Saint Jean Damascène

Docteur de l’Église. Défenseur du culte des saintes images et dévot à la Vierge Marie. (VIIe siècle).

Fête le 27 mars.

Vie résumée par l’abbé Jaud

Saint Jean Damascène, ain­si nom­mé parce qu’il naquit à Damas, en Syrie, est le der­nier des Pères grecs et le plus remar­quable écri­vain du hui­tième siècle.

Son père, quoique zélé chré­tien, fut choi­si comme ministre du calife des Sarrasins, et employa sa haute situa­tion à pro­té­ger la reli­gion de Jésus-​Christ. Il don­na comme pré­cep­teur à son fils un moine ita­lien deve­nu cap­tif, et auquel il ren­dit la liber­té. Ce moine se trou­vait être un saint et un savant reli­gieux ; à son école, Jean déve­lop­pa d’une manière mer­veilleuse son génie et sa vertu.

A la mort de son père, il fut choi­si par le calife comme ministre et comme gou­ver­neur de Damas. Dans ces hautes fonc­tions, il fut, par la suite d’une vile impos­ture et d’une basse jalou­sie, accu­sé de tra­hi­son. Le calife, trop promp­te­ment cré­dule, lui fit cou­per la main droite. Jean, ayant obte­nu que cette main lui fût remise, se reti­ra dans son ora­toire, et là il deman­da à la Sainte Vierge de réta­blir le membre cou­pé, pro­met­tant d’employer toute sa vie à glo­ri­fier Jésus et Sa Mère par ses écrits. Pendant son som­meil, la Sainte Vierge lui appa­rut et lui dit qu’il était exau­cé ; il s’é­veilla, vit sa main droite jointe mira­cu­leu­se­ment au bras presque sans trace de sépa­ra­tion. Le calife, recon­nais­sant, à ce miracle, l’in­no­cence de son ministre, lui ren­dit sa place ; mais bien­tôt Jean, après avoir dis­tri­bué ses biens aux pauvres, se reti­ra au monas­tère de Saint-​Sabas, où il brilla par son héroïque obéissance.

Ordonné prêtre, il accom­plit sa pro­messe à la Sainte Vierge en consa­crant désor­mais le reste de ses jours à la défense de sa reli­gion et à la glo­ri­fi­ca­tion de Marie. Il fut, en par­ti­cu­lier, un vigou­reux apo­lo­giste du culte des saintes Images, si vio­lem­ment atta­qué, de son temps, par les Iconoclastes.

Ses savants ouvrages, spé­cia­le­ment ses écrits dog­ma­tiques, lui ont méri­té le titre de doc­teur de l’Église. Il a été, par sa méthode, le pré­cur­seur de la méthode théo­lo­gique qu’on a appe­lée Scholastique. Ses nom­breux et savants ouvrages lui lais­saient encore du temps pour de pieux écrits.

Sa dévo­tion envers la Très Sainte Vierge était remar­quable ; il L’appelait des noms les plus doux. A Damas, Son image avait occu­pé une place d’hon­neur dans le palais du grand vizir, et nous avons vu par quel miracle il en fut récom­pen­sé. Les dis­cours qu’il a com­po­sés sur les mys­tères de Sa vie, et en par­ti­cu­lier sur Sa glo­rieuse Assomption, font assez voir com­ment il était ins­pi­ré par Sa divine Mère. Ses immenses tra­vaux ne dimi­nuèrent point sa vie, car il mou­rut à l’âge de cent quatre ans.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Au VIIeme siècle, un empe­reur héré­tique de Constantinople, Léon l’Isaurien, ordon­nait par un édit d’ôter des églises et des lieux publics les tableaux et sta­tues sacrés qui y étaient expo­sés à la véné­ra­tion des fidèles ; cet arrêt devait être sanc­tion­né par des vio­lences inouïes. De la per­sé­cu­tion des ico­no­clastes ou bri­seurs d’images, on retrou­ve­ra plus tard l’esprit chez les Albigeois, les Vaudois et les Hussites.

