Brève considération sur le Cœur Immaculé et douloureux de Marie

« Il faut que nous com­pre­nions bien le rôle de la femme dans le péché pour bien com­prendre son rôle dans la Rédemption. Ève explique Marie ».


Thomas Dehau, op, Eve et Marie, 1950, p. 76.

Le 8 décembre 1854, dans la Constitution apos­to­lique Ineffabilis Deus, le pape Pie IX défi­nit le dogme de l’Immaculée Conception ; le 2 février 1904, dans l’encyclique Ad diem illum, le pape saint Pie X enseigne que la Mère de Dieu fut asso­ciée à son Fils dans l’acte rédemp­teur de tout le genre humain ; le 11 octobre 1954, dans l’encyclique Ad cae­li regi­nam, le pape Pie XII s’appuie sur ce double ensei­gne­ment de ses pré­dé­ces­seurs pour décla­rer que la Mère de Dieu par­tage éga­le­ment la royau­té de son Fils sur toutes les âmes. De la sorte, depuis plus d’un siècle et demi, les papes ont pré­pa­ré les voies pour une future défi­ni­tion dog­ma­tique : celle-​ci, espérons-​le, pour­rait pro­po­ser à la foi de toute l’Église catho­lique ce qui serait le dogme de la Médiation uni­ver­selle de la Très Sainte Vierge Marie. Cette affir­ma­tion solen­nelle vien­drait à point nom­mé pour dis­si­per toutes les équi­voques issues du concile Vatican II. En effet, l’une des consé­quences de cet œcu­mé­nisme dont s’inspire la nou­velle théo­lo­gie est le refus plus ou moins lar­vé de l’idée de média­tion. Dans le cas du Christ, comme dans le cas de sa sainte Mère, l’idée de média­tion, réelle et objec­tive, est rem­pla­cée par l’idée de la sacra­men­ta­li­té : tout comme son divin Fils, la Sainte Vierge est pré­sen­tée sur­tout comme un modèle pour la conscience de l’Église ; c’est d’ailleurs l’idée qui appa­raît dans le cha­pitre 8 de la consti­tu­tion Lumen gen­tium. Remarquons enfin ceci : cette véri­té de la média­tion mariale nous donne accès à l’intelligence pro­fonde d’un mys­tère qui est pour l’heure, et pro­vi­den­tiel­le­ment, au centre de la dévo­tion du peuple catho­lique, le mys­tère du Cœur Immaculé et dou­lou­reux de Marie. Si ce mys­tère venait à être mieux décla­ré par le recours à ces ensei­gne­ments du magis­tère, nul doute que cette dévo­tion qui l’exprime pren­drait tout son sens et gagne­rait plus de profit.

État de la question.

La théo­lo­gie dis­tingue deux aspects dans la média­tion du Christ. Il y a d’une part la média­tion objec­tive qui équi­vaut à l’acte de la rédemp­tion ; par cet acte, le Christ a acquis le salut comme dans sa cause ou en prin­cipe, et pour tout le genre humain. C’est l’acte unique et défi­ni­tif du Vendredi Saint[1]. Il y a d’autre part la média­tion sub­jec­tive, qui équi­vaut à l’acte que le Christ exerce désor­mais comme chef invi­sible de la socié­té visible de l’Église, et en recou­rant à ces ins­tru­ments sépa­rés que sont les sacre­ments. Cette acti­vi­té est mul­tiple et répé­tée si on la consi­dère du côté des créa­tures ; le Christ agit ain­si pour dis­pen­ser la grâce du salut et exer­cer sa média­tion non plus en prin­cipe mais effec­ti­ve­ment et pour chaque indi­vi­du en par­ti­cu­lier[2]. Toutes pro­por­tions gar­dées, la même dis­tinc­tion vaut si l’on parle du concours appor­té par la Très Sainte Vierge Marie à l’activité rédemp­trice du Christ. On par­le­ra de Marie coré­demp­trice, pour dési­gner le concours à la rédemp­tion objec­tive ; et on par­le­ra de Marie média­trice de toutes grâces pour dési­gner le concours à la rédemp­tion sub­jec­tive. Les consi­dé­ra­tions qui suivent s’en tiennent prin­ci­pa­le­ment au pre­mier de ces deux aspects.

