Sermon de Mgr Lefebvre – Dimanche de la Passion – Diaconat – 8 avril 1984

Mes bien chers frères,
Mes bien chers amis,

Nous voi­ci arri­vés par ce pre­mier dimanche de la Passion de Notre Seigneur, au cœur même de notre année litur­gique. Le grand mys­tère autour duquel toute la litur­gie de l’Église, tourne en quelque sorte, est orga­ni­sé, c’est le mys­tère de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Dieu a vou­lu de toute éter­ni­té que son Fils prît une chair sem­blable à la nôtre et une âme sem­blable à la nôtre et ver­sa son Sang pour la rédemp­tion de nos péchés. Grand mys­tère ! Et cette Passion de Notre Seigneur à laquelle nous allons assis­ter de nou­veau par toutes les belles céré­mo­nies et toutes ces jour­nées émou­vantes de la Semaine Sainte, sont des grâces tout à fait par­ti­cu­lières qui inondent notre âme de joie et de dou­leur en même temps, face à notre état de pécheurs.

Et cette semaine se pré­sente, ce drame, ce mys­tère, se pré­sente sous la forme d’un com­bat, un com­bat immense livré entre Dieu et Satan. Car l’Évangile le dit expli­ci­te­ment : Satan prît pos­ses­sion de l’âme de Judas. C’est donc un com­bat contre Satan, un com­bat contre le péché, com­bat contre la mort, duquel évi­dem­ment Dieu sor­ti­ra vic­to­rieux. Victorieux en vou­lant nous entraî­ner dans sa vic­toire. Il va fal­loir que nous nous appli­quions les mérites de la Passion de Notre Seigneur, pour que nous puis­sions par­ti­ci­per à cette vic­toire contre le péché, contre Satan, contre la mort.

Aujourd’hui, on aurait ten­dance à oublier la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, pour ne plus pen­ser qu’à sa Résurrection. Volontiers, on laisse dis­pa­raître les cru­ci­fix, pour ne plus repré­sen­ter Notre Seigneur que triom­phant. Sans doute Notre Seigneur a triom­phé. Mais Il a triom­phé par sa Passion. Sa Résurrection est comme le résul­tat de son com­bat, le résul­tat de sa Passion, de son Sang ver­sé, comme le dit magni­fi­que­ment saint Paul :

Per pro­prium san­gui­nem introi­vit semel in Sancta, æter­na redemp­tione inven­ta (He 9,12). « Il est entré dans le Saint des saints avec son propre Sang ». Il a ver­sé son propre Sang. Ce n’est plus le sang des tau­reaux, des boucs, c’est le propre Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, son Sang divin, qui est répan­du pour nous.

Et nous sommes por­tés à nous deman­der, s’il y a quelque rela­tion entre cette Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ et l’ordre, mes chers amis, que vous allez rece­voir dans quelques ins­tants, l’ordre du Diaconat. Et en effet, il y a des rela­tions intimes et pro­fondes néces­sai­re­ment, puisque vous vous pré­pa­rez au sacer­doce. Le sacer­doce n’étant autre que celui de Notre Seigneur, il est nor­mal que vous appro­chant du sacer­doce, vous vous appro­chiez aus­si de ce grand mys­tère qu’est la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans lequel vous devez entrer vous-​même, entrer dans cette Passion, vous confor­mer à Notre Seigneur Jésus-​Christ sur sa Croix.

