Eminence,
Dans votre lettre du 20 octobre vous me demandiez prière et réflexion avant de répondre, c’est ce que j’ai fait avec l’espoir que ces lignes aideront de nouveau à clarifier la situation.
Je garde le ferme espoir d’une normalisation prochaine appuyé sur la prière pour l’unité exprimée par Notre Seigneur et sur les heureuses dispositions du Saint-Père à notre égard, comme vous l’affirmez de nouveau.
A vrai dire j’ai déjà maintes fois répondu à toutes les observations exprimées dans votre lettre. Il suffit de se reporter en particulier aux réponses à l’interrogatoire écrit du 28.1.1978, et à l’interrogatoire oral des 11 et 12 janvier 1979, ainsi qu’aux nombreuses lettres adressées au Saint- Père au cours des deux années de son Pontificat suprême.
La réponse aux réprimandes exprimées dans la première partie de votre lettre se trouve dans la situation faite à l’Eglise et en particulier en France depuis le Concile Vatican II, situation telle qu’elle autorise l’usage des remèdes extraordinaires prévus par le Droit Canon dans de telles circonstances, et même par le Droit naturel.
Au sujet des confirmations, sur votre désir j’ai renoncé à donner ce sacrement durant six mois ; mais ne voyant aucune solution venir, j’ai jugé nécessaire de répondre à l’angoisse des fidèles, conformément aux réponses données le 26.2.78 aux demandes de la S.C. de la Foi du 28.1.78 et aux réponses 4.5.6 de l’interrogatoire des 11 et 12 janvier 1979. Au sujet des ordinations, j’ai différé deux fois de les accomplir afin de faciliter une solution, sur votre demande. Voyant qu’il n’y avait aucun résultat, j’ai repris ces cérémonies conformément aux explications que j’ai données dans les réponses 9.10.11 de l’interrogatoire des 11 et 12 janvier 1979 ainsi que dans ma lettre au Saint-Père du 24.12.78.
Quant aux conditions exprimées dans la deuxième partie de votre lettre, elles ne devraient pas faire de difficultés graves : en effet la première qui exige la soumission au Magistère de l’Eglise, des papes et des évêques m’est plus chère qu’à quiconque, à preuve les cours de Magistère que je fais donner dans tous mes séminaires et que je donne encore moi-même au séminaire d’Ecône.
N’est-ce pas d’ailleurs à cause de cette fidélité au Magistère que je suis persécuté et, bien plus, pour la raison alléguée par le Saint-Père, soit « que le magistère doit être vu ou interprété dans sa conformité avec la tradition et le magistère constant de l’Eglise ». Le critère de tout magistère est précisément sa conformité avec la Tradition et le magistère constant de l’Eglise. D’où les graves réserves qu’il est nécessaire de faire au sujet de certains documents du Concile Vatican II comme « Dignitatis Humanae » et « Gaudium et Spes », réserves que des personnes plus qualifiées que moi-même ont exprimées également.
Je suis donc bien d’accord avec cette première condition.
Quant à la deuxième condition, je n’ai jamais contesté la légitimité de la Réforme liturgique dans son principe, puisque j’ai signé le document concernant la Liturgie ; mais, comme beaucoup de mes confrères dans l’épiscopat, nous étions loin d’imaginer que de ce document pouvaient découler les applications qui s’en sont suivies. D’ailleurs les protestations n’ont pas manqué : par les membres du Synode de 1969 à l’occasion de la présentation de la « Messe normative » à la chapelle Sixtine, à l’occasion du vote au sujet de cette messe où une majorité a exprimé un vote négatif. Les cardinaux Ottaviani et Bacci dans une lettre adressée au Saint-Père lui ont fait part de leurs graves inquiétudes. Bien plus, j’ai été témoin personnellement des réflexions du pape Paul VI, à l’occasion d’une audience publique, exprimant son désappointement concernant la disparition des exorcismes dans le nouveau rite du baptême et de son regret de la transformation de l’offertoire dans le « Novus Ordo » !
Et si l’on ajoute que ces applications de la Réforme liturgique ont ouvert des portes aux créativités de toutes sortes, il apparaît non seulement légitime mais louable de s’en tenir aux rites traditionnels gardiens de la sacralisation de nos saints mystères, et rempart contre les influences modernistes et protestantes.
Au cours de mes visites, vous m’avez fait part à plusieurs reprises d’un document qui devait mettre fin à l’ostracisme dont est l’objet la Liturgie d’avant 1969. Nous l’attendions avec un grand espoir. Il causerait un soulagement considérable dans l’Eglise et serait l’occasion d’un grand renouveau de ferveur et de foi.
Le document serait l’occasion de normaliser à nouveau les relations entre la Fraternité Sacerdotale et le Saint-Siège et enlèverait tout motif à un apostolat de suppléance.
Ces relations pourraient en effet être facilitées par la désignation d’un délégué agréé d’un commun accord, nommé pour un temps limité et pour un but bien déterminé.
Ainsi serait résolue cette situation qu’il faut bien reconnaître inconcevable : le Vatican, organe administratif suprême de l’Eglise, qui est toute tradition, poursuivant des évêques, des prêtres et des fidèles pour crime de fidélité à la Tradition.
Pour faciliter cette solution, je renouvelle les propositions que j’ai transmises au Saint-Père le 16 octobre 1980 par l’intermédiaire du cardinal Thiàndoum, et vous en remets une copie ci-jointe.
Dans l’espoir que cette réponse, avec le secours de Dieu et l’intercession de la Vierge Marie, hâtera l’heureuse décision du Saint-Père, veuillez agréer, Eminence, l’assurance de mon très respectueux et fraternel dévouement in Christo et Maria.
+ Marcel Lefebvre
Source : Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II