Saint Alexis Falconieri

Les sept fondateurs de l'Ordre des servites de la Vierge Marie

L’un des sept Fondateurs de l’Ordre des Servites (1200–1310).

Fête le 17 février.

Bâtie aux bords riants de l’Arno, Florence était déjà, au com­mencement du XIIIe siècle, brillante avec l’ornement de ses tours, de ses palais, de ses églises et de ses por­tiques. Ses places et ses rues s’animaient des allées et venues d’une popu­lace gouailleuse, d’une noblesse élé­gante et fas­tueuse, des mar­chands affai­rés et solen­nels, des sol­dats alour­dis en leur armure. Les Falconieri s’y dis­tin­guèrent en tout temps dans les affaires publiques et le manie­ment des armes. En ce com­men­ce­ment de siècle, ils sont tein­tu­riers, mar­chands et car­deurs de laine, et pos­sèdent dans la ville tours, palais et magasins.

Naissance et premières années.

Tel était le milieu où naquit Alexis Falconieri en l’an 1200, sans qu’on puisse dire le jour, dans une famille de huit enfants ; le nom de Clarissime que por­tait l’aîné revien­dra dans ces pages. Alexis vécut sa jeu­nesse dans une atmo­sphère de haine et de meurtres, par­mi les dis­sen­sions qui ouvrent en 1215 l’ère cala­mi­teuse des Guelfes et des Gibelins. Mais il ne se mêla pas à ces que­relles : l’étude et la pié­té se par­ta­geaient son temps et elles retinrent toute son acti­vité. « Il fut savant », nous dit le vieux chro­ni­queur Mati. Et sans nul doute il étu­dia la rhé­to­rique, la poé­tique, la dia­lec­tique, la phy­sique, les mathé­ma­tiques et la musique qui com­po­saient le bagage scien­ti­fique de l’époque. Il faut voir une marque de son ardeur à l’étude dans le zèle qu’il mit plus tard à amas­ser de l’argent pour faire envoyer à l’Université de Paris les jeunes étu­diants de son Ordre. Sa pié­té l’avait inci­té de bonne heure à s’engager dans la confré­rie des Laudesi, ou Louangeurs, dont le but prin­ci­pal était de chan­ter les louanges de la Sainte Vierge. Cette déci­sion devait orien­ter toute sa destinée.

Vocation.

C’est en effet dans la cha­pelle de la Confrérie, le jour de l’As­somption 1233, qu’Alexis fut favo­ri­sé de cette vision qui déter­mi­nait sa voca­tion de reli­gieux et de co-​fondateur d’Ordre. Les confrères, tous de belle socié­té de Florence, célé­braient l’entrée triom­phale de leur Reine et patronne au ciel, quand Marie appa­rut à Alexis dans l’éclat de son cor­tège d’esprits célestes. « Alexis, lui dit-​elle, quitte le monde, viens dans la soli­tude, je te choi­sis pour servi­teur. » Quand il revint à lui dans la cha­pelle où le vide s’était fait et où les cierges finis­saient de s’éteindre, Alexis aper­çut six autres confrères comme effon­drés sur les dalles, endor­mis du som­meil de l’extase d’où il sor­tait le pre­mier. Quel ne fut pas leur éton­nement et leur émo­tion à tous, en se rele­vant, de se recon­naître sans avoir rien concer­té. Il y avait par­mi eux Bonfîls Monaldi, âme pure et éle­vée, avec qui Alexis était entré dans une sainte inti­mité. Quant aux cinq autres jeunes Florentin, Bonfils les lui avait pré­cé­dem­ment fait connaître, et ils étaient tous liés d’une pro­fonde ami­tié. En se recon­nais­sant à cette heure, en ce lieu, ils se devi­nèrent ; et quand Bonfîls racon­ta aux autres sa vision il ne leur apprit rien ; à cha­cun la Vierge avait deman­dé de quit­ter le monde.

L’histoire des Sept a beau­coup de traits com­muns ; ils ont les mêmes visions, font les mêmes démarches, et il est impos­sible de par­ler de l’un deux sans évo­quer les autres. Mais ce n’est pas seu­lement par l’extérieur que leurs exis­tences s’identifient ; c’est plus encore par le sen­ti­ment inté­rieur d’une tendre et fra­ter­nelle cha­ri­té qui les unit. Un éloi­gne­ment d’une heure était pour leurs cœurs une véri­table souf­france : leurs âmes ne s’épanouissent que dans la vie com­mune, réa­li­sant « l’amitié de la charité ».

