La Maison de Joseph

Sainte Famille. Crédit : Philippe Lissac / Godong

Ce foyer de Nazareth, temple de la paix et de l’a­mour réha­bi­li­té, nous montre la forme la plus épu­rée de l’amour.

Cela a com­men­cé par la Lumière de Dieu dans l’âme de ce grand Patriarche : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie ton épouse, car ce qui est né en elle vient du Saint-​Esprit. Elle enfan­te­ra un fils et tu le nom­me­ras Jésus, car il sau­ve­ra son peuple de tous ses péchés.

Les lumières de Dieu, qu’elles soient don­nées dans le som­meil exta­tique ou dans la veille, illu­minent l’âme jus­qu’au fond, y pro­duisent la cer­ti­tude. La pro­phé­tie d’Isaïe s’é­claire comme un pay­sage obs­cur frap­pé par le soleil.

Sans hési­ter Joseph obéit. Il prend chez lui Marie, don­nant, par là, aux fian­çailles la sanc­tion défi­ni­tive du mariage. Extérieurement sem­blable à tous les autres, le mariage se déroule dans les ruelles de Nazareth. Le cor­tège des jeunes filles vient, à la tom­bée du jour, avec des lampes allu­mées et des branches de myrte, pour prendre Marie à la mai­son de I’Annonciation, et la conduire, cent pas plus loin, à la mai­son de Joseph.

Semblable à celle de Marie, celle-​ci com­prend une grotte dans le cal­caire, avec une lucarne sur le jar­din, ce sera la cel­lule de Marie, un avant-​corps de logis maçon­né, ser­vant de cui­sine et d’a­te­lier. À côté de l’é­ta­bli, une natte où Joseph prend son repos.

Par ce mariage, les généa­lo­gistes Matthieu et Luc s’en sou­vien­dront, Jésus des­cend de David par Joseph. D’ailleurs, les deux époux viennent de la même souche royale.

Ce mariage, consé­cra­tion mutuelle de leur vir­gi­ni­té, était néan­moins néces­saire, pour sau­ver, aux yeux des Nazaréens, qui ignorent le mys­tère de la concep­tion vir­gi­nale, l’hon­neur de la mère et de l’en­fant, pour don­ner un cou­ra­geux pro­tec­teur à ces deux faiblesses.

Admirable figure que celle de ce simple ouvrier à l’âme royale, modèle d’ab­né­ga­tion, de cou­rage silen­cieux. Désormais, rien ne trou­ble­ra la paix, la mutuelle confiance des deux époux. L’épreuve don­na à cette confiance une consé­cra­tion nou­velle. Leur jus­tice en une heure d’obs­cu­ri­té tra­gique, leur a dit… ne jugez pas !

Ne jugez pas ! Joseph n’a pas jugé le silence de Marie. Marie n’a pas jugé les anxié­tés de Joseph. La por­tée d’une telle leçon ! Comme nous avons tort de pas­ser dis­trai­te­ment sur ces inci­dents. Dieu les vou­lut en cette ligne de par­tage des mondes, pour leur don­ner une valeur d’é­ter­ni­té. En ces temps-​là, pour un soup­çon, Hérode avait fait égor­ger sa femme Mariamne. C’était la bar­ba­rie… c’est notre nou­velle bar­ba­rie. La scène que nous venons de médi­ter a façon­né notre civi­li­sa­tion. Nos aïeux la médi­tèrent, et de cette médi­ta­tion naquit une civi­li­sa­tion nou­velle… ne jugez pas !

Qui dira ce que les foyers chré­tiens de nos pères durent de déli­ca­tesses, de patience, de mutuel res­pect à cette scène que les caté­chistes ne man­quaient pas de com­men­ter par ces paroles de Jésus… ne jugez pas et vous ne serez pas jugés !

Ne jugez pas témé­rai­re­ment ! Or c’est presque tou­jours juger témé­rai­re­ment que de se mêler d’ap­pré­cier la por­tée morale des actes d’au­trui. Bien sûr, les faits condam­nables doivent être condam­nés, mais ce ne peut être que le fait d’un juge, qui a la com­pé­tence, l’au­to­ri­té et la connais­sance de ce qu’il juge… trou­vez moi un homme capable de juger le cœur d’un autre homme… il n’y en a qu’un, Il s’ap­pelle Jésus, et II est la Lumière de cette chau­mière de Nazareth. Qui en dehors de celui qui scrute les cœurs et les reins, peut se van­ter de por­ter un juge­ment équi­table sur les consciences ?

Ignorans feci... dira saint Paul par­lant de ses atro­ci­tés à l’é­gard des chré­tiens… Je ne savais pas, j’é­tais de bonne foi… Jésus connais­sait l’i­gno­rance de Saul, bien avant que Paul n’en prenne conscience.

Ne jugez pas… Connaissons-​nous pour nos foyers une meilleure recette que celle-​là ? Joseph était juste. L’Évangile se contente de cet éloge et il suf­fit. Juste, donc sévère pour soi, indul­gent pour autrui, ser­vi­teur de la jus­tice et non pas son maître.

