Dom Marmion, maître de vie spirituelle

A l’ap­proche du cen­tième anni­ver­saire de son rap­pel à Dieu, retra­çons la car­rière de ce béné­dic­tin avant de don­ner un avant-​goût de son ouvrage Le Christ, Vie de l’âme.

Après avoir lu Le Christ, vie de l’âme, Benoît XV adres­sait à l’auteur une lettre pleine d’éloge. Le pon­tife y louait Dom Colomba Marmion pour sa « sin­gu­lière apti­tude à exci­ter et à entre­te­nir dans les cœurs la flamme de la divine cha­ri­té ». Il sou­li­gnait éga­le­ment com­bien sa « doc­trine est capable d’échauffer dans les âmes l’ambition à imi­ter le Christ et l’ardeur à vivre de Celui qui, “par Dieu même, a été éta­bli notre sagesse, notre jus­tice, notre sanc­ti­fi­ca­tion et notre rédemp­tion” (1 Cor 1, 30) ».

Retraçons à grands traits la car­rière de Dom Marmion avant de don­ner un avant-​goût de son ouvrage.

Dom Colomba Marmion

Don Marmion (1858–1923)

Joseph Louis Marmion voit le jour à Dublin le 1er avril 1858. Son père, William Marmion, est irlan­dais. Sa mère, Herminie Cordier, est fran­çaise. Il est le sep­tième de neuf enfants dont trois filles entre­ront en religion.

Étudiant en théo­lo­gie à Rome au Collège pon­ti­fi­cal de Propaganda Fide, il est ordon­né prêtre le 16 juin 1881. Sur le che­min du retour vers Dublin, il fait étape à l’abbaye de Maredsous (près de Namur) pour y saluer un ancien cama­rade d’étude. L’ambiance monas­tique qu’il y observe le séduit à ce point qu’il envi­sage d’interrompre son voyage et de res­ter au monas­tère. Rappelé à l’ordre par son évêque, il pour­suit son che­min vers sa patrie et son dio­cèse d’origine.

Vicaire à Dundrum (au sud de Dublin) pen­dant un an, il est nom­mé ensuite pro­fes­seur de phi­lo­so­phie au Holy Cross College, le sémi­naire dio­cé­sain de Dublin. Mi-​novembre 1886, il reçoit de son évêque la per­mis­sion de répondre à sa voca­tion religieuse.

Accueilli sur place par Dom Placide Wolter (1er abbé de Maredsous), il débute son novi­ciat sous le nom de frère Colomba. La for­ma­tion est rude pour ce tren­te­naire entou­ré de jeunes gens de vingt ans. Mais peu importe ! Il per­sé­vère dans sa voie jusqu’à sa pro­fes­sion solen­nelle qu’il pro­nonce le 10 février 1891. Remarqué pour ses nom­breux talents, Dom Marmion est envoyé par ses supé­rieurs à Louvain pour y fon­der l’abbaye du Mont-​César dont il devient le prieur en 1899. Il assume par ailleurs la charge de confes­seur du futur car­di­nal Joseph Mercier, alors arche­vêque de Malines-Bruxelles.

Dom Hildebrand de Hemptinne (2e abbé de Maredsous) ayant été nom­mé pri­mat de la Confédération béné­dic­tine par Léon XIII, Dom Marmion est choi­si pour lui suc­cé­der le 28 sep­tembre 1909. Sa devise abba­tiale est tirée de la Règle de saint Benoît : « Plutôt ser­vir que domi­ner » (ch. 64).

Il donne à ses moines de nom­breuses confé­rences spi­ri­tuelles cen­trées sur la per­sonne du Christ. Son secré­taire, Dom Raymond Thibaut, les retrans­crit et les ordonne jusqu’à consti­tuer une tri­lo­gie que Dom Marmion prend soin de révi­ser et d’approuver. Le Christ, vie de l’âme, Le Christ en ses mys­tères et Le Christ, idéal du moine sont publiés res­pec­ti­ve­ment en 1917, 1919 et 1922.

Dom Marmion meurt le 30 jan­vier 1923 à l’abbaye de Maredsous, vic­time d’une épi­dé­mie de grippe.

Le Christ, vie de l’âme[1]

Dès la pré­face, l’auteur révèle l’ambition qui est la sienne :

« Atteindre d’abord les âmes croyantes et bonnes, et les rendre meilleures : en éle­vant l’idéal de celles qui se conten­taient du médiocre, en dila­tant les ambi­tions des pusil­la­nimes, en atti­sant la fer­veur chez les tièdes, en ins­pi­rant aux fer­ventes une volon­té de sainteté ;

« Puis obte­nir de ces vivantes, enri­chies d’un sup­plé­ment de vie, qu’à leur tour elles fassent débor­der autour d’elles le Christianisme dont, en elles, le niveau se sera exhaus­sé et l’énergie accrue ;

« Enfin, grâce à ces pieuses alliées, ces zélées coopé­ra­trices, élar­gir le cercle de l’action et pas­ser réso­lu­ment à la conquête : en rame­nant d’autres âmes de l’indifférence à la pra­tique, de l’impiété à la reli­gion, de l’incrédulité à la foi, de la mort à la vie. »

Pour ce faire, Dom Marmion pro­cède en deux temps. Il com­mence par décrire le plan de Dieu et les prin­ci­paux arti­sans de sa réa­li­sa­tion (le Christ, l’Église et le Saint-​Esprit). Il détaille ensuite le fon­de­ment et les deux mou­ve­ments fon­da­men­taux de la vie chrétienne.

