De la définition de l’infaillibilité papale – A propos de la lettre de Mgr d’Orléans à Mgr de Malines, par Dom Gueranger

Premières discussions à propos de la lettre de Mgr d’Orléans à Mgr de Malines

En ce moment où le concile du Vatican (NDLR de LPL : Concile Vatican I du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870) se pré­pare à exa­mi­ner le pos­tu­la­tum sur l’infaillibilité du Pontife romain, les fidèles de l’Église catho­lique redoublent leurs ins­tances auprès de Dieu, et attendent avec calme et espé­rance l’œuvre que l’Esprit Saint a pré­pa­rée et qu’il doit consom­mer sous peu de jours. Quelle que soit la solu­tion, ils l’acceptent d’avance soit qu’elle vienne confir­mer leur désir qui n’est autre que la glo­ri­fi­ca­tion du Christ dans son Vicaire, de même que la défi­ni­tion de l’lmmaculée Conception fut la glo­ri­fi­ca­tion du Christ dans son auguste Mère ; soit que la déci­sion prise par le Concile lais­sât la ques­tion dans l’état où elle est encore jusqu’à cette heure. On peut être assu­ré que, dans cette der­nière hypo­thèse, les enfants de l’Église ne se livre­raient à aucune récri­mi­na­tion. Ils ado­re­raient la volon­té divine et s’en remet­traient à l’Esprit Saint, qui connaît les temps et les moments que le Père a dis­po­sés dans son sou­ve­rain pou­voir (1).

La cer­ti­tude théo­lo­gique de la doc­trine de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale ne souf­fri­rait en elle-​même aucune atteinte ; les choses demeu­re­raient où elles en sont. Cela veut dire que les décrets de Lyon et de Florence res­te­raient dans leur teneur si impo­sante avec leurs consé­quences immé­diates ; que la pro­fes­sion de foi d’Hormisdas, dont Bossuet a dit qu’un chré­tien ne la pour­rait reje­ter, conti­nue­rait d’enseigner que « toute la soli­di­té de la reli­gion chré­tienne est dans le Siège apos­to­lique » ; que la condam­na­tion de la pro­po­si­tion Futilis par Alexandre VIII demeu­re­rait tou­jours sus­pen­due sur la tête des adver­saires de l’infaillibilité papale, comme le décret d’Alexandre VIII l’était sur celle des enne­mis de l’Immaculée Conception, avant la défi­ni­tion par Pie IX (2) .

Cela veut dire que ceux qui ont osé écrire que le Pape est l’organe avoué ou non avoué de l’Église, que l’épiscopat, en dehors du Pape, est un corps sou­ve­rain ; que la grande majo­ri­té du Concile a le droit de dépo­ser le Pape s’il n’accède pas à son avis, courent risque dans la foi ; atten­du que cette pro­po­si­tion héré­tique, Papa est caput minis­te­riale Ecclesiae, équi­vaut à celle qui ne voit dans le Pape que l’organe de l’Église ; atten­du que le concile de Florence enseigne, dans un décret de foi, que le Pape pos­sède la pleine puis­sance sur l’Église uni­ver­selle ; ce qui ne serait pas si l’épiscopat, en dehors de lui, était un corps sou­ve­rain, et si le Concile, même dans sa grande majo­ri­té, pou­vait se défaire du Pape, dans le cas où celui-​ci refu­se­rait de s’unir à cette majorité.

Il est donc enten­du que si le Concile ne défi­nis­sait pas l’infaillibilité du Pape, la véri­té res­te­rait la véri­té, la logique res­te­rait la logique, et l’erreur res­te­rait l’erreur. Nos théo­lo­giens de jour­nal n’ont pas l’air de s’en dou­ter. Jamais on ne vit tant de légè­re­té unie à tant de pas­sion, dans une cause de si haute importance.

La Lettre de Mgr l’évêque d’Orléans à Mgr l’archevêque de Malines res­te­ra comme un monu­ment de cette oppo­si­tion ardente à une mesure qui a les sym­pa­thies de la majo­ri­té du Concile. Mais il n’est pas au pou­voir de celui qui l’a écrite et publiée de la sous­traire à l’examen. Qu’il me par­donne donc de com­battre, comme lui pro sacris, pour ce qu’il y a de plus sacré ; c’est le droit de tout membre de l’Église. Si mes forces me l’eussent per­mis, c’eût été au sein même du Concile que, mal­gré l’infériorité de mon rang dans l’Église, Mgr d’Orléans m’eût vu lui résis­ter en face.

I) En répon­dant à Mgr de Malines, Mgr d’Orléans ne s’est pas ren­du compte de l’avantage qu’avait sur lui le véné­rable arche­vêque, et cette dis­trac­tion l’a empê­ché de voir la route désas­treuse dans laquelle il s’engageait. Mgr de Malines sou­tient une doc­trine qui est reçue dans l’Église tout entière. Quoi d’étonnant que le pré­lat, par­tant d’un fait aus­si patent que celui de l’assentiment com­mun, donne pour conclu­sion la défi­ni­bi­li­té cer­taine et mûre de cette doctrine ?

Pourquoi Mgr d’Orléans est-​il contraire à la défi­ni­tion sinon parce qu’il ferme les yeux à l’éloquent spec­tacle de l’accord qui règne dans toute l’Église sur cet article ? Il a beau dire dans ses deux Lettres qu’il s’abstiendra de s’expliquer sur l’infaillibilité, sa manière de pen­ser à ce sujet se tra­hit en cent manières, et il n’est pas un de ses admi­ra­teurs qui, après l’avoir lu, ne soit tout aus­si oppo­sé à l’infaillibilité même qu’à l’opportunité.

Mgr de Malines, au contraire, n’est si libre dans sa démarche, si per­sua­sif, que parce qu’il est assu­ré du fond. La thèse de l’infaillibilité du Pape s’appuie à la fois sur les plus forts argu­ments de la théo­lo­gie et sur le sens catho­lique. Quel obs­tacle dès lors à ce qu’une telle véri­té, ins­crite dans l’Écriture, déduite d’autre part de plu­sieurs pro­po­si­tions de foi, trans­mise par la tra­di­tion des Pères, expri­mée dans la pra­tique de l’Église, passe à l’état de dogme de foi ?

Mgr d’Orléans pro­cède à l’inverse. Il ne s’explique pas sur le fond et ne veut se pré­oc­cu­per que de la ques­tion d’opportunité. Cette manière de pro­cé­der est-​elle conve­nable ? La ques­tion de véri­té ou d’erreur ne prime-​t-​elle pas celle d’opportunité ? Si Mgr d’Orléans nous démon­trait que la thèse de l’infaillibilité est fausse, il aurait plus que déci­dé qu’il n’est pas oppor­tun qu’on la défi­nisse ; mais lais­sant la thèse dans l’état où elle est, il court tous les risques, en cher­chant à se réfu­gier dans l’inopportunité d’une déci­sion. Si l’infaillibilité du Pape est une véri­té, une véri­té révé­lée (et jusqu’à preuve du contraire par Mgr d’Orléans, on conti­nue­ra de le croire), n’est-ce pas s’avancer beau­coup que de s’en venir dire qu’il ne faut pas qu’on la défi­nisse ? Ce qu’il fau­drait nous don­ner, ce serait une bonne démons­tra­tion de la failli­bi­li­té du Pape. C’est de la théo­lo­gie et non de la poli­tique, qu’il faut dans un Concile. On s’y réunit pour confes­ser la foi avec auto­ri­té et non pour l’amoindrir. Le Concile a par des­sus tout une dette à payer : celle de la véri­té. Sapientibus et insi­pien­ti­bus debi­tor sum, dit l’Apôtre (3).

II) Mgr d’Orléans dit à Mgr de Malines que l’on doit, dans le Concile, se pré­oc­cu­per des âmes avant tout. Personne ne le contes­te­ra. Mais ces pauvres âmes, était-​il donc néces­saire de leur infli­ger les secousses qu’elles ont subies et qu’elles subissent encore en ce moment ? Si l’on eût lais­sé fonc­tion­ner le Concile, en entou­rant ses opé­ra­tions du res­pect qui lui est dû, sans cher­cher au dehors un point d’appui pour la mino­ri­té de ses membres, est-​ce que les âmes, qui après tout n’ont qu’à accep­ter avec une entière sou­mis­sion les défi­ni­tions pro­non­cées, n’auraient pas joui en toute tran­quilli­té du résul­tat que l’Esprit Saint a assu­ré aux labeurs du concile œcuménique ?
Loin de là, les âmes ont eu d’abord à sup­por­ter l’épreuve qui leur était infli­gée par le vaste ouvrage de Mgr de Sura. Le pré­lat pré­ten­dait tra­vailler pour la paix reli­gieuse, et il com­men­çait par décla­rer la guerre. Est venue ensuite la Lettre pas­to­rale de Mgr d’Orléans, dont le résul­tat devait être et a été d’agiter un trop grand nombre d’esprits. Les Lettres du R.P. Gratry sont arri­vées à leur tour pour accroître la confu­sion des idées. Ces diverses ten­ta­tives venaient se joindre à celles du doc­teur Doellinger qui expé­diait chez nous dans un fran­çais alle­mand la quin­tes­sence du Janus. De tout cela devait résul­ter un état de malaise ; mais si Mgr d’Orléans n’éprouve d’autre pré­oc­cu­pa­tion que celle des âmes, n’a‑t-il pas lieu de se dire qu’il lui revient une res­pon­sa­bi­li­té à l’égard de celles qui sont trou­blées en ce moment ?

Il se pré­oc­cupe avec cha­leur des chré­tiens orien­taux, des pro­tes­tants, des gou­ver­ne­ments tem­po­rels, à pro­pos de la défi­ni­tion sur l’infaillibilité du Pape ; mais il ne fait pas atten­tion que les catho­liques aus­si avaient droit de vivre en paix dans l’attente des bien­faits du Concile, et qu’il était plus qu’inutile de les pas­sion­ner sur les ques­tions qui devaient être exa­mi­nées puisque, au fond, une seule chose doit inté­res­ser les fidèles dans un concile : le résul­tat de l’action du Saint Esprit par les décrets de dogme et de dis­ci­pline qui seront publiés dans toute l’Église.

Quel est l’effet pro­duit sur un trop grand nombre de catho­liques en France par ces mani­fes­ta­tions impru­dentes ? De même que la foi du fidèle dans la prin­ci­pau­té du Pontife romain, le conduit comme natu­rel­le­ment à regar­der ce Vicaire de Jésus-​Christ sur la terre comme infaillible dans son ensei­gne­ment ; en sorte que le simple laïque arrive sans effort à la conclu­sion qui est celle de la presque una­ni­mi­té des théo­lo­giens ; de même nous apercevons-​nous que tout le bruit que l’on fait contre la défi­ni­tion de l’infaillibilité va atteindre et ébran­ler dans plus d’un esprit la croyance à la pri­mau­té même du suc­ces­seur de saint Pierre. A force de crier contre Honorius, contre les fausses décré­tales, contre le Bréviaire, si absurdes et si sur­an­nées que soient ces décla­ma­tions, se figure-​t-​on que l’on for­ti­fie beau­coup le res­pect pour le Pontife romain ? Et le res­pect envers le Pontife romain étant com­pro­mis, pense-​t-​on que la sou­mis­sion due à l’Épiscopat pour­rait lui survivre ?

