Sainte Scholastique

Sainte Scholastique. Statue de l'abbaye du Mont-Cassin.

Sœur de saint Benoît et vierge (480 ?-543)

Fête le 10 février.

Nous ne connais­sons d’une manière cer­taine que fort peu de chose tou­chant la vie de sainte Scholastique, et le peu que nous en savons, nous le devons à saint Grégoire le Grand, qui nous a lais­sé le récit tou­chant des der­niers jours que la pieuse vierge a pas­sés sur la terre avant de par­ve­nir à la béa­ti­tude céleste. Elle a cepen­dant tou­jours été gran­de­ment véné­rée dans l’Eglise, et c’est à sa paren­té avec saint Benoît, le patriarche des moines d’Occi­dent, qu’il faut l’attribuer.

Dans l’histoire de la plu­part des Saints qui ont exer­cé une action réfor­matrice et durable sur les ins­ti­tu­tions reli­gieuses – a dit Montalembert, – on retrouve presque tou­jours le nom et l’influence d’une sainte femme asso­ciée à leur dévoue­ment et à leur œuvre. Ces rudes com­bat­tants dans la guerre de l’âme contre la chair semblent avoir pui­sé de la force et de la conso­la­tion dans une chaste et fer­vente com­mu­nau­té de sacri­fices, de prières et de ver­tus avec une mère, avec une sœur par le sang ou par le choix. C’est ain­si qu’on voit Macrine à côté de saint Basile, et que les noms de Monique et d’Augustin sont insé­pa­rables, comme dans les siècles plus récents ceux de saint François d’Assise et de sainte Claire, de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal.

L’austère et rigide saint Jérôme et sainte Paule, la veuve romaine, des­cen­dante des ter­ribles Gracques, n’ont point échap­pé à ce que nous aimons à croire une dis­po­si­tion pro­vi­den­tielle ; saint Benoît et sainte Scholastique nous en offrent une tou­chante application.

Premières années de sainte Scholastique.

Sur l’un des pla­teaux que forme l’Apennin cen­tral aux confins de la Sabine, de l’Ombrie et des Marches, s’élève Norcia, l’antique Nursia des Romains. C’est une petite ville de 5 000 âmes, encore ceinte de ses anciennes murailles et entou­rée de cimes altières. La place prin­cipale est déco­rée d’une sta­tue de saint Benoît et porte le nom de piaz­za Sertorio. La vieille cité a vou­lu consa­crer ain­si le sou­ve­nir de ses deux fils les plus illustres et les asso­cier dans un com­mun hom­mage ; elle est fière, en effet, d’avoir vu naître Sertorius, le héros romain, qui, se refu­sant à subir le joug odieux de Sylla, se ren­dit presque indé­pen­dant en Espagne, et saint Benoît, qui for­mu­la les règles de la vie monas­tique en Occident.

En dehors et non loin des murs de la ville, s’élevait un cas­tel dont, au IXe siècle, on pré­ten­dait encore mon­trer les restes. C’est là qu’au Ve siècle habi­taient, une par­tie de l’année au moins, deux époux aus­si grands par leur pié­té que par leur nais­sance ; ils s’ap­pelaient Eupropius et Abundantia. Eupropius était Romain et appar­te­nait à l’illustre gens Anicia, dont les nom­breuses branches avaient été et devaient encore être si fécondes en hommes célèbres dans l’his­toire.

Quant à Abundantia, elle était ori­gi­naire, croit-​on, de Nursia, et chaque année elle venait avec son mari pas­ser les mois d’été dans le domaine fami­lial. L’air pur des mon­tagnes, l’ombre épaisse des bois envi­ron­nants en fai­saient un séjour déli­cieux, alors qu’à Rome régnait une cha­leur acca­blante et que les Romains d’autrefois, comme ceux d’aujourd’hui, déser­taient la Ville Eternelle.