Difficulté de la question.

Il semble que la Très Sainte Vierge Marie ne puisse pas coopé­rer à l’acte de la rédemp­tion, pré­ci­sé­ment dans la mesure où cet acte est celui par lequel le Christ rachète le genre humain tout entier. Coopérer à l’acte de la rédemp­tion, tout fidèle bap­ti­sé le peut, dans la dépen­dance du Christ et dans la mesure où toute satis­fac­tion humaine impar­faite tire sa valeur de la satis­fac­tion par­faite de l’Homme-Dieu[3]. C’est le sens de l’affirmation de l’apôtre saint Paul aux Colossiens : 

« Ce qui manque aux souf­frances du Christ, je le com­plète en ma chair pour son corps qui est l’Église »[4].

Néanmoins, une telle coopé­ra­tion reste essen­tiel­le­ment subor­don­née, car nul ne peut acqué­rir pour soi la pre­mière grâce ; et par­tant, une telle coopé­ra­tion est essen­tiel­le­ment res­treinte, si bien que nul ne peut acqué­rir la grâce pour tous les fidèles de l’Église. Lorsque les saints coopèrent à la pas­sion du Christ, la valeur de leur acte peut certes pro­fi­ter à toute l’Église, mais seule­ment comme un exemple et un modèle à imi­ter [5] ; seul l’acte du Christ pos­sède cette valeur satis­fac­toire et rédemp­trice suf­fi­sante pour le salut du genre humain tout entier[6]. Ainsi en va-​t-​il de la Très Sainte Vierge, comme de toute créa­ture : elle dépend de l’acte rédemp­teur du Christ, puisque c’est cet acte qui est au prin­cipe de la pre­mière grâce de Marie, qui est la grâce de l’Immaculée Conception. Cette dépen­dance la met au même rang que nous et lui inter­dit de coopé­rer à la pas­sion, comme à l’acte qui rachète le genre humain tout entier. Il semble alors logique de réduire la média­tion uni­ver­selle de la Très Sainte Vierge Marie à l’exercice d’une cau­sa­li­té exem­plaire, comme l’a fait Vatican II. Ajoutons ceci : l’acte de la rédemp­tion se réa­lise par un sacri­fice san­glant, où le Christ offre sa vie comme satis­fac­tion pour le péché ; et de fait, la Très Sainte Vierge Marie n’a pas coopé­ré à une telle action en offrant sa propre vie comme satis­fac­tion pour le péché, alors que d’innombrables mar­tyrs l’ont fait[7].

Solution de la question.

Cependant, les papes enseignent clai­re­ment que la Très Sainte Vierge Marie a pu être asso­ciée à un titre unique à l’acte rédemp­teur où le Christ accom­plit la rédemp­tion de tout le genre humain. Ce sont en par­ti­cu­lier les affir­ma­tions expli­cites de saint Pie X : « Marie méri­ta très légi­ti­me­ment de deve­nir la répa­ra­trice de l’hu­ma­ni­té déchue »[8] ; de Benoît XV : « On peut bien dire que Marie a rache­té le genre humain avec le Christ » [9] et de Pie XII : « Dans l’accomplissement de la rédemp­tion, la Très sainte Vierge fut certes très étroi­te­ment unie au Christ » [10]. De plus, la Tradition [11] appelle Marie la « nou­velle Eve » et signi­fie par-​là que Marie se tient au Christ dans l’œuvre de la rédemp­tion comme Eve se tient à Adam dans l’œuvre du péché ; or Eve fut l’associée d’Adam pour pré­ci­pi­ter dans le péché tout le genre humain ; la Tradition affirme donc impli­ci­te­ment que Marie fut l’associée du Christ pour accom­plir la rédemp­tion de tout le genre humain[12].

Explication de la solution.