Que dis-​je ? l’Épiscopat ? N’est-il pas lui-​même expo­sé à souf­frir dans la consi­dé­ra­tion qui lui appar­tient lorsque dans un moment où per­sonne n’ignore que l’immense majo­ri­té de ce corps auguste réuni en Concile œcu­mé­nique aspire à la défi­ni­tion de l’infaillibilité, on s’en vient pro­tes­ter sur tous les tons que rien n’est plus contraire que cette défi­ni­tion au bien de l’Église et des âmes ? En quelle situa­tion d’esprit place-​t-​on les fidèles ? Il ne suf­fit pas d’amoindrir le Pape ; il faut encore enle­ver à la majo­ri­té immense de l’Épiscopat la confiance des peuples. Les voi­là aver­tis que désor­mais c’est l’avis de la mino­ri­té qu’ils devront recher­cher. Je le demande, est-​ce le zèle des âmes qui ins­pire de telles incon­sé­quences ? Ce qu’il y a de cer­tain, c’est que par suite de ces pro­cé­dés il en est qui, en ce moment, sont en grande souf­france ; c’est que les cau­se­ries de salon et les pro­pos de la place publique, joints à l’action des jour­naux enne­mis de l’Église, exploitent cruel­le­ment une telle situa­tion (4), et que plus d’un évêque, de retour dans son dio­cèse, aura à consta­ter des ravages que rien ne fai­sait pres­sen­tir au moment du départ pour le Concile.

Qu’il eût été bien plus conforme aux tra­di­tions de l’Église de concen­trer dans l’intérieur du Concile ces ques­tions d’opportunité et d’inopportunité, et de ne pas ouvrir le feu au dehors dès la veille, par des publi­ca­tions hos­tiles au sen­ti­ment com­mun dans l’Église ! Mgr d’Orléans se plaint de la Civiltà et de l’Univers : les catho­liques n’ont-ils pas à se plaindre du Correspondant ? Au reste ce n’est pas de jour­naux et de revues qu’il s’agit en ce moment. C’est au nom de la théo­lo­gie, et par les moyens de la théo­lo­gie, qu’il faut aujourd’hui mar­cher à la défense de l’Église, de la Papauté et de l’Épiscopat.

III) Au nom de la théo­lo­gie, je dis donc que la thèse de l’infaillibilité du Pape n’étant que l’expression de la per­sua­sion intime et constante de l’Église, ain­si qu’il appert de sa pra­tique depuis dix-​huit siècles, il est sou­ve­rai­ne­ment dan­ge­reux de s’opposer à la défi­ni­tion de cette thèse, si cette défi­ni­tion est deman­dée par la majo­ri­té du Concile. Deux faits doc­tri­naux sont constants, et Mgr d’Orléans ne les sau­rait ni nier ni ren­ver­ser. Le pre­mier est que, dans toute la durée des siècles chré­tiens, chaque fois que le Pontife romain a pro­non­cé en matière de doc­trine, la cause a été finie pour toute l’Église. Le second est que les décrets des conciles œcu­mé­niques n’ont joui de leur auto­ri­té qu’à la suite de leur confir­ma­tion par le Pape.

De ces deux faits suit évi­dem­ment que l’Église, qui est diri­gée par le Saint Esprit, s’appuie inté­rieu­re­ment sur le sen­ti­ment qu’elle a de l’inerrance du Pontife romain ; autre­ment elle eût hési­té à tenir pour héré­tiques ceux que Rome aurait condam­nés comme tels, et elle n’eût pas regar­dé les décrets des conciles comme dépour­vus du carac­tère de l’œcuménicité, tant que le Siège apos­to­lique ne les avait pas confirmés.

Cela posé, rien n’est plus défi­nis­sable que l’infaillibilité du Pontife romain, atten­du que la défi­ni­tion qui en serait faite consis­te­rait sim­ple­ment à for­mu­ler en dogme un prin­cipe sur lequel s’appuie la pra­tique infaillible de l’Église. Ceux qui ont contes­té l’infaillibilité du Pape, tout en vou­lant demeu­rer catho­liques, n’ont pas vu l’écueil. Aujourd’hui cet écueil est visible à tout le monde. Après l’appel des jan­sé­nistes au futur Concile il n’y eut plus d’illusion pos­sible, et déjà trente ans aupa­ra­vant, le génie et la science de Bossuet lui avaient fait décou­vrir que, sinon l’infaillibilité, du moins l’indéfectibilité du Pontife romain devait déjà être regar­dée comme l’un des prin­cipes consti­tu­tifs de l’Église.

Maintenant que la ques­tion est posée pour la pre­mière fois devant un concile œcu­mé­nique ; je dis pour la pre­mière fois, car c’est à tort que Mgr d’Orléans pré­tend qu’elle aurait été l’objet des déli­bé­ra­tions au concile de Trente ; main­te­nant, dis-​je, il ne peut inter­ve­nir qu’une seule de ces trois solu­tions : ou le Concile défi­ni­ra que le Pape ensei­gnant l’Église est faillible, ou il le décrè­te­ra infaillible, ou il lais­se­ra tom­ber la question.

Mgr d’Orléans prend la peine de ras­su­rer Mgr de Malines sur la pre­mière hypo­thèse. On ne condam­ne­ra donc pas la doc­trine de l’infaillibilité du Pape ni celle de sa supé­rio­ri­té sur le Concile. Ce serait dif­fi­cile, en effet, puisque déjà ceux qui trai­tant cette doc­trine de futile sont atteints par l’excommunication. Restent les deux autres hypo­thèses.

Dans la pre­mière, le Concile fera un acte de la plus haute et de la plus salu­taire impor­tance. Il fixe­ra par un décret de foi le sens de trois pas­sages de l’Évangile, et il glo­ri­fie­ra l’Église en pla­çant au plus haut degré de cer­ti­tude le prin­cipe en ver­tu duquel l’Église a tou­jours accep­té comme irré­for­mables les déci­sions du Siège apos­to­lique en matière de foi, et fait dépendre son adhé­sion aux décrets conci­liaires de la confir­ma­tion de ces mêmes décrets par le Pontife romain. Ce qui était au fond de la pra­tique de l’Église diri­gée par le Saint Esprit, appa­raî­tra dans une confes­sion solen­nelle, et la sou­mis­sion constante de toute la catho­li­ci­té aux oracles de la Chaire de saint Pierre sera jus­ti­fiée avec éclat.

Dans l’hypothèse qui satis­fe­rait Mgr d’Orléans, celle où le Concile lais­se­rait la ques­tion sans être défi­nie, il en serait tout autre­ment. On ne peut nier que l’Église ne se soit tou­jours conduite à l’égard des déci­sions pon­ti­fi­cales comme si elle était assu­rée de leur infailli­bi­li­té. Elle a agi ain­si dès le com­men­ce­ment, et elle conti­nue­ra jusqu’à la fin des siècles à flé­trir comme héré­tiques les réfrac­taires. Il fau­dra donc alors conve­nir que, tout bien exa­mi­né, il n’y a pas de cer­ti­tude à suivre l’Église romaine, qu’elle peut errer comme elle peut dire la véri­té ; enfin, qu’après avoir joui durant tant de siècles du bien de l’unité de foi par la sou­mis­sion aux sen­tences doc­tri­nales du Saint Siège, quand désor­mais il en éma­ne­ra de nou­velles, la catho­li­ci­té devra dire : la cause n’est pas finie. Tel est le résul­tat auquel abou­ti­rait le sys­tème de Mgr d’Orléans. On peut dou­ter que ce résul­tat fût favo­rable à l’honneur de l’Église et propre à main­te­nir l’unité dans son sein. Il semble que saint Irénée avec son necesse est enten­dait mieux l’intérêt capi­tal de la socié­té chré­tienne, qui est la sécu­ri­té dans la foi.

IV) Mgr d’Orléans se plaint amè­re­ment qu’il y ait de la divi­sion au sein du Concile, et en même temps il est obli­gé de conve­nir que la majo­ri­té n’est pas de son avis. Qu’y faire ? Plus d’un, en pareil cas, se deman­de­rait si cette diver­gence ne serait pas la preuve que le sen­ti­ment de la majo­ri­té est le mieux fon­dé, et se pren­drait à dou­ter. Mgr d’Orléans n’en est pas là : il est convain­cu que la majo­ri­té a tort.

Dans son illu­sion, il va jusqu’à conseiller au Pape d’écarter l’avis de cette majo­ri­té gênante, et lui pro­met en retour les applau­dis­se­ments de l’Europe et du monde entier. On croit rêver en lisant de telles choses ; mais il en est ain­si. On se demande com­ment il se peut faire qu’un homme, zélé pour l’idée de 89, s’en aille conseiller à un sou­ve­rain de dis­soudre la majo­ri­té au pro­fit de la mino­ri­té ? Où sera alors la repré­sen­ta­tion ? Il y a cepen­dant une expli­ca­tion à cette conduite. Mgr d’Orléans est per­sua­dé que la mino­ri­té exprime mieux l’Église en ce moment, atten­du qu’elle se com­pose de pré­lats d’une plus grande valeur que les autres et qui repré­sentent les pre­mières nations du monde.

Il faut avouer que c’est la pre­mière fois que, dans un concile, on a cher­ché à éta­blir des degrés de valeur conci­liaire entre les évêques qui le com­posent. A ce compte, Mgr d’Orléans, si, dans ces jours, il ren­con­trait saint Augustin à Rome, serait donc d’avis de ne lui assi­gner qu’une médiocre impor­tance ; car enfin cette ville de bate­liers et de mate­lots qui se nom­mait Hippo regius, n’était pas pré­ci­sé­ment un des centres les plus illustres et les plus civi­li­sés de la côte d’Afrique (5). Aujourd’hui il fau­dra pri­ser le sen­ti­ment d’un évêque dans le Concile, eu égard à l’illustration de la ville où est éta­blie sa chaire. Il y a deux à trois cent mille âmes de popu­la­tion, peut être davan­tage ; c’est un centre de lumières, d’industrie, d’administration. Il est vrai que les incroyants et les indif­fé­rents forment la masse, et que la cité n’est plus chré­tienne ; quoiqu’il en soit, l’évêque doit avoir plus de poids dans la balance que vingt autres. L’effectif de son trou­peau est plus que faible ; n’importe, le nom de la ville est sonore ; ne nous par­lez pas des évêques de ces petites villes où chaque fidèle, il est vrai, rem­plit le devoir pas­cal, de ces évêques mis­sion­naires qui ne sont bons qu’à conver­tir des infi­dèles. Cette classe d’évêques vote comme un seul homme ; mais quelle civi­li­sa­tion représentent-​ils dans le Concile ?

Toul cela se dit, fout cela s’écrit, de même que l’on dit et que l’on écrit : Nous sommes en pré­sence de l’Europe et du monde ; l’Europe et le monde nous regardent. Saint Paul pre­nait la chose autre­ment. « Nous sommes, disait-​il, en spec­tacle au monde, aux anges et aux hommes » (6) . Croit-​on que l’Apôtre vou­lût dire que les ministres du Christ devaient se rendre agréables au monde qui les sui­vait de l’œil et les bafouait ? Croit-​on qu’ils eussent méri­té la bien­veillance des anges, en posant devant le monde qui est essen­tiel­le­ment hos­tile ou pour le moins indif­fé­rent au Christ ? Croit-​on que les hommes se fussent lais­sés prendre par les apôtres, si ceux-​ci avaient déployé une autre force que la force divine et surnaturelle ?

Mgr d’Orléans dit encore : Faisons un grand concile. On conçoit Dieu disant : Faisons l’homme ; mais a‑t-​on jamais enten­du dans toute la tra­di­tion un tel lan­gage : Faisons un grand concile ? Le concile est tou­jours grand, lorsque le Saint-​Esprit le fait. La part des hommes qui le com­posent consiste à y rendre témoi­gnage de la véri­té révé­lée, à pro­non­cer avec une auto­ri­té qui n’est pas de l’homme des défi­ni­tions que ni la chair, ni le sang, ni la natio­na­li­té, n’ont sug­gé­rées. Un fait divin s’accomplit alors, et les moyens humains sont dépas­sés. Si le concile est grand, c’est l’Esprit Saint qui l’a fait tel, et non les hommes. Voilà pour­quoi ses déci­sions ne s’imposent pas à l’admiration comme autant de fruits du génie ; ce serait peu ; mais ils s’imposent à l’intelligence qu’ils enchaînent sous le joug de la foi, parce que Dieu a par­lé par le Concile. Encore que nous vivions dans la chair, dit l’Apôtre, ce n’est pas selon la chair que nous mili­tons. Les armes de notre milice ne sont pas des armes char­nelles, mais elles sont puis­santes en Dieu pour ren­ver­ser les rem­parts, pour détruire les rai­son­ne­ments humains et toute hau­teur qui s’élève contre la science de Dieu ; et nous rédui­sons en ser­vi­tude toute intel­li­gence dans l’obéissance au Christ (7) .

