Sermon de Mgr Lefebvre – Solennité de l’epiphanie – 11 janvier 1987

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

C’est aujourd’hui l’Épiphanie – ou Théophanie comme disent les Orientaux – la mani­fes­ta­tion de Dieu, mani­fes­ta­tion de Dieu venant en ce monde, venu par­mi nous. Et l’Église dans sa litur­gie d’aujourd’hui a des accents extra­or­di­naires de gran­deur, de beau­té, de noblesse, de triomphe aussi :

Ecce adve­nit Dominator Dominus (Ml 3,1) : Voici que vient Celui qui est le Seigneur. Celui qui est le Roi.

C’est vrai­ment une fête royale, la fête de la royau­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Fête royale aus­si, parce que les rois de la terre sont venus L’adorer.

Et lorsque Notre Seigneur Jésus-​Christ est appa­ru en ce monde, lorsqu’il est venu pour nous sau­ver, puisque c’est son nom même : Jésus Sauveur.

Dans quel état se trou­vait l’humanité ? C’était bien la Pax roma­na, mais ce n’était pas la Pax Christiana. C’était la paix romaine, mais ce n’était pas la paix chrétienne.

Pax roma­na qui sans doute main­te­nait un cer­tain ordre appa­rent dans l’humanité, mais qui était une paix dia­bo­lique, paix dans l’impiété vis-​à-​vis de Dieu, dans l’idolâtrie, dans le règne de toutes les fausses reli­gions. N’y avait-​il pas à Rome le Panthéon ? Ce monu­ment où se trou­vaient tous les dieux ; c’est le sens même de pan­théon. Tous les dieux se trou­vaient réunis à Rome. Et ces dieux, bien sou­vent, repré­sen­taient la déi­fi­ca­tion de la malice humaine, des vices. Ainsi l’humanité vivait dans l’immoralité, dans l’impiété et dans l’esclavage. Les petits, les pauvres, les humbles étaient réduits à l’état d’esclaves. Ils ser­vaient les puis­sants de ce monde. Voilà ce qu’était la Pax roma­na, cette paix d’Auguste, lorsque Notre Seigneur est venu sur la terre.

Et alors face à ce spec­tacle de l’humanité désor­don­née, com­plè­te­ment dévoyée, l’Église nous pré­sente le Sauveur. Celui qui va réta­blir la sain­te­té, Celui qui va réta­blir la Vérité ; Celui qui va réta­blir la jus­tice en ce monde. Et com­ment l’Église va-​t-​elle Le présenter ?

Elle va Le pré­sen­ter de trois manières, tel que le décrit l’antienne des Vêpres : Hodie, hodie, hodie, trois fois hodie.

Aujourd’hui les Mages sont venus ado­rer le Seigneur.

Aujourd’hui Jésus est des­cen­du dans les eaux du Jourdain et a reçu le bap­tême de Jean. Aujourd’hui, aux noces de Cana, l’eau a été chan­gée en vin.

Et voi­là ! Dans cette antienne se trouve résu­mé tout le pro­gramme de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de Dieu venu en ce monde pour sau­ver nos âmes.

D’abord la foi. Marie a cru. Joseph a cru. Les ber­gers ont cru. Les Rois Mages ont cru et c’est parce qu’ils ont cru, qu’ils ont ado­ré Notre Seigneur Jésus-​Christ. Le Dieu vivant, le Dieu uni­ver­sel, le Dieu du monde, le Dieu Créateur des choses visibles et invi­sibles. Ils ont cru. C’est par la foi en effet que nous serons sau­vés. Il faut croire en Notre Seigneur Jésus-​Christ pour être sauvé.

Et c’est cette foi qui va être deman­dée à tous les hommes, à toute l’humanité. Vous devez croire. Si vous croyez vous serez sau­vé. Si vous ne croyez pas vous serez condam­né, a dit Notre Seigneur JésusChrist Lui-même.

Mais c’est à nous, à ses apôtres par­ti­cu­liè­re­ment, que s’adresse ce pro­gramme : Allez, ensei­gnez toutes les nations. Allez por­ter la foi en Notre Seigneur Jésus-​Christ si vous vou­lez sau­ver les âmes ; si vous vou­lez sau­ver le monde ; si vous vou­lez par­ti­ci­per à ma Rédemption : Allez prê­cher l’Évangile ; allez répandre la foi en ma divi­ni­té. Car Je suis la Vérité, la Voie et la Vie. Personne ne peut entrer au Ciel sinon par moi ; je suis la porte de la ber­ge­rie. Voilà le pre­mier pro­gramme, le pre­mier point essen­tiel que l’Église nous apprend aujourd’hui.

