A l’approche du centième anniversaire de son rappel à Dieu, retraçons la carrière de ce bénédictin avant de donner un avant-goût de son ouvrage Le Christ, Vie de l’âme.
Après avoir lu Le Christ, vie de l’âme, Benoît XV adressait à l’auteur une lettre pleine d’éloge. Le pontife y louait Dom Colomba Marmion pour sa « singulière aptitude à exciter et à entretenir dans les cœurs la flamme de la divine charité ». Il soulignait également combien sa « doctrine est capable d’échauffer dans les âmes l’ambition à imiter le Christ et l’ardeur à vivre de Celui qui, “par Dieu même, a été établi notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption” (1 Cor 1, 30) ».
Retraçons à grands traits la carrière de Dom Marmion avant de donner un avant-goût de son ouvrage.
Dom Colomba Marmion
Joseph Louis Marmion voit le jour à Dublin le 1er avril 1858. Son père, William Marmion, est irlandais. Sa mère, Herminie Cordier, est française. Il est le septième de neuf enfants dont trois filles entreront en religion.
Étudiant en théologie à Rome au Collège pontifical de Propaganda Fide, il est ordonné prêtre le 16 juin 1881. Sur le chemin du retour vers Dublin, il fait étape à l’abbaye de Maredsous (près de Namur) pour y saluer un ancien camarade d’étude. L’ambiance monastique qu’il y observe le séduit à ce point qu’il envisage d’interrompre son voyage et de rester au monastère. Rappelé à l’ordre par son évêque, il poursuit son chemin vers sa patrie et son diocèse d’origine.
Vicaire à Dundrum (au sud de Dublin) pendant un an, il est nommé ensuite professeur de philosophie au Holy Cross College, le séminaire diocésain de Dublin. Mi-novembre 1886, il reçoit de son évêque la permission de répondre à sa vocation religieuse.
Accueilli sur place par Dom Placide Wolter (1er abbé de Maredsous), il débute son noviciat sous le nom de frère Colomba. La formation est rude pour ce trentenaire entouré de jeunes gens de vingt ans. Mais peu importe ! Il persévère dans sa voie jusqu’à sa profession solennelle qu’il prononce le 10 février 1891. Remarqué pour ses nombreux talents, Dom Marmion est envoyé par ses supérieurs à Louvain pour y fonder l’abbaye du Mont-César dont il devient le prieur en 1899. Il assume par ailleurs la charge de confesseur du futur cardinal Joseph Mercier, alors archevêque de Malines-Bruxelles.
Dom Hildebrand de Hemptinne (2e abbé de Maredsous) ayant été nommé primat de la Confédération bénédictine par Léon XIII, Dom Marmion est choisi pour lui succéder le 28 septembre 1909. Sa devise abbatiale est tirée de la Règle de saint Benoît : « Plutôt servir que dominer » (ch. 64).
Il donne à ses moines de nombreuses conférences spirituelles centrées sur la personne du Christ. Son secrétaire, Dom Raymond Thibaut, les retranscrit et les ordonne jusqu’à constituer une trilogie que Dom Marmion prend soin de réviser et d’approuver. Le Christ, vie de l’âme, Le Christ en ses mystères et Le Christ, idéal du moine sont publiés respectivement en 1917, 1919 et 1922.
Dom Marmion meurt le 30 janvier 1923 à l’abbaye de Maredsous, victime d’une épidémie de grippe.
Le Christ, vie de l’âme[1]
Dès la préface, l’auteur révèle l’ambition qui est la sienne :
« Atteindre d’abord les âmes croyantes et bonnes, et les rendre meilleures : en élevant l’idéal de celles qui se contentaient du médiocre, en dilatant les ambitions des pusillanimes, en attisant la ferveur chez les tièdes, en inspirant aux ferventes une volonté de sainteté ;
« Puis obtenir de ces vivantes, enrichies d’un supplément de vie, qu’à leur tour elles fassent déborder autour d’elles le Christianisme dont, en elles, le niveau se sera exhaussé et l’énergie accrue ;
« Enfin, grâce à ces pieuses alliées, ces zélées coopératrices, élargir le cercle de l’action et passer résolument à la conquête : en ramenant d’autres âmes de l’indifférence à la pratique, de l’impiété à la religion, de l’incrédulité à la foi, de la mort à la vie. »
Pour ce faire, Dom Marmion procède en deux temps. Il commence par décrire le plan de Dieu et les principaux artisans de sa réalisation (le Christ, l’Église et le Saint-Esprit). Il détaille ensuite le fondement et les deux mouvements fondamentaux de la vie chrétienne.