Il y avait déjà long­temps qu’Eupropius et Abundantia s’étaient épou­sés, et ils voyaient la vieillesse appro­cher sans avoir goû­té les douces joies de la pater­ni­té et de la mater­ni­té. Enfin, au cours de l’an 480, comme on le croit com­mu­né­ment, Abundantia don­na la vie à deux jumeaux, un fils et une fille, qui reçurent au bap­tême les noms de Benoît et de Scholastique. Mais comme si Dieu eût vou­lu reprendre d’une main ce qu’il lui don­nait de l’autre, Eupropius vit bien­tôt expi­rer entre ses bras son épouse ché­rie, et ses san­glots se mêlèrent aux vagis­se­ments des nouveau-​nés. Veuf et père de deux orphe­lins, il ne faillit cepen­dant pas à son devoir. Il confia les deux enfants aux soins d’une femme pieuse et res­pec­table qui leur ser­vit de mère adop­tive et pour laquelle le frère et la sœur conser­vèrent tou­jours une affec­tion reconnaissante.

Souvent Dieu se réserve pour son ser­vice les fruits d’une fécon­dité tar­dive, et sou­vent aus­si il ins­pire, quand il ne les dicte pas lui-​même, les noms que devront por­ter ceux qu’il a choi­sis pour quelque œuvre impor­tante. « C’est le pri­vi­lège des Saints, dit un auteur béné­dic­tin, de rece­voir du ciel des noms qui pré­sagent leurs mérites. » On peut donc croire que ce fut par une ins­pi­ra­tion divine qu’Eupropius don­na à ses enfants les noms de Benedictus, qui signi­fie béni, dont nous avons fait Benoît, et de Scholastica qui veut dire éco­lière. Ce nom de Scholastique était comme prophétique.

En effet – a dit saint Berthiaire, abbé du Mont-​Cassin au IXe siècle – la pieuse vierge qui le por­tait devait être for­mée à l’école du Saint-​Esprit, maître de toute sagesse. De lui, elle apprit à connaître la règle de toutes les ver­tus, à dis­cer­ner le bien du mal, la lumière des ténèbres, et à par­courir sûre­ment la voie du salut. O heu­reuse terre de Nursia, qui a pro­duit de tels reje­tons ! Heureuse mère, qui a don­né au monde des enfants dont le nom signi­fie béné­dic­tion et sagesse !

L’avenir devait réa­li­ser magni­fi­que­ment les heu­reux pré­sages dent la Providence s’était plu à entou­rer les ber­ceaux de Benoît et de Scholastique.

En atten­dant, les deux enfants gran­dis­saient et s’aimaient d’une affec­tion par­ti­cu­liè­re­ment tendre, comme il arrive sou­vent entre jumeaux. On aurait dit qu’ils ne pou­vaient se quit­ter ; de fait, Dieu per­met­tra qu’ils par­courent presque côte à côte le che­min de la vie et qu’ils laissent ce monde ter­restre presque à la même heure.

Sainte Scholastique embrasse la vie religieuse.

Eupropius avait voué ses enfants au Seigneur dès leur nais­sance. C’était alors, en effet, une pieuse habi­tude dans les familles fon­cièrement chré­tiennes. Toutefois, cette consé­cra­tion ne deve­nait réel­le­ment effec­tive que si l’enfant, par­ve­nu à l’âge de dis­cré­tion, la rati­fiait de son plein gré. Pieusement éle­vée dans la crainte et l’amour du Seigneur par la digne nour­rice à laquelle son père l’a­vait confiée, Scholastique ne tar­da pas à entrer dans les vues pater­nelles, et, dès qu’elle fut en âge de com­prendre l’importance de sa démarche, elle choi­sit libre­ment pour Epoux le Christ Jésus. Cer­tains auteurs pré­tendent même qu’elle embras­sa la vie reli­gieuse avant son frère. Se fit-​elle admettre dès lors dans quelque commu­nauté de vierges régu­liè­re­ment consti­tuée, ou bien se borna-​t-​elle, comme les saintes femmes de l’Aventin l’avaient fait quelque cent ans plus tôt, à mener dans la mai­son pater­nelle une vie reti­rée du monde, por­tant un vête­ment gros­sier et se livrant à toutes les pra­tiques de la pié­té et de la cha­ri­té ? Les hagio­graphes ne sont pas d’accord à cet égard ; les Bollandistes penchent pour la pre­mière hypo­thèse. Quoi qu’il en soit, elle ne s’éloigna pro­ba­ble­ment pas de Rome pour le moment et ce lui fut une dou­leur très sen­sible quand elle apprit la fuite de son frère vers le désert de Subiaco.