Dans l’encyclique Ad diem illum, le pape saint Pie X donne l’explication de cet enseignement : 

« Marie dépasse toute créa­ture par sa sain­te­té et par l’union qui la rat­tache au Christ ; asso­ciée par le Christ à l’œuvre du salut du genre humain, elle nous mérite pour ain­si dire par conve­nance ce que le Christ nous mérite en toute jus­tice. »[13]

Ajoutons à cela que le rachat du genre humain tout entier est accom­pli par le Christ dans la mesure où l’acte de sa pas­sion mérite en toute jus­tice toutes les grâces du salut pour tout le genre humain. Il en résulte que la Très Sainte Vierge a pu méri­ter par conve­nance toutes les grâces du salut pour tout le genre humain, ce qui équi­vaut à dire que la Très Sainte Vierge a pu rache­ter le genre humain tout entier avec le Christ. En d’autres termes, être coré­demp­teur avec le Christ cela signi­fie méri­ter par conve­nance, c’est-​à-​dire dans la dépen­dance du mérite en toute jus­tice du Christ. Ce mérite subor­don­né découle du mérite en toute jus­tice et le sup­pose. Et dans le cas de la Très Sainte Vierge, ce mérite par conve­nance obtient, dans la dépen­dance du mérite en toute jus­tice du Christ, la rédemp­tion du genre humain tout entier. Tout dépend en effet de la cha­ri­té qui est au prin­cipe du mérite, car l’effet du mérite cor­res­pond au prin­cipe du mérite et le prin­cipe du mérite est la cha­ri­té ; et la cha­ri­té de la Très Sainte Vierge est jus­te­ment d’un ordre à part, car c’est une cha­ri­té qui est au prin­cipe d’un mérite unique en son genre et sin­gu­lier, qui est de nature à obte­nir, par conve­nance, comme son effet propre, la rédemp­tion du genre humain tout entier.

Pour com­prendre, son­geons que la cha­ri­té est obte­nue chez la créa­ture par le mérite du Christ qui satis­fait pour le péché de cette créa­ture. Et le Christ satis­fait pour la Très Sainte Vierge d’une manière plus sublime que pour le reste des autres créa­tures, car cette satis­fac­tion la sous­trait d’avance au péché qu’elle ne contracte pas[14]. Moyennant quoi, la cha­ri­té de la Très Sainte Vierge est d’un ordre abso­lu­ment unique, car c’est la cha­ri­té d’une créa­ture qui n’a pas contrac­té le péché ori­gi­nel, cha­ri­té de l’Immaculée Conception ou cha­ri­té de la pre­mière rache­tée. Première non selon le temps mais selon le plan de la sagesse divine : car pour être rache­tée et dépendre de l’acte rédemp­teur du Christ, Marie n’est pas rache­tée au même titre que les autres créa­tures et elle ne dépend pas du Christ comme celles-​ci dépendent de lui. 

« La grâce est don­née à Marie à l’instant pré­cis où elle devrait en deve­nant fille d’homme assu­mer ce péché. D’un côté il y a le genre humain consi­dé­ré comme un seul homme pécheur dont Adam est le chef. Et Jésus meurt en son nom pour répa­rer ce péché. De l’autre il y a Marie qui n’est pas englo­bée dans ce péché col­lec­tif ni dans cette répa­ra­tion. Sa rédemp­tion consiste pré­ci­sé­ment à être mise à part de la nature péche­resse, à ne pas avoir à béné­fi­cier d’une répa­ra­tion qui vise un péché avec lequel on ne peut lui trou­ver aucune soli­da­ri­té. Et si cette créa­tion dans la grâce qui est l’effet propre pour Marie de la mort de Jésus peut cepen­dant être appe­lée une rédemp­tion, c’est d’une autre façon que pour le genre humain. Le sacri­fice du Christ vaut donc à part pour la Sainte Vierge et à part pour tout le reste du genre humain »[15].