Car vous prê­che­rez aus­si comme saint Paul : Jésus et Jésus cru­ci­fié (1 Co, 2,2) . C’est bien ce que dit saint Paul : « Scandale pour les Gentils et scan­dale pour les Juifs. Mais sagesse pour ceux qui croient en Notre Seigneur Jésus-​Christ ». Ce sera donc votre sagesse : la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et dans les paroles que le pon­tife pro­nonce – et va pro­non­cer dans quelques ins­tants à votre sujet – il vous rap­pel­le­ra que ministres de l’Église et suc­ces­seurs des lévites, vous allez entrer dans ce com­bat. Semper in pro­cinc­tu : L’Église est tou­jours entou­rée d’ennemis, est tou­jours dans le com­bat. Non est nobis col­luc­ta­tio adver­sus car­nem et san­gui­nem, sed adver­sus prin­cipes et potes­tates, adver­sus mun­di rec­tores tene­bra­rum harum, contra spi­ri­tua­lia nequi­tiæ in cæles­ti­bus (moni­tion aux ordi­nands) : « Nous n’avons pas à lut­ter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puis­sances, contre les domi­na­teurs de ce monde de ténèbres, les esprits mau­vais répan­dus dans l’air ». Contre les Princes de ce monde qui sont les suc­ces­seurs des Princes des prêtres et des Pharisiens qui ont condam­né Notre Seigneur.

Vous entrez dans ce com­bat. Et parce que vous entrez dans ce com­bat, vous avez par­ti­cu­liè­re­ment besoin du don de force. Et quand l’évêque va impo­ser sa main sur votre tête, il deman­de­ra pour vous, Spiritum ad robur, pour la force. Vous aurez en effet besoin de cette force spi­ri­tuelle, de cette force sur­na­tu­relle pour vous main­te­nir dans ce com­bat. Combat qui est plus actuel que jamais. S’il y a une époque où nous devons com­battre, c’est bien celle-​ci. Satan est déchaî­né, le péché est par­tout. Et hélas, la mort aus­si, mort défi­ni­tive pour beau­coup d’hommes qui ne croient pas, ou ne veulent pas croire en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Alors que de même que dans ce com­bat et dans cette Passion nous voyons que Notre Seigneur est aban­don­né par ses dis­ciples, seule la Vierge Marie demeure au pied de la Croix ; Stabat autem jux­ta cru­cem Jesu mater ejus (Jn 19, 25) : « La mère de Jésus est demeu­rée debout au pied de la Croix », avec saint Jean. Les autres L’ont abandonné.

Eh bien, nous assis­tons à ce spec­tacle de la Passion de l’Église et l’Église est aban­don­née. Oui, l’Église est aban­don­née. Elle est aban­don­née par ceux qui devraient la défendre, par ceux qui devraient pro­cla­mer la royau­té de Notre Seigneur, par ceux qui devraient répandre sa Vérité partout.

Non, comme les Princes des prêtres ils ont pré­fé­ré plaire aux hommes et pour­tant que disent les psaumes ?

Qui homi­ni­bus placent (Ps 52,7). Nous le disons dans les psaumes que nous réci­tons le mer­cre­di : Qui homi­ni­bus placent (…) Deus spre­vit eos confu­si sunt, quo­niam Deus spre­vit eos. Il les méprise, il dis­perse leurs osse­ments, ceux qui plaisent aux hommes au lieu de plaire à Dieu. C’est bien ce que dit saint Paul aus­si : Ita loqui­mur non qua­si homi­ni­bus pla­centes, sed Deo (1 Th 2,4) : Celui qui veut plaire aux hommes ne peut pas plaire à Dieu, non potest. Ils ont pré­fé­ré plaire à César : Nous n’avons pas d’autre roi que César. Eux qui auraient dû recon­naître Notre Seigneur Jésus-​Christ qui était l’objet de leur désir, l’objet de leur attente, de tout ce peuple de Dieu, choi­si pour le Messie : In pro­pria venit, et sui eum non rece­pe­runt (Jn 1,11) : Il est venu dans sa mai­son et ils ne l’ont point reçu. Et c’est encore aujourd’hui dans l’Évangile. Notre Seigneur leur dit : Vos dici­tis quia Deus ves­ter est (Jn 8,54) : Vous dites que vous connais­sez Dieu, qu’il est votre Dieu. Et non cogno­vis­tis eum (Jn 8,55) : Vous ne le connais­sez pas. Ego autem novi eum (Jn 8,55) : Moi, je Le connais Dieu et vous l’appelez votre Dieu.

