Lettre de Mgr Lefebvre au Cardinal Seper du 15 décembre 1980

Eminence,

Dans votre lettre du 20 octobre vous me deman­diez prière et réflexion avant de répondre, c’est ce que j’ai fait avec l’espoir que ces lignes aide­ront de nou­veau à cla­ri­fier la situation.

Je garde le ferme espoir d’une nor­ma­li­sa­tion pro­chaine appuyé sur la prière pour l’unité expri­mée par Notre Seigneur et sur les heu­reuses dis­po­si­tions du Saint-​Père à notre égard, comme vous l’affirmez de nouveau.

A vrai dire j’ai déjà maintes fois répon­du à toutes les obser­va­tions expri­mées dans votre lettre. Il suf­fit de se repor­ter en par­ti­cu­lier aux réponses à l’interrogatoire écrit du 28.1.1978, et à l’interrogatoire oral des 11 et 12 jan­vier 1979, ain­si qu’aux nom­breuses lettres adres­sées au Saint- Père au cours des deux années de son Pontificat suprême.

La réponse aux répri­mandes expri­mées dans la pre­mière par­tie de votre lettre se trouve dans la situa­tion faite à l’Eglise et en par­ti­cu­lier en France depuis le Concile Vatican II, situa­tion telle qu’elle auto­rise l’usage des remèdes extra­or­di­naires pré­vus par le Droit Canon dans de telles cir­cons­tances, et même par le Droit naturel.

Au sujet des confir­ma­tions, sur votre désir j’ai renon­cé à don­ner ce sacre­ment durant six mois ; mais ne voyant aucune solu­tion venir, j’ai jugé néces­saire de répondre à l’angoisse des fidèles, confor­mé­ment aux réponses don­nées le 26.2.78 aux demandes de la S.C. de la Foi du 28.1.78 et aux réponses 4.5.6 de l’interrogatoire des 11 et 12 jan­vier 1979. Au sujet des ordi­na­tions, j’ai dif­fé­ré deux fois de les accom­plir afin de faci­li­ter une solu­tion, sur votre demande. Voyant qu’il n’y avait aucun résul­tat, j’ai repris ces céré­mo­nies confor­mé­ment aux expli­ca­tions que j’ai don­nées dans les réponses 9.10.11 de l’interrogatoire des 11 et 12 jan­vier 1979 ain­si que dans ma lettre au Saint-​Père du 24.12.78.

Quant aux condi­tions expri­mées dans la deuxième par­tie de votre lettre, elles ne devraient pas faire de dif­fi­cul­tés graves : en effet la pre­mière qui exige la sou­mis­sion au Magistère de l’Eglise, des papes et des évêques m’est plus chère qu’à qui­conque, à preuve les cours de Ma­gistère que je fais don­ner dans tous mes sémi­naires et que je donne encore moi-​même au sémi­naire d’Ecône.

N’est-ce pas d’ailleurs à cause de cette fidé­li­té au Magistère que je suis per­sé­cu­té et, bien plus, pour la rai­son allé­guée par le Saint-​Père, soit « que le magis­tère doit être vu ou inter­pré­té dans sa confor­mi­té avec la tra­di­tion et le magis­tère constant de l’Eglise ». Le cri­tère de tout magis­tère est pré­ci­sé­ment sa confor­mi­té avec la Tradition et le magis­tère constant de l’Eglise. D’où les graves réserves qu’il est néces­saire de faire au sujet de cer­tains docu­ments du Concile Vatican II comme « Dignitatis Humanae » et « Gaudium et Spes », réserves que des per­sonnes plus qua­li­fiées que moi-​même ont expri­mées également.

Je suis donc bien d’accord avec cette pre­mière condition.

Quant à la deuxième condi­tion, je n’ai jamais contes­té la légi­ti­mi­té de la Réforme litur­gique dans son prin­cipe, puisque j’ai signé le docu­ment concer­nant la Liturgie ; mais, comme beau­coup de mes confrères dans l’épiscopat, nous étions loin d’imaginer que de ce docu­ment pou­vaient décou­ler les appli­ca­tions qui s’en sont sui­vies. D’ailleurs les pro­tes­ta­tions n’ont pas man­qué : par les membres du Synode de 1969 à l’occasion de la pré­sen­ta­tion de la « Messe nor­ma­tive » à la cha­pelle Sixtine, à l’occasion du vote au sujet de cette messe où une majo­ri­té a expri­mé un vote néga­tif. Les car­di­naux Ottaviani et Bacci dans une lettre adres­sée au Saint-​Père lui ont fait part de leurs graves inquié­tudes. Bien plus, j’ai été témoin per­son­nel­le­ment des réflexions du pape Paul VI, à l’occasion d’une audience publique, expri­mant son désap­poin­te­ment concer­nant la dis­pa­ri­tion des exor­cismes dans le nou­veau rite du bap­tême et de son regret de la trans­for­ma­tion de l’offertoire dans le « Novus Ordo » !

Et si l’on ajoute que ces appli­ca­tions de la Réforme litur­gique ont ouvert des portes aux créa­ti­vi­tés de toutes sortes, il appa­raît non seule­ment légi­time mais louable de s’en tenir aux rites tra­di­tion­nels gar­diens de la sacra­li­sa­tion de nos saints mys­tères, et rem­part contre les influences moder­nistes et protestantes.

Au cours de mes visites, vous m’avez fait part à plu­sieurs reprises d’un docu­ment qui devait mettre fin à l’ostracisme dont est l’objet la Liturgie d’avant 1969. Nous l’attendions avec un grand espoir. Il cau­se­rait un sou­la­ge­ment consi­dé­rable dans l’Eglise et serait l’occasion d’un grand renou­veau de fer­veur et de foi.

Le docu­ment serait l’occasion de nor­ma­li­ser à nou­veau les rela­tions entre la Fraternité Sacerdotale et le Saint-​Siège et enlè­ve­rait tout motif à un apos­to­lat de suppléance.

Ces rela­tions pour­raient en effet être faci­li­tées par la dési­gna­tion d’un délé­gué agréé d’un com­mun accord, nom­mé pour un temps limi­té et pour un but bien déterminé.

Ainsi serait réso­lue cette situa­tion qu’il faut bien recon­naître incon­ce­vable : le Vatican, organe admi­nis­tra­tif suprême de l’Eglise, qui est toute tra­di­tion, pour­sui­vant des évêques, des prêtres et des fidèles pour crime de fidé­li­té à la Tradition.

Pour faci­li­ter cette solu­tion, je renou­velle les pro­po­si­tions que j’ai trans­mises au Saint-​Père le 16 octobre 1980 par l’intermédiaire du car­di­nal Thiàndoum, et vous en remets une copie ci-jointe.

Dans l’espoir que cette réponse, avec le secours de Dieu et l’intercession de la Vierge Marie, hâte­ra l’heureuse déci­sion du Saint-​Père, veuillez agréer, Eminence, l’assurance de mon très res­pectueux et fra­ter­nel dévoue­ment in Christo et Maria.

+ Marcel Lefebvre

Source : Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II



Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.