25 décembre 1981

Sermon de Mgr Lefebvre de Noël 81

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

La litur­gie de cette fête de la Nativité de Notre Seigneur est si belle, si riche en expres­sions, en sen­ti­ments, qu’on se demande quels sont ceux sur les­quels nous devons médi­ter davan­tage et dont nous devons tirer des leçons, tant ce mys­tère est pro­fond, tant ce mys­tère est extraordinaire.

Mais si l’Église chaque année, nous demande de nous retrou­ver auprès de la Crèche de Notre Seigneur et de médi­ter les ensei­gne­ments de cette crèche, c’est par­ti­cu­liè­re­ment pour notre édi­fi­ca­tion, notre bien spi­ri­tuel, notre bien surnaturel.

Nous sommes in via, nous sommes dans la voie, vers l’éternité, et nous avons besoin au cours de ce pèle­ri­nage de ravi­ver notre foi, de ravi­ver nos réso­lu­tions de se déta­cher de ce monde et d’augmenter tou­jours notre amour pour Dieu, pour les âmes, pour le prochain.

Les trois messes que l’Église nous demande de célé­brer aujourd’hui, expriment cha­cune une véri­té par­ti­cu­lière, une véri­té spé­ciale. Dans la messe de la nuit, c’est sur­tout la géné­ra­tion éter­nelle de Notre Seigneur que l’Église nous demande de médi­ter : Hodie ego genui te Hodie, c’est-à-dire, cet aujourd’hui qui est éter­nel, cet aujourd’hui qui est tou­jours un aujourd’hui : hodie ego genui te. Oui, la géné­ra­tion du Verbe n’a pas com­men­cé. Elle a tou­jours été. C’est ain­si dans la Sainte Trinité depuis toujours.

La messe de l’aurore nous demande sur­tout de médi­ter la nais­sance de Jésus en nous, notre sanc­ti­fi­ca­tion. Jésus en effet est né en nous par la grâce du bap­tême et sa divi­ni­té et son huma­ni­té nous sont tou­jours plus proches, par les sacre­ments que nous rece­vons, par les efforts que nous fai­sons pour être tou­jours davan­tage unis à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et la troi­sième messe, celle du jour, dont nous venons d’entendre déjà les textes, en par­ti­cu­lier celui de l’Évangile, nous montrent que c’est la géné­ra­tion tem­po­relle de Notre Seigneur que nous médi­tons et que nous admi­rons et que nous véné­rons au cours de cette messe. Il y a quelques ins­tants nous nous sommes age­nouillés aux paroles : Et Verbum caro fac­tum est : « Et le Verbe s’est fait chair ». Et le Verbe a habi­té par­mi nous. Et nous le réci­tons si sou­vent, lorsque nous avons soin de dire cette belle parole de l’Angélus : Et Verbum caro fac­tum est.

Oui il nous est bon de contem­pler cette véri­té extra­or­di­naire, incroyable, inima­gi­nable, que Dieu se soit fait l’un d’entre nous.

Et alors, nous allons insis­ter par­ti­cu­liè­re­ment sur les dis­po­si­tions qui nous sont néces­saires pour bien pro­fi­ter de ce grand mys­tère, de cette belle jour­née de Noël. Il me semble que l’on peut insis­ter par­ti­cu­liè­re­ment sur trois dis­po­si­tions par­ti­cu­lières qui sont celles d’ailleurs que nous remar­quons chez ceux qui se sont appro­ché de Jésus, qui ont été par une grâce par­ti­cu­lière, choi­sis et appe­lés auprès de Jésus dans la Crèche.

La pre­mière dis­po­si­tion, c’est celle du renon­ce­ment. Par un des­sein tout par­ti­cu­lier de la Providence, Notre Seigneur Lui-​même a vou­lu naître dans une étable, dans une crèche, nous mon­trant par­ti­cu­liè­re­ment que nous devons savoir renon­cer aux choses de ce monde. Si Lui, le Créateur de toutes choses. Lui qui tient le monde dans ses mains, Lui qui a tout créé. Lui qui aurait pu naître dans un palais comme nul autre prince de ce monde n’aurait connu. Il a pré­fé­ré nous don­ner cette leçon du renon­ce­ment, de la pau­vre­té, nous mon­trant par le fait même, com­bien les choses spi­ri­tuelles sont infi­ni­ment supé­rieures aux choses maté­rielles, que nous devons mépri­ser ces choses maté­rielles au pro­fit des choses spirituelles.