Tel est le Concile, désar­mé quant à la force maté­rielle, mais armé divi­ne­ment quant à la force spi­ri­tuelle. Mgr d’Orléans pense faire recu­ler la majo­ri­té de cette sainte assem­blée par cette pom­peuse énu­mé­ra­tion : les grands corps de l’État, les Parlements, les Sénats, les Corps légis­la­tifs, les Conseils d’État, les admi­nis­tra­tions publiques, la magis­tra­ture, le bar­reau, la jeu­nesse des écoles, l’armée, la marine, le com­merce, les finances, les arts, toutes les pro­fes­sions libé­rales, les ouvriers de nos villes, les élec­teurs dans nos cam­pagnes, la grande masse de ceux qui chez nous et ailleurs décident les affaires : tout ce monde, selon Mgr d’Orléans, ne se sou­cie pas de la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape ; que la majo­ri­té du Concile se le tienne pour dit, et qu’elle se range au plus vite à l’avis de la minorité.

Attendons un peu cepen­dant, et deman­dons à Mgr d’Orléans pour qui est ras­sem­blé le Concile ? Jusqu’à pré­sent on avait cru qu’il était réuni pour les croyants. Si cela est, qu’importent au Concile ces caté­go­ries que l’éloquent pré­lat vient de faire défi­ler sous ses yeux ? Dans leurs rangs, il est des hommes, et par mil­lions, qui tiennent à l’Église par le lien de la foi ; ceux-​là sont prêts à accep­ter ce que pro­non­ce­ra le Concile. Ceux qui seraient dis­po­sés autre­ment, ne seraient déjà plus membres de l’Église, et l’Église qui se ren­drait muette à cause d’eux ne les sau­ve­rait pas. Cognovit Dominus qui sunt ejus (8) .

V) Mgr d’Orléans semble faire bon mar­ché des mani­fes­ta­tions spon­ta­nées de tant de catho­liques qui, de toutes parts, expriment le vœu de voir le dogme enfin défi­ni. Il semble que ces témoi­gnages d’une foi simple et vivante devraient émou­voir autre­ment le cœur d’un évêque. Mais non, selon Mgr d’Orléans, ce mou­ve­ment est tout à fait en dehors de la par­tie influente et diri­geante de la socié­té. Pauvre peuple chré­tien qui ne compte plus dans la balance de l’Église, qu’autant qu’il se recrute dans les hautes régions sociales ! Il faut avouer que le natu­ra­lisme nous entraîne aujourd’hui bien loin des idées de l’antiquité chré­tienne. Qu’auraient dit les Pères de l’Église en enten­dant un tel lan­gage ? Mais lais­sons un moment Mgr d’Orléans pen­ser qu’un enthou­siasme pué­ril ou irré­flé­chi pro­duit ces démons­tra­tions dans les simples fidèles, il ne peut plus être sans remar­quer celles non moins spon­ta­nées qui se pro­duisent dans le cler­gé, et annoncent déjà l’accueil que rece­vra dans son sein la défi­ni­tion. Consentira-​t-​il à admettre le cler­gé dans la par­tie influente et diri­geante de la société ?

Préoccupé des Orientaux et des pro­tes­tants, il n’a pas le temps de son­ger aux catho­liques. Pourtant, il devrait se sou­ve­nir que lors des pré­li­mi­naires de la défi­ni­tion de l’Immaculée Conception, une situa­tion ana­logue se décla­ra. On a impri­mé à Rome les nom­breuses Lettres de l’épiscopat entier à Pie IX, sur l’opportunité de la défi­ni­tion. Un cer­tain nombre sont contraires au vœu de l’immense majo­ri­té : quatre à cinq d’évêques fran­çais et plu­sieurs por­tant la signa­ture d’évêques alle­mands. En quel camp se ran­gea Mgr d’Orléans ? Il eut la gloire de s’unir à la majo­ri­té, et il a ain­si, devant la très sainte Vierge, le mérite d’avoir concou­ru à l’acte solen­nel par lequel le noble pri­vi­lège de Marie a été glo­ri­fié sur la terre comme au ciel. En ce moment, il met obs­tacle, autant qu’il lui est pos­sible, à la recon­nais­sance du don de l’immortalité accor­dé à Pierre dans ses suc­ces­seurs, quand ils enseignent l’Église. Il nous réduit à le com­battre comme un adver­saire ; mais qu’il sache bien que la néces­si­té seule nous y pousse, et que si, cette fois encore, il s’unissait à la majo­ri­té de ses col­lègues, leurs fra­ter­nelles féli­ci­ta­tions ne lui man­que­raient pas, non plus que les béné­dic­tions du peuple fidèle.

Pour le moment, la plus sainte des causes réclame qu’il soit répon­du à tout ce qu’il allègue contre l’infaillibilité pon­ti­fi­cale ; et puisque nous avons com­men­cé de par­ler des aspi­ra­tions que témoignent, d’heure en heure, un si grand nombre de prêtres et de fidèles vers la défi­ni­tion la plus avan­ta­geuse à l’honneur du Siège apos­to­lique et de l’Église, je me trouve natu­rel­le­ment ame­né à éclair­cir un point de la théo­rie du Concile, sur lequel un cer­tain nombre d’esprits ne paraissent pas suf­fi­sam­ment fixés.

Il y a lieu d’examiner ces deux ques­tions : Le peuple fidèle est-​il repré­sen­té dans le Concile ? S’il y est repré­sen­té, les pas­teurs siègent-​ils dans le Concile à titre de délé­gués du peuple fidèle ?

A consul­ter la tra­di­tion catho­lique, il est constant que le sen­ti­ment du peuple fidèle a tou­jours été consi­dé­ré comme l’une des bases de toute défi­ni­tion doc­tri­nale. La rai­son en est que l’Église ensei­gnée par­ti­cipe, à son degré, à cette vie sur­na­tu­relle dont l’Esprit Saint est le prin­cipe (9) . La même tra­di­tion catho­lique nous enseigne que le peuple fidèle n’a cepen­dant pas droit à être convo­qué au Concile, atten­du que l’infaillibilité sim­ple­ment pas­sive dont il jouit ne le rend pas apte à juger, tan­dis que le Concile est com­po­sé de juges qui doivent rendre une sen­tence. C’est donc un simple témoi­gnage que rend le peuple ortho­doxe, et ses pas­teurs déposent en son nom.

L’action du Saint-​Esprit étant le mobile des aspi­ra­tions du peuple fidèle vers la défi­ni­tion d’un dogme, il suit que ces aspi­ra­tions sont dignes de res­pect, et l’on ne sau­rait approu­ver la manière peu bien­veillante dont Mgr d’Orléans en parle. Ce ne sont pas quelques voix iso­lées ; le nombre s’accroît inces­sam­ment, les prêtres se joignent aux simples fidèles ; et après tout, si l’on se sou­vient que la théo­lo­gie, dans l’immense majo­ri­té de ses doc­teurs, se trouve d’accord avec l’instinct catho­lique expri­mé par ce vœu, il semble que ce vœu a d’autant plus le droit d’être trai­té avec égard.

J’en viens à l’autre ques­tion posée tout à l’heure. Peut-​on dire que les pas­teurs siègent dans le Concile à titre de délé­gués du peuple fidèle ? L’Allemagne nous envoie en ce moment cette doc­trine. Dernièrement, dans un article de la Gazette d’Augsbourg, M. le Prévot Doellinger a pro­non­cé cette parole signi­fi­ca­tive : La mis­sion des membres du Concile est de décla­rer au nom de toute la com­mu­nau­té des fidèles, ce que celle-​ci croit sur une ques­tion de foi, les tra­di­tions qu’elle a reçues à ce sujet. Ils ont une pro­cu­ra­tion qu’ils ne peuvent dépas­ser. (10) . Et nunc intel­li­gite.

Mgr d’Orléans est épris du ger­ma­nisme ; qu’il y prenne garde cepen­dant. Il n’est certes pas atteint de laï­cisme, il n’a d’autre inten­tion que de sou­le­ver un peu le joug de la Papauté qui lui semble exces­sif, si l’infaillibilité est décré­tée. Le voi­ci à même de voir en quel abîme son ami le doc­teur Doellinger entraîne ceux qui le suivent, et le doc­teur Doellinger n’est pas seul. Certaines adresses louées avec effu­sion par le Correspondant contiennent les mêmes idées. Oui, le laï­cisme est aux portes, et l’on joue avec le péril.

Dans cette ques­tion de la rela­tion du peuple chré­tien avec le Concile, comme en toute autre, la véri­té catho­lique est entre deux erreurs. L’une consiste à ne pas appré­cier le sen­ti­ment des fidèles qui aspirent à une défi­ni­tion de la foi : ce serait mécon­naître l’action du Saint-​Esprit sur l’Église ensei­gnée. L’autre erreur consiste à sup­pri­mer dans les pas­teurs la qua­li­té de juges dans le Concile, pour les trans­for­mer en simples témoins, man­da­taires de leurs trou­peaux. La véri­table théo­rie des conciles, résu­mée de la tra­di­tion et de la pra­tique de l’Église, est celle-​ci : La ques­tion doc­tri­nale s’instruit au moyen des faits qui attestent que la pro­po­si­tion à défi­nir émane de la parole révé­lée et que l’Église en a conscience : le sen­ti­ment du peuple chré­tien aide à démon­trer cette conscience dans l’Église. Dans le Concile, le Pape et l’Épiscopat constatent les deux points : le fait de la révé­la­tion, et la per­sua­sion exis­tant dans l’Église. L’enquête ayant été faite sous l’action de l’Esprit Saint, le même Esprit Saint garan­tit de toute erreur le juge­ment por­té par le Pape et l’Épiscopat. En dehors du Pape et de l’Épiscopat, il y a des témoins, nul autre n’est juge. Le peuple chré­tien figure dans les consi­dé­rants de la déci­sion ; elle n’est point et ne peut être por­tée en son nom. Il est essen­tiel­le­ment ensei­gné, mais il n’enseigne pas ; il confesse, et cette confes­sion est pro­duite et main­te­nue dans le corps des fidèles par l’action conser­va­trice et vivi­fiante de l’Esprit Saint, en lequel à leur tour témoignent et jugent le Pape et les évêques.

Telle est la doc­trine de tous les siècles, et c’en serait fait de l’Église, si les théo­ries alle­mandes étaient je ne dis pas accep­tées, mais tolé­rées. Que Mgr d’Orléans daigne y réflé­chir. S’il n’a pas vu encore que tout amoin­dris­se­ment du Pape est un coup por­té sur l’épiscopat, qu’il se réveille, et qu’il se demande ce que devient cet épis­co­pat, si dans le Concile il n’est plus que le man­da­taire du peuple chré­tien. Lui qui a peur que les évêques ne soient plus que les échos du Pape qu’il se demande s’il lui convient de n’être au Concile que l’écho de ses dio­cé­sains d’Orléans. De toute néces­si­té, il faut choi­sir entre le pas­sé de l’Église et la nou­velle école d’outre-Rhin qui mène droit aux doc­trines anti­hié­rar­chiques de la Réforme.