A tra­vers les siècles et jusqu’à nos jours, dans l’esprit des chré­tiens et sur­tout en Orient, la tyran­nie héré­tique de Léon l’Isaurien évoque immé­dia­te­ment le nom de saint Jean Damascène, prin­ci­pa­le­ment grâce à une légende dont nous dirons ce qu’il faut pen­ser, hom­mage pour­tant jus­ti­fié, en ce sens que Jean de Damas fut avec saint Germain de Constantinople et Georges de Chypre à la tête des défen­seurs des saintes icônes. Toutefois, c’est res­treindre sa gloire légi­time que de ne voir que cela en lui ; il est plus jus­te­ment appré­cié par l’Eglise orien­tale, qui le regarde à bon droit comme le meilleur de ses théologiens.

Enfance et éducation.

On ne connaît que fort peu de détails cer­tains sur la vie de Jean. Il était né à Damas – d’où le nom de Damascène – avant la fin du VIIeme siècle, et pro­ba­ble­ment vers 675, d’une riche famille chré­tienne, dans laquelle se trans­met­tait par voie d’hérédité la charge de logo­thète, ou vrai­sem­bla­ble­ment de col­lec­teur d’impôt près des chré­tiens, pour le compte du calife de Damas. C’est donc à tort qu’un de ses bio­graphes, le patriarche de Jérusalem, Jean VI (+970), pré­tend faire de Jean Damascène et de son père le grand vizir du calife. L’aïeul pater­nel du futur Saint por­tait le sur­nom, deve­nu héré­di­taire, de « Mansour », mot qui en arabe signi­fie « le vic­to­rieux », et son père s’appelait Serge. Ce der­nier demeu­ra au milieu des infi­dèles, un fervent chré­tien. Il dépen­sait en œuvres de cha­ri­té les immenses reve­nus de ses terres de Palestine, et sur­tout il pro­fi­tait de sa situa­tion pour rache­ter les captifs.

Et par­mi ces der­niers, si l’on en croit un bio­graphe, se trou­vait un reli­gieux venu de Sicile, nom­mé Cosmas ou Cosme l’Ancien, très ver­sé dans la phi­lo­so­phie, et par­lant plu­sieurs langues.

Or, pré­ci­sé­ment, Serge Mansour cher­chait depuis long­temps un homme capable de don­ner à son fils une édu­ca­tion conve­nable. La Providence le com­blait en lui fai­sant trou­ver un tré­sor d’érudition et de pié­té dans ce cap­tif qu’on allait égor­ger. Il cou­rut le deman­der au calife, qui n’y fit aucune objec­tion. Cosme reçut la liber­té, devint l’ami du père et le maître du fils, qui, sous sa direc­tion apprit avec un suc­cès pro­di­gieux les linéa­ments de la belle méthode aris­to­té­li­cienne qui sera si en faveur au moyen âge.

Quand l’éducation de Jean fut ache­vée, le moine dit à Serge :

– Vos vœux sont accom­plis, la sagesse de votre enfant sur­passe la mienne : Dieu com­plé­te­ra l’œuvre. Je vous prie de me lais­ser me reti­rer au désert, afin de vaquer à la céleste contemplation.

Serge fit la plus grande résis­tance, mais il dut céder aux vœux ardents du saint moine, qui se reti­ra en Palestine, dans la laure [1] de Saint-Sabas.

Ainsi débute le récit du bio­graphe Jean de Jérusalem ; nous ne le don­nons qu’à titre d’information, car il n’est plus accep­té par les his­to­riens qui ont étu­dié d’une manière très scien­ti­fique la vie, les écrits et la doc­trine de Jean Damascène.

Pour le même motif, nous ne nous arrê­tons pas à l’opinion qui fait de Jean le grand-​vizir du calife ; en réa­li­té, il fut ins­truit dans les sciences reli­gieuses par des prêtres, peut-​être par un évêque (c’est un point qu’il est dif­fi­cile de pré­ci­ser). Peut-​être hérita-​t-​il de la charge de son père, avant d’entrer à la laure de Saint-​Sabas, l’une des plus célèbres de l’Orient, en 706, c’est-à-dire vers l’âge de trente et un ans. Il fut ordon­né prêtre avant l’année 726.

