Saint Benoît

Saint Benoît, Eglise Saint-Paul-hors-les-murs

Abbé et fon­da­teur d’Ordre (480–543 ?)

Fête le 21 mars.

Version courte

Benoît naquit dans une petite ville des mon­tagnes de l’Ombrie, d’une des plus illustres familles de ce pays. Le Pape saint Grégoire assure que le nom de Benoît lui fut pro­vi­den­tiel­le­ment don­né comme gage des béné­dic­tions célestes dont il devait être comblé.

Craignant la conta­gion du monde, il réso­lut, à l’âge de qua­torze ans, de s’en­fuir dans un désert pour s’a­ban­don­ner entiè­re­ment au ser­vice de Dieu. Il par­vint au désert de Subiaco, à qua­rante milles de Rome, sans savoir com­ment il y sub­sis­te­rait ; mais Dieu y pour­vut par le moyen d’un pieux moine nom­mé Romain, qui se char­gea de lui faire par­ve­nir sa fru­gale pro­vi­sion de chaque jour.

Le jeune soli­taire exci­ta bien­tôt par sa ver­tu la rage de Satan ; celui-​ci appa­rut sous la forme d’un merle et l’ob­sé­da d’une si ter­rible ten­ta­tion de la chair, que Benoît fut un ins­tant por­té à aban­don­ner sa retraite ; mais, la grâce pre­nant le des­sus, il chas­sa le démon d’un signe de la Croix et alla se rou­ler nu sur un buis­son d’é­pines, tout près de sa grotte sau­vage. Le sang qu’il ver­sa affai­blit son corps et gué­rit son âme pour tou­jours. Le buis­son s’est chan­gé en un rosier qu’on voit encore aujourd’­hui : de ce buis­son, de ce rosier est sor­ti l’arbre immense de l’Ordre béné­dic­tin, qui a cou­vert le monde.

Les com­bats de Benoît n’é­taient point finis. Des moines du voi­si­nage l’a­vaient choi­si pour maître mal­gré lui ; bien­tôt ils cher­chèrent à se débar­ras­ser de lui par le poi­son ; le saint bénit la coupe, qui se bri­sa, à la grande confu­sion des coupables.

Cependant il était dans l’ordre de la Providence que Benoît devînt le Père d’un grand peuple de moines, et il ne put se sous­traire à cette mis­sion ; de nom­breux monas­tères se fon­dèrent sous sa direc­tion, se mul­ti­plièrent bien­tôt par toute l’Europe et devinrent une pépi­nière inépui­sable d’é­vêques, de papes et de saints.

Parmi ses innom­brables miracles, citons les deux sui­vants : Un de ses moines avait, en tra­vaillant, lais­sé tom­ber le fer de sa hache dans la rivière ; Benoît prit le manche de bois, le jeta sur l’eau, et le fer, remon­tant à la sur­face, revint prendre sa place. Une autre fois, cédant aux impor­tunes prières d’un père qui le sol­li­ci­tait de res­sus­ci­ter son fils, Benoît se couche sur l’en­fant et dit :

Seigneur, ne regar­dez pas mes péchés, mais la foi de cet homme !

Aussitôt l’en­fant s’a­gite et va se jeter dans les bras paternels.

La médaille de saint Benoît est très effi­cace contre toutes sortes de maux. On l’emploie avec un grand suc­cès pour la gué­ri­son et la conser­va­tion des animaux.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Sainte Brigitte, par­lant dans ses Révélations du patriarche des moines d’Occident, s’exprime ain­si : « Benoît aurait pu se sanc­ti­fier dans le monde ; mais le Seigneur l’appela sur la mon­tagne afin d’exciter d’autres hommes à la per­fec­tion par son exemple. Pour qu’il devînt un foyer, la Providence entou­ra Benoît de nom­breux com­pa­gnons ; il leur écri­vit une Règle, qui gui­dait cha­cun selon sa dis­po­si­tion, fût-​il confes­seur, ermite, doc­teur ou même mar­tyr de sorte que plu­sieurs moines devinrent par­faits à l’égal de leur Père. Telle est bien l’œuvre capi­tale à laquelle tout en saint Benoît se rap­porte : la Règle de l’enseignement de la perfection.