Il était rela­ti­ve­ment facile à Alexis de répondre à l’appel de la Vierge : si les autres étaient enga­gés dans les affaires, dans les charges, et plu­sieurs même dans le mariage, lui-​même s’était voué à la chas­te­té par­faite et était demeu­ré étran­ger à la vie du siècle : il sacri­fiait avec joie toutes les pos­si­bi­li­tés d’établissement mon­dain. Il adres­sa son adieu attris­té, mais réso­lu et géné­reux, au foyer pater­nel, et le 8 sep­tembre 1233, il inau­gu­rait avec ses six confrères, à la vil­la Camarzia, aux portes de Florence, une vie com­mune d’oraison, de tra­vail et de pénitence.

Le direc­teur de la confré­rie des Laudesi, jeune et saint prêtre, Jacques de Poggibonzi, avait recom­man­dé leur cause à l’évêque de Florence, Ardingo, qui les avait confiés à sa conduite. L’office de la Sainte Vierge réci­té, il célé­bra la sainte messe à laquelle tous com­munièrent. Puis, dépo­sant leurs riches vête­ments, les jeunes pa­triciens revê­tirent la bure des men­diants de Jésus-​Christ, ser­rée aux reins par une cein­ture de cuir, et le Te Deum écla­ta dans la pauvre cha­pelle impro­vi­sée, écho de la suave liesse des âmes. Ils se lièrent à Dieu par les trois vœux de reli­gion et élurent Bonfîls pour leur supérieur.

La louange des enfants : « ex ore infantium ».

Ces hommes, sor­tis des opu­lentes familles de Florence, avaient revê­tu la bure gros­sière et fait vœu de pau­vre­té : ils s’étaient astreints à aller de porte en porte deman­der l’aumône. Or voi­ci qu’au jour de l’Epiphanie 1234, Alexis s’en vient avec Bonfîls men­dier au quar­tier d’Oltrarno, à la noble demeure des Benizi. Ils n’avaient qu’à peine mis le pied dans la cour inté­rieure qu’un tout petit enfant de cinq mois s’écria aux bras de sa mère : « Voilà les Serviteurs de Marie, mère, faites-​leur l’aumône ». De telles paroles sur les lèvres d’un si petit être repré­sen­taient un miracle écla­tant. Alexis devait retrou­ver à maintes reprises sur le che­min de la vie cet enfant nom­mé Philippe Benizi ; il sera une gloire de l’Ordre des Serviteurs ou Servîtes de Marie dont il venait de pro­non­cer le nom.

Ce pro­dige d’enfant à la mamelle accla­mant les Sept sous le nom de Serviteurs de Marie s’est renou­ve­lé sou­vent au com­men­ce­ment de leur vie com­mune et n’a pas peu contri­bué à leur gagner la reli­gieuse véné­ra­tion de la foule. Le ciel s’était réser­vé de décla­rer lui-​même le nom de la nou­velle socié­té qui nais­sait. Ce qui fai­sait dire plus tard à Alexis : « Je n’ai jamais pu savoir, et per­sonne autre non plus, que ce nom fût ima­gi­né par les hommes ; aus­si, j’ai tou­jours gar­dé ce sou­ve­nir qu’il fut don­né par Notre-Dame ».

Le mont Senario.

En peu de mois, ces faits mira­cu­leux atti­rèrent à la vil­la Camarzia beau­coup de gens du monde dési­reux de voir ces saints hôtes, de les consul­ter, de les imi­ter. Ce n’est pas certes ce que ceux-​ci avaient cher­ché. Aussi ont-​ils hâte de quit­ter ce pre­mier abri de leur vie com­mune et d’aller s’établir sur le mont Senario, auquel ils vont faire une renom­mée et dont le nom seul évo­que­ra désor­mais leur sou­ve­nir. Le mont Senario pro­file son pic à huit cents mètres d’alti­tude au nord-​ouest de Florence, par-​delà les col­lines de Fiesole. Dans ses flancs sau­vages la nature a per­cé des grottes ; cha­cun des Sept en choi­sit une pour ermi­tage. Ils eurent un com­mun et modeste ora­toire édi­fié au pied des hauts sapins, sur la crête du mont : la grotte choi­sie par Alexis était sévère entre toutes, si pro­fonde et si basse qu’il est impos­sible de s’y tenir debout ; tou­te­fois elle con­temple au Nord-​Est un hori­zon éten­du, à la paix pro­fonde. Elle porte aujourd’hui une ins­crip­tion que nous tra­dui­sons du latin : « Ici long­temps se tint caché le bien­heu­reux Alexis Falconieri, cru­cifié au monde et nour­ri des délices du ciel. »