VI) Un autre point sur lequel il est néces­saire d’appeler l’attention, est la théo­rie que met en avant Mgr d’Orléans sur l’unanimité néces­saire, selon lui, pour la légi­ti­mi­té des décrets du Concile. Ici encore nous nous trou­vons en pleine nou­veau­té. Qu’est-ce, en effet, que le Concile, sinon la réunion de l’Église ensei­gnante ? Peuton dire que l’Église, pour être ras­sem­blée, a chan­gé de nature ? La doc­trine uni­ver­selle n’est-elle pas que, soit dis­per­sée, soit réunie, l’Église demeure la même dans son essence et ses qualités ?

Or, la théo­lo­gie catho­lique nous apprend qu’il faut cher­cher la vraie Église ensei­gnante non dans l’Épiscopat sim­ple­ment, mais dans l’Épiscopat uni de sen­ti­ment avec le Pape. Jamais il ne fut ques­tion de comp­ter les évêques, mais bien de s’assurer de leur confor­mi­té avec le Pontife romain. Mgr d’Orléans doit connaître l’histoire du concile de Rimini, l’un des plus nom­breux qui n’ait jamais été réuni. La défec­tion de tous ses membres, sauf quelques-​uns, arra­cha, comme on le sait, à saint Jérôme, cette vio­lente expres­sion qu’à ce moment, le monde pous­sa un gémis­se­ment de se sen­tir arien tout d’un coup. La presque una­ni­mi­té du Concile avait som­bré : qui donc sau­va l’Église et la foi ? Le refus que fit le Pontife romain de confir­mer la déci­sion des Pères de Rimini. Entre tous ces Pères ras­sem­blés, où était, à ce moment, le véri­table Épiscopat catho­lique ? Dans les quelques évêques qui, fuyant une assem­blée séduite, se réfu­gièrent dans un vil­lage, sur les bords de l’Adriatique, pour pro­tes­ter contre la séduc­tion qui avait enva­hi leurs col­lègues (11) .

Il n’y a donc ici qu’une seule ques­tion et elle est très simple. C’est à l’histoire de nous dire si dans tel Concile il y eut majo­ri­té, mino­ri­té, una­ni­mi­té, en tel ou tel sens ; le résul­tat du Concile, le Concile lui-​même consiste dans les décrets por­tés simul­ta­né­ment par le Pape et par les évêques, que ceux-​ci soient avec le Pape en majo­ri­té, en mino­ri­té, ou dans leur una­ni­mi­té. L’Église est ain­si éta­blie par Jésus Christ, et tous les doc­tri­naires du monde n’y chan­ge­ront rien. Ubi Petrus, ibi et Ecclesia. Loin donc les théo­ries de la poli­tique humaine ! La néces­si­té de l’union avec le Pontife romain dans une même foi est un dogme catho­lique, et il n’est pas pos­sible de la lais­ser contes­ter. Mgr d’Orléans dira peut-​être : Pourquoi alors le Concile, si l’adhésion au Pape, soit de près, soit de loin, suf­fit à la déci­sion ? Je réponds, avec la plus saine théo­lo­gie, qu’en effet le Concile n’est jamais néces­saire : il faut, avant tout, se mettre cela dans l’esprit. Rien d’essentiel ne manque à l’Église dis­per­sée ; mais le Concile, dans un moment don­né, est émi­nem­ment utile. Seulement, c’est une illu­sion com­plète de pré­tendre que le Concile une fois réuni serait réduit à l’impuissance, si les décrets pro­po­sés n’obtenaient pas le suf­frage de l’unanimité morale de ses membres. Jamais aucune loi, aucun canon, aucune décré­tale, n’ont expri­mé ni direc­te­ment, ni indi­rec­te­ment cette clause. Qu’une telle una­ni­mi­té soit dési­rable, tout le monde en convien­dra ; que, dans le fait, elle ait exis­té sou­vent, on l’accorde ; mais la mettre en avant comme essen­tielle, c’est avan­cer une chose qui ne pour­rait jamais être démontrée.

Ce qui importe en effet dans le résul­tat du Concile, c’est la cer­ti­tude de la foi. Or, com­ment cette cer­ti­tude n’existerait elle pas, lorsque la majo­ri­té même des évêques est unie de sen­ti­ment au Pape ? Supposons qu’une mino­ri­té eût réso­lu d’empêcher la déci­sion d’un point de doc­trine dont la pro­cla­ma­tion serait néces­saire à l’Église, il ne dépen­drait donc que de cette mino­ri­té de para­ly­ser le Concile ? Le Pape et la majo­ri­té se ver­raient frap­pés d’impuissance par le fait d’une oppo­si­tion for­mée par le moindre nombre. La situa­tion de l’Église ras­sem­blée serait alors au-​dessous de celle de l’Église dis­per­sée. Combien de fois en effet ne voyons-​nous pas dans l’histoire que les déci­sions apos­to­liques, accep­tées par la majo­ri­té des pas­teurs, ont ren­con­tré des réfrac­taires dans la mino­ri­té ? Y a‑t-​on fait atten­tion ? A‑t-​on pour cela hési­té à dire que la cause était finie ?

Si les prin­cipes que j’expose ici sont appli­cables aux conciles qui se sont tenus sous la pré­si­dence des légats du Pape, à com­bien plus forte rai­son doit on s’y atta­cher dans un concile pré­si­dé par le Pape en per­sonne. L’élément que le Pontife romain apporte dans un juge­ment doc­tri­nal est d’une telle puis­sance que Bossuet lui-​même, dans le qua­trième article de la Déclaration de 1682, convient que la part prin­ci­pale dans la déci­sion lui appar­tient (12) . Comment une mino­ri­té pourrait-​elle être comp­tée comme un obs­tacle en face de cette auto­ri­té excep­tion­nelle, selon même les gal­li­cans, à laquelle se join­drait encore le suf­frage de la majo­ri­té ? Ce serait vou­loir intro­duire dans l’Église la consti­tu­tion polo­naise, consti­tu­tion qui a été poli­ti­que­ment si funeste à cette noble nation.

Au reste, nos modernes gal­li­cans ne sont pas d’accord entre eux sur ce point. Mgr de Sura met la force du Concile, cette force qui, selon lui, est au-​dessus du Pape, dans la grande majo­ri­té du Concile, et Mgr d’Orléans la place, avec le Correspondant, dans l’unanimité morale. Si le pre­mier a rai­son, on peut déjà s’attendre que la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape aura lieu ; si le second est fon­dé dans son opi­nion, ce n’est pas seule­ment cette défi­ni­tion qui serait ren­due impos­sible aujourd’hui, mais toute autre contre laquelle se for­me­rait une mino­ri­té. La nature humaine don­née, on n’a guère le droit de comp­ter qu’une assem­blée très nom­breuse réunisse tou­jours ses membres dans une même manière de voir. L’expérience l’a prou­vé, et les nations les plus civi­li­sées ont accor­dé aux majo­ri­tés la pré­pon­dé­rance dans les assem­blées déli­bé­rantes. Mais c’est assez rai­son­ner humai­ne­ment dans une ques­tion de l’ordre surnaturel.

Mgr d’Orléans répète, en pré­sence de Mgr de Malines, les allé­ga­tions du Correspondant sur ce qui se pas­sa à Trente dans la vingt-​troisième ses­sion du Concile, lorsque Pie IV fit savoir à ses légats son inten­tion rela­ti­ve­ment à une ques­tion par­ti­cu­lière agi­tée dans cette assem­blée. Il leur ordon­nait de ne se pas conten­ter du vote de la majo­ri­té, mais de décla­rer que la dis­cus­sion ne serait valable qu’à l’unanimité des suf­frages. Mgr d’Orléans, sans tenir aucun compte de ce qui a été répon­du sur ce sujet au Correspondant, ne s’aperçoit pas que le fait même qu’il cite est contre lui. Si la dis­ci­pline des conciles était que l’on n’y pro­cé­dât qu’à l’unanimité des voix, Pie IV n’aurait pas eu besoin d’imposer cette condi­tion dans une cir­cons­tance par­ti­cu­lière. L’exception vient donc ici confir­mer la règle, et dans le fait, après comme avant cet inci­dent, le concile de Trente pro­cé­da en tout à la majo­ri­té des suf­frages. Ni son his­toire ni ses actes n’offrent la moindre trace d’une pré­ten­tion quel­conque au sujet de cette una­ni­mi­té, dont quelques-​uns ne parlent tant aujourd’hui que parce que le pas­sé de l’Église et des Conciles leur est moins fami­lier qu’il ne le pour­rait être.

VII) C’est ain­si que l’on ren­contre en ces jours des per­sonnes qui s’étonnent de voir le Pontife impo­ser des règle­ments au concile du Vatican. On dirait, à les entendre, que, dans leur idée, le Concile devait être en dehors du Pape, une assem­blée sou­ve­raine, n’ayant à comp­ter qu’avec elle-​même, et pour­voyant à tout, sans rece­voir ni ordre ni direc­tion. Il n’en est pas ain­si. Le Concile est l’Église ras­sem­blée ; or, l’Église est gou­ver­née par le Pape, qui tient la place du Christ, ain­si que l’enseigne le concile de Trente (13) . Les pré­ro­ga­tives de ce Vicaire du Fils de Dieu sont les mêmes dans le Concile qu’elles sont hors du Concile. Dans le Concile, comme hors du Concile, le Pape a la pleine puis­sance sur toute l’Église. Son pou­voir ne souffre pas d’interruption, bien que le Concile soit réuni autour de lui. Il peut et il doit faire des règle­ments, et nul n’a le droit d’en être sur­pris. S’il ces­sait d’agir comme chef durant le Concile, la divine consti­tu­tion de l’Église serait interceptée.

Des hommes incom­pé­tents, étran­gers à toute vraie théo­lo­gie s’inquiètent, en Allemagne et en France, de la liber­té qui reste aux évêques. Disons-​leur donc que le Concile ne peut se pas­ser de règle­ments, et que la seule auto­ri­té qui puisse lui en don­ner est l’autorité du Pape. L’Église, se réunis­sant en Concile, ne s’est point trans­for­mée en aris­to­cra­tie ; elle est demeu­rée monar­chie comme aupa­ra­vant. Quelques-​uns avaient rêvé pour le Concile ce qu’on appelle en poli­tique la pon­dé­ra­tion des pou­voirs. On consi­dé­rait naï­ve­ment la plé­ni­tude de puis­sance dans le Pape comme le résul­tat de la sus­pen­sion des Conciles depuis trois siècles, et l’on semble ne pas s’être aper­çu que cette plé­ni­tude d’autorité existe dans saint Pierre et ses suc­ces­seurs depuis l’institution par le Christ, et que c’est à elle que l’Église est rede­vable de sa per­ma­nence à tra­vers les siècles.

Aussi voyons-​nous ces hommes, abdi­quant jusqu’à leurs idées les plus chères, fer­mer les yeux en ce moment sur le fait d’une majo­ri­té for­te­ment des­si­née dans le Concile, et réser­ver leur sym­pa­thie pour une mino­ri­té qui, d’après l’idée consti­tu­tion­nelle, ne devrait pas pré­tendre à conduire l’assemblée. Ils s’abusent volon­tai­re­ment sur le résul­tat final du Concile ; sur ce résul­tat qui bien­tôt s’imposera à la foi de tous les membres de l’Église. On dirait qu’ils pré­parent une fin de non-​recevoir aux déci­sions qui seront ren­dues, et qu’ils veulent dis­po­ser les esprits à consi­dé­rer ces déci­sions comme l’œuvre d’une assem­blée qui n’aurait pas joui de la liber­té à laquelle elle avait droit. Tous les membres du Concile cepen­dant seront appe­lés à dire pla­cet, ou non pla­cet, à leur volon­té, tous seront mis à même de signer les décrets avec la for­mule solen­nelle, defi­niens sub­scrip­si. Leur conscience seule en décidera.