L’hérésie iconoclaste. – Le « Traité des images ».

L’Orient chré­tien devait être agi­té pen­dant plus d’un siècle (726–840) par l’hérésie ico­no­claste, et par­ti­cu­liè­re­ment sous le règne de l’empereur Léon III l’Isaurien. Ce rustre cou­ron­né, ancien mar­chand de bes­tiaux, puis heu­reux sol­dat, était mon­té sur le trône de Constantinople en l’an 716. Arrivé au pou­voir au milieu d’une véri­table anar­chie, il venait de se révé­ler comme un homme d’Etat de pre­mier ordre, et il peut être regar­dé comme le réor­ga­ni­sa­teur de l’Empire byzan­tin. Mais en pros­cri­vant le culte des images, à quel mobile obéissait-​il ? Avait-​il gar­dé quelque sym­pa­thie, mani­fes­tée dans sa jeu­nesse, pour cette ter­rible secte des pau­li­ciens, issue du mani­chéisme, qui avait mis à feu et à sang l’Asie Mineure, incen­diant les églises d’Arménie et de Syrie, et détrui­sant par­tout les saintes icônes ? Plus vrai­sem­bla­ble­ment, il avait l’ambition, sorte d’empereur-sacristain, d’étendre au sanc­tuaire les réformes qu’il était fier d’avoir réa­li­sées dans l’ordre social et mili­taire : à coup sûr, il ne pré­voyait pas que ces que­relles ico­no­clastes allaient sépa­rer Constantinople de Rome, et rap­pro­cher Rome de Charlemagne, le grand empe­reur d’Occident. Avant d’arriver aux mesures de vio­lence, Léon l’Isaurien avait pro­cé­dé peu à peu à l’épuration de l’épiscopat orien­tal ; il devait, après la per­sé­cu­tion, qui com­men­ça à l’automne de 726, mettre en demeure saint Germain, patriarche de Constantinople, d’adhérer à l’hé­ré­sie ou de se retirer.

En terre musul­mane, les Eglises mel­kites n’avaient rien à craindre de l’empereur chré­tien ; elles res­tèrent fidèles au culte des saintes images, grâce à Georges de Chypre et à Jean de Damas. Soit dans son monas­tère de Saint-​Sabas, soit à Jérusalem, celui-​ci avait com­po­sé trois lettres, qui consti­tuent un trai­té mon­trant com­bien est légi­time (mal­gré les abus qui avaient pu s’introduire ici ou là) le culte ou mieux la véné­ra­tion que nous témoi­gnons aux images du Christ, de la Sainte Vierge ou des Saints, ain­si qu’aux reliques.

Nous emprun­tons au P. Jugie son exposé :

Jean parle avec élo­quence du culte qui est ren­du aux Saints dans l’Eglise catho­lique. Le culte qui s’adresse à une créa­ture est moti­vé par une rela­tion, un rap­port de cette créa­ture avec Dieu… Ce prin­cipe géné­ral s’applique à la fois au culte des Saints et de leurs reliques, et au culte des images en géné­ral. Nous véné­rons les Saints à cause de Dieu, parce qu’ils sont ses ser­vi­teurs, ses enfants et ses héri­tiers, des « dieux » par par­ti­ci­pa­tion, les amis dans Christ, les temples vivants du Saint-​Esprit. Cet hon­neur rejaillit sur Dieu lui-​même, qui se consi­dère comme hono­ré dans ses fidèles ser­vi­teurs, et nous comble de ses bien­faits. Les Saints sont, en effet, les patrons du genre humain. Il faut bien se gar­der de les mettre au nombre des morts. Ils sont tou­jours vivants, et leurs corps mêmes, leurs reliques méritent aus­si notre culte.