La vie érémitique.

Benoît, dont le nom signi­fie « Béni », naquit vers 480 à Norcia ou Nursie, ville de l’Italie cen­trale. Les Dialogues de saint Grégoire le Grand, la seule source de ren­sei­gne­ments que nous ayons sur lui, ne nous apprennent rien sur ses parents, sinon qu’ils des­cen­daient de la vieille noblesse sabine. Mais sa sain­te­té pré­coce et comme natu­relle, non moins que celle de sa sœur Scholastique, donne à pen­ser que les deux enfants res­pi­rèrent au foyer fami­lial l’atmosphère des ver­tus chrétiennes.

Vers 497, le jeune homme était venu ache­ver ses études à Rome. Les débauches de ses com­pa­gnons l’effrayèrent, et, au lieu de s’abandonner aux pas­sions nais­santes, il réso­lut de fuir la grande ville avec sa nour­rice. Sur les ins­tances de quelques habi­tants, tous deux s’arrêtèrent à Enfide, du côté des col­lines de Tibur, et ils s’y seraient fixés, si la répu­ta­tion de sain­te­té de Benoît, pro­vo­quée par le miracle d’un crible bri­sé puis répa­ré par la seule ver­tu d’une prière fer­vente, n’avait déter­mi­né l’étudiant à s’enfoncer seul plus avant dans la montagne.

Parvenu au désert de Subiaco, à cin­quante milles au sud-​est de Rome, le jeune homme ren­con­tra un céno­bite nom­mé Romain, dont le monas­tère était situé au som­met du mont Taleo. L’aspirant à la vie éré­mi­tique confia à son aîné ses dési­rs de per­fec­tion. Le moine lui jura le secret et l’aida à trou­ver aux flancs abrupts du rocher une grotte inac­ces­sible, du fond de laquelle on ne voyait que le ciel ; à de cer­tains jours il lui des­cen­dait, du haut de l’escarpement, un pain sus­pen­du à une corde : au son d’une clo­chette, Romain aver­tis­sait Benoît de quit­ter l’o­rai­son et de prendre la fru­gale provision.

Dans cette retraite où le jeune reclus demeu­ra trois ans, des ber­gers l’aperçurent et le prirent pour une bête sau­vage ; mais l’ayant recon­nu pour un ser­vi­teur de Dieu, ils écou­tèrent doci­le­ment ses instructions.

Satan vou­lut détruire à ses débuts l’action sur­na­tu­relle de celui qui s’annonçait comme son intrai­table adver­saire. Sous l’apparence d’un merle noir il s’en vint vole­ter de si près autour de lui, que pour chas­ser l’importun le soli­taire dut faire le signe de la croix. Aussitôt Benoît revoit en esprit l’image d’une jeune fille qu’il a autre­fois ren­con­trée à Rome, et la sug­ges­tion dia­bo­lique com­mence ; est-​il bien cer­tain qu’il soit tenu de mener une exis­tence tel­le­ment au-​dessus des forces de la nature ? Mais la grâce divine inter­vient. Sous l’inspiration d’en haut, le Saint se jette dans un buis­son d’épines proche de la grotte, et s’y roule aus­si long­temps que la dou­leur n’a pas maté en lui la révolte des sens. Désormais les ardeurs de la concu­pis­cence n’auront nulle prise sur lui.

L’épreuve des « faux frères » de Vicovaro.

Des soli­taires qui vivaient dans les grottes de Vicovaro, bourg situé à huit milles de dis­tance entre Subiaco et Tivoli, vinrent, à la mort de leur abbé, conju­rer l’ermite de Subiaco de bien vou­loir prendre sa place, se disant réso­lus au besoin à l’enlever de vive force. Benoît assu­ra qu’ils ne pour­raient point s’entendre avec lui, mais sur leurs ins­tances il consen­tit à les suivre.