Dom Guéranger, le res­tau­ra­teur en France de l’Ordre béné­dic­tin, s’appuyant sur des argu­ments de conve­nance et de sen­ti­ment, a émis l’idée que Scholastique rejoi­gnit son frère à Subiaco. Aucun docu­ment ne le prouve ; en tout cas, si le fait est exact, il ne se pro­duisit cer­tai­ne­ment qu’une quin­zaine d’années après que saint Benoît eut quit­té Rome, alors que la renom­mée de ses ver­tus lui avait déjà atti­ré de nom­breux dis­ciples. A ce moment, Scholastique se serait mise com­plè­te­ment sous sa direc­tion, aurait fon­dé un monas­tère dans les envi­rons de celui de son frère et en aurait reçu le gouvernement.

Quelques années plus tard, vers l’an 529, saint Benoît quit­ta Subiaco et se reti­ra au Mont-​Cassin. Scholastique l’y sui­vit. Le bien­heu­reux patriarche lui fit bâtir un couvent au pied de la mon­tagne, à six kilo­mètres envi­ron de son propre monas­tère, en un lieu appe­lé Palumbariola ou Plumbariola, nom pro­phé­tique ou du moins fort bien choi­si, puisqu’il signi­fie « petit colombier ».

De sa cel­lule, il pou­vait aper­ce­voir celle de sa sœur, et on raconte que de sa fenêtre il lui don­nait sou­vent sa béné­dic­tion. Fidèles à gar­der la clô­ture monas­tique, Benoît et Scholastique ne se visi­taient qu’une fois l’an, quelques jours avant l’ouverture du carême. Ils sor­taient alors de leur couvent, accom­pa­gnés de trois ou quatre moines et d’autant de reli­gieuses, se ren­con­traient à une cer­taine dis­tance dans une des fermes du Mont-​Cassin, y pas­saient la jour­née en de saints col­loques, et, le soir, après un fru­gal repas, repre­naient le che­min de leurs cel­lules respectives.

Cette visite annuelle était impa­tiem­ment atten­due par le frère et la sœur. Le reste de l’année, Scholastique vivait dans la soli­tude et la prière, s’appliquant à bien gou­ver­ner les nom­breuses filles qui étaient accou­rues se ran­ger sous son auto­ri­té. Les pané­gy­ristes vantent son admi­rable sobrié­té, car elle se conten­tait d’une modeste réfec­tion vers le soir. Sa pié­té, disent-​ils, lui avait méri­té le don des larmes ; elle était simple comme la colombe qui habite dans la fente des rochers, rem­plie de pru­dence et des dons du Saint-​Esprit ; elle veillait avec soin sur ses Sœurs, leur rap­pe­lant la néces­sité de fuir les conver­sa­tions du dehors, afin de conser­ver le recueil­lement de l’âme, et s’efforçait de leur faire pra­ti­quer exac­te­ment la règle que pro­fes­saient les moines du Mont-​Cassin. On peut donc dire en toute véri­té que Scholastique fut la fon­da­trice des Bénédictines.

Dernière entrevue de sainte Scholastique et de saint Benoît.

Il y avait quinze ans envi­ron que Scholastique menait à Plumbariola cette vie plus angé­lique qu’humaine, et, selon toute appa­rence, Dieu lui révé­la que sa fin appro­chait. Elle vou­lut revoir encore une fois son frère Benoît. Le Pape saint Grégoire le Grand a décrit dans ses Dialogues cette der­nière entre­vue ; nous ne sau­rions mieux faire que de repro­duire en entier cette page en emprun­tant à M. E. Cartier la tra­duc­tion qu’il en a donnée.

Scholastique était venue, selon son habi­tude, au lieu accou­tu­mé de leurs entre­vues ; son véné­rable frère des­cen­dit vers elle avec quelques dis­ciples, et ils pas­sèrent toute la jour­née à louer Dieu et à s’entretenir des choses saintes. Les ténèbres de la nuit cou­vraient déjà la terre lorsqu’ils prirent ensemble quelque nour­ri­ture. Comme ils étaient à table et que l’heure s’avançait dans leurs pieux entre­tiens, la sainte femme adres­sa cette demande à son frère : « Je vous prie de ne pas me quit­ter cette nuit, afin que nous puis­sions par­ler jusqu’au matin des joies de la vie céleste. » Benoît lui répon­dit : « Que dites-​vous là, ma sœur ? Je ne puis aucu­ne­ment res­ter hors du monastère. »