Marie est rache­tée en pré­vi­sion des mérites du Christ et « avant » que soit rache­té tout le reste du genre humain : cet « avant » n’exprime pas bien sûr une anté­rio­ri­té tem­po­relle qui dis­tin­gue­rait deux actes de rédemp­tion ; cette expres­sion désigne plu­tôt un ordre entre des effets décou­lant dis­tinc­te­ment du même acte rédemp­teur, et c’est l’ordre selon lequel la divine Sagesse a vou­lu que soient acquises les grâces du rachat. Pour expri­mer cet ordre de manière un peu moins abs­traite, le pape saint Pie X évoque l’image de saint Bernard : Marie est comme l’aqueduc qui reçoit toutes les eaux, avant de les répandre toutes dans tous les canaux. Ou encore, pour reprendre la com­pa­rai­son de saint Bernardin de Sienne, Marie est comme le cou, qui rat­tache le corps à la tête et concentre d’abord en lui toutes les influences de la tête avant de les trans­mettre au corps. La cha­ri­té de Marie étant anté­rieure, selon le point de vue signa­lé, à celle de tout autre, il lui est alors pos­sible de coopé­rer à cette œuvre du rachat uni­ver­sel, en méri­tant dans la dépen­dance du Christ le prin­cipe du mérite pour le reste de tout le genre humain.

« La souf­france du Christ rachète d’abord la Vierge en ce sens qu’elle obtient sa créa­tion en dehors de la soli­da­ri­té avec le péché humain dont sa concep­tion dans la chair était la cause natu­relle ; puis elle s’adjoint la souf­france et le mérite de la Vierge pour rache­ter avec elle l’ensemble du genre humain pécheur. L’acte rédemp­teur reste alors indi­vi­sible si le rachat de Marie qui est son pre­mier effet est ordon­né au rachat de tous les hommes, si la rédemp­tion du genre humain com­mence dans celle de Marie qui ne lui est anté­rieure que pour concou­rir à la réa­li­ser, si la grâce de l’Immaculée Conception ne la sépare du corps des autres rache­tés que pour la rendre capable d’agir sur lui »[16].

La grâce de l’Immaculée Conception, qui équi­vaut à la grâce d’un rachat anté­rieur et plus sublime, est de la sorte non point la cause de la coré­demp­tion mais sa condi­tion : elle y est néces­saire, bien qu’elle n’y suf­fise pas. Elle la rend seule­ment pos­sible. La véri­table cause, qui fait de la coré­demp­tion non plus une pos­si­bi­li­té mais une réa­li­té, ne sau­rait être que la libre déci­sion de Dieu, fon­dée sur une conve­nance. Cette conve­nance est le fait même de la mater­ni­té divine : Marie seule est capable de méri­ter en souf­frant d’une manière unique, comme seule une mère peut souf­frir de la mort de son fils. Dès lors que, dans le plan de la sagesse divine, le mode concret de notre déli­vrance doit être celui d’un rachat et donc d’une pas­sion, si Dieu décide d’associer une créa­ture pri­vi­lé­giée à la souf­france du Christ, il ne sau­rait être de plus grande conve­nance que d’y asso­cier la propre mère du Christ Jésus. 

Réponses aux difficultés.

Au fon­de­ment de la coré­demp­tion : l’Immaculée Conception – Il est donc clair que la grâce de l’Immaculée Conception est la condi­tion néces­saire de cette coopé­ra­tion unique de la Sainte Vierge à l’acte rédemp­teur du Christ. Marie ne pou­vait être Corédemptrice qu’à la condi­tion que sa Conception fût Immaculée. De la sorte, si on refuse cette condi­tion, on refuse ce qui en dépend néces­sai­re­ment. C’est pour­quoi, tous les théo­lo­giens qui ont nié l’Immaculée Conception ont été conduits à nier éga­le­ment la coré­demp­tion uni­ver­selle de Marie. La dif­fi­cul­té qui arrê­tait ces théo­lo­giens ne nous arrête plus, et c’est la dif­fi­cul­té même de l’Immaculée Conception. Cette dif­fi­cul­té est réso­lue si l’on admet que pour rache­ter le genre humain tout entier, le mérite de Marie n’en découle pas moins du mérite du Christ, et que la grâce capi­tale reste le pri­vi­lège exclu­sif de celui-​ci. De manière sem­blable, notre cha­ri­té est au prin­cipe méri­toire de tous nos actes salu­taires et néan­moins, cette cha­ri­té découle elle-​même de la cha­ri­té du Christ et reste un don gra­tuit de Dieu[17]. En d’autres termes, on peut éta­blir la simi­li­tude sui­vante : le rap­port de la Très Sainte Vierge, pre­mière rache­tée à la volon­té rec­ti­fiée par la pre­mière grâce opé­rante est iden­tique pro­por­tion­nel­le­ment au rap­port de la rédemp­tion du genre humain tout entier accom­plie par Marie avec le Christ à la volon­té qui mérite sous la motion de la grâce coopérante.

