Saint Guillaume

Saint Guillaume

Archevêque de Bourges (+ 1209).

Fête le 10 janvier.

Version courte

Saint Guillaume, issu des anciens comtes de Nevers, vint au monde vers le milieu du XIIe siècle. Il fut éle­vé avec soin dans la crainte de Dieu. Le Seigneur lui avait don­né toutes les dis­po­si­tions de la nature et de la grâce néces­saires à l’ac­com­plis­se­ment des grands des­seins qu’Il avait sur lui ; aus­si fit-​il des pro­grès rapides et acquit-​il en peu de temps des connais­sances au-​dessus de son âge et un tré­sor crois­sant de sainteté.

Le monde lui sou­riait, avec sa gloire et ses plai­sirs ; il renon­ça à tout, il s’é­loi­gna même des hon­neurs ecclé­sias­tiques qui sem­blaient le pour­suivre, et s’en­fon­ça dans la soli­tude d’un monas­tère. Non content d’a­voir quit­té le monde, il en per­dit jus­qu’au sou­ve­nir, et vécut dans la pré­sence conti­nuelle de Dieu ; sa modes­tie, sa dévo­tion, sa régu­la­ri­té, rani­maient la fer­veur de ses frères ; il suf­fi­sait de le regar­der au choeur ou à l’au­tel pour être embra­sé du saint désir de mar­cher sur ses traces. Il avait sur­tout un grand amour pour le Saint-​Sacrement, près duquel il trou­vait ses délices, et ses larmes ne taris­saient pas durant le saint sacri­fice de la Messe.

Il fal­lut lui faire vio­lence pour le nom­mer abbé de son monas­tère ; pour­tant il dut bien­tôt se rési­gner à mon­ter plus haut et répondre à l’ap­pel du Ciel clai­re­ment mani­fes­té. Sacré arche­vêque de Bourges, Guillaume mon­tra, dès les pre­miers jours, toutes les ver­tus des plus illustres Pontifes. Il demeu­ra moine dans son palais, moine par l’ha­bit et plus encore par les aus­té­ri­tés. Il sut conci­lier les exer­cices de sa pié­té avec les immenses occu­pa­tions de sa charge ; il par­cou­rait son dio­cèse, prê­chait, ins­trui­sait les petits et les humbles, admi­nis­trait les sacre­ments, visi­tait les hôpi­taux, déli­vrait les cap­tifs, et mul­ti­pliait les pro­diges. Quand on lui deman­dait un miracle, il disait : « Je ne suis qu’un pauvre pécheur ; » mais il cédait aux larmes des malades et les gué­ris­sait par sa bénédiction.

On a conser­vé de lui quelques belles paroles : « Tel pas­teur, telles bre­bis, » disait-​il sou­vent. « J’ai à expier, disait-​il encore, et mes propres péchés et ceux de mon peuple. » Sa mort fut digne de sa vie ; il expi­ra revê­tu du cilice qu’il avait por­té tou­jours, et cou­ché sur la cendre. Au moment de sa mort, il vit dis­tinc­te­ment les anges bat­tant des ailes au-​dessus de sa tête, et il ren­dit l’âme en leur ten­dant les bras. Pendant ses obsèques, la foule aper­çut au-​dessus de l’é­glise un globe de feu pla­nant dans les airs.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Guillaume de Corbeil, de l’antique famille des comtes de Nevers, naquit dans la pre­mière moi­tié du xiie siècle, à Arthel, non loin de Prémery, dans le dépar­te­ment actuel de la Nièvre. Il était le fils de Guillaume de Corbeil, appe­lé aus­si Guillaume de Beauvais. Un sang royal cou­lait dans ses veines ; mais il devait briller plus encore par sa sain­te­té que par l’éclat de sa naissance.

L’enfance. – Les études. – Double canonicat.