Ils y reprirent avec une fer­veur accrue l’existence menée à la vil­la Gamarzia, plus sem­blables aux anges qu’aux hommes, réduits par la pau­vre­té du mont, qui était avare même de racines et d’herbes sau­vages, à aller à Florence men­dier comme naguère, de porte en porte et besace au dos, le pain de la semaine. Alexis et Manetto furent les pre­miers com­mis à ce soin.

Mais un pro­blème vient, iné­luc­table, se poser à eux : doivent-​ils jeter les bases d’un Ordre nou­veau ? Car le mou­ve­ment des foules avides de les voir qui leur avait fait aban­don­ner la vil­la Carnarzia vient abou­tir main­te­nant au mont Senario, et plu­sieurs des pèle­rins sol­li­citent la faveur de par­ta­ger leur vie soli­taire. C’était l’avis de l’évêque Ardingo, l’ami, le conseiller, d’une sym­pa­thie tou­jours en éveil pour les Serviteurs de Marie. Mais, quant à eux, ils ne se sen­taient ni capables ni dignes de diri­ger les autres. Le ciel vint mira­culeusement éclai­rer leurs incer­ti­tudes et lever leurs scru­pules. Et d’ermites deve­nant des reli­gieux, ils firent leur pro­fes­sion entre les mains de leur évêque. Bien mieux, sur ses ins­tances, ils vont deve­nir prêtres, ceux qui sont enga­gés dans le mariage obte­nant les permis­sions néces­saires. Mais Alexis, pour­tant pré­des­ti­né à cet hon­neur par son angé­lique pure­té, ne vou­lut pas en être paré, en dépit de toutes les ins­tances, car il s’en jugeait indigne. Mais il a beau vou­loir s’effacer, sa per­son­na­li­té le met en évi­dence ; et c’est lui qui sera le plus sou­vent nom­mé, à côté de Bonfîls, dans l’histoire des sept fon­da­teurs de l’Ordre des Servîtes.

Fondation de Sienne.

A ces pre­mières heures de l’existence du nou­vel ins­ti­tut, le nom d’Alexis appa­raît dans la fon­da­tion de Sienne. Il arri­vait dans l’ar­tistique cité en 1239 selon les uns, en 1243 d’après d’autres. Il y fut l’objet de la véné­ra­tion uni­ver­selle. Le charme avec lequel le pieux Frère par­lait de Dieu, de Jésus et de Marie impres­sion­nait les cœurs et les lui gagnait. Et les sept com­pa­gnons impri­mèrent à leur cou­vent une telle allure de sain­te­té qu’il devint une vraie pépi­nière de Saints.

Sur un autre théâtre, saint Pierre de Vérone, Dominicain et futur mar­tyr (+ 1252), subit le même irré­sis­tible attrait que les Siennois. Il était venu à Florence en 1243, comme Inquisiteur, pour lut­ter contre les héré­sies qui infes­taient la ville. Or, des visions lumi­neuses et embau­mées lui avaient ins­pi­ré le désir de connaître les ermites du mont Senario, dont quelques-​uns étaient déjà venus habi­ter Cafaggio aux portes de Florence. Ardingo le mit en pré­sence de Bonfîls et d’Alexis qui étaient sans doute à ses yeux les deux figures les plus expres­sives du groupe des Sept. La nuit sui­vante, Pierre de Vérone eut encore une vision qui lui mon­trait la Sainte Vierge abri­tant les deux reli­gieux sous les plis de son man­teau, à sa droite et à sa gauche : Marie lui recom­man­dait leur Ordre.

Le couvent de Cafaggio : la basilique de l’Annunziata.