Et nous voyons éga­le­ment que si Notre Seigneur a vou­lu naître dans une crèche et dans une sorte d’exil, loin de la mai­son de Marie et de Joseph, loin de Nazareth, Il a vou­lu aus­si appe­ler ceux qui l’entouraient et les déta­cher en quelque sorte de leur famille, de leurs biens, de leur mai­son. Marie et Joseph ont été réduits à héber­ger Jésus dans une crèche. Alors que Marie est la Mère de Dieu ; alors que Joseph est le gar­dien de Marie et de Jésus. Eux aus­si ont dû pra­ti­quer le renon­ce­ment, le déta­che­ment. Sans doute s’ils avaient été à Nazareth, avec quel soin ils auraient pré­pa­ré la venue de Jésus. Ils auraient eu les moyens de Le rece­voir d’une manière plus digne.

Mais non, il a fal­lu que Jésus choi­sisse cet endroit, pour deman­der à Marie et Joseph aus­si, de renon­cer aux biens de ce monde.

Et puis, quand Il a appe­lé les ber­gers, les ber­gers se trou­vaient à une cer­taine dis­tance de Bethléem. Allons à Bethléem, disent-​il. Ils sont donc à une cer­taine dis­tance. Jésus leur demande de quit­ter leurs trou­peaux. Sans doute ils ont confié la majeure par­tie de leurs trou­peaux à quelques per­sonnes qui sont res­tées sur place. Et eux ils s’en sont allés. Ils ont quit­té ce à quoi ils étaient atta­chés, pour se rendre auprès de Jésus, auprès de Notre Seigneur, mon­trant ain­si que si l’on veut trou­ver Notre Seigneur, il faut savoir aban­don­ner ce à quoi nous sommes attachés.

Et il en est de même pour les Rois Mages. Les Rois Mages ont dû aus­si quit­ter leur pays, quit­ter leurs mai­sons, quit­ter leurs habi­ta­tions. Traverser sans doute le désert et pen­dant de longues jour­nées se rendre auprès de Jésus à Bethléem.

Et ils L’ont recon­nu et ils L’ont ado­ré. Voyez com­bien, pour trou­ver Jésus, pour aimer Jésus, il faut savoir se déta­cher. Abnegantes impie­ta­tem et sæcu­la­ria desi­de­rias, sobrie, et juste et pie viva­mus, in hoc sæcu­lo (Tt 2,12). C’est ce que dit saint Paul dans l’Épître de la messe d’aujourd’hui : Sachons vivre sobre­ment, pieu­se­ment et sain­te­ment, aban­don­nant tous les dési­rs de ce monde.

Alors que ce soit là aus­si nos dis­po­si­tions. Pour vous, mes chers amis, le Bon Dieu vous a deman­dé la même chose. Vous avez dû quit­ter vos familles ; vous avez dû quit­ter les vôtres. Vous l’avez fait géné­reu­se­ment. Mais que votre cœur soit aus­si déta­ché. Il ne suf­fit pas d’être déta­ché maté­riel­le­ment, phy­si­que­ment des siens, des richesses de ce monde, des biens de ce monde, encore faut-​il être déta­ché inté­rieu­re­ment dans nos âmes. Alors, c’est ce que vous vous effor­cez de faire, ici, dans ce sémi­naire, de vous déta­cher de tout, de vous-​même, de vos propres pen­sées, de vos propres amours, de vos mau­vaises ten­dances, pour être tout entier à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Quelle belle leçon vous donne la Crèche !

Quant à vous, mes bien chers frères, vous qui vous trou­vez dans le monde, sans être du monde – car vous n’en êtes point du monde étant bap­ti­sés – vous êtes les fils de Notre Seigneur Jésus-​Christ, membres du Corps mys­tique de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Alors vous aus­si, bien que vous ayez à user des biens de ce monde, soyez-​en déta­chés. N’y met­tez pas votre cœur ; n’y met­tez pas toute votre âme, mais employez-​les selon la volon­té de Dieu, étant déta­chés de tous ces biens.