La première partie de l’ouvrage est toute centrée sur ce passage de l’épître de saint Paul aux Éphésiens :
« C’est dans le Christ que Dieu nous a élus, dès avant la création du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui ; dans son amour, selon le bon plaisir de sa volonté, il nous a prédestinés à être ses fils adoptifs, par Jésus-Christ, à la louange de la magnificence de sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables à ses yeux, en son Fils bien-aimé. » (Eph 1, 4–6)
Le plan divin comprend trois étapes : « Notre prédestination et notre vocation dans le Christ Jésus, notre justification par la grâce qui nous rend enfants de Dieu, notre glorification suprême qui nous assure la vie éternelle ».
Devenus enfants adoptifs du Père par la grâce qui nous vient du Christ, « il faut que nous soyons, par la grâce et nos vertus, tellement identifiés avec le Christ, que le Père, en regardant nos âmes, nous reconnaisse comme ses vrais enfants, y prenne ses complaisances, comme il le faisait en contemplant le Christ Jésus sur terre ».
L’œuvre de notre sanctification résulte de l’action coordonnée du Christ, de l’Église et de l’Esprit-Saint.
Le Christ « est le modèle unique de notre perfection, l’artisan de notre rédemption et le trésor infini de nos grâces, la cause efficiente de notre sanctification ».
« La grâce est, en effet, le principe de cette vie surnaturelle d’enfants de Dieu qui constitue le fond et la substance de toute sainteté. Or cette grâce se rencontre en plénitude dans le Christ, et toutes les œuvres que la grâce nous fait accomplir ont leur exemplaire en Jésus ; ensuite, le Christ nous a mérité cette grâce par les satisfactions de sa vie, de sa passion et de sa mort ; enfin, le Christ produit lui- même cette grâce en nous, par les sacrements et par le contact que nous avons avec lui dans la foi. »
L’Église entretient en nous la vie divine « par sa doctrine, qu’elle garde intacte et intégrale dans une tradition vivante et ininterrompue ; par sa juridiction, en vertu de laquelle elle a autorité pour nous diriger au nom du Christ ; par ses sacrements, où elle nous met à même de puiser aux sources de la grâce que son divin Fondateur a créées ; par son culte, qu’elle organise elle-même pour rendre toute gloire et tout honneur au Christ Jésus et à son Père ».
Le Saint Esprit, « dépose en nous des forces, des “habitudes”’, qui élèvent au niveau divin les puissances et les facultés de notre âme : ce sont les vertus surnaturelles, surtout les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité […], puis les vertus morales infuses qui nous aident dans la lutte contre les obstacles qui s’opposent en nous à la vie divine. Il y a enfin les dons… ».
Le plan divin et les agents de sa réalisation étant connus, encore faut-il vouloir s’y intégrer :
« Il ne nous servirait que de peu de choses, si nous ne faisions que contempler d’une façon abstraite et théorique ce plan divin, où éclatent la sagesse et la bonté de notre Dieu. Nous devons nous adapter pratiquement à ce plan, sous peine de ne pas faire partie du royaume du Christ. »
Le fondement de l’édifice spirituel —que décrit la deuxième partie de l’ouvrage— est la foi en la divinité de Notre-Seigneur :
« La première attitude de l’âme en face de la révélation qui lui est faite du plan divin de notre adoption en Jésus-Christ est […] la foi. La foi est la racine de toute justification et le principe de la vie chrétienne. Elle s’attache, comme à son objet primordial, à la divinité de Jésus envoyé par le Père éternel pour opérer notre salut. […] De cet objet capital, elle rayonne sur tout ce qui touche au Christ : les sacrements, l’Église, les âmes, la révélation entière… »
« Par la foi en la divinité de Jésus-Christ, nous nous identifions avec lui ; nous l’acceptons tel qu’il est, Fils de Dieu et Verbe incarné ; la foi nous livre au Christ ; et le Christ, nous introduisant dans le domaine surnaturel, nous livre à son Père. »
A celui qui croit, Jésus-Christ demande en outre de recevoir le baptême (Mc 16,16). « Le baptême est le sacrement de l’adoption divine et de l’initiation chrétienne ». Or, selon saint Paul, « le baptême représente la mort et la résurrection du Christ Jésus, et il reproduit ce qu’il représente : il nous fait mourir au péché, il nous donne de vivre en Jésus-Christ ».
