Cher Monsieur l’abbé Rey, je devrais dire cher Monsieur le Curé, car c’est bien dans cette fonction et dans ce ministère que vous avez passé la plus longue partie de votre ministère sacerdotal.
Que d’événements, cher M. le Curé, depuis le jour où vous avez été ordonné à Sion, à Noël 1931 ! Avant cela, vous vous trouviez séminariste à Sion, puis séminariste au séminaire français de Rome. Nous avons eu les mêmes professeurs, nous avons eu les mêmes Pères, là-bas à Rome.
Et au milieu des joies que nous connaissions, d’être à Rome et d’avoir des Pères qui nous apprenaient ce que c’était la foi catholique et la Tradition, nous avions déjà en ces moments-là – vous vous en souvenez – des épreuves.
C’était sous le pontificat de Pie XI et déjà dans ce temps-là ceux qui avaient été condamnés par saint Pie X, s’efforçaient de retrouver la place qu’ils avaient perdue à Rome.
Ils s’efforçaient aussi d’entraîner le Saint-Père, dans des décisions hélas bien douloureuses. C’était le cher Père Le Floch, supérieur du séminaire, du séminaire français, qui était obligé de quitter le séminaire. C’était le vénérable cardinal Billot – le plus grand théologien de cette époque – auquel il était demandé de déposer la pourpre et de s’enfermer dans un couvent, tout près de Castel Gandolfo. Et ce fut aussi, quelque temps plus tard la condamnation de l’Action Française. D’ailleurs, ce qui montre bien que ces décisions avaient été prises, non par celui qui gouvernait l’Église d’une certaine manière, mais sous la pression de ceux qui l’entouraient, c’est que le pape Pie XII crut devoir réparer ces erreurs et supprimer ces condamnations.
Déjà, par conséquent, à cette époque, l’Église était bien troublée et les divisions internes existaient, mais par bonheur, elles ne se répandaient pas partout dans le monde entier. Et ici dans ce beau diocèse de Sion, vous êtes revenu. Revenu derrière ces belles montagnes du Valais et pendant près de cinquante ans, vous avez exercé votre ministère soit à Grimentz, soit à Salins, soit à Grimisuat.
Que d’âmes ont reçu par vous la grâce du baptême, la grâce des sacrements de l’Eucharistie, de la pénitence, de l’extrême-onction, du mariage, comme le font les bons curés, les curés tout dévoués à leurs ouailles, imitant l’image du Bon Pasteur, tel que Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même l’a décrite et que saint Jean nous l’a rapporté.
Le Bon Pasteur marche devant ses brebis ; les brebis le suivent ; il les conduit dans les bons pâturages ; il les protège contre les loups dévorants ; il leur donne une bonne nourriture ; il les connaît, dit Notre Seigneur – nomination – il les connaît nommément. Voilà ce qu’est le bon pasteur.
C’est ce que vous avez été, cher M. le Curé pendant de nombreuses années. Et j’avais parfois la joie d’avoir des nouvelles de M. le curé de Grimentz par mon cher collaborateur, Mg Guibert, à Dakar, qui aimait venir chez vous, dans votre presbytère et qui aimait avec vous, gravir des montagnes qui entourent ce beau pays de Grimentz. Et lorsqu’il revenait à Dakar, il me racontait les bonnes et belles journées qu’il avait passées en votre sainte compagnie.
Et voici que vous devenez, à la fin de votre carrière sacerdotale, aumônier des vieillards à Sion. Et c’est alors que l’on peut dire peut-être ce que l’Écriture dit aussi : Et tenebræ factæ sunt : « Et les ténèbres se sont faites ». Oui, ténèbres incroyables qui ont envahi la ville de Rome et qui malheureusement n’ont pas seulement envahi la ville de Rome, mais qui ont envahi le monde entier, le monde catholique entier.
Ceux qui précisément avaient été condamnés par saint Pie X, et même par le pape Pie XII, ceuxlà ont essayé d’envahir l’Église, de l’occuper. Et alors, ils ont voulu rompre avec la Tradition. Ils ont voulu se lancer dans les nouveautés, mettre l’Église en recherche, oubliant la foi de toujours, oubliant la messe de toujours, oubliant les sacrements de toujours, avec l’espoir que cet œcuménisme, rapporterait à l’Église une vie nouvelle. Et hélas, nous devons bien constater que c’est bien le contraire qui est arrivé.
