ajou­té un grand nombre de manière à com­plé­ter le cycle litur­gique, et il a livré ce tra­vail à la tra­di­tion qui l’a long­temps gar­dé avec le res­pect dû à un pareil com­po­si­teur. Ces mélo­dies, com­mu­né­ment dési­gnées sous le nom de chant gré­go­rien, après avoir ravi le moyen âge, ont depuis lors ral­lié les suf­frages des grands maîtres de la musique.

Lorsque, au début du XXeme siècle, Pie X fut élu Pape, l’un de ses pre­miers gestes fut pour réta­blir « les saintes mélo­dies dont la com­po­si­tion fut attri­buée par la tra­di­tion ecclé­sias­tique de plu­sieurs siècles à saint Grégoire le Grand », et le même Pape décla­rait que le chant gré­go­rien est le chant propre de « l’Eglise romaine ».

Une vieille légende rap­porte que Grégoire eut un jour une vision. L’Eglise lui appa­rut sous la forme d’une vierge magni­fi­que­ment parée, qui écri­vait des chants et ras­sem­blait en même temps une foule d’anges sous les plis de son man­teau. Sur ce man­teau était repré­sen­té tout l’art musi­cal avec toutes les formes des tons, des notes, des nuances, des mètres et des figures diverses ; Grégoire pria Dieu de lui don­ner la facul­té de se rap­pe­ler tout ce qu’il voyait, et à son réveil une blanche colombe vint se poser sur son épaule et lui dic­ta à l’oreille les mer­veilleuses com­po­si­tions dont le Pontife a enri­chi l’Eglise.

Pour conser­ver le chant qu’il avait si bien orga­ni­sé, ce Pape réor­ga­ni­sa à Rome, près de Saint-​Pierre et de Saint-​Jean de Latran, deux écoles (Schola can­to­rum) où les enfants des­ti­nés au chœur étaient soi­gneu­se­ment for­més au chant sacré. Grégoire pré­si­dait lui-​même à leur édu­ca­tion, et son zèle était si ardent que, même au milieu des pires atteintes de la mala­die, il se fai­sait trans­por­ter près de ses jeunes élèves. Couché sur un lit, il don­nait sa leçon, et il tenait à la main une baguette pour reprendre ceux qui man­quaient. De cette école sor­tirent plus tard les chantres qui, sous Charlemagne, vinrent ensei­gner aux clercs gau­lois les suaves mélo­dies grégoriennes.

D’autre part, esti­mant que pour les prêtres et les diacres rem­plis­sant l’office de can­tores, la pré­oc­cu­pa­tion de la musique pas­sait par­fois avant le minis­tère de la pré­di­ca­tion, le Pontife décré­ta que la fonc­tion de chantres serait réser­vée à des clercs d’un rang moins éle­vé. On ne peut qu’admirer les idées claires de ce Pontife qui était un homme d’action.

Saint Grégoire docteur de l’Eglise.

Les nom­breux écrits de Grégoire, son zèle à défendre la doc­trine catho­lique jus­ti­fient le titre de doc­teur attri­bué au grand Pape, encore que, selon la remarque de Mgr Batiffol, « il ait moins été un spé­cu­la­tif qu’un homme de dis­ci­pline et qu’il ait édi­fié plu­tôt qu’éclairé l’Eglise ».

Au cours de sa mis­sion à Constantinople, il com­bat­tit les erreurs du patriarche Eutychius, tou­chant la résur­rec­tion des corps. Il eut à ce sujet une confé­rence avec lui en pré­sence de l’empereur Tibère II, et celui-​ci, convain­cu par les argu­ments de Grégoire, condam­na au feu un opus­cule du patriarche sur la matière contro­ver­sée. A quelque temps de là, Eutychius, sur son lit d’agonie, disait aux assis­tants, en leur mon­trant sa main amai­grie : « Je confesse que nous res­sus­ci­te­rons dans cette chair. » Ce fut dans ces sen­ti­ments qu’il mou­rut, com­plè­te­ment reve­nu à la foi orthodoxe.

Devenu Pape, Grégoire rame­na de l’arianisme à la saine doc­trine une mul­ti­tude de Lombards et de Wisigoths. Il réta­blit la juri­dic­tion dans l’Eglise d’Afrique et y por­ta le der­nier coup aux dona­tistes. Il com­bat­tit vigou­reu­se­ment les simo­niaques en Gaule et conver­tit les schis­ma­tiques de l’Istrie, enfin, il rani­ma les arts et les sciences et les tour­na à la gloire de l’Eglise de Jésus-Christ.