En dehors des corps des Saints, méritent aus­si notre culte, mais culte rela­tif, qui remonte à Jésus-​Christ ou à ses Saints, toutes les autres reliques et choses saintes, qu’il s’agisse de la vraie croix et des autres ins­tru­ments de la Passion ou des objets et lieux consa­crés par la pré­sence ou le contact de Jésus-​Christ, de la Sainte Vierge ou des Saints.

Ces mêmes prin­cipes trouvent leur appli­ca­tion toute logique dans le culte ren­du aux saintes images. Ce culte « pré­sente pour les fidèles de mul­tiples avan­tages : l’image est d’abord le livre des igno­rants ; c’est une exhor­ta­tion muette à imi­ter les exemples des Saints ; c’est enfin un canal des bien­faits divins ».

La légende de la mains coupée. – La Vierge à trois mains.

Cette légende est très célèbre ; nous ne la don­ne­rons ici que pour mémoire. Donc l’empereur ico­no­claste voit se dres­ser en face de lui un adver­saire redou­table à la cour même des califes musul­mans, c’est-à-dire hors de sa por­tée : c’est Jean le Damascène, le grand-vizir.

Léon III décide de se ven­ger d’une manière hypo­crite et cruelle : il fait remettre au calife une lettre écrite par un faus­saire, signée du nom de Jean Mansour et invi­tant l’empereur de Byzance à s’emparer de Damas. On conçoit la colère du calife devant cette pièce à convic­tion, qui est pour lui la preuve d’une tra­hi­son. Aussitôt, il fait man­der le grand-​vizir et lui fait tran­cher la main droite. Le mar­tyr sup­porte cou­ra­geu­se­ment ce sup­plice, rentre dans son ora­toire pri­vé ; il se met en prière devant une image de la Très Sainte Vierge, sup­pliant la Mère de Dieu de lui rendre l’usage de sa main pour lui per­mettre de reprendre la plume. Alors il s’endort ; la Vierge de l’icône abaisse sur son che­va­le­resque défen­seur un regard mater­nel et lui rend l’usage de sa main, autour de laquelle un mince lise­ré rouge per­sis­te­ra pour attes­ter le prodige.

Dès lors, l’heureux mira­cu­lé renonce au monde et va s’enfermer dans la soli­tude de Saint-​Sabas, où il conti­nue­ra d’écrire à la louange de Marie.

On nous a même conser­vé le texte apo­cryphe d’une pré­ten­due prière en vers, que Jean aurait adres­sée à la Sainte Vierge pour deman­der la res­ti­tu­tion de sa main coupée.

La légende est très belle, mais elle est sans fon­de­ment, car elle ne concorde en aucune manière avec les quelques don­nées pré­cises et cer­taines de la bio­gra­phie de l’illustre moine.

Une autre tra­di­tion, dont l’existence est tenace en Orient, s’ajoute à la pré­cé­dente : contre l’icône mira­cu­leuse, Jean avait sus­pen­du en ex-​voto une main d’argent, de même qu’en cer­taines régions de la France on a offert et peut-​être offre-​t-​on encore des figu­rines de cire repré­sen­tant têtes, mains ou jambes, cor­res­pon­dant à des par­ties du corps pour les­quelles les fidèles ont obte­nu la gué­ri­son. L’icône avec son ex-​voto fut conser­vée comme une relique pré­cieuse sous le nom de « Vierge Damascène » ou de « Vierge à trois mains ». Quelle que soit son ori­gine, cette image a une his­toire que raconte ain­si le P. Joseph Goudard :