Après le Concile de Trente, frà Paolo écri­vit une longue his­toire de cette auguste assem­blée, dans le but de prou­ver qu’elle n’avait pas joui de la liber­té néces­saire ; c’est tout le but de son détes­table livre. On répan­dit ce livre par­tout, on le tra­dui­sit en diverses langues, et il fit de grands ravages dans les âmes. L’Église n’en véné­ra pas moins le Concile de Trente ; mais par­mi les lec­teurs des récits men­son­gers du théo­lo­gien de la répu­blique de Venise, beau­coup firent nau­frage dans la foi. On se sou­vient de l’entretien de saint Vincent de Paul avec Saint-​Cyran, et com­ment celui-​ci osa outra­ger le Concile de Trente, le trai­tant de concile du Pape et dans lequel les brigues et la cabale avaient tout fait.

Comme celui de Trente, le Concile du Vatican aura un jour son Pallavicini. Cet his­to­rien des temps futurs n’aura pas de peine à mon­trer que les suf­frages furent plei­ne­ment libres, que la marche du Concile n’eut rien de pré­ci­pi­té, et que si un moment il eût à craindre l’emploi des moyens de la puis­sance exté­rieure, l’imposante majo­ri­té de l’assemblée put se rendre la jus­tice de n’y avoir pas fait appel.

VIII) Après cette digres­sion que le sujet ren­dait néces­saire, je reprends la Lettre de Mgr d’Orléans, et j’entends le pré­lat dire à Mgr de Malines : Il est néces­saire qu’il y ait dans l’Église une auto­ri­té infaillible ; mais est-​il néces­saire que cette auto­ri­té soit le Pape seul ; ne suffirait-​il pas que ce fût l’autorité du Pape et des évêques ?

Mgr d’Orléans tombe ici dans une méprise à laquelle n’a pas échap­pé le doc­teur Doellinger. Il confond la ques­tion de l’autorité infaillible en matière de reli­gion, thèse qui appar­tient à la démons­tra­tion catho­lique, avec le dogme pré­cis et révé­lé du sujet de l’infaillibilité dans l’Église. Il n’a pas vu que si dans la démons­tra­tion catho­lique que l’on appelle dans nos écoles le Traité de Ecclesia, on arrive à prou­ver phi­lo­so­phi­que­ment qu’un juge des contro­verses est néces­saire et qu’il doit être infaillible, la déter­mi­na­tion de ce juge appar­tient à la révé­la­tion elle même et est une matière pure­ment dogmatique.

Il ne s’agit donc pas de dire : Ne suffirait-​il pas que ce fût l’autorité du Pape et des évêques réunis ? Une seule chose importe à savoir, et pour nous l’apprendre, le rai­son­ne­ment ne peut rien. A qui Jésus-​Christ a‑t-​il confié le pri­vi­lège de l’infaillibilité ? Tout catho­lique répon­dra qu’il l’a dépar­ti à l’Eglise ; mais cette notion, comme toutes les véri­tés pre­mières du dogme, a reçu ses déve­lop­pe­ments. Ainsi, nous savons et nous croyons qu’il y a l’Église ensei­gnante et l’Église ensei­gnée ; nous savons et nous croyons que le corps épis­co­pal pro­non­çant avec le Pape en matière de doc­trine est infaillible. Quant à savoir si le Pape décré­tant sur la foi ex cathe­dra jouit du don de l’inerrance, c’est aus­si par la révé­la­tion seule que nous y pou­vons arri­ver. L’Église, dans sa pra­tique, nous donne à conclure que telle est sa croyance intime, la tra­di­tion des Pères le publie, l’accord presque uni­ver­sel de l’École le pro­clame, en même temps que trois textes de l’Évangile paraissent l’enseigner expres­sé­ment. Dans une telle situa­tion, Mgr d’Orléans est-​il rece­vable à dire que la chose ne lui paraît pas néces­saire ? Comment ne voit-​il pas qu’il s’agit ici sim­ple­ment d’un fait révé­lé ou non, et que le rai­son­ne­ment sur la néces­si­té ou la non-​nécessité ne peut conduire à rien ?

Mais dit encore le pré­lat : Une telle défi­ni­tion n’est pas néces­saire ; dix-​huit siècles de chris­tia­nisme l’attestent. Qu’est-ce à dire ? Mgr d’Orléans voudrait-​il bien nous expli­quer après com­bien de siècles l’Église ne peut plus élu­ci­der et déve­lop­per les véri­tés révé­lées au com­men­ce­ment ? Il est à croire que le pré­lat admet la per­sis­tance de ce droit dans l’Église jusqu’au sei­zième siècle ; car il faut bien qu’il recon­naisse que le Concile de Trente a lar­ge­ment défi­ni. Le dix-​septième siècle a eu aus­si ses défi­ni­tions d’une haute impor­tance ; il est vrai aus­si que bien des gens alors eussent pré­fé­ré que l’Église gar­dât le silence. Au dix-​huitième, la Bulle Unigenitus sem­bla pareille­ment super­flue aux par­ti­sans de l’Appel, qui criaient qu’on aurait dû s’en tenir au moins à saint Augustin. Enfin, de nos jours, en plein dix-​neuvième siècle, quand on a fait un Mandement pour pro­cla­mer la défi­ni­tion de l’Immaculée Conception comme véri­té de foi révé­lée ; si l’on vient sou­te­nir après cela que la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape n’est pas néces­saire, parce que dix-​huit siècles de chris­tia­nisme se sont écou­lés sans qu’elle ait été ren­due, com­ment ne voit-​on pas que l’on prête le flanc à ceux qui ne croient pas et que l’on inquiète ceux qui croient ?

Pourquoi ne pas voir que tout se tient dans l’Église ? Pourquoi se dis­traire en fixant l’œil sur ce qui est humain, jusqu’à ne plus aper­ce­voir cette magni­fique conduite de l’Esprit Saint qui sug­gère (14) tour à tour à l’Épouse du Christ les diverses par­ties de l’enseignement que l’Époux lui a don­né avant de mon­ter aux cieux ? Que sommes-​nous pour inter­cep­ter cette sor­tie suc­ces­sive des rayons du divin soleil ? Et quel risque courons-​nous à attendre res­pec­tueu­se­ment le moment où ils vien­dront à poindre ? Lorsque dans l’Église la Voix du Seigneur fait jaillir la véri­té en éclairs, lorsqu’elle reten­tit dans toute sa puis­sance, lorsqu’elle brise en éclats les cèdres du Liban, c’est à nous tous, dit le roi pro­phète, de crier dans le temple : Gloire au Seigneur (15) !

A Dieu ne plaise que qui que ce soit ose contes­ter à Mgr d’Orléans sa haute qua­li­té de juge de la foi dans le Concile ! A Orléans, lorsqu’il adhé­rait avec sou­mis­sion, en 1854, au juge­ment sou­ve­rain du suc­ces­seur de Pierre décré­tant sur l’Immaculée Conception de Marie, il par­ti­ci­pait à l’infaillibilité pas­sive de l’Épiscopat qui s’unissait à la déci­sion. Dans le Concile, il joui­ra de l’infaillibilité active, défi­nis­sant simul­ta­né­ment avec son chef et avec ses frères les points de doc­trine qui seront décla­rés. Mgr d’Orléans entre­ra dans cet accord sublime qui est la plus haute mani­fes­ta­tion de l’Église, une dans son corps, diverse dans ses membres, mais ani­mée d’un même Esprit de vie, de cet Esprit qui est le lien du Père et du Fils, et qui nous a été envoyé pour demeu­rer avec nous jusqu’à la fin (16) .

En ce jour, il assis­te­ra aus­si , Celui qui nous a sous­trait sa pré­sence visible en allant vers son Père mais qui, avant de par­tir, nous a don­né l’assurance qu’il serait avec nous jusqu’à la consom­ma­tion des siècles (17) ? Ne nous a‑t-​il pas dit que lorsque deux ou trois seraient ras­sem­blés en son nom, il serait au milieu d’eux (18) ? Dans tous les siècles, l’Église s’est appuyée sur cette parole, en l’appliquant prin­ci­pa­le­ment à ses Conciles. Il y a donc le moment où le Christ est pré­sent, et le moment qui pré­cède sa pré­sence. Avant la réunion, les hommes ne sont que des hommes, et le Christ ne garan­tit pas leur parole. Il veut les voir ras­sem­blés, et empres­sés à gar­der l’unité d’esprit dans le lien de la paix (19) .Leur qua­li­té de juges infaillibles est réser­vée pour ce moment.

Pourquoi donc Mgr d’Orléans n’attendait-il pas le jour sacré de cette réunion pour expri­mer sa pen­sée ? Pourquoi datait-​il d’Orléans son vote, lorsque l’heure de ce vote n’était pas encore venue ? Avant d’être assis sur son tri­bu­nal de juge, il pro­non­çait déjà, il s’adressait à l’opinion, comme si l’opinion était quelque chose en de telles matières. Certes, il ne s’est pas pro­po­sé de trou­bler les consciences ; mais elles n’en sont pas moins trou­blées, nous le savons, nous, qui depuis lors ren­con­trons sur notre route tant d’âmes inquiètes. Et si aujourd’hui il nous faut lut­ter corps-​à-​corps et sans ména­ge­ment, n’est ce pas parce que la situa­tion est deve­nue telle que tout autre inté­rêt que celui de la véri­té, que celui des âmes, doit dis­pa­raître à nos yeux ?

IX) Nous éton­ne­rons sans doute les ratio­na­listes, dont le nombre s’accroît si fort depuis le jour où tant de ques­tions dif­fi­ciles ont été jetées dans un public nul­le­ment pré­pa­ré, lorsque nous leur dirons que l’infaillibilité du Concile ne pro­cède pas de la science excep­tion­nelle de ses membres, mais qu’elle est l’effet sur­na­tu­rel de l’action de l’Esprit-Saint. Si docte que soit une assem­blée de plu­sieurs cen­taines de per­sonnes, elle demeure tou­jours faillible, parce qu’elle est humaine, et c’est sur l’autorité divine que repose la foi que nous avons en elle. Est-​ce à dire que le Concile est dis­pen­sé de se livrer à l’étude des matières sur les­quelles il doit pro­non­cer ? A Dieu ne plaise ! L’histoire nous montre des doc­teurs dans toutes ces saintes assem­blées. Les décrets y sont for­mu­lés avec l’autorité de la science, unie à l’orthodoxie de la foi. Dans les dis­cus­sions préa­lables, les ques­tions ont sou­vent été agi­tées contra­dic­toi­re­ment par des doc­teurs du plus grand poids. La véri­té cepen­dant n’est que d’un seul côté ; mais les débats ont quel­que­fois été ardents.

Il est donc per­mis aux fidèles, qui attendent de si pré­cieux résul­tats du Concile, de se pré­oc­cu­per de la valeur des cham­pions qui devront mili­ter dans la lice, et puisque Mgr d’Orléans a cru devoir annon­cer, dès la veille, en quel sens il opi­ne­rait, puisqu’il a lan­cé avec éclat sus décla­ra­tions sur une des ques­tions qui vont être sou­mises au Concile, qu’il nous par­donne de scru­ter ses écrits, pour y cher­cher les preuves de sa doc­trine. Le sen­ti­ment qu’il semble adop­ter n’est pas celui qui rem­pli­rait les vœux de la majo­ri­té du cler­gé et des fidèles. Ils sont bien plu­tôt du côté de Mgr de Malines, et des évêques signa­taires du pos­tu­la­tum pour l’infaillibilité. En conti­nuant d’écrire ces pages, je n’ai d’autre but que de les rassurer.

Est-​il juste, en effet, de lais­ser sans réponse ces dif­fi­cul­tés que Mgr d’Orléans met en avant comme autant d’obstacles invin­cibles à la défi­ni­tion ? Et si leur solu­tion est aisée, pour­quoi ne pas le faire voir, quelle que soit la consé­quence ? Rentrons donc dans la dis­cus­sion ; elle sera promp­te­ment terminée.