Grégoire prê­chait lui-​même à son peuple, car il atta­chait une impor­tance par­ti­cu­lière à cette par­tie du minis­tère pas­to­ral. Lorsque la mala­die lui ôtait cette conso­la­tion, il fai­sait pro­non­cer en public par quelque autre clerc des ser­mons qu’il avait lui-​même com­po­sés. Ceux qui nous ont été conser­vés sont d’une sim­pli­ci­té toute pater­nelle, d’un style fami­lier, sus­cep­tibles d’être com­pris par tous.

Parmi ses ouvrages il faut sur­tout remar­quer les Commentaires sur le livre de Job, sur le Cantique des can­tiques, sur le pro­phète Ezéchiel et sur les Evangiles ; un Pastoral trai­tant des devoirs de l’évêque, un Sacramenaire, que nous avons déjà cité, et quatre livres de Dialogues, où l’auteur rap­porte les miracles arri­vés de son temps ; le deuxième donne la vie de saint Benoît, qui était mort depuis un demi-​siècle seulement.

Deux apparitions récompensent la charité de saint Grégoire.

Grégoire vou­lut un jour laver les pieds d’un pèle­rin. Mais, pen­dant qu’il pre­nait l’aiguière et le bas­sin, le pauvre dis­pa­rut, et la nuit sui­vante Notre-​Seigneur appa­rut à son ser­vi­teur : « Vous me rece­vez ordi­nai­re­ment en mes membres, dit-​il, mais hier c’est moi-​même que vous avez reçu. »

Une autre fois, il ordon­na à son aumô­nier d’inviter douze pauvres à dîner. Or, il s’en trou­va treize à table. Le Pontife deman­da pour­quoi on avait dépas­sé le nombre qu’il avait fixé.

L’aumônier, tout confus, regarde les pauvres, et, les comp­tant, n’en trouve que douze : Grégoire était seul à voir le trei­zième. Soupçonnant quelque mys­tère en cela, il consi­dé­rait atten­ti­ve­ment ses convives : or, il en remar­qua un qui parais­sait tan­tôt sous la figure d’un jeune homme, tan­tôt sous celle d’un vieillard.

Quand le repas fut ter­mi­né, il per­mit aux douze autres de par­tir, et pre­nant le trei­zième par la main, il le condui­sit dans sa chambre. Là il le sup­plia de lui dire qui il était :

– Pourquoi, répon­dit le mys­té­rieux per­son­nage, voulez-​vous savoir mon nom, qui est admi­rable ? Rappelez-​vous ce mar­chand infor­tu­né à qui vous fîtes autre­fois don­ner douze écus et l’écuelle d’argent que vous pos­sé­diez. Croyez bien que c’est pour cette bonne œuvre que Dieu a vou­lu que vous fus­siez suc­ces­seur de saint Pierre, dont vous êtes le fidèle imi­ta­teur, par votre charité.

– Comment savez-​vous cela ?

– Parce que je suis l’ange même que Dieu avait envoyé pour vous éprou­ver. Mais ne crai­gniez point, je veille sur vous et Dieu m’a envoyé pour vous pro­té­ger jusqu’à la fin.

Il est favorisé d’un miracle eucharistique.

Un jour Grégoire célé­brait la messe dans l’église de Saint-​Pierre : il dis­tri­buait la com­mu­nion aux assis­tants, lorsqu’une femme s’approcha pour com­mu­nier avec les autres. Mais lorsque le Pontife pro­fé­ra ces paroles : « Que le corps de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ garde votre âme pour la vie éter­nelle », cette femme se mit à rire avec un air d’incrédulité.

Grégoire lui reti­ra le pain eucha­ris­tique et le remit au diacre pour le repor­ter sur l’autel et l’y gar­der jusqu’à ce que la com­mu­nion des fidèles fût ache­vée. Après quoi le Pontife dit à cette femme :

– Pourquoi, je vous prie, avez-​vous ri au moment de communier ?