Alors partout la persécution a sévi contre ceux qui ont voulu manifester la tradition de l’Église ; qui ont voulu maintenir la foi catholique de toujours. Et vous en étiez, cher M. le Curé.
Alors, sans pitié pour votre âge, sans reconnaissance pour tous les services que vous avez rendus au diocèse, on vous a chassé. Et grâce à la charité et à la bienveillance d’une famille vous avez tout de même trouvé un toit et une nourriture.
Et cela à cause de votre fidélité, à cause de votre fidélité à la foi de votre enfance, que vos parents vous ont apprise, que les saints Prêtres d’alors vous ont apprise ; à cause de votre fidélité à ce que vous avez appris au séminaire de Sion, au séminaire français de Rome, à l’Université grégorienne ; à cause de cette fidélité à la messe de votre ordination, vous avez été chassé, persécuté.
Eh bien, c’est là votre honneur, cher M. le Curé et croyez bien que faisant cela, étant fidèle à ce que l’Église vous a enseigné, à ce que l’Église vous a demandé d’enseigner aux autres, fidèle à cette messe canonisée par saint Pie V, eh bien vous vous êtes inscrit par le fait même sur la liste de tous ceux qui depuis les apôtres, ont été persécutés pour leur foi.
Si les persécuteurs changent, la fidélité et les martyrs restent les mêmes et les causes sont les mêmes. Les apôtres après avoir été flagellés ont dit : Nous avons été heureux d’avoir souffert pour le nom de Jésus. Et depuis que les apôtres ont été flagellés à Jérusalem, que de martyrs, que de témoins de la foi dans le nom de Jésus, que de sang versé, que de souffrances, que de douleurs, mais endurées avec courage, endurées avec joie, pour le nom de Jésus, pour Jésus-Christ, pour la gloire de Jésus-Christ.
Alors aujourd’hui, vous êtes persécuté, parce que vous êtes fidèle au nom de Jésus. Eh bien, vous êtes aussi martyr, car martyr veut dire témoin. Et parce que vous êtes témoin de la foi, on vous persécute.
Cher M. le Curé c’est là, pour vous, non pas un sujet de trouble, mais au contraire un sujet d’encouragement, de force. Comme les martyrs ont toujours manifesté la vertu de force, vous l’avez manifestée aussi. Même si cette persécution a certainement altéré votre santé, eh bien vous la supportez courageusement et vous êtes pour tous ceux qui vous connaissent, pour tous ceux qui vous estiment, un grand sujet d’encouragement. Et pour vous particulièrement, mes chers amis, chers séminaristes, prenez modèle sur ces prêtres, ces prêtres qui sont fidèles. Soyez vous aussi, fidèle à l’enseignement qui vous est donné, fidèle à l’exemple de vos aînés qui marchent sur la trace des prêtres de toujours, de ceux qui ont donné la grâce des sacrements, de ceux qui ont enseigné ce que l’Église a toujours enseigné.
Cher M. le Curé, je pense que vous pouvez au bout de ces cinquante années, répéter la parole de saint Paul : Ego enim jam delibor et tempus resolutionis meæ instat (2 Tm 4,6) : « Je vieillis et le terme approche » ; Bonum certanem certavi (2 Tm 4,7) : « J’ai mené le bon combat, en toute vérité », en toute sincérité, j’ai gardé la foi. « Et c’est pour cela que le Bon Dieu me donnera la couronne de la sainteté » (2 Tm 4,8). Voilà ce que dit saint Paul.
Alors ayez confiance et courage, cher M. le Curé, nous vous félicitons de cet exemple que vous nous avez donné et que vous nous donnez encore. Et je suis sûr que la très Sainte Vierge Marie, mère du sacerdoce, mère du Prêtre, vous regarde avec bienveillance aujourd’hui. Vous avez voulu choisir la messe votive de la Sainte Vierge aujourd’hui, pour la prier, pour la remercier, pour chanter l’action de grâces comme elle l’a fait dans son Magnificat. Eh bien chantez aujourd’hui aussi, votre Magnificat pour toutes les grâces que vous avez reçues, pour toutes les grâces que vous avez données.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.