Son gou­ver­ne­ment leur parut trop aus­tère, et, pour se débar­ras­ser du maître qu’ils s’étaient choi­si, ils empoi­son­nèrent son vin. Mais Dieu veillait sur son ser­vi­teur : avant de boire, le pieux ermite bénit la cruche sui­vant sa cou­tume et à l’instant celle-​ci vola en éclats.

– Que le Dieu tout-​puissant vous par­donne, frères, dit l’abbé en se levant de table ; pour­quoi avez-​vous vou­lu me trai­ter ain­si ? Ne vous avais-​je pas pré­ve­nus qu’il n’y avait entre votre vie et la mienne nul accord pos­sible ? Allez trou­ver un Père qui vous convienne, car désor­mais, vous ne m’aurez plus. » Et il retour­na à sa chère grotte de Subiaco.

« L’école de vie » de Subiaco

Cependant sa répu­ta­tion s’était répan­due jusqu’à Rome. Les familles patri­ciennes com­mencent de venir le consul­ter. Le noble Equitius lui confie son fils Maur, et le patrice Tertullus son petit Placide, tout jeune enfant. De toutes parts des dis­ciples sol­li­citent de vivre sous sa direction.

Ainsi se déve­loppe « l’école de vie » de Subiaco, ces douze monas­tères répan­dus dans les soli­tudes des rochers, cha­cun com­po­sé d’autant de moines, et ayant à sa tête un abbé. Benoît cepen­dant demeu­rait l’Abbé de tous : tous étaient pas­sés par ses mains et il conti­nuait de se réser­ver les novices.

Parmi ces cou­vents il y en avait trois bâtis au som­met des rochers arides ; les moines qui les habi­taient étaient obli­gés de venir cher­cher l’eau dans le lac, au bas du ravin, en des­cen­dant une pente dan­ge­reuse. Au bout de quelque temps ils se las­sèrent de ces efforts. « Père, dirent-​ils à Benoît, ne pourrions-​nous pas construire notre mai­son dans un endroit plus com­mode ? Là-​haut, il est très oné­reux de four­nir de l’eau à la communauté. »

Benoît les conso­la pater­nel­le­ment et leur assu­ra qu’il y penserait.

La nuit sui­vante, il prit avec lui Placide et gra­vit silen­cieu­se­ment la mon­tagne ; il s’arrêta près des monas­tères éle­vés sur la cime, s’agenouilla sur le roc et pria long­temps ; puis, ayant mar­qué cette place avec trois pierres, il redes­cen­dit à son monastère.

Le len­de­main, les Frères viennent lui deman­der sa déci­sion. « Retournez chez vous, leur dit-​il, jusqu’à tel endroit que vous ver­rez mar­qué par trois pierres posées l’une sur l’autre, là vous creu­se­rez un peu ; le Dieu tout-​puissant pour­ra bien vous exau­cer, en fai­sant jaillir l’eau dont vous avez besoin. » Pleins d’obéissance, les moines mon­tèrent jusqu’au lieu indi­qué et s’aperçurent que le roc suin­tait déjà ; l’eau vive s’échappa bien­tôt en telle abon­dance que, for­mant un ruis­seau, elle rejoi­gnit le lac dans la vallée.

L’Italie était alors au pou­voir des Goths. Un de ces bar­bares, homme grand et robuste, mais sans ins­truc­tion, s’était conver­ti ; il vint sol­li­ci­ter l’honneur de ser­vir Dieu par­mi les moines. Benoît l’accueillit avec une grande bon­té et lui confia des occu­pa­tions conformes à ses aptitudes.

Un jour, il lui avait mis entre les mains une hache et l’avait char­gé de débar­ras­ser des buis­sons qui encom­braient un coin de terre situé sur les bords du lac, afin de l’aménager en jar­din. Le Goth s’était mis à l’œuvre avec ardeur, et de ses bras vigou­reux don­nait de vio­lents coups de hache, quand sou­dain le fer s’échappa du manche et vola dans le lac, dans un endroit où les eaux étaient si pro­fondes qu’on ne pou­vait son­ger à l’en retirer.