Dans les années qui suivent, Alexis appa­raît au pre­mier plan dans la fon­da­tion du couvent de Cafaggio. Témoin des pre­mières et humbles phases de cette fon­da­tion, il le sera aus­si de ses développe­ments glo­rieux. Ce ne fut au début qu’une petite cha­pelle située sur le che­min de Florence, au Senario : les Servîtes avaient eu l’autori­sation d’y ados­ser un refuge com­mode pour les reli­gieux venus à la grande ville. Quand il fut ques­tion de faire une fon­da­tion à Flo­rence, on son­gea, pour des motifs d’économie, à uti­li­ser le refuge. En vue de déco­rer l’oratoire, Alexis et Bonfîls eurent la pen­sée d’y faire peindre la scène de l’Annonciation, et ils unirent leurs prières pour obte­nir au peintre pieux la faveur, tant implo­rée par lui, de don­ner à la Vierge des traits dignes de la Mère de Dieu. Or, un pin­ceau céleste vint les peindre pen­dant le som­meil de l’artiste. C’était, pense-​t-​on, en 1352. Ainsi com­men­çait l’histoire de la célèbre basi­lique de l’Annunziata. L’image mira­cu­leuse atti­ra les foules, et le petit ora­toire ne suf­fi­sant pas à les conte­nir, la construc­tion d’une véri­table église fut déci­dée, entre­prise d’envergure, favo­ri­sée d’abord par les offrandes des fidèles, mais bien­tôt inter­rom­pue faute de res­sources. Les conjonc­tures étaient pénibles : avoir com­men­cé de bâtir et ne pas pou­voir ache­ver l’édifice ! Alexis fît alors appel à son· frère Clarissime qui avait accu­mu­lé par son négoce une immense for­tune et y avait employé des moyens où la déli­ca­tesse avait à reprendre. Il lui repré­sen­ta le dan­ger, pour son salut, de conser­ver le bien mal acquis et lui sug­gé­ra la pen­sée d’obtenir le par­don de l’injustice en employant cet « argent d’iniquité » à la construc­tion de l’église de Cafaggio. Le Pape Urbain IV auto­ri­sa la commutation.

Malgré ce concours impor­tant, l’église ne fut pas ter­mi­née de sitôt, et, en 1265, nous voyons le Pape Clément IV signer un Bref accor­dant des indul­gences aux fidèles dont les aumônes permet­traient enfin la reprise et l’achèvement des tra­vaux. Mais en cette cir­cons­tance même où sa famille n’est plus en vedette, Alexis demeure l’âme de l’entreprise. Il jouis­sait, en effet, de la confiante et affec­tueuse véné­ra­tion des grosses familles de Florence, et il la mit à pro­fit pour obte­nir les res­sources qui per­mirent de mener la tâche à bonne fin. Entre temps et dès 1254, Alexis était deve­nu le sacris­tain du sanc­tuaire. Cet emploi, il le conser­ve­ra jusqu’au soir de sa vie et il le cumu­le­ra avec celui de quê­teur du couvent, quê­teur sem­pi­ter­nel, pourrait-​on dire, et tou­jours prêt à par­tir : le livre du couvent signale sou­vent Frère Alexis, notam­ment au cours des années 1287, 1288, 1289, c’est à‑dire tout au soir de sa longue car­rière, allant encore quê­ter, le same­di sur­tout, avec Frère Roger. Aussi la figure d’Alexis fait-​elle corps, pour ain­si dire, avec le cou­vent de Cafaggio et sa basi­lique, et de son vivant il en appa­rut lui-​même comme inséparable.

Joies exquises et deuils.

Que de douces jouis­sances réser­vait à la pié­té d’Alexis son modeste emploi de sacris­tain ! Lui qui s’était jugé indigne du sacer­doce, il en pro­fi­tait pour ser­vir messe sur messe avec une sim­pli­ci­té d’enfant, dans l’extase de l’amour.

Cette même année 1254, le jeu­di de Pâques, avant de fer­mer l’église, il avait posé la main sur l’épaule d’un jeune homme plon­gé dans l’extase, l’invitant à sortir.

– Que Dieu vous par­donne, Frère Alexis ! lui fut-​il répon­du ; vous m’avez tiré du paradis.

