Le patriarche Cyrille, bras religieux de Poutine ?

Le métropolite Onuphre de Kiev et le patriarche Cyrille de Moscou. Illustration : СТОЛИЧНЫЙ БЛАГОВЕСТНИК from Киев, Украина, CC0, via Wikimedia Commons & Kremlin.ru, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

Le 27 février 2022, au qua­trième jour de l’invasion de l’Ukraine, le patriarche ortho­doxe Cyrille de Moscou a évo­qué les évé­ne­ments en cours dans une homé­lie pro­non­cée à la cathé­drale du Christ-​Sauveur. Il y a notam­ment dénon­cé des « forces du mal qui com­battent l’unité de la Rus’ ».

Le fond de cette homé­lie est un appel à prier pour la paix et pour l’unité de l’Eglise, et spé­cia­le­ment pour le métro­po­lite Onuphre, pri­mat de l’Eglise ortho­doxe ukrai­nienne (EOU), dépen­dant du patriar­cat de Moscou. Mais, quelle est la véri­table por­tée des pro­pos du patriarche de Moscou ?

« Faisons tout pour protéger notre Patrie historique commune »

Les mots du patriarche Cyrille ne peuvent se com­prendre sans leur cadre. Celui-​ci est d’ailleurs don­né un peu plus loin : « Que le Seigneur pré­serve la terre russe. Lorsque je dis “russe”, j’emploie l’antique expres­sion de la “Chronique des temps pas­sés” : “L’origine de la terre russe”. Une terre dont font par­tie aujourd’hui la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, d’autres tri­bus et d’autres peuples. »

Cette « terre russe », s’enracine dans le fait que la Russie et l’Ukraine sont issues des « mêmes fonts bap­tis­maux » et unies par une même culture reli­gieuse qui ne doit pas être brisée.

Comme l’explique Jacques Berset : c’est « l’idée chère aux ultra­na­tio­na­listes russes, d’un espace socio­cul­tu­rel et supra­na­tio­nal englo­bant non seule­ment la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine, mais qui doit aus­si s’étendre à d’autres ter­ri­toires de l’Eurasie où sont pré­sents l’orthodoxie, la culture et la langue russe. Cette civi­li­sa­tion, du point de vue tant du Patriarcat que du Kremlin, doit se défi­nir en dehors de la civi­li­sa­tion occi­den­tale qua­li­fiée de “déca­dente” ».

Or, le métro­po­lite Onuphre a pris fait et cause pour son pays, l’Ukraine. Il a expri­mé son sou­tien « aux mili­taires qui pro­tègent et défendent notre terre et notre peuple. Que Dieu les bénisse et les garde ! Défendant la sou­ve­rai­ne­té et l’intégrité de l’Ukraine, nous nous adres­sons au pré­sident de la Russie et nous lui deman­dons de ces­ser immé­dia­te­ment la guerre fratricide.

« Les peuples ukrai­nien et russe sont sor­tis des fonts bap­tis­maux du Dniepr et la guerre entre ces peuples est la répé­ti­tion du péché de Caïn, qui par jalou­sie tua son frère. Une telle guerre ne trouve sa jus­ti­fi­ca­tion ni devant Dieu, ni devant les hommes. »

Une fracture insupportable

Comme expli­qué dans l’article « Ukraine : les clés d’une guerre aux dimen­sions reli­gieuses », la majo­ri­té des ortho­doxes ukrai­niens se sont sépa­ré de Moscou, avec la béné­dic­tion du patriarche de Constantinople. Ceux qui sont res­tés fidèles sont réunis dans l’EOU du métro­po­lite Onuphre. Sa prise de posi­tion est une nou­velle frac­ture into­lé­rable au patriarche de Moscou. C’est pour­quoi il souligne :

« A Dieu ne plaise que la situa­tion poli­tique actuelle en Ukraine, pays frère qui nous est proche, per­mette aux forces du mal, qui ont tou­jours com­bat­tu l’unité de la Rus’ et celle de l’Eglise russe, de l’emporter. A Dieu ne plaise qu’entre la Russie et l’Ukraine s’étende une ligne ter­rible, rou­gie par le sang de nos frères. »

Le mes­sage déli­vré par Cyrille est donc ambi­gu : d’une part il vou­drait que l’EOU et son métro­po­lite res­tent fidèles au patriar­cat mos­co­vite, dans une vision à la fois reli­gieuse et poli­tique : « Nous devons prier pour le retour à la paix, pour le réta­blis­se­ment de rela­tions fra­ter­nelles entre nos peuples. Notre Eglise ortho­doxe unie, repré­sen­tée en Ukraine par l’Eglise ortho­doxe ukrai­nienne pré­si­dée par Sa Béatitude Onuphre, est la garante de cette fraternité. »

D’autre part, il demande « que le Seigneur leur donne la force et la sagesse de résis­ter (…) aux attaques du malin, et, en même temps, celle de ser­vir fidè­le­ment leur peuple, notam­ment en œuvrant pour la paix par tous les moyens ».

Ainsi, tout en évi­tant de condam­ner le patrio­tisme de son métro­po­lite, Cyrille plaide pour l’unité de la Rus’, tant au point de vue poli­tique que reli­gieux. Malgré l’habileté des for­mules, c’est bien à une vision d’une uni­té ter­ri­to­riale et reli­gieuse de la « terre russe » que son dis­cours renvoie.

Sources : La Croix/cath.ch/mospat.ru – FSSPX.Actualités