Le ciel était alors si pur qu’il n’y avait pas dans l’air l’apparence d’un nuage. La pieuse vierge, en enten­dant le refus de son frère, posa sur la table ses mains entre­la­cées et y cacha son visage pour prier le Seigneur tout-​puissant. A l’instant où elle rele­vait la tête, il y eut un tel éclat d’éclairs et de ton­nerre, un tel déluge de pluie que le véné­rable Benoît et les Frères qui l’avaient accom­pa­gné n’auraient jamais pu fran­chir le seuil du lieu où ils se trou­vaient. C’est que la sainte femme, en incli­nant la tête dans ses mains, avait répan­du sur la table des ruis­seaux de larmes qui avaient chan­gé en pluie la séré­ni­té du ciel. L’orage sui­vit de près cette prière, et il y eut un tel rap­port entre cette prière et cette tem­pête que le ton­nerre gron­da au moment même où elle leva la tête, et que la pluie tom­ba en même temps.

L’homme de Dieu, au milieu de ces éclairs, de ces ton­nerres et de ces tor­rents de pluie, vit bien qu’il ne pou­vait pas retour­ner à son monas­tère. Il s’en plai­gnit avec tris­tesse en disant : « Que le Dieu tout-​puissant vous par­donne, ma sœur ! Qu’avez-vous fait ? » Elle répon­dit : « Je vous ai prié et vous n’avez pas vou­lu m’écouter ; j’ai prié mon Seigneur et il m’a exau­cée. Maintenant, sor­tez si vous le pou­vez ; laissez-​moi et retour­nez au monas­tère. » Mais il ne pou­vait quit­ter la mai­son ; il avait refu­sé d’y res­ter, et il y res­ta mal­gré lui. Ils veillèrent alors toute la nuit, se ras­sa­siant des saintes paroles qu’ils se disaient l’un à l’autre sur la vie spirituelle.

Saint Grégoire conclut sa nar­ra­tion par ces paroles bien suggestives :

Ainsi, il n’est pas éton­nant que Benoît fut alors vain­cu par cette femme qui dési­rait voir plus long­temps son frère : car, selon la parole de saint Jean, Dieu est cha­ri­té, et c’est pour son juge­ment que celle-​là fut plus puis­sante, qui aimait davantage.

Au matin, l’orage avait ces­sé et le frère et la sœur purent rega­gner leur monas­tère respectif.

Le der­nier entre­tien de sainte Scholastique et de saint Benoît.

Mort et sépulture de sainte Scholastique.

Le fenêtre de la cel­lule de saint Benoît, nous l’avons dit, don­nait sur la plaine, et de cette fenêtre, on pou­vait aper­ce­voir le couvent de Plumbariola. Trois jours après l’entrevue dont nous venons de par­ler, le véné­rable abbé était en orai­son. Tout à coup, levant les yeux au ciel, il vit une blanche colombe prendre son essor vers la voûte céleste et Dieu lui fît entendre que, sous cette forme symbo­lique, c’était l’âme de sa sœur qui s’élançait de sa demeure ter­restre vers le séjour de la gloire. En effet, Scholastique venait d’expirer, sans mala­die et sans souf­frances, entou­rée de ses filles spi­ri­tuelles. Celles-​ci étaient plon­gées dans une pieuse tris­tesse. S’il leur était dou­loureux de perdre la pré­sence cor­po­relle de leur mère, com­bien plus grande était leur conso­la­tion de la savoir pour tou­jours au nombre des élus, atten­tive à les pro­té­ger par ses puis­santes prières ! Les moniales de Plumbariola ense­ve­lirent les restes de Scholastique dans un lin­ceul, les dépo­sèrent sur un bran­card et les por­tèrent dans leur cha­pelle, où pen­dant trois jours elles leur firent des funé­railles solennelles.