Le Seigneur lui avait don­né dès l’enfance toutes les dis­po­si­tions de la nature et de la grâce néces­saires à l’accomplissement des grands des­seins qu’il avait sur lui : un esprit vif, solide, émi­nent et apte à toutes les sciences ; un juge­ment péné­trant et droit, un cœur noble, géné­reux et docile, des manières gra­cieuses et polies, une hor­reur extrême du vice, une haute idée du ser­vice de Dieu.

De si belles qua­li­tés por­tèrent son oncle mater­nel à se char­ger de ses études ; c’était Pierre, archi­diacre de Soissons, sur­nom­mé l’Ermite à cause de ses grandes aus­té­ri­tés. Sous un tel maître, Guil­laume acquit, en peu de temps, des connais­sances au-​dessus de son âge, et un tré­sor de ver­tus de jour en jour croissant.

Dès lors, mépri­sant tous les avan­tages que sa nais­sance, ses bril­lantes qua­li­tés et le monde lui pro­met­taient, et n’estimant que les biens éter­nels, il se des­ti­na à l’état ecclésiastique.

Il n’eut pas plu­tôt renon­cé au siècle que ses parents lui procu­rèrent suc­ces­si­ve­ment, pour lui don­ner la faci­li­té de vivre à l’aise et de tenir son rang, deux cano­ni­cats, l’un dans l’Eglise de Soissons, l’autre dans celle de Paris. Il devint, dans ces deux Eglises, par sa modes­tie, par sa sagesse et par son édi­fiante pié­té, l’admiration et le modèle du clergé.

La solitude de Grandmont.

Mais Dieu le vou­lait plus par­fait, et lui ins­pi­rait un ardent désir d’une vie plus reti­rée. Autant qu’on en peut juger, Guillaume nous appa­raît comme un homme doué d’une conscience par­ti­cu­liè­re­ment déli­cate, scru­pu­leux peut-​être à l’excès, ne pou­vant se voir dans le monde, au milieu de tous ses périls, sans trem­bler. Les digni­tés ecclé­sias­tiques lui parais­saient des titres bien oné­reux, et les béné­fices opu­lents, de vrais pièges. Depuis long­temps, il ne sou­pi­rait qu’après le désert de Grandmont, en Limousin, qui l’avait charmé.

Dans ce lieu flo­ris­sait un Ordre reli­gieux ins­ti­tué en 1077 par saint Etienne de Muret (+ vers 1124) et qui gar­dait encore, vers la fin du xiie siècle, sa pre­mière fer­veur ; la vie aus­tère des moines le ren­dait encore plus esti­mable. Guillaume renon­ça géné­reu­se­ment aux deux cano­ni­cats de Paris et de Soissons, et se reti­ra dans ce monastère.

Il y fut reçu comme un envoyé du ciel, et il y vécut dans une si grande régu­la­ri­té, d’une manière si édi­fiante, que six ans après sa mort, au mois de novembre 1215, le Prieur géné­ral de l’Ordre pro­noncera son éloge en plein Concile (le IVe du Latran, XIIe Concile œcu­mé­nique), devant le Pape Innocent III et l’auguste assemblée.

Au moment où Guillaume se dis­po­sait à faire pro­fes­sion, à Grand-​mont, écla­ta entre les moines de chœur et les Frères convers une tem­pête qui faillit perdre l’Ordre tout entier.

Les reli­gieux convers, beau­coup plus nom­breux que les autres, reven­di­quaient le gou­ver­ne­ment des monas­tères ; ils devaient aller jusqu’à empri­son­ner le prieur Guillaume de Treynac. L’ancien cha­noine de Soissons et de Paris, venu dans le cloître pour y cher­cher la paix, employa tous ses soins, tout le cré­dit de sa haute ver­tu et mit en œuvre les moyens que sa sagesse, son zèle et son indus­trie purent lui sug­gé­rer ; il ne réus­sit pas à rame­ner le calme et l’union.

Séjour à Pontigny. – Ferveur et pénitence.