La pre­mière par­tie de l’ouvrage est toute cen­trée sur ce pas­sage de l’épître de saint Paul aux Éphésiens :

« C’est dans le Christ que Dieu nous a élus, dès avant la créa­tion du monde, pour que nous soyons saints et irré­pré­hen­sibles devant lui ; dans son amour, selon le bon plai­sir de sa volon­té, il nous a pré­des­ti­nés à être ses fils adop­tifs, par Jésus-​Christ, à la louange de la magni­fi­cence de sa grâce, par laquelle il nous a ren­dus agréables à ses yeux, en son Fils bien-​aimé. » (Eph 1, 4–6)

Le plan divin com­prend trois étapes : « Notre pré­des­ti­na­tion et notre voca­tion dans le Christ Jésus, notre jus­ti­fi­ca­tion par la grâce qui nous rend enfants de Dieu, notre glo­ri­fi­ca­tion suprême qui nous assure la vie éternelle ».

Devenus enfants adop­tifs du Père par la grâce qui nous vient du Christ, « il faut que nous soyons, par la grâce et nos ver­tus, tel­le­ment iden­ti­fiés avec le Christ, que le Père, en regar­dant nos âmes, nous recon­naisse comme ses vrais enfants, y prenne ses com­plai­sances, comme il le fai­sait en contem­plant le Christ Jésus sur terre ».

L’œuvre de notre sanc­ti­fi­ca­tion résulte de l’action coor­don­née du Christ, de l’Église et de l’Esprit-Saint.

Le Christ « est le modèle unique de notre per­fec­tion, l’artisan de notre rédemp­tion et le tré­sor infi­ni de nos grâces, la cause effi­ciente de notre sanctification ».

« La grâce est, en effet, le prin­cipe de cette vie sur­na­tu­relle d’enfants de Dieu qui consti­tue le fond et la sub­stance de toute sain­te­té. Or cette grâce se ren­contre en plé­ni­tude dans le Christ, et toutes les œuvres que la grâce nous fait accom­plir ont leur exem­plaire en Jésus ; ensuite, le Christ nous a méri­té cette grâce par les satis­fac­tions de sa vie, de sa pas­sion et de sa mort ; enfin, le Christ pro­duit lui- même cette grâce en nous, par les sacre­ments et par le contact que nous avons avec lui dans la foi. »

L’Église entre­tient en nous la vie divine « par sa doc­trine, qu’elle garde intacte et inté­grale dans une tra­di­tion vivante et inin­ter­rom­pue ; par sa juri­dic­tion, en ver­tu de laquelle elle a auto­ri­té pour nous diri­ger au nom du Christ ; par ses sacre­ments, où elle nous met à même de pui­ser aux sources de la grâce que son divin Fondateur a créées ; par son culte, qu’elle orga­nise elle-​même pour rendre toute gloire et tout hon­neur au Christ Jésus et à son Père ».

Le Saint Esprit, « dépose en nous des forces, des “habi­tudes”’, qui élèvent au niveau divin les puis­sances et les facul­tés de notre âme : ce sont les ver­tus sur­na­tu­relles, sur­tout les ver­tus théo­lo­gales de foi, d’espérance et de cha­ri­té […], puis les ver­tus morales infuses qui nous aident dans la lutte contre les obs­tacles qui s’opposent en nous à la vie divine. Il y a enfin les dons… ».

Le plan divin et les agents de sa réa­li­sa­tion étant connus, encore faut-​il vou­loir s’y intégrer :

« Il ne nous ser­vi­rait que de peu de choses, si nous ne fai­sions que contem­pler d’une façon abs­traite et théo­rique ce plan divin, où éclatent la sagesse et la bon­té de notre Dieu. Nous devons nous adap­ter pra­ti­que­ment à ce plan, sous peine de ne pas faire par­tie du royaume du Christ. »

Le fon­de­ment de l’édifice spi­ri­tuel —que décrit la deuxième par­tie de l’ouvrage— est la foi en la divi­ni­té de Notre-Seigneur :

« La pre­mière atti­tude de l’âme en face de la révé­la­tion qui lui est faite du plan divin de notre adop­tion en Jésus-​Christ est […] la foi. La foi est la racine de toute jus­ti­fi­ca­tion et le prin­cipe de la vie chré­tienne. Elle s’attache, comme à son objet pri­mor­dial, à la divi­ni­té de Jésus envoyé par le Père éter­nel pour opé­rer notre salut. […] De cet objet capi­tal, elle rayonne sur tout ce qui touche au Christ : les sacre­ments, l’Église, les âmes, la révé­la­tion entière… »