De son côté, Benoît, par­ta­gé lui aus­si entre la tris­tesse et la joie, assem­bla ses moines, leur fît part du tré­pas de sa sœur, puis il les envoya à Plumbariola cher­cher la dépouille mor­telle de la défunte. Arrivés au monas­tère, les reli­gieux prirent sur leurs épaules le pré­cieux dépôt, et chan­tant des hymnes d’actions de grâces, le por­tèrent au Mont-​Gassin. Benoît le reçut en répan­dant d’abondantes larmes et en remer­ciant le Seigneur de la mort, si belle devant Dieu, de sa sœur ; il don­na enfin l’ordre de des­cendre le corps dans le tom­beau qu’il s’était pré­pa­ré pour lui-​même. « Et cela se fît, écrit saint Grégoire, afin que ceux qui n’avaient jamais eu qu’une âme en Dieu n’eussent aus­si pour leur corps qu’une même sépulture. »

Les deux jumeaux ne devaient pas tar­der à se revoir au ciel pour ne plus être sépa­rés. Scholastique avait quit­té cette terre le 10 février 543 ; qua­rante jours plus tard, le 21 mars, Benoît expi­rait à son tour et sa dépouille était réunie à celle de sa sœur sous l’autel de l’église du Mont-​Cassin. Tant qu’ils res­tèrent dans leur monas­tère, les moines entou­rèrent ces reliques de la plus filiale véné­ra­tion. Mais, vers la fin du VIe siècle, cin­quante ans après la mort de Benoît et de Scholastique, les Lombards ayant détruit le Mont-​Cassin de fond en comble, les reli­gieux qui y habi­taient durent fuir et se reti­rer à Rome, de sorte que les restes du saint fon­da­teur et de sa bien­heu­reuse sœur demeu­rèrent dans l’abandon le plus com­plet, ense­ve­lis sous les décombres, sans même que l’on en connût l’emplacement exact.

Les reliques retrouvées. – Le culte de sainte Scholastique.

Ce triste état de choses dura plus d’un siècle et il fal­lut l’inter­vention divine pour le faire ces­ser. Du vivant même de saint Benoît, divers monas­tères sou­mis à la règle qu’il avait tra­cée s’étaient fon­dés en plu­sieurs régions, notam­ment en France, et depuis, le nombre s’en était mer­veilleu­se­ment accru. On y connais­sait la ruine du Mont-​Cassin et on déplo­rait que les reliques de saint Benoît et de sainte Scholastique y fussent demeu­rées sans hon­neurs. Or, il arri­va, vers la fin du VIIe siècle ou le com­men­ce­ment du VIIIe, qu’un saint reli­gieux des envi­rons du Mans reçut en songe un ordre de Dieu, lui enjoi­gnant d’aller en Italie cher­cher les reliques de Benoît et de Scholastique et de les trans­por­ter en France.

Le moine se mit en route et s’arrêta, non loin d’Orléans, au monas­tère béné­dic­tin de Fleury-​sur-​Loire. Là, il apprit que l’abbé du lieu, ayant eu un songe iden­tique, avait déjà dési­gné quelques émis­saires pour se rendre au Mont-​Cassin. Le moine man­ceau se joi­gnit donc à eux et tous se hâtèrent de gagner la fer­tile Campanie. Arrivés à Aquinum, ils inter­ro­gèrent les gens du pays et se rensei­gnèrent sur l’endroit pré­cis où se trou­vait le tom­beau véné­rable. Un vieillard dont les parents avaient vu le monas­tère encore debout leur don­na quelques indi­ca­tions utiles, bien qu’assez vagues, et les voya­geurs, fran­chis­sant rapi­de­ment les dix ou douze kilo­mètres qui sépa­raient Aquinum de Casinum, arri­vèrent vers la nuit au pied de la mon­tagne sur laquelle saint Benoît avait bâti son monas­tère. Restait à trou­ver le tom­beau lui-​même, ce que les ruines accu­mu­lées par les Lombards ren­daient très dif­fi­cile. Dans ces conjonc­tures, les moines de Fleury eurent recours à la prière et ils furent exau­cés. Tout à coup, ils voient une vive lueur éclai­rer le som­met de la mon­tagne ; se diri­geant alors de ce côté, ils découvrent bien­tôt la pierre sépul­crale. Ils la sou­lèvent, trouvent des osse­ments humains, puis, au-​dessous, mais sépa­rés par une dalle, ils en ren­contrent d’autres. Persuadés que ces restes sont bien ceux qu’ils cherchent, ils les recueillent, les lavent, les enve­loppent dans des lin­ceuls, et, crai­gnant d’être sur­pris s’ils s’attardent, ils reprennent le che­min de leur patrie. Ils ne s’étaient pas trom­pés. Dieu le mon­tra ouver­te­ment par les pro­diges qu’il sema sur leur passage.