Le jeune reli­gieux savait bien que l’esprit de Dieu ne sau­rait jamais être là où la paix ne se trouve point ; aus­si résolut-​il de pas­ser dans l’Ordre de Cîteaux, fon­dé en 1098 par saint Robert de Molesmes, illus­tré d’une manière écla­tante par saint Bernard, et célèbre par le nombre de ses Saints : l’esprit de retraite et de régu­la­ri­té y gar­dait toute sa vigueur. Il prit l’habit à Pontigny, l’une des quatre grandes abbaye dites Filles de Cîteaux, fon­dée, non loin d’Auxerre, en 1114, par Hugues de Mâcon, l’ami de saint Bernard, et il y fit pro­fes­sion avec une fer­veur qui, tous les jours de son novi­ciat, avait pris un nou­vel accroissement.

Ses aus­té­ri­tés répon­daient à son ardente dévo­tion ; les soulage­ments qu’il était obli­gé de don­ner à son corps lui étaient un véri­table sup­plice et le joug de la vie cor­po­relle consti­tuait sa plus lourde croix. Il sou­pi­rait après le jour où le Seigneur vou­drait bien bri­ser la chaîne qui le rete­nait à la terre et l’empêchait de se réunir à lui. Les jeûnes pres­crits par la règle lui parais­saient insuf­fi­sants et il avait renon­cé à l’usage de la viande, même en cas de maladie.

Toujours humble, doux envers les plus petits comme envers ses supé­rieurs, il accep­tait les mor­ti­fi­ca­tions qu’on lui impo­sait, non comme une épreuve de sa ver­tu, mais comme le juste châ­ti­ment de ses iniquités.

Saint Guillaume élevé à la dignité abbatiale.

La soli­tude fai­sait ses délices ; mais on consul­ta moins son incli­nation que l’estime qu’inspiraient sa sagesse et sa pié­té. Il fut élu prieur de Pontigny, puis, suc­ces­si­ve­ment, Abbé de Fontaine-​Jean, filiale de Pontigny, située aux envi­rons de Châtillon-​Coligny, aujour­d’hui dans le dio­cèse d’Orléans, et enfin Abbé du monas­tère de Châlis au dio­cèse de Senlis – aujourd’hui de Beauvais. Dans ces dif­fé­rents postes, il sem­blait se conso­ler de la vio­lence dont son humi­li­té, son amour pour la retraite étaient vic­times, par l’espérance de finir ses jours dans le cloître.

Guillaume gou­ver­nait ses reli­gieux avec une dou­ceur angé­lique, et se mon­trait, avec ses infé­rieurs, comme le der­nier de tous. Il joi­gnait à une mer­veilleuse sim­pli­ci­té de grandes lumières, pui­sées dans la plus sublime orai­son. La séré­ni­té de son visage déce­lait le calme inté­rieur de son âme ; et, mal­gré toutes ses aus­té­ri­tés, il ne per­dit jamais cette sainte et douce gaie­té qui, par­tant du cœur, prête tant de charmes à la vertu.

Son élection à l’épiscopat.

En sep­tembre 1199, la mort enle­va Henri de Sully, arche­vêque de Bourges. Le cler­gé de cette ville réso­lut de choi­sir un pré­lat digne, par sa ver­tu et ses talents, de mon­ter sur ce siège.

L’Ordre de Cîteaux brillait alors par une foule de grands hommes dont la sain­te­té édi­fiait le monde chré­tien. Cette heu­reuse multipli­cité d’excellents sujets embar­ras­sait le cler­gé ; il deman­da à Eudes, ou Odon de Sully, évêque de Paris, frère du pré­lat défunt, de venir l’assister de ses conseils dans une affaire aus­si impor­tante. Eudes, à son arri­vée, se vit pro­po­ser pour can­di­dats trois Abbés Cisterciens, par­mi les­quels celui de Châlis.

