Cela fera tout juste cinquante ans – le premier dimanche de l’Avent exactement – que le novus ordo missae commençait à être imposé à tous les catholiques du monde entier. Dès que les textes officiels de cette nouvelle messe sont présentés en salle de presse le 2 mai 1969, l’opposition se mobilise et prépare une réaction. Vittoria Guerrini, inspiratrice de l’association Una voce Roma, accompagnée d’une amie qui a, comme elle, ses entrées chez le cardinal Ottaviani, vient trouver Mgr Lefebvre. Ensemble ils conviennent de préparer un document, qui serait présenté au cardinal, secrétaire du Saint-Office de 1959 à 1968, lequel en réviserait le texte et le remettrait au pape. Sous l’autorité morale de Mgr Lefebvre, plusieurs ecclésiastiques se retrouvent régulièrement autour du père Guérard des Lauriers, dominicain enseignant à l’université romaine du Latran pour travailler au document. Le 13 septembre, le cardinal Ottaviani finit par l’approuver et signa une lettre de requête, adressée au pape Paul VI. Il est rejoint le 28 septembre par le cardinal Bacci. En vain on chercha d’autres signatures. Le temps pressant, la lettre, accompagnée du bref examen critique, fut remise au pape le 21 octobre 1969.
L’intérêt de ce texte est multiple : d’abord, il date de 1969 et se trouve donc antérieur à la fondation de la FSSPX, qui date du 1er novembre 1970. Ensuite, il étudie le nouveau missel romain dans le texte original en latin, les traductions en langue vernaculaire n’ayant pas encore été publiées. De plus il est écrit et publié avant même que la nouvelle messe de 1969 ne soit mise en application. Enfin, il est signé par deux cardinaux. En particulier l’autorité d’Ottaviani en matière doctrinale est largement reconnue. Tout cela donne à l’argumentation du bref examen critique une force certaine et une portée considérable : antérieur à la fondation de la Fraternité, on ne peut lui reprocher d’être une analyse partisane, liée à son histoire ; étudiant le seul texte latin, il laisse de côté les problèmes liés aux traductions erronées de certaines conférences épiscopales ; considérant le rite, tel qu’il est prescrit par les livres liturgiques, il ne tient pas compte non plus des abus objectivement avérés, dont le novus ordo missae ne cesse d’être l’objet. L’analyse va donc au fond des choses : elle résiste à tous ceux, qui ne voient le problème de la messe actuelle, que dans les ministres qui la célèbrent ou chez les fidèles, qui y participent ; elle laisse sans voix ceux qui promeuvent une célébration du rite de Paul VI en latin dans la plus grande fidélité aux rubriques de ce nouveau missel.
L’analyse est donc profonde, et pour cause : elle est essentiellement théologique. La thèse du document est ainsi résumée par le cardinal Ottaviani, dans la supplique qui l’accompagne : le nouvel ordo missæ, « s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du concile de Trente ». Toute cette étude s’attache en effet à montrer que les différents rites introduits – prières et gestes – n’expriment pas de manière adéquate ce que l’Eglise croit et enseigne sur la sainte messe. Le langage sobre et précis, voire technique, qui rend la lecture de ce texte parfois difficile est cela même qui fait la solidité de son argumentation. Il n’y a sans doute pas eu, en cinquante ans, de meilleure analyse que celle-ci.
Le Bref examen critique n’est pas resté sans réponse : le pape demande au cardinal Seper, successeur du cardinal Ottaviani au Saint-Office, « un sévère examen des critiques soulevées ». Ce dernier demande même le 25 octobre de suspendre la publication définitive de la nouvelle messe « avant que la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi juge si les critiques en question exigent une révision de ces textes liturgiques importants ». Mais avant même que ladite congrégation ne rende son verdict le 12 novembre, le secrétairerie d’Etat ordonne que soit publiée l’instruction annonçant une instauration progressive de la nouvelle messe. Le jugement du 12 novembre, selon lequel « l’opuscule Bref examen contient beaucoup d’affirmations superficielles, exagérées, inexactes, passionnées et fausses » apparaît comme la justification a posteriori d’un coup de force…
Les articles qui suivent ont pour objectif de mettre à la portée de tous cette analyse, qui mérite aujourd’hui encore d’être connue, puisqu’elle expose la raison profonde, qui justifie notre refus de la messe de Paul VI. Les trois parties de la messe – offertoire, canon, communion – sont successivement étudiées.
Abbé Louis-Marie Berthe
Source : Apostol