Mgr d’Orléans trouve une pre­mière dif­fi­cul­té à la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape, parce que l’on serait obli­gé de déter­mi­ner les condi­tions du juge­ment ex Cathedra. Il y a lieu de lui répondre que cette dif­fi­cul­té n’en est pas une, du moment qu’on la peut faire éga­le­ment à pro­pos du Concile dont aucun catho­lique ne conteste l’infaillibilité. Tous les actes pon­ti­fi­caux, dit le pré­lat, n’ont pas le carac­tère de l’ex Cathedra. On lui réplique : Tous les actes d’un Concile n’ont pas le carac­tère conci­liaire. On recon­naît ces der­niers à leur teneur, annon­çant l’intention d’obliger toute l’Église. Le même carac­tère se ren­con­trant dans une déci­sion papale, on est aver­ti que cette déci­sion est ren­due ex Cathedra.

Mgr d’Orléans signale comme deuxième dif­fi­cul­té le double carac­tère du Pape, consi­dé­ré soit comme doc­teur pri­vé, soit comme pape. On lui répond : Une défi­ni­tion pro­cla­mant le Pape infaillible ex Cathedra ne touche pas la ques­tion du Pape comme doc­teur pri­vé. Il est donc super­flu de s’inquiéter sur le double carac­tère du Pape, d’autant que ce double carac­tère peut aus­si se ren­con­trer dans le Concile.

Mgr d’Orléans pré­sente comme troi­sième dif­fi­cul­té les mul­tiples ques­tions de fait qui se peuvent poser à pro­pos de tout acte ex Cathedra. On peut rétor­quer en disant : Sur le Concile, les ques­tions de fait ne manquent pas non plus. A‑t-​il été œcu­mé­nique ? A‑t-​il agi en conci­lia­teur dans telle cir­cons­tance ? Quelle forme a‑t-​il don­né à ses décisions ?

Mgr d’Orléans ren­contre une qua­trième série de dif­fi­cul­tés dans « le pas­sé et les faits his­to­riques ». Cela veut dire qu’il se per­suade que le concile du Vatican, avant d’aller plus loin, sera tenu d’ouvrir l’enquête sur Vigile et sur Honorius. J’incline à croire que le Concile trou­ve­ra que Mgr de Sura a suf­fi­sam­ment trai­té de Vigile et le P. Gratry d’Honorius, pour lais­ser dor­mir ces ques­tions qui ne concluent à rien.

Mgr d’Orléans donne comme cin­quième dif­fi­cul­té le fond même de la ques­tion. Qu’est-ce à dire ? sinon que la thèse de l’infaillibilité devra être exa­mi­née quant au fond. Est-​ce une rai­son de pen­ser qu’elle suc­com­be­ra ? Grâce à Dieu, le nombre immense des doc­teurs qui l’ont son­dée, et qui l’ont déci­dée par l’affirmative, donne tout lieu d’espérer qu’elle résistera.

Enfin, Mgr d’Orléans, un peu plus loin, ajoute cette sixième dif­fi­cul­té : On aura à se deman­der si la défi­ni­tion appar­tient vrai­ment à la foi et aux mœurs. Et que fera-​t-​on quand l’objet de la défi­ni­tion n’appartiendra qu’indirectement à l’un ou à l’autre ? Lorsque Mgr d’Orléans aura répon­du à ces mêmes ques­tions quant au Concile, on le satis­fe­ra quant au Pape. La situa­tion de l’un et de l’autre est exac­te­ment iden­tique. L’un et l’autre peuvent déci­der et décident en effet sur la foi et sur les mœurs ; l’un et l’autre décident direc­te­ment et indi­rec­te­ment ; les théo­lo­giens dis­cutent sur leurs déci­sions et c’est là l’objet de la théo­lo­gie. L’Écriture Sainte elle-​même, dans sa lettre et dans son inter­pré­ta­tion, bien qu’elle soit la propre parole de Dieu, ne donne-​t-​elle pas matière aux plus pro­fi­tables discussions ?

Véritablement, Mgr d’Orléans s’est fait sur les sources de la théo­lo­gie une idée qui n’appartient qu’à lui. Il cherche dans les docu­ments doc­tri­naux une pré­ci­sion constante et en toutes choses, qu’il ne ren­con­tre­ra pas. Nous savons que tel texte contient la Révélation ; mais for­mu­lé qu’il est dans le lan­gage humain, il a besoin, pour l’ordinaire, d’être élu­ci­dé par la science. Pour peu que le pré­lat se mette à com­pul­ser les décrets des Conciles géné­raux, si variés dans leur teneur, il recon­naî­tra par lui-​même que le plus sou­vent ils appellent une inter­pré­ta­tion. Ceci est vrai, même du Concile de Trente, dont les décrets et les canons furent cepen­dant éla­bo­rés avec une pré­ci­sion que l’on ren­con­tre­rait dif­fi­ci­le­ment dans les autres monu­ments conci­liaires. Que Mgr d’Orléans en demeure per­sua­dé, une Bulle dog­ma­tique n’est ni plus ni moins dif­fi­cile à for­mu­ler qu’un décret ou un canon de Concile.

Sur un autre ter­rain, Mgr d’Orléans ne paraît pas non plus triom­pher, comme il le pense, de Mgr de Malines. L’illustre arche­vêque avait dit à pro­pos de la doc­trine de l’infaillibilité, que la ques­tion aujourd’hui n’est pas libre ; en d’autres termes, qu’il ne s’agit pas ici d’une simple opi­nion sur laquelle on pour­rait à volon­té sou­te­nir le pour et le contre. Mgr d’Orléans conteste cette manière de consi­dé­rer la situa­tion doc­tri­nale. Pourtant, il ne peut igno­rer que qui­conque sou­tient que la doc­trine de l’infaillibilité papale est futile, qu’elle n’est pas sérieuse, encourt ipso fac­to l’excommunication. En est-​il autant de la contra­dic­toire ? Encourt-​on les cen­sures de l’Église en sou­te­nant que la doc­trine gal­li­cane est futile qu’elle n’est pas sérieuse, qu’elle est fausse ? Mgr d’Orléans est bien obli­gé de conve­nir que non. Mgr de Malines a donc eu rai­son de dire que déjà la ques­tion n’est plus libre, et qu’elle est, ain­si que je l’ai dit ci-​dessus, dans la même situa­tion où se trou­vait celle de l’Immaculée Conception après le décret d’Alexandre VIII.

J’imagine que Mgr d’Orléans ne vien­dra pas dire que la condam­na­tion de la pro­po­si­tion Futilis et toties convul­sa n’a pas été rati­fiée par le corps épis­co­pal. Il enseigne, avec Mgr de Sura, que le consen­te­ment des évêques doit être anté­cé­dent, conco­mi­tant ou sub­sé­quent aux déci­sions doc­tri­nales du Saint-​Siège. Or, voi­là bien­tôt deux siècles que la pro­po­si­tion Futilis a été condam­née par Alexandre VIII. Cette condam­na­tion a été publiée dans toute l’Église. Le corps épis­co­pal n’a jamais récla­mé ; il y a donc adhé­ré d’une manière sub­sé­quente. Cette condam­na­tion figure sur toutes les listes de pro­po­si­tions cen­su­rées que l’on trouve dans un nombre consi­dé­rable de théo­lo­gies impri­mées avec l’approbation des évêques, pour l’instruction de leurs clercs. On ne serait donc pas rece­vable à la regar­der comme non avenue.

Mais ce qui étonne par-​dessus tout, c’est l’étrange liste d’auteurs que Mgr d’Orléans a eu la com­plai­sance d’accepter des mains d’un théo­lo­gien de sa connais­sance, et qu’il nous donne comme une démons­tra­tion de son sen­ti­ment. D’abord, en sup­po­sant que tous ces auteurs fussent dignes d’estime, il serait néces­saire de les ran­ger en deux caté­go­ries : ceux qui ont vécu avant la condam­na­tion de la pro­po­si­tion Futilis par Alexandre VIII, et ceux qui ont vécu depuis. En outre, il fau­drait éloi­gner ceux de ces auteurs qui se bornent à dire que l’infaillibilité du Pape n’est pas une doc­trine de foi ; tout le monde le recon­naît et la meilleure preuve qu’il en est ain­si, c’est que l’on aspire de toutes parts à la défi­ni­tion. Mgr de Malines a avan­cé que, dans l’état pré­sent, la thèse de la failli­bi­li­té du Pape n’est pas une thèse libre ; il n’a pas dit que l’infaillibilité du Pape était, dès ce moment, une véri­té de foi.

Quant à la liste consi­dé­rée dans sa teneur, il est regret­table que Mgr d’Orléans ait cru devoir lui don­ner l’appui de son nom et de son auto­ri­té. On peut sans doute mieux employer son temps qu’à dis­cu­ter la por­tée des noms dont elle se com­pose ; mais il est pour­tant néces­saire de dire :

  • Que Gerson est ain­si trai­té par Victoria (dont le nom se lit sur la liste) : Doctor per omnia infes­tis­si­mus auc­to­ri­ta­ti sum­mo­rum Pontificum, el mul­tos alios infe­cit suo vene­no (20) ;
  • Que Van Espen, le cano­niste de la petite église d’Utrecht, est un jan­sé­niste des plus compromis ;
  • Que Noël Alexandre fut un des signa­taires du fameux Cas de conscience qu’a pour­sui­vi si vigou­reu­se­ment Fénelon ;
  • Que La Luzerne est loin d’être ortho­doxe dans un de ses plus impor­tants écrits (Instruction sur le Rituel de Langres) ;
  • Que Lingard, his­to­rien dis­tin­gué, n’a pas tou­jours été sûr, notam­ment quand il a sou­te­nu la vali­di­té des ordi­na­tions anglicanes ;
  • Que les écrits d’O ’Leary témoignent d’une grande légè­re­té en fait de doctrine ;
  • Que le doc­teur Baines fut for­te­ment répri­man­dé par Grégoire XVI pour les maximes plus que har­dies qu’il avait expri­mées dans un man­de­ment trop célèbre. Les catho­liques anglais ne l’ont pas encore oublié.

Si l’on passe aux autres noms de cette liste, on est éton­né d’y ren­con­trer Victoria qui dans son trai­té De potes­tate Papae et Concilii, ne dit pas un seul mot de la ques­tion ; Driedon, Alphonse de Castro, Pierre de Monte, Thomas Campège, Jérôme Albani, Frédéric Nausea, Dominique Soto, les frères Wallenburch qui enseignent l’infaillibilité du Pape ; François Kenrick, arche­vêque de Baltimore, qui la pro­fesse pareille­ment dans sa Théologie, etc. Quant au révé­rend Manning, la liste for­mule d’après lui cette pro­po­si­tion : L’infaillibilité ne réside pas dans le Pape seul, parce que ce mot seul exclut tant les Conciles géné­raux que le corps de l’Eglise dis­per­sée. Est ce que Mgr d’Orléans, qui publie la liste, pen­se­rait que la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape com­pro­met­trait l’infaillibilité des Conciles géné­raux, ou celle de l’Église dis­per­sée ? A ce compte, son oppo­si­tion serait fon­dée ; mais qu’il se ras­sure, et qu’il ait la cha­ri­té de conseiller à son théo­lo­gien de prendre au moins une idée de la question.

X) Dans une dis­cus­sion telle que celle du sujet de l’infaillibilité dans l’Église, la connais­sance de l’histoire et des monu­ments est sur­tout néces­saire. Mgr d’Orléans l’a sen­ti, et c’est pour cela que, dans sa Lettre à Mgr de Malines, il affirme avoir beau­coup étu­dié l’histoire de l’Église. Cependant, pour ne pas remon­ter plus haut que cet opus­cule, on y trouve trop sou­vent la preuve qu’un cer­tain déve­lop­pe­ment dans les études et les recherches ne serait pas inutile.