D’après la légende, il alla célé­brer la messe du Saint-​Esprit dans une église de la Sainte Vierge, et mit sous la nappe d’autel trois bil­lets cache­tés, où étaient écrits les noms des trois Abbés. La messe ter­mi­née, avec ses deux assis­tants, hommes de science et de ver­tu, deve­nus depuis l’un arche­vêque de Tours, l’autre évêque de Meaux, il conju­ra le Seigneur de mani­fes­ter sa volon­té. Puis, ouvrant l’un des trois billets, il y trou­va le nom de l’Abbé de Châlis. Au même moment, les cha­noines de la cathé­drale, assem­blés en Chapitre, l’envoyaient sup­plier ins­tam­ment de dési­gner Guillaume. Quoi qu’il en soit de ce récit, le choix d’Eudes se por­ta sur Guillaume, qu’il pro­cla­ma, au milieu de l’allégresse géné­rale, arche­vêque élu de Bourges.

A cette nou­velle, l’élu fut si affli­gé qu’il réso­lut de prendre la fuite ; on l’en empê­cha. Mais on ne pou­vait triom­pher de ses refus. Il allé­guait que le vœu d’obéissance, fait entre les mains de son supé­rieur, ne lui per­met­tait plus de dis­po­ser de sa per­sonne. Sur ce, les dépu­tés de l’Eglise de Bourges eurent recours à l’Abbé géné­ral de l’Ordre et au car­di­nal Pierre de Capoue, légat apos­to­lique en France. Tous deux lui ordon­nèrent d’accepter. Guillaume quit­ta donc sa chère soli­tude avec dou­leur ; il prit la route de Bourges, où il fut sacré par Elie, arche­vêque de Bordeaux, en pré­sence de tous les évêques de la province.

Le pasteur modèle. – Zèle apostolique. – Miracles.

Persuadé que tout homme, et sur­tout celui qui gou­verne les autres, doit com­men­cer par éta­blir en soi-​même le règne de Jésus-​Christ, Guillaume, une fois revê­tu de la plé­ni­tude du sacer­doce, eut pour pre­mier soin de régler sur les maximes de l’Evangile les moindres détails de sa vie, soit publique, soit pri­vée. Il vou­lait don­ner le pre­mier l’exemple d’une ver­tu irré­pro­chable : « Tel roi, tels sujets ; tels pas­teurs, telles bre­bis », répétait-​il. Ni sa digni­té, ni ses tra­vaux immenses ne purent l’obliger à se relâ­cher de ses exces­sives austé­rités : il conser­va l’habit monas­tique, ne quit­ta jamais la haire, obser­va les jeûnes de la règle comme s’il fût res­té dans son monas­tère, et il s’interdit l’usage de la viande bien qu’il en fît ser­vir à ceux qui man­geaient à sa table :

– J’ai à expier, disait-​il, et mes propres péchés et ceux de mon peuple.

Son palais épis­co­pal était ouvert à tout le monde ; les femmes seules n’y entraient pas ; en cas de néces­si­té, il leur par­lait dans l’église.

Son tendre amour pour la soli­tude fît place à un zèle ardent pour le salut de son peuple. On le vit par­cou­rir son dio­cèse avec une cha­ri­té qui por­tait par­tout le feu divin ; il prê­chait, ins­trui­sait les petits et les humbles ; admi­nis­trait les sacre­ments, visi­tait, conso­lait les pauvres des hôpi­taux, et, se fai­sant tout à tous, il les gagnait tous à Jésus-​Christ. Ayant appris un jour que plu­sieurs de ses dio­césains avaient été arrê­tés pour avoir sou­te­nu avec trop de zèle les droits de son Eglise, il fît aus­si­tôt d’instantes démarches auprès des juges pour obte­nir leur mise en liber­té. Ses récla­ma­tions demeu­rèrent sans résul­tat. Il vint alors se pla­cer à la porte des prisons :

– Je n’en bou­ge­rai pas, dit-​il, tant que les cap­tifs ne seront pas élargis.

Les magis­trats, émus d’une telle cha­ri­té, ouvrirent les cachots.

Saint Guillaume déclare qu’il ne quit­te­ra pas la porte de la pri­son que les pri­son­niers ne soient délivrés.