Cependant, quand ils furent de retour à Fleury, un conflit écla­ta entre l’abbé de ce monas­tère et le moine du Mans. Le pre­mier vou­lait gar­der le pré­cieux tré­sor pour son église, l’autre refu­sait de s’en défaire, allé­guant qu’il avait reçu de Dieu lui-​même la mis­sion de l’aller cher­cher. Pour en finir, on convint que les reliques de saint Benoît res­te­raient à Fleury et que celles de sainte Scholastique seraient trans­por­tées au Mans. Mais alors sur­git une nou­velle diffi­culté : par­mi les osse­ments recueillis, quels étaient ceux de Benoît, quels ceux de Scholastique ? Un miracle encore pou­vait seul tran­cher la ques­tion. Le cadavre d’un jeune gar­çon, mort la veille, fut pla­cé auprès des osse­ments les plus grands et recou­vra aus­si­tôt la vie, tan­dis que, mis à côté des osse­ments les plus petits, il était demeu­ré inerte ; le même pro­dige se pro­dui­sit, mais inver­se­ment, pour le cadavre d’une jeune fille. On en conclut que les osse­ments les plus grands étaient ceux de saint Benoît, et les autres ceux de sainte Scholastique. Le moine man­ceau prit en consé­quence posses­sion de ces der­niers et les por­ta au Mans. L’évêque du lieu les reçut avec de grands hon­neurs et les fit dépo­ser der­rière le maître-​autel d’un monas­tère alors dédié à saint Pierre et qui bien­tôt prit le nom de Sainte-Scholastique.

La Providence ne per­mit pas cepen­dant que les reliques de la Sainte res­tassent inté­gra­le­ment au Mans. En 874, Richilde, seconde femme de Charles le Chauve, en fit trans­por­ter la plus grande par­tie à Juvigny, au dio­cèse de Verdun, où elle éri­gea une abbaye tout exprès pour les rece­voir ; une autre par­tie fut, dit-​on, repor­tée au Mont-​Cassin, à une époque que l’on ne sau­rait pré­ci­ser ; enfin, ce qui en était res­té au Mans fut presque entiè­re­ment détruit par un incendie.

Actuellement, on peut véné­rer des reliques de sainte Scholastique non seule­ment au Mont-​Cassin, mais encore dans l’église parois­siale de Juvigny-​les-​Dames, où elles se trouvent depuis 1804, com­prenant notam­ment la face avant du crâne et l’avant-bras gauche avec la main, recou­vert encore de sa peau des­sé­chée. Une par­tie des autres osse­ments est reve­nue au Mans, grâce à Mgr Dubois, évêque de Verdun en 1901 et deve­nu ensuite car­di­nal et arche­vêque de Paris (1920–1929), qui avait été en 1896 curé de la paroisse de Saint-​Benoît et Sainte-​Scholastique au Mans ; faveur méri­tée, car les Man­ceaux ont tou­jours conser­vé une grande dévo­tion envers la Sainte dont ils ont fait la patronne de leur ville épiscopale.

Comme beau­coup d’autres Saints, la pieuse moniale n’a pas été l’objet d’une cano­ni­sa­tion for­melle, mais le culte qui lui était ren­du a été confir­mé offi­ciel­le­ment par l’Eglise ; ce culte demeu­ra con­centré dans l’Ordre béné­dic­tin jusqu’au pon­ti­fi­cat de Benoît XIII qui l’étendit à toute l’Eglise le 1er février 1729 avec le rite double.

On repré­sente habi­tuel­le­ment sainte Scholastique sous les traits d’une reli­gieuse avan­cée en âge, tenant à la main une crosse d’abbesse, ou, quel­que­fois, un Crucifix ; une colombe se ren­contre sou­vent à ses côtés. Elle est invo­quée sur­tout en faveur des petits enfants atteints de convulsions.

Th. Vettard.

Ouvrages consul­tés. – Les Grands Bollandistes, t. III de février. – Les Petits Bollandistes, t. II. – Saint Grégoire le Grand, Dialogues, Vie de saint Benoît. – Robert Triger, Sainte Scholastique, patronne de la ville du Mans. – (V. S. B. P., nos 5 et 635.)