Et puis, le deuxième sen­ti­ment qui doit nous pré­pa­rer à rece­voir Jésus d’une manière toute par­ti­cu­lière, d’une manière pro­fonde et réelle, c’est la foi.

Jésus demande la foi. Aujourd’hui, hélas, les crèches dis­pa­raissent parce que ces choses sont, paraît-​il, un genre de folk­lore, inutile, qui date du Moyen Âge et qu’il faut désor­mais aban­don­ner. Mais on a bien tort. Car cette foi toute simple que Jésus nous demande. Lui, est la foi qui sauve. C’est par la foi que nous sommes sauvés.

Et Jésus se pré­sente pré­ci­sé­ment sous des aspects qui demandent notre foi. Il aurait pu se mani­fes­ter comme Dieu. Et alors nous n’aurions pas eu besoin d’avoir la foi. Nous aurions vu Dieu. Il ne l’a pas vou­lu. Il a vou­lu se cacher sous cette humble appa­rence, cette réa­li­té d’un corps humain et d’une enfant qui plus est. Il aurait pu venir, des­cendre du Ciel, adulte déjà. Non Il a vou­lu se pré­sen­ter comme un enfant.

Alors, pour­quoi les Rois Mages, après avoir fait un si long voyage, venant voir le Roi d’Israël, n’ont pas été rebu­tés et ne se sont pas dit : Mais ce n’est pas pos­sible, ce n’est pas cela le Roi d’Israël, on nous trompe et s’en seraient retour­nés chez eux.

Non, ils ont eu la foi. Et les ber­gers de même. Eux aus­si ont eu la foi en Notre Seigneur ; ils L’ont ado­ré. Et la Vierge Marie et saint Joseph, ont eu aus­si la foi. Et pour­tant, ils auraient pu éga­le­ment se dire : Mais ce n’est pas pos­sible que Jésus naisse dans une crèche. Ce n’est pas pos­sible que le Fils de Dieu vienne dans une demeure aus­si pauvre, aus­si misé­rable. Ils auraient pu hési­ter dans leur foi. Non, aucune hési­ta­tion, ni pour Marie, ni pour Joseph. Eux étaient déjà des spi­ri­tuels ; eux com­pre­naient que les choses de ce monde ne sont rien.

Alors, nous aus­si, nous devons avoir la foi ; nous devons exci­ter notre foi et nous devons croire que Jésus est le Fils de Dieu, même s’il appa­raît sous une forme humaine, si pauvre, si dénué, si faible. Il en est de même pour nous tous les jours, lorsque nous rece­vons la Sainte Eucharistie. Là aus­si le Bon Dieu nous demande (d’avoir) la foi. Et la foi. Il nous la demande en une chose invrai­sem­blable. Que Jésus, que Dieu, le Fils de Dieu soit pré­sent dans la Sainte Eucharistie, dans ce petit mor­ceau de pain ; que le pain dis­pa­raisse, qu’il n’y ait plus que les appa­rences du pain et que Jésus en prenne la place : chose invraisemblable !

Et pré­ci­sé­ment, c’est sous ces appa­rences de fai­blesse, mais qui révèlent un amour infi­ni de Notre Seigneur pour nous, que nous devons exci­ter notre foi et que Jésus nous demande, de notre part, de croire, croire à sa Présence dans son huma­ni­té, croire à sa Présence dans la Sainte Eucharistie.

Oh oui, la Crèche nous aide à mieux com­prendre la gran­deur de Dieu, par le mépris des choses de ce monde. Plus le Bon Dieu se serait mon­tré sous des appa­rences maté­rielles, sédui­santes, remar­quables, plus notre foi en sa divi­ni­té aurait dimi­nué. Il nous serait appa­ru comme un homme comme les autres.

Et enfin, troi­sième dis­po­si­tion qui doit nous faire appro­cher de Jésus, qui doit nous faire L’aimer, c’est pré­ci­sé­ment la cha­ri­té. Oui, Jésus est venu à Bethléem dans cette crèche, est né dans ce dénue­ment, dans cette pau­vre­té, par amour. Par amour pour Dieu d’abord, par amour pour son Père. Il a vou­lu réta­blir la gloire de son Père.