Le novice, tout attris­té, s’en fut annon­cer sa mésa­ven­ture à Maur, le dis­ciple de pré­di­lec­tion et le bras droit de Benoît, en sol­li­ci­tant une péni­tence. Maur aver­tit son maître. Celui-​ci se ren­dit sur le lieu de l’accident, prit le manche de la hache, en plon­gea l’extrémité dans les eaux du lac ; aus­si­tôt le fer remon­ta de lui-​même et revint s’adapter au manche. Puis ren­dant au Goth émer­veillé son ins­tru­ment, Benoît de lui dire : « Travaille et ne sois plus triste. »

Saint Benoît retire du lac le fer de la hache que l’ou­vrier y a lais­sé tomber.

Un autre tou­chant miracle se rap­porte au séjour de Benoît à Subiaco. Un jour que Placide était venu rem­plir sa cruche au lac, il per­dit l’équilibre et tom­ba à l’eau. Une voix inté­rieure en aver­tit Benoît dans sa cellule.

– Frère Maur, appelle-​t-​il, cours vite, l’enfant est tom­bé dans le lac et le cou­rant l’emporte.

Le Frère demande et reçoit la béné­dic­tion de son Père, il accourt à la berge, aper­çoit le jeune Placide rou­lé par le flot, arrive jusqu’à lui, le sai­sit par ses longs che­veux, le dépose sain et sauf sur la berge. Alors seule­ment il s’aperçoit du miracle et. trem­blant, ramène à l’abbé l’enfant dont les vêle­ments ruis­sellent, tan­dis que lui, Maur, n’a pas un fil mouillé.

– C’est ton obéis­sance qui a méri­té cela, dit Benoît ; je n’y suis pour rien.

– Et moi encore bien moins, objecte le dis­ciple ; car je n’ai pas eu la moindre conscience de ce qui se passait.

– Moi, inter­vient alors Placide, je voyais au-​dessus de ma tête l’habit de mon Père abbé, et je sen­tais que c’était lui qui me tirait de l’eau.

Pour éteindre le rayon­ne­ment de cette « école de vie » qu’était deve­nu le désert de Subiaco, Satan sus­ci­ta la haine d’un prêtre nom­mé Florent, atta­ché à une église de la val­lée. Le mal­heu­reux fit d’abord por­ter un pain empoi­son­né à Benoît, qui ordon­na à un cor­beau d’aller jeter le pré­sent homi­cide en un lieu inac­ces­sible. Alors, ne pou­vant tuer les corps, Florent, pour atteindre les âmes, envoya près du jar­din où jouaient les jeunes moines sept filles per­dues exé­cu­ter des danses lascives.

Benoît com­prit le dan­ger que cou­rait l’innocence de ses dis­ciples. Comme son enne­mi n’en vou­lait qu’à sa seule per­sonne, il accep­ta de dis­pa­raître pour assu­rer aux siens le bien de la paix. Laissant donc ses douze monas­tères, il par­tit, avec quelques Frères, à la recherche d’une autre solitude.

Florent était sur sa ter­rasse, et il se réjouit de voir par­tir Benoît , mais sou­dain la mai­son fut ébran­lée, crou­la et l’écrasa. Le jeune Maur, res­té en arrière, cou­rut en por­ter la nou­velle à Benoît. L’homme de Dieu s’affligea autant de la mort de son enne­mi que de l’allégresse de son dis­ciple, à qui il impo­sa une forte péni­tence pour s’être ain­si réjoui, et il conti­nua son voyage. Suivant la tra­di­tion, il avait pas­sé envi­ron trente ans à Subiaco.

Le Mont-​Cassin. – La lutte contre le démon.