Dans ses courses apos­to­liques, il ren­con­tra un prêtre que la para­lysie d’un bras empê­chait de célé­brer la messe ; jusque-​là, tous les secours de l’art étaient res­tés impuis­sants. Guillaume exhor­ta ce prêtre à s’amender devant le Seigneur ; puis, ayant fait sur le bras infirme le signe de la croix, il le gué­rit sur-le-champ.

Des malades, atteints de fièvres mor­telles, mais pleins de foi en la sain­te­té de l’archevêque et per­sua­dés de la toute-​puissance de ses prières, le conju­rèrent de les gué­rir. Son humi­li­té s’efforçait de les dissuader :

– Je ne suis, disait-​il, qu’un pauvre pécheur.

Mais ils insis­taient en pleu­rant ; alors, son cœur de père ne pou­vant plus résis­ter, il les gué­ris­sait tous en leur impo­sant les mains.

Désintéressement et mansuétude.

Ses abon­dantes aumônes prou­vaient son entier dés­in­té­res­se­ment des biens de ce monde ; il esti­mait indigne d’un évêque de thésau­riser. Pour lui, les pauvres étaient ses créan­ciers ; en leur distri­buant presque tous ses reve­nus, il disait agréa­ble­ment : « Je paye mes dettes. »

Cette sainte indif­fé­rence pour toute richesse ou même pour toute ques­tion d’argent brilla d’un plus vif éclat dans les cir­cons­tances sui­vantes. Guillaume avait trou­vé dans l’Eglise gal­li­cane la cou­tume d’imposer aux excom­mu­niés, en leur don­nant l’absolution de leurs cen­sures, outre la satis­fac­tion cano­nique, des amendes pécu­niaires au pro­fit de l’évêché, en vue de pré­ve­nir toute rechute, au moins par motif d’Intérêt. Cette cou­tume déplai­sait sou­ve­rai­ne­ment à sa déli­ca­tesse ; tou­te­fois, des hommes de grand renom lui conseillaient de la suivre et de don­ner aux pauvres l’argent de ces amendes, s’il avait scru­pule d’en pro­fi­ter lui-​même. Il trou­va moyen de ne pas suivre l’usage conseillé, sans en scan­da­li­ser les par­ti­sans ni blâ­mer ouver­te­ment leur conduite.

Quelques gen­tils­hommes avaient gra­ve­ment outra­gé les rece­veurs de l’archevêque, ravi ses biens, et inju­rié un grand nombre de prêtres. « Livrez les cou­pables au bras sécu­lier », lui disaient ses conseillers. Guillaume pré­fé­ra prier et jeû­ner pour eux, et il les vit bien­tôt à ses pieds, implo­rant un par­don qu’il leur accor­da de grand cœur.

Il se trou­vait cepen­dant des pécheurs plus endur­cis et plus opi­niâtres : des héré­tiques rava­geaient le Berry, le Nivernais et l’Auxerrois. On enga­geait le pré­lat à prendre la tête d’une armée pour for­cer les rebelles à se sou­mettre, selon l’usage admis à cette époque. Guillaume, pour ne point désap­prou­ver ouver­te­ment ceux qui pen­saient de la sorte, deman­da à réflé­chir. Il pria Dieu avec fer­veur, et pro­mit bien­tôt de réduire les cou­pables. Toutefois, il lui répu­gnait de revê­tir l’armure des hommes de guerre ; ses moyens de com­bat ne furent pas le fer et le feu, mais le glaive de la parole de Dieu. Prenant à part les plus obs­ti­nés, avec une liber­té tout apos­to­lique il leur adres­sait les plus vifs reproches, les mena­çait des flammes éter­nelles de l’enfer, leur repré­sen­tait le royaume* de l’éternité bien­heu­reuse qu’ils per­daient, et l’abîme pro­fond où ils allaient se pré­ci­pi­ter, comme de gaie­té de cœur, par la folie de leur conduite. Puis, dans le secret de sa vie cachée, afin d’attirer la clé­mence divine sur ces âmes, il jeû­nait et pas­sait des nuits en prière.