Au fondement de la compassion : la Maternité divine.

Il est donc clair aus­si que ni la souf­france ni la mort ne sont par elles-​mêmes la cause suf­fi­sante de la rédemp­tion ; celle-​ci est d’abord un acte méri­toire et l’immolation phy­sique vaut dans la mesure où elle est offerte sous la motion de la cha­ri­té. Le mar­tyre lui-​même tire sa valeur de l’acte de cha­ri­té par­faite dont il découle. La Très Sainte Vierge Marie n’a pas endu­ré la souf­france phy­sique du mar­tyre, mais néan­moins sa cha­ri­té sur­pas­sait celle de tous les mar­tyrs réunis[18]. Ce degré unique de cha­ri­té eût déjà suf­fit ; mais concrè­te­ment, la cha­ri­té de Marie s’exerça, comme celle du Christ, dans l’endurance. Mère du Christ-​Rédempteur, elle coopère à la Passion en souf­frant comme seule une Mère peut souf­frir de la dou­leur et de la mort de son propre Fils. Nous retrou­vons là une exi­gence du mys­tère de l’Incarnation, et cette exi­gence pour­rait expli­quer la dif­fé­rence entre la coré­demp­tion pro­pre­ment dite et la com­pas­sion. Marie peut nous rache­ter en union avec le Christ parce qu’elle est l’Immaculée Conception ; mais pour nous rache­ter, Marie souffre en union à la souf­france du Christ, et elle souffre ain­si d’une souf­france unique, parce qu’elle est la Mère de celui qui endure la Passion.

Au fondement de l’exemplarité : la Nouvelle Eve

Enfin, Marie agit aus­si en tant que femme. Elle est asso­ciée au Christ dans l’œuvre de ce rachat du genre humain comme Eve fut asso­ciée à Adam dans l’œuvre de la per­di­tion ori­gi­nelle. De la sorte, aux côtés du nou­vel Adam, elle figure la nou­velle Eve : c’est ain­si toute la nature humaine qui est uti­li­sée par Dieu pour accom­plir l’œuvre du rachat[19]. De ce point de vue, la Très sainte Vierge, à l’instar du Christ, agit comme un exemple et un modèle. Cela reste vrai, à condi­tion de ne pas omettre les deux aspects précédents.

Épilogue : la dévotion au Cœur Immaculé.

La dévo­tion au Cœur Immaculé et dou­lou­reux de Marie est l’expression adé­quate de ces véri­tés théo­lo­giques. Le Cœur désigne l’amour sur­na­tu­rel de la Très sainte Vierge, donc sa cha­ri­té. Et ce Cœur Immaculé désigne la cha­ri­té abso­lu­ment unique de l’Immaculée Conception, condi­tion indis­pen­sable de la Corédemption. Enfin le Cœur Immaculé et Douloureux désigne cette cha­ri­té telle qu’elle s’exerce pour méri­ter dans l’acte d’une satis­fac­tion coré­demp­trice unique, à tra­vers la com­pas­sion d’une Mère. Tel est l’objet qui s’est impo­sé à la dévo­tion dans la sainte Église : il y a là un fait sans aucun doute pro­vi­den­tiel. Ni la litur­gie ni la pié­té popu­laire ne se sont recon­nues aus­si volon­tiers dans l’expression du Cœur de la Mère de Dieu, ini­tia­le­ment pro­pa­gée par saint Jean Eudes ; et à l’inverse, il est frap­pant de voir com­ment la dévo­tion s’est expri­mée en recou­rant de pré­fé­rence à cette expres­sion du Cœur Immaculé et Douloureux de Marie, expres­sion qui est la tra­duc­tion aus­si pré­cise que pos­sible du mys­tère de la Corédemption, tel que Dieu l’a révé­lé et confié à la Tradition de son Église.