« La vie chrétienne n’est autre chose que le développement progressif et continu, l’application pratique, à travers toute notre existence, du double acte initial posé au baptême, du double résultat surnaturel de “mort” et de “vie” produit par ce sacrement ; c’est là tout le programme du Christianisme ».
Mourir au péché signifie « affaiblir en nous, dans la plus grande mesure du possible, l’action de la concupiscence ; c’est à ce prix que la vie divine s’épanouira dans notre âme, et cela dans le degré même où nous renoncerons au péché, aux habitudes du péché et à ses attaches. Un des moyens de parvenir à cette nécessaire destruction du péché est d’en avoir la haine : on ne fait point de pacte avec un ennemi que l’on hait ».
Face à l’hydre du péché sans cesse renaissante, seule la pratique régulière de la pénitence comme vertu et comme sacrement peut consolider l’œuvre de sanctification initiée lors du baptême : « Plus l’âme, par la mortification et le détachement, se libère du péché et se vide d’elle-même et de la créature, plus l’action divine est puissante en elle ».
Vivre en Jésus-Christ signifie « que la vie surnaturelle doit se maintenir en nous par des actes humains, animés par la grâce sanctifiante et rapportés à Dieu par la charité ». « Sans rien changer de ce qui est essentiel à notre nature, de ce qu’il y a de bon dans notre individualité, de ce qui est requis par notre état de vie particulier, nous devons vivre de la grâce du Christ, rapportant, par la charité, toute notre activité à la gloire de son Père. »
En effet, si « par la grâce, nous sommes enfants de Dieu ; par les vertus surnaturelles infuses, nous pouvons agir en enfants de Dieu, produire des actes qui sont dignes de notre fin surnaturelle ». « Avec la croissance de la grâce, de la charité et des autres vertus, les traits du Christ se reproduisent en nous avec plus de fidélité, pour la gloire de Dieu et la joie de notre âme. »
Les moyens de la croissance spirituelle « se ramènent principalement à la prière et à la réception du sacrement de l’Eucharistie ».
Par l’Eucharistie, « Notre Seigneur se rend présent sur l’autel, non seulement pour donner à son Père, par une immolation mystique qui renouvelle l’oblation du Calvaire, un hommage parfait, mais encore pour se faire, sous les espèces sacramentelles, la nourriture de nos âmes ».
Par sa prière publique, l’Église « participe […] à la religion du Christ envers son Père pour continuer ici-bas les hommages de louange que le Christ, dans sa sainte humanité, offrait à son Père ». Pour chacun d’entre nous, « l’oraison est un des moyens les plus nécessaires pour réaliser ici-bas notre union à Dieu et notre imitation du Christ Jésus ».
Pour conclure, Dom Marmion insiste sur l’importance de la charité fraternelle qui « doit être le rayonnement de notre amour pour Dieu », sur la dévotion envers la sainte Vierge qui « ne nous séparera pas de Jésus, son Fils, notre chef » et sur la gloire du ciel qui est « le terme final de notre prédestination, la consommation de notre adoption, le complément suprême de notre perfection, la plénitude de notre vie ».
Source : La couronne de Marie n° 116
- Toutes les citations sans références sont tirées du Christ, vie de l’âme que le lecteur est fortement invité à se procurer, à lire et à méditer dans son intégralité.[↩]