Cette espé­rance ne fut pas trom­pée. Au grand éton­ne­ment de tout son peuple, les loups deve­naient des agneaux, les per­sé­cu­teurs des amis, les ravis­seurs du bien d’autrui de grands aumôniers.

Le défenseur des droits de l’Eglise. – Les Albigeois.

De puis­sants sei­gneurs du Berry, offus­qués de son grand mérite, et forts de l’amitié du roi, prirent occa­sion de la dou­ceur de Guil­laume pour atten­ter aux droits de l’Eglise de Bourges : « Il n’aura pas le cou­rage de nous résis­ter », pensaient-​ils. Mais bien­tôt l’évêque leur fit voir que dou­ceur et bien­veillance n’excluent pas cou­rage et fer­me­té. Il défen­dit vigou­reu­se­ment sa cause contre le roi Philippe-​Auguste lui-​même, pré­ve­nu par les agres­seurs du pré­lat, qui avaient calom­nieu­se­ment accu­sé celui-​ci de trou­bler le repos public et d’empiéter sur les domaines de la couronne.

Ses armes habi­tuelles, la dou­ceur et l’humilité, triom­phèrent aus­si des jalou­sies de cer­tains pré­lats voi­sins, comme des résis­tances venues de la part de son propre clergé.

En 1208, le Pape Innocent III fit prê­cher une croi­sade contre les mani­chéens du Languedoc, spé­cia­le­ment de la région d’Albi, d’où le nom d’Albigeois qui leur est don­né. Ces héré­tiques, à l’égard de qui des mesures de dou­ceur avaient été prises sans suc­cès, met­taient en péril la reli­gion, la sécu­ri­té de l’Etat et la civi­li­sa­tion même, par la pro­pa­ga­tion de leurs doc­trines per­ni­cieuses : ils com­bat­taient ouver­te­ment l’institution du mariage, exal­taient le sui­cide, refu­saient – ancêtres loin­tains de ceux qu’on appel­le­ra des « objec­teurs de conscience » – de prendre les armes pour défendre leur pays.

A dire vrai, dans l’intention du Souverain Pontife, il s’agissait d’une croi­sade reli­gieuse plus que d’une croi­sade mili­taire. Tous ne l’entendirent pas ain­si. S’il y eut alors de lamen­tables excès com­mis par les armées catho­liques, on doit les déplo­rer sincère­ment, mais les doc­trines exé­crables pro­pa­gées par les enne­mis, les crimes de toutes sortes aux­quelles elles abou­tis­saient, les mas­sacres aux­quels se livrèrent, allant jusqu’à s’en van­ter, ceux à qui l’on a vou­lu don­ner figure de vic­times, tout cela explique en par­tie – nous ne dirons pas : les excuse com­plè­te­ment – les vio­lences com­mises par les croi­sés. Quant à la Papauté, de l’aveu des histo­riens impar­tiaux, sa res­pon­sa­bi­li­té n’y est enga­gée en aucune manière.

L’archevêque de Bourges, après avoir lu les lettres pon­ti­fi­cales appe­lant à la croi­sade, prit lui-​même la croix et exhor­ta ses diocé­sains à l’imiter. Sans doute avait-​il encore plus de confiance dans la croi­sade de prière prê­chée par saint Dominique que dans les armes et la vaillance de Simon de Montfort. Le ciel se conten­ta de son inten­tion droite ; la mala­die le retint, et il ne vit point de ses yeux les troubles et les repré­sailles san­glantes qui eussent déso­lé son cœur paternel.

Derniers adieux du père à ses enfants.