source : Courrier de Rome n°652, avril 2022

Notes de bas de page
  1. Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 3a, q. 49, a. 1, ad 3. « Par sa pas­sion le Christ nous a déli­vrés de nos péchés par mode de cau­sa­li­té : la pas­sion ins­ti­tue en effet la cause de notre libé­ra­tion, cause par laquelle peuvent être remis, à tout moment, n’im­porte quels péchés, pré­sents ou futurs ; comme un méde­cin qui ferait un remède capable de gué­rir n’im­porte quelle mala­die, même dans l’a­ve­nir ».[]
  2. Ibidem, ad 4. « La pas­sion du Christ, nous venons de le dire, est comme la cause préa­lable de la rémis­sion des péchés. Il est pour­tant néces­saire qu’on l’ap­plique à cha­cun, pour que ses propres péchés soient effa­cés. Cela se fait par le bap­tême, la péni­tence et les autres sacre­ments, qui tiennent leur ver­tu de la pas­sion du Christ, comme on le dira plus loin ».[]
  3. « Omnis satis­fac­tio imper­fec­ta in satis­fac­tione per­fec­ta fun­da­tur » (Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 3a, q 1, art 2, ad 2).[]
  4. Col, II, 24.[]
  5. Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 3a, q 48, art 5, ad 3. « Les souf­frances des saints pro­fitent à l’Église, non par mode de rédemp­tion, mais à titre d’ex­hor­ta­tion et d’exemple ».[]
  6. Ibidem, art 5. Il est propre au Christ et à lui seul d’être rédemp­teur.[]
  7. Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 3a, q 66, art 12. Le mar­tyre ou bap­tême de sang est l’acte où l’on imite le mieux la pas­sion du Christ.[]
  8. Saint Pie X, Ad diem illum, Solesmes, n° 233.[]
  9. « Dici meri­to queat ipsam cum Christo huma­num genus rede­misse » – Benoît XV : Sodalitati Nostrae Dominae a Bona Morte, du 2 mars 1918.[]
  10. Pie XII : Ad cae­li regi­nam, Solesmes, n° 704.[]
  11. Voir à ce sujet le livre du père Terrien, sj, La Mère de Dieu et la Mère des hommes, 2e par­tie, livre 1er, cha­pitres 1–2. Saint Albert le Grand s’exprime ain­si dans son Mariale, ques­tion 150 : « Ut ipsam par­ti­ci­pem face­ret bene­fi­cii redemp­tio­nis, par­ti­ci­pem esse voluit et poe­nae pas­sio­nis, qua­te­nus sic adiu­trix redemp­tio­nis per com­pas­sio­nem, ita mater fie­ret omnium per recrea­tio­nem : et sicut totus mun­dus obli­ga­tur Deo per suam pas­sio­nem, ita et Dominae omnium per com­pas­sione ».[]
  12. C’est le rai­son­ne­ment théo­lo­gique sur lequel s’appuie le pape Pie XII dans l’encyclique Ad cae­li regi­nam, Solesmes, n° 705.[]
  13. « Universis sanc­ti­tate praes­tat Maria conjunc­tio­neque cum Christo atque a Christo asci­ta in huma­nae salu­tis opus de congruo ut aiunt pro­me­ret nobis quae Christus de condi­gno » (DS 3370).[]
  14. Pie IX, Ineffablis Deus du 8 décembre 1854, Solesmes, n° 43. « La Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu en pré­vi­sion des mérites de Jésus-​Christ Notre Seigneur et Rédempteur n’a jamais été sou­mise au péché ori­gi­nel ; mais elle a été entiè­re­ment pré­ser­vée de la tâche d’origine et par consé­quent rache­tée d’une manière plus sublime (subli­mio­ri modo redemp­ta) ».[]