« Par la foi en la divi­ni­té de Jésus-​Christ, nous nous iden­ti­fions avec lui ; nous l’acceptons tel qu’il est, Fils de Dieu et Verbe incar­né ; la foi nous livre au Christ ; et le Christ, nous intro­dui­sant dans le domaine sur­na­tu­rel, nous livre à son Père. »

A celui qui croit, Jésus-​Christ demande en outre de rece­voir le bap­tême (Mc 16,16). « Le bap­tême est le sacre­ment de l’adoption divine et de l’initiation chré­tienne ». Or, selon saint Paul, « le bap­tême repré­sente la mort et la résur­rec­tion du Christ Jésus, et il repro­duit ce qu’il repré­sente : il nous fait mou­rir au péché, il nous donne de vivre en Jésus-Christ ».

« La vie chré­tienne n’est autre chose que le déve­lop­pe­ment pro­gres­sif et conti­nu, l’application pra­tique, à tra­vers toute notre exis­tence, du double acte ini­tial posé au bap­tême, du double résul­tat sur­na­tu­rel de “mort” et de “vie” pro­duit par ce sacre­ment ; c’est là tout le pro­gramme du Christianisme ».

Mourir au péché signi­fie « affai­blir en nous, dans la plus grande mesure du pos­sible, l’action de la concu­pis­cence ; c’est à ce prix que la vie divine s’épanouira dans notre âme, et cela dans le degré même où nous renon­ce­rons au péché, aux habi­tudes du péché et à ses attaches. Un des moyens de par­ve­nir à cette néces­saire des­truc­tion du péché est d’en avoir la haine : on ne fait point de pacte avec un enne­mi que l’on hait ».

Face à l’hydre du péché sans cesse renais­sante, seule la pra­tique régu­lière de la péni­tence comme ver­tu et comme sacre­ment peut conso­li­der l’œuvre de sanc­ti­fi­ca­tion ini­tiée lors du bap­tême : « Plus l’âme, par la mor­ti­fi­ca­tion et le déta­che­ment, se libère du péché et se vide d’elle-même et de la créa­ture, plus l’action divine est puis­sante en elle ».

Vivre en Jésus-​Christ signi­fie « que la vie sur­na­tu­relle doit se main­te­nir en nous par des actes humains, ani­més par la grâce sanc­ti­fiante et rap­por­tés à Dieu par la cha­ri­té ». « Sans rien chan­ger de ce qui est essen­tiel à notre nature, de ce qu’il y a de bon dans notre indi­vi­dua­li­té, de ce qui est requis par notre état de vie par­ti­cu­lier, nous devons vivre de la grâce du Christ, rap­por­tant, par la cha­ri­té, toute notre acti­vi­té à la gloire de son Père. »

En effet, si « par la grâce, nous sommes enfants de Dieu ; par les ver­tus sur­na­tu­relles infuses, nous pou­vons agir en enfants de Dieu, pro­duire des actes qui sont dignes de notre fin sur­na­tu­relle ». « Avec la crois­sance de la grâce, de la cha­ri­té et des autres ver­tus, les traits du Christ se repro­duisent en nous avec plus de fidé­li­té, pour la gloire de Dieu et la joie de notre âme. »

Les moyens de la crois­sance spi­ri­tuelle « se ramènent prin­ci­pa­le­ment à la prière et à la récep­tion du sacre­ment de l’Eucharistie ».

Par l’Eucharistie, « Notre Seigneur se rend pré­sent sur l’autel, non seule­ment pour don­ner à son Père, par une immo­la­tion mys­tique qui renou­velle l’oblation du Calvaire, un hom­mage par­fait, mais encore pour se faire, sous les espèces sacra­men­telles, la nour­ri­ture de nos âmes ».

Par sa prière publique, l’Église « par­ti­cipe […] à la reli­gion du Christ envers son Père pour conti­nuer ici-​bas les hom­mages de louange que le Christ, dans sa sainte huma­ni­té, offrait à son Père ». Pour cha­cun d’entre nous, « l’oraison est un des moyens les plus néces­saires pour réa­li­ser ici-​bas notre union à Dieu et notre imi­ta­tion du Christ Jésus ».

Pour conclure, Dom Marmion insiste sur l’importance de la cha­ri­té fra­ter­nelle qui « doit être le rayon­ne­ment de notre amour pour Dieu », sur la dévo­tion envers la sainte Vierge qui « ne nous sépa­re­ra pas de Jésus, son Fils, notre chef » et sur la gloire du ciel qui est « le terme final de notre pré­des­ti­na­tion, la consom­ma­tion de notre adop­tion, le com­plé­ment suprême de notre per­fec­tion, la plé­ni­tude de notre vie ».

Source : La cou­ronne de Marie n° 116

Notes de bas de page
  1. Toutes les cita­tions sans réfé­rences sont tirées du Christ, vie de l’âme que le lec­teur est for­te­ment invi­té à se pro­cu­rer, à lire et à médi­ter dans son inté­gra­li­té.[]