Au XIIIeme siècle, elle fut remise par le supé­rieur de la laure à saint Sabas. métro­po­lite de Serbie et grand ser­vi­teur de Notre-​Dame, dans un de ses deux pèle­ri­nages en Terre Sainte. De retour dans son pays, le pré­lat en fît don à son frère, Etienne, roi de Serbie, de la dynas­tie des Némanya, lui recom­man­dant de la gar­der et de l’honorer d’un culte spé­cial comme un très pré­cieux tré­sor de famille. Plus tard, après l’extinction des Némanya, l’icône fut trans­fé­rée au Mont Athos, la mon­tagne de Marie, et dépo­sée au monas­tère de Kilandar. Cette « Vierge Damascène » a eu une très grande célé­bri­té, en Orient. Les peintres la prirent pour modèle, et telle est l’origine de ces curieuses pein­tures où la Sainte Vierge est repré­sen­tée avec trois mains. Les Serbes allèrent plus loin ; ce titre de « Vierge à triple main », ils en ont fait le vocable de plu­sieurs de leurs églises cathé­drales répu­tées « thau­ma­turges » encore aujourd’hui, telles Notre-​Dame d’Uskub, Notre-​Dame de Skoplie, etc.

Saint Jean docteur.

Jean Damascène fut à la fois phi­lo­sophe, théo­lo­gien, ora­teur ascé­tique, his­to­rien, exé­gète, poète même. Le prin­ci­pal de ses écrits dog­ma­tiques est la Source de la connais­sance. Il com­prend trois grandes divi­sions. La pre­mière, appe­lée Dialectique, met sous les yeux du lec­teur ce qu’il y a de meilleur dans la phi­lo­so­phie grecque ; la deuxième, tout his­to­rique, est un clair résu­mé des héré­sies appa­rues dans l’Eglise jusqu’à celle des ico­no­clastes : l’auteur y expose et réfute tout au long le maho­mé­tisme. La troi­sième par­tie com­prend son grand ouvrage bien connu, Exposition de la foi ortho­doxe. Il y parle de Dieu, de ses œuvres, de ses attri­buts, de sa Providence, de l’incarnation, des Sacrements ; sur chaque véri­té il résume l’Ecriture et la Tradition.

Il est vrai­sem­blable que ce der­nier écrit fut com­po­sé au monas­tère de Saint-​Sabas. Le texte nous en a été conser­vé dans une tra­duc­tion arabe. Cet ouvrage est d’une grande impor­tance pour l’histoire de la théo­lo­gie ; mal­gré ses lacunes, il est le fidèle écho des ensei­gne­ments des Pères grecs qui ont pré­cé­dé son auteur, et on a dit qu’il repré­sente la pre­mière Somme théo­lo­gique digne de ce nom. Le mys­tère de l’Incarnation est celui sur lequel Jean Damascène s’étend le plus lon­gue­ment ; sa théo­lo­gie mariale, soit dans ce trai­té soit en d’autres ouvrages, est irré­pro­chable : ici encore, inter­prète de l’en­sei­gne­ment des autres théo­lo­giens byzan­tins, il expose d’une manière admi­rable les vues les plus ortho­doxes sur l’Immaculée Conception et la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de Marie, son rôle de coré­demp­trice du genre humain par sa libre coopé­ra­tion au plan divin ; son Assomption, sa royau­té sur les créa­tures, sa média­tion uni­ver­selle et sa mater­ni­té de grâce.

L’Exposition de la foi ortho­doxe fut mise à contri­bu­tion sou­vent d’une façon inavouée par les théo­lo­giens byzan­tins ; elle fut tra­duite en paléo­slave, vers la fin du IXeme siècle, par les soins de Jean, exarque de Bulgarie ; en Russie, elle a été impri­mée plu­sieurs fois. Les Byzantins ont sur­nom­mé Jean Damascène Chrysorrhoas (qui roule de l’or), et ce nom dit assez toute l’admiration que la pos­té­ri­té a vouée à sa per­sonne et à ses travaux.

La dévo­tion de saint Jean Damascène envers la Sainte Vierge.

Saint Jean Damascène poète et musicien.

Jean est consi­dé­ré comme l’auteur d’un grand nombre de chants, savants et popu­laires, dont on voit quelques-​uns cités dans les antho­lo­gies de musique reli­gieuse, anciennes et modernes. En tels d’entre eux la Très Sainte Vierge est chan­tée d’une manière heu­reuse ; il a com­po­sé aus­si des tro­paires dans les­quels il demande pour les défunts le repos éter­nel, ce qui est très impor­tant pour l’histoire de la croyance au purgatoire.