Deuxième point fon­da­men­tal de notre foi : Nous devons être bap­ti­sés, bap­ti­sés dans l’Esprit, dans l’eau et dans l’Esprit, renou­ve­lés dans le Sang de Jésus-​Christ, res­sus­cites avec Notre Seigneur JésusChrist, par le bap­tême, appar­te­nir désor­mais à la famille de Notre Seigneur Jésus-​Christ, appar­te­nir à Lui, être ses enfants, être membre de l’Église catho­lique, ayant reçu le bap­tême de l’Esprit. Voilà la deuxième condi­tion et le deuxième moyen par lequel Notre Seigneur Jésus-​Christ veut rache­ter les âmes : moyen indis­pen­sable. On ne peut pas se sau­ver si l’on n’a pas été bap­ti­sé, soit de fait, soit par le vœu, mais il n’y a pas d’âme qui se sauve sans le bap­tême de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et enfin, troi­sième point fon­da­men­tal du salut des âmes, par lequel les âmes doivent se sau­ver, doivent opé­rer leur salut : c’est la Sainte Eucharistie, le Sacrifice de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Par son Sacrifice, par son Sang, par son Eucharistie, Jésus va trans­for­mer les âmes en Lui-​même, va les divi­ni­ser, va leur apprendre ce que c’est que la Vérité, que la ver­tu, que la jus­tice, que la sainteté.

Alors, ima­gi­nez ce que va deve­nir le monde sous l’influence de Notre Seigneur Jésus-​Christ et de sa Sainte Église, un monde com­plè­te­ment trans­for­mé. Des âmes vont aban­don­ner – dans la mesure où elles le peuvent – leurs vices ; vont aban­don­ner leur impié­té ; vont aban­don­ner leur atta­che­ment à l’erreur, pour s’attacher à la Vérité. Les âmes vont essayer d’abandonner leurs vices, leur atta­che­ment aux biens d’ici-bas, aux choses d’ici-bas ; vont s’attaquer à acqué­rir les ver­tus, les ver­tus chré­tiennes, par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Alors le monde va se trans­for­mer et nous assis­te­rons à la Pax Christiana, à la Paix chré­tienne, la Paix dans l’ordre de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Jésus-​Christ régne­ra dans les âmes, dans les vil­lages, dans les familles, dans la Cité. Pendant des siècles, Notre Seigneur Jésus-​Christ a été vrai­ment le Roi, le Roi véné­ré dans ce monde. Et son Église était reine, son épouse mystique.

Car le troi­sième moyen qui est repré­sen­té par les noces de Cana, repré­sente pour l’Église, les épou­sailles de l’Église et de Notre Seigneur, épou­sailles aus­si et noces dans nos âmes, avec Notre Seigneur Jésus-​Christ dans la Sainte Eucharistie, l’eau trans­for­mée en vin, l’eau dans ce qui sera l’Eucharistie, le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ auquel nous nous abreu­ve­rons pour être trans­for­mé en Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même.

Voilà ce que l’Église nous enseigne aujourd’hui. Quelle révo­lu­tion, quelle annonce, quelle mani­fes­ta­tion de cette trans­for­ma­tion du monde qui est annon­cée par l’Église !

Ah, si les âmes avaient com­pris ; si les hommes avaient écou­té ; si les hommes s’étaient sou­mis, comme le monde serait heu­reux ; comme le monde serait l’antichambre du Ciel ; comme le monde vivrait dans la paix !

Et devant ce pro­gramme de notre doux Sauveur, de Jésus, se dresse l’image de Satan, Satan qui régnait dans le monde, qui était le roi du monde. Voilà que Jésus vient dans le monde et va lui ravir son empire, dans toute la mesure du pos­sible. Alors c’est la lutte à mort. Mort aux chré­tiens ! Les Rois mages ont mani­fes­té leur foi ; ce sont les Innocents, les petits Innocents qui péri­ront. Le sang cou­le­ra, parce que l’on a cru en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Notre Seigneur Jésus-​Christ est venu au bord du Jourdain. L’Esprit Saint est appa­ru. Le Père a par­lé pour dési­gner qui était le Sauveur du monde ; la tête de Jean-​Baptiste tom­be­ra. Il faut faire périr les chré­tiens. Et bien plus, il fau­dra faire périr Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même. Satan croit triom­pher. Enfin il a atta­ché Jésus-​Christ au gibet de la Croix. Son triomphe est là. Il le tient.