Une paix divine règne en la chau­mière de Nazareth pour y révé­ler l’Amour… L’hiver pales­ti­nien est venu avec ses trombes d’eau qui trans­forment les ruelles en tor­rents. C’est l’heure des douces veillées soli­taires pour les deux époux. Pénétrez dans une de ces mai­son­nettes du vieux Nazareth, en bor­dure du souk, le soir venu, et vous revi­vrez les heures que vécurent là Joseph et Marie. Le char­pen­tier a ran­gé ses ins­tru­ments de tra­vail. Marie a allu­mé sur le bois­seau la lampe d’ar­gile, elle a pré­pa­ré la table. Elle pré­sente à Joseph le vase des ablu­tions, le sert, rem­plit sa coupe, et lui offre le pain qu’il doit bénir et rompre le pre­mier. Tout près, est le ber­ceau brillant façon­né par Joseph, où s’est endor­mi cet enfant merveilleux.

Le regard de Joseph se repose sur cet enfant, son fils. Puis il regarde sa jeune femme en une admi­ra­tion res­pec­tueuse. C’est ain­si qu’il aime son épouse. Elle est belle, ain­si que l’é­pouse des Cantiques, d’une beau­té inef­fable. Parfaite pure­té de l’âme, trans­fi­gu­rant les traits ; lumi­neuse clar­té de l’in­no­cence imma­cu­lée. Et elle aus­si aime cet homme au clair regard. En pas­sant à son doigt l’an­neau d’or, il a vou­lu être le ser­vi­teur des des­seins divins, l’a­mi pater­nel et tendre. Ils sou­rient tous deux à la joie de leur secret : le ciel a visi­té la terre, leur secret est là sous leurs yeux… Ils s’aiment, comme aucun époux n’ai­ma son épouse, comme aucune épouse n’ai­ma son époux.

Autour de ce petit gar­çon, dans le silence de leur ado­ra­tion, ces deux époux réha­bi­litent cette grande chose qu’est l’amour.

L’amour, cette chose divine, puisque Dieu a vou­lu s’ap­pe­ler Amour, CARITAS, l’hu­ma­ni­té l’a traî­né dans la boue. Platon, en son Banquet, s’é­tait essayé à le puri­fier. Il avait soup­çon­né le rôle de la beau­té visible, reflet de l’in­vi­sible, des­ti­née à éveiller en nous l’a­mour de ces plus hautes beau­tés, les âmes et Dieu. Mais, lui aus­si, avait été empor­té dans le tour­billon des Bacchantes. Maintenant on avait oublié jus­qu’au beau rêve. Cette grande chose qu’est l’a­mour, plus grande que la foi et l’es­pé­rance, était deve­nue une fort petite chose, à la por­tée de la plus médiocre huma­ni­té, de l’a­ni­ma­li­té la plus bru­tale. L’amour, ce noble ser­vi­teur, créé par Dieu pour assu­rer la pro­pa­ga­tion de l’es­pèce et son édu­ca­tion, la col­la­bo­ra­tion des âmes, en l’u­ni­té et la péren­ni­té du foyer, créée pour faire entre­voir, au miroir des créa­tures, la beau­té source de toute beau­té, ce royal ser­vi­teur, le paga­nisme l’a mué en tyran des âmes et des corps. Le ser­vi­teur de la vie est deve­nu son fos­soyeur, désa­gré­geant le foyer livré au divorce, tuant l’en­fant à naître, asphyxiant par ses obses­sions et l’es­prit et le cœur.

Ce foyer de Nazareth, temple de la paix et de l’a­mour réha­bi­li­té, nous montre la forme la plus épu­rée de l’a­mour dans la vir­gi­ni­té volon­taire. Cette révé­la­tion a fait naitre la géné­ra­tion des chastes qui renoncent aux joies pro­vi­den­tielles du mariage, non par égoïsme, mais pour un plus grand dévoue­ment à la famille des âmes. Et elle a pareille­ment fait naître cet amour conju­gal, gloire du foyer chré­tien. Amour qui sait ses droits, moins nom­breux que ses devoirs. Car celui qui aime se donne, car le der­nier terme de l’a­mour c’est le sacrifice.

Un tel amour apporte avec lui sa pre­mière récom­pense. Il est invul­né­rable. D’où pour­rait venir sa mort ? De la souf­france ? L’amour est le vrai triomphe des che­veux blancs et de la mort elle-​même. La tombe est son apo­théose, car il unis­sait les âmes plus que les corps, et on n’en­se­ve­lit pas les âmes.

Leçon de Nazareth ! Hélas, nous t’a­vons oubliée et c’est pour­quoi nos familles et nos cités chan­cellent. La famille en ruines, l’en­fant, ce gêneur, est sacri­fié dans son corps ou tout au moins dans son âme… géné­ra­tions de dégé­né­rés à venir, d’a­bou­liques, de détra­qués, glis­sant de la luxure à la cocaïne, de l’a­sile à la prison.

Bénie soit la vision de Nazareth, vision de paix et triomphe dans la vir­gi­ni­té… ici res­plen­dissent la pri­mau­té de l’es­prit et l’im­pé­ris­sable jeunesse !

Source : La part des anges n° 12, jan­vier 2025