On a même vou­lu faire du moine de Saint-​Sabas l’organisateur du chant litur­gique grec, l’inventeur de la nota­tion musi­cale qui porte son nom, l’auteur de l’Octoekos, livre litur­gique d’un charme et d’une fraî­cheur antiques, qui sous huit tons musi­caux contient des tro­paires et des canons sur la Résurrection, la Croix, la Vierge.

Le P. Pargoire déclare tou­te­fois que s’il a jeté les bases du célèbre recueil, « Jean le Moine » ne l’a cer­tai­ne­ment pas bâti seul, ni tout d’une pièce, car d’autres, même au IXeme siècle, appor­te­ront leur pierre à cet édi­fice. D’autre part, un his­to­rien de la musique byzan­tine, le P. Joannès Thibaut, affirme que « le Canon musi­cal nous est une preuve que Jean Damascène connais­sait son art à la per­fec­tion, et qu’il était, sui­vant l’expression consa­crée, un musi­cien dans l’âme. »

De toute manière, il est pru­dent d’unir au nom de Jean Damascène celui de saint Cosme ou Cosmas de Maiuma, son ami, dont le talent de com­po­si­teur est hors de contestation.

Pour mémoire encore, enre­gis­trons une autre tra­di­tion tou­chante : la Vierge Marie « venant dou­ce­ment gour­man­der l’archimandrite de la laure, homme aus­tère qui sai­sis­sait dif­fi­ci­le­ment la por­tée apos­to­lique des livres et sur­tout de la poésie.

– Pourquoi, lui dit Notre-​Dame, pour­quoi empêches-​tu cette source de don­ner ses eaux lim­pides, les­quelles, en cou­lant sur le monde, empor­te­ront les hérésies ?

Comme on peut le voir, la trame de la vie de Jean Damascène est aus­si ténue que pos­sible, au moins dans la mesure où nous la connais­sons. On pour­rait même se deman­der pour­quoi l’Eglise le vénère comme Saint. Comme s’il répon­dait pré­ci­sé­ment à cette ques­tion, le P. Jugie remarque judicieusement :

Sa sain­te­té, on la voit trans­pa­raître dans ses œuvres. Le ton d’humilité sin­cère avec lequel il parle de lui-​même en plu­sieurs endroits de ses écrits, allant jusqu’à se trai­ter d’homme igno­rant, son amour pour Jésus-​Christ, sa tendre dévo­tion à Marie, son dévoue­ment pour l’Eglise qui lui a fait com­po­ser tous ses ouvrages, tout cela nous montre que le doc­teur de Damas appar­tient à la race des grands Saints qui ont illus­tré l’Eglise à la fois par leur science et par leur vertu.

Mort de saint Jean Damascène. – Au Concile de Nicée.

On sait qu’à la laure de Saint-​Sabas Jean de Damas fit admettre son propre neveu, Etienne le Thaumaturge, lui-​même hono­ré comme Saint. La date de la mort de ce der­nier est connue : 31 mars 794 ; grâce à elle, des déduc­tions d’une logique impec­cable ont per­mis de connaître la date de la mort de Jean Damascène, qui cor­res­pond à l’année 749, ou à la rigueur à 748 ; le 4 décembre est de tra­di­tion ; il n’y a pas de rai­son sérieuse de ne pas l’admettre plu­tôt que le 16 mai, ain­si qu’on l’a fait autrefois.

Un conci­lia­bule héré­tique réuni, le 10 février 753, au palais impé­rial de Hiéria, près de Chalcédoine, avec le bien­veillant appui de Constantin Copronyme, enre­gis­trait avec une joie appa­rente la mort des trois défen­seurs des saintes images, saint Germain, Georges de Chypre et saint Jean Damascène, par une for­mule demeu­rée célèbre : « La Trinité a fait dis­pa­raître les trois. » Reprenant cette phrase et la rec­ti­fiant d’une manière heu­reuse, le VIIeme Concile œcu­mé­nique, réuni à Nicée en 787 et qui condam­na l’hérésie des ico­no­clastes, décla­ra : « La Trinité a glo­ri­fié les trois » : la sixième ses­sion de ce même Concile enten­dit l’éloge de saint Jean Damascène ; la sep­tième pro­cla­ma sa « mémoire éternelle ».