– C’est parce que le pain eucha­ris­tique que vous m’avez pré­sen­té est le même que j’ai pétri et appor­té à l’oblation·

Grégoire, se tour­nant alors vers le peuple, lui deman­da d’unir ses prières à celles du cler­gé pour conju­rer le Seigneur de dis­si­per l’incrédulité de cette femme, puis il revint à l’autel.

En ce moment l’Hostie se trans­fi­gu­ra ; tous les assis­tants purent contem­pler le corps radieux de Jésus-​Christ, et la femme revint de son incré­du­li­té, à la vue du pro­dige. Puis, le Pontife ayant fait une seconde prière, l’Hostie reprit la forme du pain.

Comment Dieu sauva Grégoire d’un accident.

La fer­me­té de Grégoire à défendre la pure­té des mœurs mit sou­vent sa vie en dan­ger. Un jour il excom­mu­nia un che­va­lier romain qui, étant tom­bé en adul­tère, avait répu­dié sa femme légi­time. Le misé­rable, vou­lant se ven­ger, eut recours aux magi­ciens· Ceux-​ci lui pro­mirent qu’un jour que le Pontife irait par la ville, ils feraient entrer un esprit malin dans le corps de son che­val, afin que l’animal, désar­çon­nant son cava­lier, lui mar­chât sur le corps et le fît périr.

Un démon se sai­sit effec­ti­ve­ment du che­val et lui fit faire des bonds si étranges que per­sonne ne réus­sit à le maî­tri­ser. Mais Grégoire, décou­vrant par une ins­pi­ra­tion divine d’où venait le mal, fit le signe de la croix et chas­sa le démon du corps de l’animal. Quant aux magi­ciens, en puni­tion de leur malice, ils per­dirent la vue cor­po­relle ; mais cet acci­dent leur ouvrit les yeux de l’âme : conscients de la gran­deur de leur crime, ils renon­cèrent à tout com­merce avec le démon et deman­dèrent le baptême.

Le Pontife le leur don­na, sans néan­moins leur rendre la vue, de crainte de les voir retour­ner à leurs malé­fices et à la lec­ture des livres d’en­chan­te­ment et de magie ; sou­cieux de leurs véri­tables inté­rêts, il pré­fé­ra les mettre à la charge de l’Eglise plu­tôt que de leur don­ner un sujet de se perdre.

Mort de saint Grégoire.

Dès avant de deve­nir Pape, Grégoire avait pas­sé par des crises de goutte et de gas­tral­gie qui duraient des mois et avaient été pour lui un long appren­tis­sage de la mort, après laquelle il sou­pi­rait comme après un remède. En décembre 603, il écri­vait à la reine Théodelinde : « Vos envoyés m’ont trou­vé malade quand ils sont arri­vés, et à leur départ ils m’ont lais­sé à toute extré­mi­té. Si, avec le secours de Dieu, je gué­ris, je répon­drai ponc­tuel­le­ment à toutes vos demandes. »

L’auguste vieillard n’eut pas à écrire d’autre lettre à la reine, il mou­rut le 12 mars 604. Le jour même son corps dut être por­té du Latran à la basi­lique de Saint-​Pierre, où il fut enter­ré sous le por­tique, à gauche, en atten­dant que Grégoire IV ordon­nât le trans­fert de la dépouille dans l’intérieur de la basi­lique. La tombe pri­mi­tive fut déco­rée d’une épi­taphe en vers dont le texte a été conser­vé. Le poète y a noté non sans jus­tesse quelques traits de la vie de saint Grégoire, ses aumônes, ses écrits, la conver­sion de l’Angleterre, et il ter­mine en saluant le grand Pape du nom de « consul de Dieu ». « Mot magni­fique, conclut Mgr Batiffol, et qui res­te­ra. Rome, qui n’avait plus de consuls, en avait retrou­vé un avec saint Grégoire ; elle saluait dans sa tombe le consul de Dieu. »

Le 1er sep­tembre 1831, Grégoire XVI a ins­ti­tué un Ordre civil et mili­taire en l’honneur de saint Grégoire le Grand.

A. H. L.

Sources consul­tées. – Mgr Pierre Batiffol, Saint Grégoire le Grand (Collection Les Saints, Paris, 1928). – Card. I. Schuster, Liber Sacramentorum, t. Ier, La Sainte Liturgie (Bruxelles, 1926). – (V. S. B. P., n’ 212.)