C’était Philippe Renizi, l’enfant dans les langes de 1234, celui-​là même qui avait salué Alexis du nom de Serviteur de Marie. Sa voca­tion et son entrée dans l’Ordre des Servîtes étaient l’enjeu de sa vision, et Alexis avait eu la joie d’en sur­prendre le secret.

L’année sui­vante, en 1255, au Chapitre de Cafaggio, Alexis et ses frères fai­saient solen­nel­le­ment le vœu de ne pas pos­sé­der de biens immeubles : acte authen­tique en est conser­vé dans une bulle d’Alexandre IV, où se lit le nom d’Alexis : on doit à sa gloire de rele­ver ce détail dans un tel document.

Sa vie va être désor­mais mar­quée par une série d’épreuves, alter­nant d’ailleurs avec des évé­ne­ments heu­reux. A quelques années d’intervalle, entre 1257 et 1268, il voit mou­rir quatre de ses Frères, les appe­lés des Laudesi. En 1267, il assiste à l’accession de Philippe Benizi au gou­ver­ne­ment géné­ral des Servîtes. On devine la joie d’Alexis en voyant s’élever cet astre au ciel de son Ordre ; « cet apôtre infa­ti­gable qui par­court toute l’Europe, en prê­chant Jésus cru­ci­fié, et Marie, Mère des dou­leurs ; ce Saint, enfin, qui se sous­trait aux hon­neurs de la tiare, qui sème les miracles sur ses pas, qui meurt, comme il a vécu, en dis­ciple du Crucifié, ser­rant contre son cœur ce qu’il appelle son livre : le Crucifix ».

En 1270, Alexis saluait la nais­sance mira­cu­leuse au foyer de son frère Clarissime, âgé de plus de soixante-​dix ans, de la future sainte Julienne Falconieri, fleur de pure­té et de péni­tence. L’oncle s’em­ploya avec un zèle tendre à jeter en son âme les germes d’une déli­cate pié­té, et il eut l’émerveillement de leur éclo­sion ravis­sante et de leurs accrois­se­ments indé­fi­nis. « Oh ! disait-​il sou­vent à Riguardata, l’heureuse mère, votre fille n’est pas une créa­ture humaine, c’est un ange des cieux. » Il sui­vit amou­reu­se­ment ses ascen­sions mys­tiques, et après lui avoir sug­gé­ré l’idée de vouer sa vir­gi­ni­té et sa vie à Jésus et à Marie, il en vit la vêture et la pro­fes­sion reli­gieuse dans la branche fémi­nine de l’Ordre, les Mantelées, que fon­da sainte Julienne.

En 1282, après la mort d’Hugues et de Sosthène, il demeure le seul des sept fon­da­teurs de l’Ordre. En 1285, il voit aus­si saint Phi­lippe finir son exil. Alexis eut le cœur bri­sé à la nou­velle de la mort de son saint ami, sur­ve­nue peu après, le 22 août :

« Celui qu’on pou­vait si jus­te­ment appe­ler le hui­tième Père de l’Ordre n’était plus et désor­mais des huit élus de la Mère de Dieu, l’humble vieil­lard de Cafaggio res­tait seul… Il fal­lait un témoin des ori­gines de l’Ordre, un conser­va­teur de l’esprit des fon­da­teurs, un répon­dant de leurs inten­tions, un spec­ta­teur du triomphe après les longs com­bats : ce fut le plus humble des sept qui fut choi­si pour rem­plir ces offices divers. »

C’est pour­quoi, déjà bien vieux, il allait encore four­nir une longue car­rière. Le pre­mier couvent régu­lier des Mantelées va se bâtir sous ses yeux, et sa nièce Julienne, élue supé­rieure mal­gré son âge et son humi­li­té, en sera la règle vivante par sa ver­tu accom­plie. Il eut aus­si sous les yeux le spec­tacle de la lutte des « Noirs » et des « Blancs » qui agi­ta Florence, d’où les siens, hélas ! furent ban­nis. Le der­nier grand évé­ne­ment auquel il assis­ta fut, après bien des retours de for­tune, l’approbation défi­ni­tive de son Ordre, recon­nu par Benoît XI le 11 février 1304, appro­ba­tion qui y pro­vo­qua une véri­table explo­sion de joie.

L’étonnant patriarche : mort précieuse.