Ainsi, Mgr d’Orléans répète jusqu’à deux fois que le Concile de Trente s’occupa de la thèse de l’infaillibilité du Pape. Le fait est qu’il n’en fut pas ques­tion dans cette assem­blée ; ni frà Paolo ni Pallavicini n’en ont dit un mot. Les paroles du car­di­nal de Lorraine rap­por­tées par Mgr d’Orléans furent pro­non­cées à pro­pos d’une ques­tion tota­le­ment dis­tincte. Il s’agissait de la source de la juri­dic­tion dans l’Église. Je ferai obser­ver en pas­sant que lors même que le Concile de Trente eût renon­cé à tran­cher la ques­tion de l’infaillibilité du Pape, il ne s’ensuivrait pas qu’un autre Concile serait impuis­sant à la déci­der. N’avons-nous pas vu défi­nir de nos jours l’Immaculée Conception, que le même Concile de Trente n’avait pas jugée mûre encore pour être éri­gée en dogme ?

La pré­di­ca­tion de l’Évangile chez les infi­dèles, les obs­tacles qu’elle y ren­contre, sont autant de ques­tions du res­sort de la science his­to­rique, qu’il s’agisse du pas­sé ou du pré­sent. On a donc lieu de se deman­der sur quels faits s’appuie Mgr d’Orléans, lorsqu’il consi­dère la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape comme pou­vant nuire à la conver­sion des cen­taines de mil­lions d’infidèles qui n’ont pas encore accep­té le chris­tia­nisme. Jusqu’à pré­sent, il est inouï que la notion du Pape, infaillible ou non, n’ait jamais arrê­té les pro­grès de l’Évangile. Mgr le vicaire apos­to­lique de Ceylan a ren­du sur ce point un témoi­gnage auquel ont adhé­ré ses véné­rables col­lègues dans l’apostolat. Ils parlent du pré­sent ; l’Histoire nous révèle le pas­sé. Véritablement Mgr d’Orléans pou­vait se dis­pen­ser d’amener les infi­dèles dans la question.

Est-​il mieux fon­dé à mettre en avant les pro­tes­tants dont il porte le nombre à quatre-​vingt-​dix mil­lions ? Admettons, pour le moment, ce chiffre qu’on lui conteste. Pour pou­voir objec­ter les répu­gnances des pro­tes­tants contre la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape, il serait néces­saire de suivre his­to­ri­que­ment la contro­verse depuis le sei­zième siècle jusqu’aujourd’hui, et de démon­trer que la ren­trée des réfor­més dans l’Église tient à la ques­tion de savoir s’il faut croire le Pape infaillible ou non. Les pièces de ce vaste pro­cès sont devant nous, et chaque année en voit s’accroître le nombre. Est-​ce là qu’est le nœud de la contro­verse ? Il y a long­temps déjà qu’il n’est plus même ques­tion du Pape dans la polé­mique pro­tes­tante. Elle est concen­trée tout entière dans les pré­ten­tions de la rai­son humaine, qui entend juger la Révélation et gérer un chris­tia­nisme en dehors de l’autorité et de la Tradition. Faites admettre à ces hommes une Église infaillible, ils accep­te­ront le Concile, et tout ce que le Concile aura déci­dé, fût ce même l’infaillibilité du Pape.

Sur le chris­tia­nisme orien­tal, Mgr d’Orléans ne paraît pas non plus pos­sé­der toutes les don­nées his­to­riques qui lui seraient en ce moment fort utiles.

Ainsi, il dit à Mgr de Malines : « Au neu­vième siècle, nous avons eu la dou­leur de perdre à peu près la moi­tié de l’Église ». Dans sa Lettre pas­to­rale, ou Observations, il paraît convain­cu que Photius a sépa­ré au neu­vième siècle les Orientaux de la com­mu­nion de l’Église, à pro­pos de la pri­mau­té du Pape.

Il y a tout un monde d’erreurs dans cette manière d’envisager l’histoire.

Mgr d’Orléans com­mence par confondre les Églises orien­tales avec l’Église grecque. Il aurait besoin de se rap­pe­ler que ce n’est point au neu­vième siècle, mais dès le sep­tième que le nes­to­ria­nisme, et sur­tout le mono­phy­sisme, ont pré­va­lu dans les Églises de l’Orient ; que la Syrie, l’Arménie, la Chaldée, l’Égypte, ont som­bré dans l’hérésie, non point pour se sous­traire à l’autorité du siège de Rome , mais, les Chaldéens, pour ne pas confes­ser l’unité de per­sonne en Jésus-​Christ ; les Syriens, les Arméniens, les Coptes, les Éthiopiens, pour ne pas recon­naître en lui les deux natures. Le peu d’orthodoxes qui res­ta dans ces pays fut dési­gné et l’est encore sous le nom de Melchites, comme pro­fes­sant la foi de l’empereur de Constantinople. Cette immense défec­tion qui fut châ­tiée et l’est encore par l’invasion de l’islamisme, n’a rien de com­mun avec Photius et son schisme de quelques années.

Faute d’avoir une idée dis­tincte de ce qui se pas­sa au neu­vième siècle, Mgr d’Orléans, de même qu’il recule jusqu’à cette époque la sépa­ra­tion des Orientaux, avance de deux siècles celle de l’Église grecque. Il a oublié que le schisme de Photius ne dura que peu d’années, et que le hui­tième Concile y mit fin, mal­gré les efforts impuis­sants de l’ambitieux patriarche qui ne put pro­lon­ger au-​delà de sa vie le scan­dale de sa rup­ture avec Rome. Mgr d’Orléans ne tient aucun compte des dix-​sept patriarches qui se suc­cé­dèrent entre Photius et Michel Cérulaire, par lequel enfin le schisme grec se décla­ra au milieu du onzième siècle.

Tous ces dix-​sept patriarches vécurent dans la com­mu­nion du Siège apos­to­lique, ain­si que les Églises de leur res­sort. Plusieurs sont hono­rés comme saints, et l’un d’eux, saint Antoine sur­nom­mé Caulée est même ins­crit au Martyrologe romain. Ce fut durant cette période que la Ruthénie fut conver­tie au chris­tia­nisme par des mis­sion­naires venus de Constantinople, et les pre­miers saints que pro­dui­sit cette Église sont hono­rés par les Ruthènes unis, par exemple saint Vladimir et sainte Olga, avec l’approbation du Saint Siège. Le schisme tout per­son­nel de Photius ne fit donc point perdre la moi­tié de l’Église, comme le dit Mgr d’Orléans. Nestorius, Eutychès, Dioscore, sont res­pon­sables de la perte des Eglises orien­tales ; Michel Cérulaire répond de celle de l’Église grecque.

Sur une ques­tion beau­coup plus récente, Mgr d’Orléans reproche à Mgr de Malines de ne pas tenir compte d’un fait ins­crit dans la Lettre pas­to­rale, ou Observations. On y rap­pe­lait les décla­ra­tions faites, avant 1829, au gou­ver­ne­ment et au par­le­ment anglais par plu­sieurs pré­lats catho­liques d’Angleterre et d’Irlande, décla­ra­tions dans les­quelles ils expri­maient qu’il n’était pas exi­gé d’eux de croire le Pape infaillible. Qu’avait à dire à ce sujet Mgr de Malines ? Le fait est cer­tain ; mais en quoi est-​il favo­rable à la thèse de Mgr d’Orléans ? A ce moment il s’agissait d’accorder enfin l’émancipation aux catho­liques, d’abroger la légis­la­tion odieuse et tyran­nique qui pesait sur eux. Le gou­ver­ne­ment anglais, dans son habi­le­té bien connue, cher­chait à atté­nuer le plus pos­sible la conces­sion que bien­tôt il ne pour­rait plus refu­ser. Il eut entre autres l’idée fort peu libé­rale de faire une enquête sur la doc­trine des catho­liques avant de leur res­ti­tuer leurs droits les plus sacrés. Pénétrant jusque dans nos croyances intimes, ce gou­ver­ne­ment se per­mit de s’enquérir, même par inter­ro­ga­toire de leurs prin­cipes sur l’autorité toute spi­ri­tuelle du Pontife romain. Les évêques, dans l’intérêt de leurs trou­peaux, crurent devoir se sou­mettre à ces exi­gences, et don­nèrent, avec la liber­té que l’on peut avoir en sem­blables occa­sions, les réponses qu’ils jugeaient propres à satis­faire ceux dont l’émancipation des catho­liques dépen­dait. Au reste, dans la ques­tion qui nous occupe, le point de doc­trine n’étant pas encore défi­ni, répondre sim­ple­ment qu’il n’était pas exi­gé d’eux de croire le Pape infaillible, n’était pas du tout décla­rer que le Pape n’est pas infaillible ex Cathedra.

Cette exi­gence du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique n’en fut pas moins un acte signa­lé d’oppression, et les réponses ren­dues par les évêques anglais et irlan­dais à un gou­ver­ne­ment héré­tique qui met­tait à de telles condi­tions une liber­té dont les catho­liques étaient tyran­ni­que­ment pri­vés depuis trois siècles, n’en demeure pas moins dans l’histoire comme le monu­ment d’une ser­vi­tude à laquelle l’Église ne pour­rait que perdre. Il faut, certes, avoir du cou­rage pour venir allé­guer, en faveur d’une opi­nion, des témoi­gnages obte­nus par une pres­sion si injuste. Le gou­ver­ne­ment anglais avait-​il jamais deman­dé aux métho­distes et aux autres dis­sen­ters, pour les lais­ser jouir de leurs droits de citoyens, ce qu’il osa exi­ger des pré­lats catho­liques ? Cependant Mgr d’Orléans s’est pré­va­lu, dans sa Lettre pas­to­rale, de ces réponses qui ne pou­vaient être libres ; elles figurent aus­si sur l’étrange liste qu’il a accep­tée et qu’il recom­mande. Mgr de Malines, comme tous ceux aux­quels la liber­té de l’Église est chère, n’a pas cru devoir rele­ver cette manière de se créer des argu­ments, et per­sonne ne lui en fera blâme. En ce moment où la défense de la véri­té appelle au secours tous ceux qui ont le zèle de la mai­son de Dieu, je pro­teste en ter­mi­nant cette étude de la Lettre de Mgr d’Orléans, contre l’emploi qu’il fait pour la seconde fois de ces réponses extor­quées, et j’insiste encore en finis­sant, sur la néces­si­té d’unir dans les dis­cus­sions dog­ma­tiques, la science pra­tique de l’histoire aux auto­ri­tés et aux argu­ments de la théologie.

Réponses aux dernières objections contre la définition de l’infaillibilité du Pontife romain

Il sem­blait que la cause de l’infaillibilité papale avait été suf­fi­sam­ment ins­truite par les débats contra­dic­toires qui, ont eu lieu depuis la publi­ca­tion du livre Mgr de Sura. L’apparition toute récente de plu­sieurs mémoires des­ti­nés aux membres du Concile et rédi­gés dans un sens oppo­sé à la défi­ni­tion, montre l’importance que leurs auteurs attachent au sen­ti­ment qu’ils ont embras­sé ; mais il est dou­teux que ce ren­fort de la der­nière heure décide la vic­toire en faveur d’un sen­ti­ment oppo­sé à l’enseignement presque uni­ver­sel des théo­lo­giens, et à la pra­tique infaillible de l’Église.