  15. RP Marie-​Joseph Nicolas, op, « La Doctrine de la coré­demp­tion dans le cadre de la doc­trine tho­miste de la rédemp­tion » dans : Revue tho­miste de 1947, page 24.[]
  16. Ibidem.[]
  17. « Marie ne mérite pas sa propre cha­ri­té. Mais le pre­mier effet du mérite du Christ est d’obtenir à Marie la cha­ri­té spé­ciale qui fait d’elle son asso­ciée dans l’œuvre de la rédemp­tion. Ensuite avec elle il donne aux hommes ce qu’il lui a d’abord don­né. C’est un peu ce qui se passe pour cha­cun de nous dans un ordre res­treint et per­son­nel. Ma pre­mière grâce est pure­ment don­née. Elle est le pur effet du mérite et de la cha­ri­té du Christ. Mais une fois jus­ti­fié et avec le Christ qui demeure pre­mière cause du per­pé­tuel sou­tien de ma grâce je contri­bue par mes actes per­son­nels à méri­ter l’accroissement de cette pre­mière grâce et fina­le­ment la gloire éter­nelle à laquelle jus­te­ment elle m’ordonne intrin­sè­que­ment. La dif­fé­rence ici est qu’il s’agit pour Marie d’obtenir non seule­ment sa béa­ti­tude per­son­nelle mais encore la pre­mière grâce de tous les hommes » (RP Marie-​Joseph Nicolas, art. cit. page 25).[]
  18. Cf 2a2ae, q 124, art 4, ad 1 : si on dit que la sainte Vierge a endu­ré le mar­tyre au pied de la croix, cela doit s’en­tendre dans un sens impropre, et en rai­son d’une cer­taine simi­li­tude. L’expression de la Liturgie du 15 sep­tembre éta­blit la dis­tinc­tion entre l’acte objec­tif et la récom­pense qu’il mérite : c’est en par­ti­cu­lier la Communion de la Messe : « Felices sen­sus bea­tae Mariae Virginis qui sine morte merue­runt mar­ty­rii pal­mam sub cruce Domini ». Il reste tou­jours pos­sible de méri­ter dans l’ordre de la cau­sa­li­té morale l’effet cor­res­pon­dant à un acte que l’on n’aura pas soi-​même posé dans l’ordre de la cau­sa­li­té phy­sique, et tel est ici le cas de la Très Sainte Vierge par rap­port au mar­tyre. Même si elle n’est pas morte au pied de la croix, sa cha­ri­té sur­émi­nente lui a per­mis d’obtenir le degré de gloire équi­valent au mar­tyre, et même davan­tage. On peut en dire autant par rap­port au rachat des âmes : la Sainte Vierge n’a pas rache­té les âmes au sens strict de la méta­phore, dans la mesure où elle n’a pas satis­fait en ver­sant son sang comme l’a fait le Christ. Mais par sa com­pas­sion elle a méri­té le même résul­tat que les souf­frances et la mort cor­po­relles du Christ pro­dui­saient selon l’efficience phy­sique. Voir Terrien, op.cit. 2e par­tie, livre 3, cha­pitre 3, p. 226–232.[]
  19. « Pour que tout l’homme répa­rât, il fal­lait que dans l’accomplissement de l’œuvre même de la Rédemption il y eût l’homme et la femme, cha­cun jouant son rôle propre. C’est le mys­tère de la nou­velle Eve. L’idée d’associer la femme à l’homme dans l’œuvre de l’exaltation et du rachat de l’hu­ma­ni­té est pro­fon­dé­ment liée avec celle de faire de l’homme lui-​même selon toute sa nature le propre auteur de sa Rédemption » (RP Marie-​Joseph Nicolas, art. cit. page 36).[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.