Les reliques et le souvenir. – Docteur de l’Eglise.

Le corps de saint Jean Damascène fut conser­vé pen­dant au moins quatre siècles dans la laure de Saint-​Sabas ; plus tard, il fut trans­por­té à Constantinople. Certains Martyrologes latins semblent faire allu­sion à cette trans­la­tion en ins­cri­vant au 6 mai la men­tion sui­vante : « A Constantinople, dépo­si­tion de Jean Damascène, de sainte mémoire, doc­teur insigne. »

Le couvent de Saint-​Sabas conserve deux tableaux qui repré­sentent le Saint. Sur le pre­mier, on voit un vieillard à che­veux blancs, la figure rayon­nante de beau­té et de majes­té, pen­ché sur un par­che­min, écri­vant et chan­tant les louanges de Marie, telles que les a conser­vées la litur­gie de l’Eglise grecque. Sur le second, qui cou­ronne l’entrée du tom­beau de saint Jean, on voit un moine éten­du sur son lit funèbre ; sur sa poi­trine, il a les mains jointes, contre les­quelles on a dépo­sé une petite icône de Marie por­tant l’Enfant Jésus ; la mul­ti­tude des moines entoure le corps, qui semble plu­tôt repo­ser après une dure jour­née de travail.

Son sou­ve­nir n’est pas près de dis­pa­raître à Damas, sa ville natale :

De temps immé­mo­rial on mon­trait dans le quar­tier chré­tien, non loin de la porte dite Bab Tourna, une ruine sainte, un ouakf dépen­dant de la grande mos­quée et connu de toute la ville sous le nom de mai­son de saint Jean Damascène. En 1878, après de longues démarches, les Jésuites l’obtinrent des musul­mans et la trans­for­mèrent en un sanc­tuaire aujourd’hui très fré­quen­té. (J. Goudard.)

Dans l’Eglise grecque, les deux dates du 29 novembre et du 4 décembre ont été rete­nues concur­rem­ment pour la célé­bra­tion de la fête de saint Jean Damascène ; c’est le 4 décembre qui l’a empor­té. Léon XIII, le 9 août 1890, a éten­du l’office du Saint, sous le rite double, à l’Eglise uni­ver­selle, fixant au 27 mars la célé­bra­tion de la fête. Saint Jean Damascène a été pro­cla­mé doc­teur de l’Eglise après décret de la Congrégation des Rites, le 19 du même mois.

A. P. et A. D.

Sources consul­tées. – P. Martin Jugie, A. A., Saint Jean Damascène, dans Dictionnaire de théo­lo­gie, de Vacant-​Amann (Paris, 1924) ; Remarques sur de pré­ten­dus dis­cours inédits de saint Jean Damascène, dans Echos d’Orient (Paris, 1914). – J. Pargoire, A. A., L’Eglise byzan­tine, de 727 à 847 (Paris, 1905). – P. Joannès Thibaut, A. A., La musique byzan­tine, dans Echos d’Orient (Paris, 1898). – P. Simeon Vailhé, A. A., Date de la mort de saint Jean Damascène, dans Echos d’Orient (Paris, 1906). – P.-M. Asaf, La dévo­tion à Marie au moyen âge (693‑1453), dans Notre-​Dame (Paris, 1914). – P. Joseph Goudard, S. J., La Sainte Vierge au Liban (Paris, 1906). – (V. S. B. P., n° 78.)

Notes de bas de page
  1. Habitation de moines soli­taires, com­po­sée de cel­lules ran­gées en rond, sépa­rées les unes des autres, avec une église au milieu.[]