Guillaume était lié d’une sainte ami­tié avec Geoffroy La Lande, arche­vêque de Tours, et avec Eudes de Sully, évêque de Paris, dont on se rap­pelle le rôle joué dans son élec­tion. Ils se visi­taient sou­vent pour s’entretenir du soin des âmes et du gou­ver­ne­ment de leurs Eglises ; aus­si la dou­leur de l’archevêque de Bourges fut-​elle grande, quand la mort vint lui ravir ses deux amis, le pre­mier le 29 avril 1208, le second, deux mois et demi après (13 juillet). Lui-​même ne devait pas leur sur­vivre long­temps. Usé par ses tra­vaux apos­to­liques et ses aus­té­ri­tés exces­sives, il suc­com­bait aux infir­mi­tés ; d’un moment à l’autre, ses fami­liers s’attendaient à un dénoue­ment fatal. Le pré­lat s’en sou­ciait fort peu et conti­nuait tran­quille­ment ses mor­tifications, sans se relâ­cher d’aucune.

Le 5 jan­vier 1209, la veille de l’Epiphanie, la fièvre l’obligea à se mettre au lit. Le len­de­main, il se leva pour prê­cher une der­nière fois à son peuple dans l’église métro­po­li­taine. Il prit pour texte ces paroles de l’Apôtre : « Voici qu’il est temps de sor­tir du som­meil. » Ainsi appelait-​il la vie de cette terre. Il exhor­ta ses audi­teurs à vivre dans la pen­sée de la mort, à ne pas ces­ser de veiller sur eux-​mêmes, et à se tenir prêts, car nul ne sait le jour ni l’heure où le Seigneur vien­dra le cher­cher. Puis, il dit à tous un der­nier adieu. Un grand cri de dou­leur se fit entendre, et la triste nou­velle pas­sa bien­tôt à la ville entière. Le deuil devint universel.

L’archevêque ren­tra chez lui, en proie à une fièvre crois­sante : il avait prê­ché nu-​tête, mal­gré le froid rigou­reux de la sai­son. Le mal empi­ra en peu de temps, à tel point que le malade deman­da l’Extrême-Onction et le Saint Viatique. Pour rece­voir avec plus de res­pect la sainte Eucharistie, il se leva de son lit, alla au-​devant du prêtre, puis se mit à genoux, fon­dant en larmes, et pria long­temps pros­ter­né sur le pavé, les bras éten­dus en croix ; alors seule­ment, il reçut le corps du Sauveur, avec une fer­veur extra­or­di­naire. C’était le quin­zième jour de sa mala­die. Il se plon­gea depuis dans une orai­son conti­nuelle et une union intime avec Dieu.

Dans la nuit qu’il savait être la der­nière, il vou­lut anti­ci­per les Matines, qu’il avait cou­tume de réci­ter à minuit. Après avoir tra­cé le signe de la croix sur ses lèvres et sur sa poi­trine, il eut à peine la force de pro­non­cer les pre­miers mots. Sur sa demande, les assis­tants ache­vèrent. L’office ter­mi­né, il fît signe qu’on l’étendît à terre sur un lit de cendres et revê­tu du cilice qu’il avait por­té toute sa vie ; peu après, il ren­dait dou­ce­ment son âme à Dieu. C’était le 10 jan­vier 1209. Le Pape Honorius III l’éleva en 1217 au rang des Saints.

Reliques et culte.

La ville de Bourges gar­da jalou­se­ment les restes de son glo­rieux pon­tife, reven­di­qués par les reli­gieux de l’abbaye de Châlis, près des­quels il aurait vou­lu repo­ser. Exposés pen­dant trois siècles, dans sa cathé­drale, à la véné­ra­tion popu­laire, ils furent détruits par­tie par les cal­vi­nistes en 1562, par­tie par la Révolution en 1793. Le por­tail occi­den­tal de cette église repro­duit diverses scènes de sa vie, et le gros bour­don porte son nom.

Saint Guillaume était hono­ré en divers dio­cèses, notam­ment à Beauvais et à Senlis, et l’Université de Paris l’invoquait comme patron de la « Nation de France ».

Le Martyrologe romain fixe sa fête au 10 jan­vier, jour de sa mort ; le dio­cèse de Bourges la célèbre le 9.

R. C. H.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. I de jan­vier (Paris, 1863). – Abbé J. Villepelet, Nos Saints ber­ri­chons (Bourges, 1931). – (V. S. B. P., n° 308.)