Mais com­ment réta­blir la gloire de son Père, sous des aspects si pauvres, si faibles ? Oui, la gloire de Dieu a été réta­blie par Jésus-​Christ. Et les anges l’ont chan­té : Gloria in excel­sis Deo : Gloire à Dieu. Et nous aus­si nous devons par consé­quent nous appro­cher de Jésus avec amour et Lui deman­der de par­ti­ci­per à son amour pour son Père. Tout en Jésus rap­pelle sa divi­ni­té et son Père. Il est tout entier ten­du vers l’amour de son Père. Il est venu pour réa­li­ser sa volon­té : Ecce venio (…) ut faci­mam, Deus, volun­ta­tem tuam (He 10,7) : « Voici que je viens, pour réa­li­ser votre volon­té ». Donc, c’est par amour pour son Père, que Jésus est venu et aus­si par amour pour nous.

S’il a vou­lu se faire homme ; c’est pour nous déli­vrer de nos péchés. Toute la litur­gie nous l’enseigne. Alors, que cet amour de Notre Seigneur Jésus-​Christ excite aus­si en nous, un amour pro­fond pour Lui et que nous pre­nions aujourd’hui des réso­lu­tions tou­jours plus fortes, tou­jours plus effi­caces, d’aimer Dieu par-​dessus tout ; d’aimer Notre Seigneur Jésus-​Christ par-​dessus tout ; de vou­loir son règne, son règne en nous, son règne dans nos familles, son règne dans nos cités, son règne sur le monde entier, en atten­dant qu’il vienne sur les nuées du Ciel pour mon­trer son règne.

Cette fois. Il vien­dra dans la splen­deur de sa divi­ni­té et mani­fes­te­ra sa divi­ni­té en toute créa­ture. Alors fai­sons en sorte, que le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ avance en nous et par­mi nous.

Et je ne pour­rai pas ter­mi­ner ces quelques mots, sans évo­quer la situa­tion de nos frères de Pologne. Sans doute aus­si, en Pologne, dans les familles, mal­gré la per­sé­cu­tion, mal­gré l’esclavage qu’ils subissent, escla­vage qui est ani­mé par des sen­ti­ments qui ani­maient Hérode – Hérode était pos­sé­dé du démon – c’est le démon qui en Hérode trem­blait de voir ce petit enfant naître à Bethléem et a vou­lu pous­ser Hérode à mas­sa­crer tous les enfants afin de faire dis­pa­raître ce Roi ; mais Dieu L’a fait échap­per de ses mains ; eh bien il en est de même en Pologne.

On veut faire dis­pa­raître Notre Seigneur des cœurs de ces Polonais, par tous les moyens. Et peut-​être la per­sé­cu­tion sévi­ra davan­tage contre l’Église, contre les prêtres, afin de faire dis­pa­raître l’adoration et la sou­mis­sion à la volon­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car ces com­mu­nistes sont athées par prin­cipe et radi­ca­le­ment ; ils luttent contre Dieu. Ils sont vrai­ment exer­cés à lut­ter contre Dieu. Alors prions d’une manière toute spé­ciale pour nos chers frères dans la foi, qui souffrent aujourd’hui.

Demandons à Jésus de leur don­ner le cou­rage de sup­por­ter les dou­leurs et les souf­frances en union avec son Sacrifice. Et que, s’ils sont dans le dénue­ment, eh bien qu’ils par­tagent le dénue­ment de Notre Seigneur pour par­ta­ger son amour, pour par­ta­ger ses grâces ; qu’ils pensent à cela, afin que cette per­sé­cu­tion et ces souf­frances soient pour eux non pas une occa­sion de révolte contre Dieu, une révolte contre la Providence, mais au contraire une sou­mis­sion douce, pai­sible, à. la volon­té de Dieu, tout en résis­tant aux oppres­seurs, tout en résis­tant à ceux qui per­sé­cutent Notre Seigneur.

Alors nous prie­rons, n’est-ce pas, d’une manière toute par­ti­cu­lière aujourd’hui, pour ces chers Polonais et pour tous ceux qui souffrent dans le monde à cause de leur foi.

Nous deman­de­rons en par­ti­cu­lier à la Vierge Marie de nous aider à avoir ces dis­po­si­tions qu’elle avait pour rece­voir Jésus en elle et Le rece­voir dans la Crèche, comme elle L’a eu dans ses bras. Demandons à la Vierge Marie de nous don­ner Jésus.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.