Benoît sui­vit les mon­tagnes vers le Sud et arri­va au Mont-​Cassin, dans les ruines d’une ville romaine, Cassinum, où étaient les restes d’un amphi­théâtre et où l’on voyait un temple d’Apollon, encore debout, dans son bois sacré.

Son pre­mier soin fut de dres­ser la croix du Christ sur les débris de l’idole, de rendre le temple païen au culte du vrai Dieu, d’en faire la basi­lique du monas­tère et de la pla­cer sous le patro­nage de saint Martin.

La tra­di­tion désigne comme dona­teur du Mont Cassin le patrice Tertullus, père de Placide, à l’époque même où le noble Romain offrait son fils à Subiaco ; et deux ins­crip­tions décou­vertes en juillet 1834 semblent bien éta­blir que la famille Tertulla d’Interamna pos­sé­dait des terres dans la région.

Arrivé en 629 au Mont-​Cassin, le patriarche des moines d’Occident devait demeu­rer qua­torze ans sur cette cime des­ti­née à deve­nir, selon le mot du Pape Victor III, « le Sinaï de l’Ordre monas­tique », Benoît fît construire le monas­tère par ses dis­ciples, non sans ren­con­trer l’opposition de l’ennemi du genre humain. On rap­porte qu’un jour, les Frères ne pou­vant remuer une pierre tel­le­ment pesante quelle sem­blait tenir à la terre par de fortes racines, l’abbé recon­nut un arti­fice du démon, don­na sa béné­dic­tion, mit en fuite l’esprit malin, et la pierre fut sou­le­vée facilement.

Le démon était plein de rage contre le saint patriarche qui s’installait ain­si sur une mon­tagne où l’idolâtrie avait jusque-​là régné en maî­tresse ; par­fois il lui appa­rais­sait, en plein jour, sous un masque hor­rible, jetant des tour­billons de flammes par les yeux, la bouche et les narines, et il l’appelait par son nom : « Benoît Benoît ! » en latin ; Bénédicte !Bénédicte ! Or, ce nom, comme on sait, veut dire Béni ; aus­si le démon, se repre­nant aus­si­tôt, répé­tait : « Non, non, pas Béni ; Maudit ! Maudit ! Qu’es-tu venu faire en ce lieu ? Qu’as-tu à démê­ler avec moi ? Pourquoi prends-​tu plai­sir à me per­sé­cu­ter ? » Benoît le lais­sait crier et vaquait à ses occu­pa­tions, sans faire atten­tion à lui.

Cédant aux sug­ges­tions cachées du ten­ta­teur, un reli­gieux prit en dégoût sa sainte voca­tion, et deman­da à l’abbé la per­mis­sion de retour­ner dans le monde. Benoît essaya de lui faire com­prendre la folie de son des­sein et lui rap­pe­la sa fer­veur pré­cé­dente, la sagesse de la réso­lu­tion anté­rieu­re­ment prise d’embrasser la vie reli­gieuse ; il par­la du salut de son âme, de l’excellence incom­pa­rable du ser­vice et de l’amour de Dieu ; il lui dit de prier et d’attendre avec patience la fin de cette ten­ta­tion. Mais le reli­gieux ne vou­lait rien entendre, déjà son ima­gi­na­tion était dans le monde. Pour obte­nir plus vite la per­mis­sion que l’abbé dif­fé­rait de lui accor­der, il se mit à trou­bler l’ordre de la com­mu­nau­té et à scan­da­li­ser les Frères, tel­le­ment que Benoît fut obli­gé de le chas­ser. Le mal­heu­reux par­tit content ; mais à peine était-​il sor­ti du monas­tère, qu’il vit accou­rir à lui un dra­gon furieux, la gueule béante, prêt à le dévo­rer. Il appe­la à grands cris les Frères au secours. Ceux-​ci s’empressèrent de venir ; ils trou­vèrent le fugi­tif trem­blant d’épouvante et le rame­nèrent au couvent. Le moine désa­bu­sé pro­mit d’être désor­mais fidèle à sa voca­tion, et il tint parole, gar­dant pour le reste de sa vie une immense recon­nais­sance envers son saint abbé dont les prières lui avaient obte­nu la grâce de voir le dra­gon infer­nal qui vou­lait le dévorer.