Eh oui, ils l’appellent leur Dieu et ils ont rai­son. Car c’est Dieu qui leur a ensei­gné Lui-​même ce qu’Il était, à Moïse et par tous les Prophètes, ils se sont atta­chés à Dieu. Et Notre Seigneur leur dit : Vous dites que vous connais­sez Dieu, Neque me sci­tis, neque Patrem meum : si me sci­re­tis ; for­si­tam et Patrem meum sci­re­tis (Jn 8,19) : Vous ne Le connais­sez pas. Parce que si vous Le connais­siez, vous me connaî­triez aus­si et vous me reniez.

Paroles ter­ribles pour ce peuple qui aurait dû recon­naître Dieu dans ce Messie, dans Notre Seigneur Jésus-Christ.

Eh bien, nous en sommes là aujourd’hui aus­si. On ne veut plus recon­naître Dieu dans la Sainte Église. On pré­fère plaire aux hommes, plu­tôt que de plaire à Dieu, que de pro­cla­mer la Vérité de l’Église, sa Vérité éter­nelle, sa sain­te­té, sa royau­té. On pré­fère plaire aux pro­tes­tants, plaire aux com­mu­nistes, plaire aux hommes.

Alors vous, mes chers amis, pré­pa­rés au com­bat, rece­vant la grâce de la force, vous res­te­rez aus­si près de l’Église, avec l’Église, dans l’Église, dans sa Passion, vous serez là pour pro­cla­mer sa Vérité, pour pro­cla­mer sa sain­te­té, pour pro­cla­mer son apos­to­li­ci­té et son uni­té. Et vous ne plai­rez pas aux hommes ; vous serez per­sé­cu­tés parce que vous ne vou­lez pas plaire aux hommes et que vous vou­lez plaire à Dieu. Attendez-​vous aux per­sé­cu­tions, comme Notre Seigneur Jésus-​Christ. Vous êtes les dis­ciples et les dis­ciples ne sont pas au-​dessus du Maître.

Attendez-​vous à ces per­sé­cu­tions, comme nous sommes per­sé­cu­té actuel­le­ment. Pourquoi ? Parce que nous vou­lons main­te­nir la Vérité de l’Église. Parce que nous ne sommes pas dis­po­sé à pac­ti­ser – au prix de la Vérité – avec ceux qui n’ont pas la Vérité, pour nous mettre, soi-​disant, à leur niveau. Alors on ver­ra l’Église main­te­nant sur le même plan que ces dieux païens, que ces dieux qui n’en sont pas.

Omnes dei Gentium sunt demo­nia, dit le psal­miste : Les dieux des Gentils sont des démons. Alors on vou­drait mettre l’Église sur le même pied que les démons, sur le même plan, toutes les reli­gions égales, liber­té reli­gieuse, éga­li­té de toutes les reli­gions, liber­té de toutes les religions.

Non ! Nous refu­sons. Nous vou­lons hono­rer l’Église, hono­rer Dieu, hono­rer Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous refu­sons ces titres qui sont uniques, à ceux qui ne sont que des inven­tions du diable.

Alors vous serez ces diacres, cum bea­to Stephano, comme le dit l’oraison, cum sanc­tum Stephanum. Oui, c’est l’exemple que vous donne la Sainte Église : pen­sez à saint Étienne. Saint Étienne n’a pas vou­lu plaire aux hommes. Il a plu à Dieu ; il a subi son mar­tyre en priant pour ses persécuteurs.

Eh bien, vous serez lapi­dés, vous aus­si ; vous serez per­sé­cu­tés, mais vous prie­rez aus­si pour vos per­sé­cu­teurs. Comme Notre Seigneur l’a fait, comme Il en a don­né l’exemple.

Voilà, mes bien chers amis, quel est le modèle que l’Église vous donne. Et le modèle, encore plus par­fait, c’est celui de Notre-​Dame de la Compassion, la très Sainte Vierge Marie, proche de la Croix, dans le silence de son âme, ado­rant son divin Fils, s’offrant avec Lui pour la rédemp­tion des péchés du monde.

Et vous aus­si, vous vous offri­rez tou­jours de plus en plus, proche de l’autel, vous vous offri­rez avec Notre Seigneur sur sa Croix pour la rédemp­tion du monde.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.