Eh bien non ! Notre Seigneur res­sus­cite par sa Toute-​Puissance divine. Mais ce com­bat conti­nue­ra. Il faut faire périr les chré­tiens. Et les mar­tyrs tom­be­ront ; le sang cou­le­ra par­tout. Partout où les apôtres pro­cla­me­ront qu’il faut croire en Notre Seigneur Jésus-​Christ, les fausses reli­gions s’élèveront vio­lem­ment, parce qu’elles sentent leur fin arri­ver. Si tout le monde croit en Notre Seigneur JésusChrist que devien­dront nos reli­gions ? Que devien­dront nos dieux ?

Alors, c’est la lutte à mort contre les chré­tiens. Trois siècles de per­sé­cu­tions, de mar­tyrs, de sang qui coule. Mais le triomphe n’est pas encore acquis par Satan.

Alors il va s’attaquer aux esprits eux-​mêmes, aux âmes. Il va les détour­ner de la foi. Il va faire péné­trer les héré­sies, les schismes. Mais l’Église demeure. Elle demeure tou­jours, forte, puis­sante. Contre les erreurs, contre les héré­sies, elle défend sa foi jusqu’à la mort s’il le faut. Mais elle défend sa foi.

Et alors, Satan a inven­té main­te­nant une autre chose, il va détruire la chré­tien­té elle-​même, dans ce qu’elle a de plus fon­da­men­tal, dans la racine de sa foi. Désormais il va répandre dans l’Église et par l’Église que le salut en Jésus-​Christ n’est pas indis­pen­sable ; que Jésus-​Christ n’est pas néces­saire ; qu’il est une option, que l’on est libre, que l’on peut pas­ser par Notre Seigneur Jésus-​Christ, mais que l’on peut pas­ser aus­si en dehors de Notre Seigneur Jésus-​Christ pour avoir le salut.

Voilà sa der­nière inven­tion, son inven­tion dia­bo­lique. Ce n’est plus seule­ment une véri­té de la foi, c’est la foi elle-​même, tout entière qui est mise en ques­tion. Vous pou­vez choi­sir la reli­gion que vous dési­rez pour vous sau­ver. Et c’est Assise, Assise cette abo­mi­na­tion : la foi catho­lique mise à éga­li­té de toutes les fausses reli­gions. Ce serait si vous vou­lez, au temps des Romains, la reli­gion catho­lique entrant dans le Panthéon des reli­gions, une reli­gion de plus, pour­vu qu’elle ne s’attaque pas aux autres ; pour­vu qu’elle admette les autres ; pour­vu qu’elle res­pecte les autres, c’est tout ce qu’on lui demande !

Et voi­là où ils en sont arri­vés aujourd’hui.

Alors, pour nous, mes bien chers amis, nous devons médi­ter cette belle fête de l’Épiphanie qui nous apprend ce que nous devons faire, qui est un pro­gramme pour nous : la foi, le bap­tême, l’Eucharistie, le Sacrifice eucha­ris­tique. C’est notre vie. C’est la vie des chré­tiens, mes bien chers frères, c’est votre vie. Voilà la vie des chrétiens.

Alors, nous ne serons pas de ceux qui sont contre l’Épiphanie, car Assise, c’est une contre-​Épiphanie ! Nous serons pour la foi catho­lique, et l’Épiphanie sera tou­jours notre Étoile, l’Étoile qui a conduit les Mages à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et nous prê­che­rons Jésus-​Christ, s’il le faut jusqu’à l’effusion de notre sang, à la suite de tous ceux qui ont été les témoins de Jésus-Christ.

Demandons cette grâce, la grâce de la foi, la grâce de ce cou­rage dans l’époque actuelle, que nous vivons, la grâce de main­te­nir la foi catholique.

Demandons-​le à la très Sainte Vierge, d’une manière toute par­ti­cu­lière, elle qui a été par­tout et tou­jours la défense de la foi, qui a tou­jours pro­cla­mé sa foi et qui est venue maintes et maintes fois aider l’Église, aider les chré­tiens, aider les catho­liques à main­te­nir leur foi.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.