Comme les Frères tra­vaillaient à exhaus­ser un mur, le diable entra dans la cel­lule de l’homme de Dieu et lui annon­ça d’un ton pro­vo­ca­teur qu’il allait voir ses moines à l’ouvrage. Sur-​le-​champ Benoît leur dépêche un mes­sa­ger : « Soyez vigi­lants, leur fait-​il dire, car le malin esprit est là, qui rôde autour de vous. » Le mes­sa­ger n’avait pas ter­mi­né, que le mur s’écroule, broyant sous les décombres le fils d’un offi­cier impé­rial, un petit novice appe­lé Sévère. Le patriarche infor­mé de l’accident ordonne qu’on lui apporte l’enfant, dont le corps était à ce point déchi­que­té qu’il fal­lut l’envelopper dans le man­teau d’un pos­tu­lant ; puis ayant fer­mé la porte de sa cel­lule, il se pros­terne dans une prière intense. Et bien­tôt l’enfant, le regard brillant de recon­nais­sance, est debout devant son Père abbé qui le ren­voie à sa tâche.

Autre résurrection opérée par saint Benoît.

Un jour, Benoît était sor­ti avec les Frères pour tra­vailler aux champs. Un pay­san vint au monas­tère, outré de dou­leur, por­tant entre les bras le corps de son fils et deman­dant le P. Benoît. Comme on lui répon­dait que l’abbé était aux champs avec les Frères, le visi­teur dépose le corps de son enfant devant la porte, et court à la recherche du Saint. Il le ren­contre qui reve­nait du tra­vail et lui crie :

– Père, rendez-​moi mon fils !

– Est-​ce moi qui vous l’ai enlevé ?

– Il est mort, venez le res­sus­ci­ter, insiste le pauvre homme.

– Retirez-​vous, ce n’est pas notre affaire ; cela appar­tient aux saints apôtres, lui répond Benoît avec une brus­que­rie appa­rente. Que venez-​vous nous impo­ser un far­deau insupportable ?

Le pay­san jure dans sa dou­leur qu’il ne par­ti­ra pas avant que le Saint ait res­sus­ci­té l’enfant.

– Où est ce mort ?

– Voilà son corps à la porte du monastère.

Benoît, y étant arri­vé, se mit en prière avec tous ses reli­gieux, s’étendit sur le cadavre comme autre­fois saint Paul lorsqu’il res­sus­ci­ta Eutychus ; puis debout, les bras au ciel, il s’écria : « Seigneur, ne regar­dez pas mes péchés, mais la foi de cet homme, et ren­dez à ce corps l’âme que vous en avez ôtée. »

A peine a‑t-​il ache­vé sa prière, que le corps se met à trem­bler ; Benoît prend l’enfant par la main et le rend à son père plein de vie et de santé.

Totila et saint Benoît.

Le roi Goth Totila s’était empa­ré de l’Italie jusqu’à Naples. Ayant enten­du van­ter l’esprit pro­phé­tique de l’abbé du Mont-​Cassin, il vou­lut le mettre à l’épreuve et fit revê­tir les orne­ments royaux à son écuyer Riggo, qu’il envoya ain­si tra­ves­ti au Mont-​Cassin avec une suite de seigneurs.

– Mon fils, lui cria aus­si­tôt Benoît, quit­tez l’habit que vous por­tez, il n’est pas à vous.

Riggo, épou­van­té d’avoir vou­lu trom­per un tel homme, se jeta à ses pieds ; bien­tôt Totila se pré­sen­ta en per­sonne, inca­pable de répri­mer une ter­reur sou­daine. Le ser­vi­teur de Dieu cria par trois fois à ce prince redou­té ; « Levez-​vous ! » et il dut enfin le rele­ver lui-même.