Alexis eût volon­tiers, ce jour-​là, chan­té son Nunc dimit­tis. Il avait assez vécu et il n’avait plus rien à attendre de la terre. Dieu sem­blait vou­loir par lui nar­guer déjà la mort. Il lais­sa encore six ans à Cafaggio ce nou­veau saint Jean qui aimait à répé­ter lui aus­si à ses fils ses recom­man­da­tions. « Mes petits-​enfants, leur disait-​il notam­ment, mon­trant ain­si pour son Ordre une pré­fé­rence dic­tée par la pié­té et que les reli­gieux des autres Ordres vou­dront lui par­donner volon­tiers, nous avons un esprit beau­coup plus digne et plus remar­quable que les reli­gieux de Saint-​François et de Saint-​Domi­nique : c’est d’être saints, et de rendre saint tout l’univers, en médi­tant et en fai­sant médi­ter avec un vrai sen­ti­ment de cœur les dou­leurs de la très affli­gée Mère de Dieu et celles de son très cher Fils. »

A cent dix ans, l’héroïque vieillard conti­nuait de pra­ti­quer les aus­té­ri­tés de sa vie entière. Il fal­lut que le prieur de Cafaggio usât de toute son auto­ri­té pour l’amener à accep­ter quelques ména­gements, à cou­cher sur une misé­rable paillasse et à man­ger un peu de viande. La mort venait cepen­dant : elle arri­va selon qu’il l’avait lui-​même annon­cé, le 17 février 1310, non sans qu’il eût reçu les der­niers sacre­ments, entou­ré de ses Frères.

En appre­nant que le patriarche de Cafaggio se mou­rait, le peuple accou­rut le contem­pler mou­rir. Et c’é­tait un plai­sir d’un ordre déli­cat, tout sur­na­tu­rel, de le voir sou­rire en atten­dant la mort. Il com­men­ça à réci­ter les cent Ave, selon sa cou­tume. Cependant qu’une lumière céleste emplis­sait la chambre et que des colombes vol­ti­geaient autour du mou­rant, l’Enfant Jésus vint, s’approcha, ouvrit les mains et lais­sa tom­ber sur son front une cou­ronne de roses. Dans cette fête de son âme, avec le der­nier des cent Ave expi­rait le ser­vi­teur de Marie.

On lais­sa le peuple véné­rer la sainte dépouille pen­dant plu­sieurs jours, puis on la por­ta au mont Senario à côté de celles de ses Frères. Le silence se fit peu à peu autour de son nom et de leur com­mune tombe : il fal­lut attendre trois cents ans un geste en faveur de sa glo­ri­fi­ca­tion. Ce geste fut fait par les des­cen­dants des Falconieri qui, à deux reprises, lais­sèrent des sommes impor­tantes pour sub­ve­nir aux dépenses de la double cause d’Alexis et de Julienne. Celle d’Alexis fut intro­duite en 1666 et il fut béa­ti­fié le 20 novembre 1717, en avance de huit ans sur les autres fon­da­teurs Servîtes. Après maintes hési­ta­tions et contes­ta­tions nées de l’union des sept causes, tous les Sept furent cano­ni­sés ensemble par Léon XIII, le 15 jan­vier 1888. Il conve­nait sans doute que le plus humble fût glo­ri­fié le pre­mier : « les pre­miers seront les der­niers ». Il conve­nait autant qu’unis si étroi­te­ment dans leur sainte vie, ils fussent unis dans une com­mune apo­théose. Et de fait, si l’Eglise a béa­ti­fié Alexis, iso­lé­ment et en pre­mier lieu, elle a réuni les sept fon­da­teurs dans la solen­ni­té de la cano­ni­sa­tion. Par contre, leur fête collec­tive est célé­brée le 12 février, mais l’éloge de saint Alexis figure à part, dans le mar­ty­ro­loge, à la date du 17 février.

Mort de saint Alexis à l’âge de 110 ans.

Abbé G. H.

Sources consul­tées. – P. Augustin Lépicier, O. S. M., Saint Alexis Falconieri (Bruxelles, igio). – P. Sostène‑M. Ledoux, Histoire des Sept Saints Fondateurs de l’Ordre des Servîtes de Marie (Paris et Lyon, 1888). – L’Ordre des Servîtes de Marie (Montmorency et Louvain, 1929). – Officia pro­pria Ordinis S. M. – (V. S. B. P., n°414)