– Vous avez fait beau­coup de mal, lui dit Benoît ; vous en faites tous les jours ; il est temps de ces­ser vos ini­qui­tés. Vous entre­rez à Rome, vous régne­rez neuf années, après quoi vous mourrez.

Le roi, effrayé, se recom­man­da à ses prières et à par­tir de ce moment se mon­tra moins cruel. Il devait effec­ti­ve­ment suc­com­ber en 552, d’une bles­sure reçue à la bataille de Tagina.

Mort de saint Benoît. – Son culte.

Benoît avait dépas­sé l’âge de soixante ans lorsqu’il per­dit sa sœur, sainte Scholastique ; il la fit inhu­mer au Mont-​Cassin, dans la sépul­ture qu’il s’était pré­pa­rée pour lui-​même. Quelques semaines plus tard, pris lui-​même d’une fièvre vio­lente, il don­na l’ordre de rou­vrir son tom­beau. Le sixième jour, il se fît por­ter dans l’église Saint-​Martin, pour y rece­voir le corps et le sang du Seigneur. Puis, debout, appuyé sur les bras des moines qui sou­te­naient ses membres défaillants, le fon­da­teur de l’Ordre Bénédictin exha­la son der­nier sou­pir dans une prière suprême. C’était, croit-​on, le 21 mars 543 – Dom L’Huillier, auteur d’une vie de saint Benoît publiée en 1905, se pro­nonce pour l’année 547, en la fête du Jeudi-​Saint, qua­rante jours après la mort de sainte Scholastique. Au même moment deux moines, l’un au Mont-​Cassin, l’autre à Subiaco, aper­çurent vers l’Orient une voie triom­phale qui allait de la cel­lule du ser­vi­teur de Dieu jusqu’au ciel et res­plen­dis­sait de l’éclat d’innombrables lampes. Alors un ange, lui aus­si étin­ce­lant, leur dit : « Voici la voie par laquelle Benoît, le bien-​aimé du Seigneur, est mon­té au paradis. »

En 708, le corps de saint Benoît fut trans­fé­ré en France par les soins des reli­gieux Bénédictins de Fleury-​sur-​Loire, aujourd’hui Saint-​Benoît-​sur-​Loire, au dio­cèse d’Orléans, qui l’ensevelirent le 11 juillet de la même année dans leur église abba­tiale. Le Pape saint Zacharie écri­vit en vain aux évêques francs, en 760, pour obte­nir la res­ti­tu­tion du pré­cieux tré­sor. Une ambas­sade monas­tique envoyée à cet effet à Fleury-​sur-​Loire et où figu­rait le prince Carloman, frère de Pépin le Bref, ne réus­sit à rame­ner au Mont-​Cassin que quelques osse­ments. De cette époque date l’extension du culte de saint Benoît à toute la chrétienté.

Quant à la Règle pro­mul­gée vers 540 par Benoît, c’est un monu­ment admi­rable qui, à la dif­fé­rence de la mai­son maté­rielle pri­mi­tive du Cassin, où elle prit éga­le­ment corps, a résis­té au temps.

Du vivant même de saint Benoît, des cou­vents de son Ordre com­men­cèrent à se fon­der de divers côtés ; ils se mul­ti­plièrent ensuite par toute l’Europe. Le bien­heu­reux patriarche a comp­té par­mi ses innom­brables enfants spi­ri­tuels une mul­ti­tude de Saints, plu­sieurs Papes, un nombre immense d’évêques tous sou­cieux de conser­ver dans le monde l’esprit du Fondateur.

La fête de saint Benoît a été éle­vée au rite double majeur par Léon XIII le 5 avril 1883.

A. L.

Sources consul­tées. – Saint Grégoire le Grand, Dialogues (dans la Patrologie de Aligne). – Dom L’Huillier, Le patriarche saint Benoît (Paris, 1905). – Dom S. ru Fresnel, Saint Benoît : l’œuvre et l’âme du patriarche (Abbaye de Maredsous, 1926) – (V. S. B. P., nos 4, 931, 801, 967 et 958.)