Monseigneur l’évêque de Rottenbourg a entre­pris une der­nière cam­pagne sur la ques­tion d’Honorius. Il est per­mis de pen­ser que cette dis­ser­ta­tion qui fait plus ou moins d’honneur à l’érudition de l’auteur demeu­re­ra sans influence sur la déci­sion doc­tri­nale. Dans la ques­tion de savoir si saint Pierre a reçu pour lui-​même et pour ses suc­ces­seurs le pri­vi­lège de l’inerrance dans l’enseignement offi­ciel de la foi, il importe peu qu’Honorius, dans des lettres pri­vées où il enseigne avec une pleine ortho­doxie les deux opé­ra­tions, divine et humaine, en Jésus-​Christ, ait ten­té plus ou moins mal­adroi­te­ment d’assoupir une erreur qu’il aurait dû pour­suivre avec éner­gie. Il importe peu que la condam­na­tion d’Honorius comme héré­tique se trouve dans les actes du VIe Concile, lorsque nous fai­sons pro­fes­sion de ne recon­naître la valeur œcu­mé­nique des décrets d’un Concile que dans la mesure où ils sont accep­tés et confir­més par le Siège apos­to­lique. Mgr de Rottenbourg n’ignore pas que dans la confir­ma­tion qu’il accor­da au décret du VIe Concile, saint Léon Il n’accepta pas la note d’hérétique infli­gée à Honorius, et que les Pontifes romains, ain­si qu’il conte par le Liber diur­nus, ne com­prirent jamais la chose dans ce sens. Il était donc super­flu de rame­ner l’affaire d’Honorius à pro­pos de la ques­tion de l’infaillibilité du Pape.

Cette thèse his­to­rique offre, j’en conviens, un véri­table inté­rêt, et si elle n’a pas pré­ci­sé­ment une valeur pra­tique en ce moment, elle n’en était pas moins digne d’occuper les doctes loi­sirs de Mgr de Rottenbourg. Au reste, un fran­çais, le R.P. Colombier, de la Compagnie de Jésus, vient d’achever par un cin­quième article, dans les Études reli­gieuses, un tra­vail aus­si neuf que solide sur la ques­tion d’Honorius, qui n’avait pas encore été étu­diée avec cette éten­due et cette profondeur.

En dehors du livre de Mgr de Rottenbourg, les mémoires dont je viens de par­ler sont d’abord un in 12 de trente-​deux pages, un in 4 de soixante-​six, et un in 8 de quatre-​vingt-​sept. Je me bor­ne­rai à par­cou­rir ce der­nier qui a été impri­mé à Naples, sous ce titre : Observationes quae­dam de infal­li­bi­li­ta­tis Ecclesiae sub­jec­to. Il peut tenir lieu des autres, qui ne ren­ferment guère autre chose que ce qu’il contient. Depuis le pre­mier mot du titre, Observationes, on y sent d’un bout à l’autre les habi­tudes de la langue fran­çaise, et de la langue de jour­na­liste. Les termes et les tour­nures seraient inac­ces­sibles à un lec­teur qui ne connaî­trait pas notre idiome et le style fort peu aca­dé­mique qui a cours aujourd’hui.

I) L’auteur, au pre­mier para­graphe, com­mence par faire d’importantes conces­sions aux défen­seurs de l’infaillibilité. Il recon­naît que le Saint-​Siège étant la pierre contre laquelle les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas, est par là même l’inébranlable fon­de­ment de la foi catho­lique ; que c’est le devoir des catho­liques de rece­voir, avec une prompte obéis­sance et une entière confiance, les défi­ni­tions du sou­ve­rain Pontife sur la foi et les mœurs. Il sem­ble­rait donc que toute contro­verse est ter­mi­née, mais pas du tout. L’auteur refuse de conclure de ce qui pré­cède qu’une défi­ni­tion ren­due par le suc­ces­seur de saint Pierre en matière de foi ou de mœurs, impose l’obligation de l’accepter comme une doc­trine révé­lée de Dieu. Il se plaint que l’on ait pro­po­sé à la défi­ni­tion du Concile l’infaillibilité du Pape, et oppose à cette croyance les lieux com­muns qui ont été cent fois réfutés.

Ainsi, selon notre auteur, le Pape est faillible dans ses défi­ni­tions sur la foi et les mœurs ; et non­obs­tant, les fidèles sont tenus de rece­voir ce qu’il décide avec une prompte obéis­sance et une entière confiance. Le Saint Siège est l’inébranlable fon­de­ment de la foi catho­lique, mais on ne doit pas croire pour cela que tout ce qu’il décide soit conforme à la doc­trine révé­lée de Dieu. La consé­quence d’un tel sys­tème est que le chré­tien est sous l’obligation d’adhérer à l’erreur si le Pape l’enseigne, que la pure­té de la foi peut s’altérer dans l’Église ; en un mot que le devoir du fidèle peut se trou­ver en contra­dic­tion avec les droits de la véri­té révé­lée. C’est la néga­tion de la mis­sion divine du Christ et du chris­tia­nisme tout entier. De telles contra­dic­tions auraient arrê­té les anciens gal­li­cans. Ils auraient main­te­nu chez les évêques et chez les fidèles le droit d’appel au futur Concile contre toute déci­sion du Pape qui ne leur convien­drait pas. Aujourd’hui il faut bien faire une conces­sion à l’ultramontanisme qui triomphe par­tout, et voi­ci que dans les Observationes on pro­clame réso­lu­ment l’identité des contraires à pro­pos de l’infaillibilité du Pape, en immo­lant d’un même coup la logique et la foi.

II) Au para­graphe sui­vant, l’auteur nous trans­porte à l’âge des mar­tyrs, et dans un but qui pro­fi­te­rait aux pro­tes­tants, plus encore qu’aux gal­li­cans, il cherche à démon­trer par de pures asser­tions, il est vrai, que durant les trois pre­miers siècles, il n’existait pas de moyen d’arriver à la cer­ti­tude abso­lue sur la foi. Le Concile œcu­mé­nique n’étant pas pos­sible à cette époque, les ques­tions dog­ma­tiques n’étaient trai­tées que dans des Conciles par­ti­cu­liers qui n’étaient pas infaillibles. Cependant, ajoute l’auteur, sauf dans des cas rares, il était mora­le­ment cer­tain pour chaque chré­tien que la doc­trine de son évêque était d’accord avec celle des apôtres.

Voilà jusqu’où le gal­li­ca­nisme devait entraî­ner ses par­ti­sans ! jusqu’à nier la divine et irré­fra­gable cer­ti­tude de la foi dans l’Église durant une période de trois siècles, et cela parce que le Concile œcu­mé­nique ne se tenait pas. L’aveuglement de ces hommes n’a‑t-il pas quelque chose de sur­na­tu­rel ? Outre le prin­cipe fon­da­men­tal de l’Église, véri­table ques­tion de droit qui consiste à admettre en elle la per­ma­nence de la foi omni­bus die­bus, le fait de cette per­ma­nence est consta­té par le célèbre témoi­gnage de saint Irénée qui enseigne, dès le IIe siècle, que toute église et tout fidèle néces­sai­re­ment adhèrent à la doc­trine de l’Église romaine, en laquelle se conserve la vraie foi apos­to­lique. Le fait est encore consta­té par les juge­ments du Pontife romain dans la condam­na­tion des héré­tiques à cette époque, dans ses déci­sions atten­dues, sol­li­ci­tées et reçues comme irré­fra­gables, ain­si qu’il conte par l’histoire, si rares que soient les monu­ments qui nous en sont res­tés. Mais le gal­li­ca­nisme, en ce moment, ne s’inquiète plus de l’histoire ; on l’a vu par les lettres du P. Gratry ; tou­te­fois, nul n’était encore allé aus­si loin que l’auteur des Observationes dans l’abjuration des faits comme de la logique.

III) Enfin le Concile de Nicée eut lieu, et selon notre auteur, au para­graphe troi­sième, on put dès lors avoir sur la foi cette cer­ti­tude que tous dési­raient. Il s’étend un peu sur ce pre­mier Concile œcu­mé­nique pour en rele­ver la gran­deur et l’autorité. Rien de mieux assu­ré­ment, s’il vou­lait en même temps conve­nir que, sans ce Concile, l’Église durant les trois pre­miers siècles, avait joui de la cer­ti­tude com­plète dans la doc­trine, et que si le Concile n’avait pas eu lieu au IV°, rien d’essentiel ne lui eût man­qué. Mais ce n’est pas ain­si que l’entend notre théo­lo­gien. Le Concile de Nicée qui, pour tout le monde, n’est qu’un fait, est à ses yeux un droit. Singulier droit, qui est essen­tiel à l’Eglise, et dont l’Église durant ses trois pre­miers siècles n’a pas eu même conscience. Elle pen­sait qu’il lui suf­fi­sait pour conser­ver la pure doc­trine du Christ d’adhérer à l’enseignement de l’Église romaine, et elle se trom­pait ! La foi des mar­tyrs n’arrivait pas au plus haut degré de cer­ti­tude ! Il leur eût fal­lu de temps en temps un Concile œcu­mé­nique, et mal­heu­reu­se­ment, ain­si que le remarque l’auteur, la convo­ca­tion et la tenue n’en étaient pas très pra­ti­cables sous les empe­reurs persécuteurs.

Il pro­fite de l’occasion pour don­ner sa théo­rie du Concile. Elle se réduit à deux points prin­ci­paux. Il faut que les décrets de l’assemblée soient sanc­tion­nés par le Pape ; mais ils doivent avoir été ren­dus à l’unanimité, ou du moins à la quasi-​unanimité des suf­frages. Sur le pre­mier point, il n’y a rien à dire : l’auteur est ortho­doxe. Toutefois, ne nous y lais­sons pas prendre. En ces jours le gal­li­ca­nisme a com­pris que l’on ne gagne­rait rien en cher­chant à amoin­drir la digni­té du Pontife romain ; elle est aujourd’hui trop res­pec­tée. Il s’est donc atta­ché à la réduire à l’impuissance, et il vient d’inventer le sys­tème de l’unanimité des suf­frages dans le Concile. Pas n’est besoin d’être fort théo­lo­gien pour com­prendre le dan­ger de cette théo­rie. J’imagine pour­tant que ses inven­teurs vou­dront bien conve­nir que, pris indi­vi­duel­le­ment, chaque évêque est faillible ; or, tant qu’on n’aura pas démon­tré que, dans le Concile, chaque évêque revêt une infailli­bi­li­té per­son­nelle, il y aura tou­jours la pos­si­bi­li­té d’en voir un nombre plus ou moins grand abon­der dans le sens contraire à une défi­ni­tion néces­saire. Si cet incon­vé­nient a lieu, voi­là donc l’Église arrê­tée. Par suite du défaut d’unanimité, l’erreur ne pour­ra plus être condam­née, la véri­té ne pour­ra plus être pro­cla­mée, et cela, parce qu’une mino­ri­té qui repré­sen­te­rait l’erreur se met­trait en tra­vers. Est-​il pos­sible de recon­naître dans un tel sys­tème la vraie consti­tu­tion de l’Église ? Qui ne voit qu’au lieu de pro­té­ger la véri­té, il ne serait propre qu’à l’entraver ; à moins, je le répète, que l’on ne veuille attri­buer à chaque évêque, dans le Concile, une infailli­bi­li­té per­son­nelle dont il ne jouit pas sur son siège.

Que si l’on trou­vait bon d’aller jusque-​là, ce serait encore une fois admettre l’identité des contraires, puisque les évêques de la majo­ri­té seraient aus­si infaillibles que ceux de la mino­ri­té. Or, les uns disant oui et les autres non, pour croire que ni les uns ni les autres ne se trompent, il fau­drait admettre que oui et non sont une seule et même chose. Si donc l’on veut sau­ver le bon sens du nau­frage, il est néces­saire d’en reve­nir à la véri­té catho­lique recon­nue dans tous les temps, et hors de laquelle, vu la fai­blesse humaine, il n’y a pas d’Église : savoir, que dans le cas de par­tage entre les évêques, ceux qui sont avec le Pontife romain repré­sentent l’Église et enseignent la véri­té. Ubi Petrus, ibi et Ecclesia.

IV) Il est dif­fi­cile d’entasser plus de sophismes en moins de pages que ne l’a fait notre auteur dans son para­graphe qua­trième. De ce que les juge­ments doc­tri­naux du Pontife romain sont tou­jours en rap­port avec la foi géné­ra­le­ment répan­due dans l’Église, il se met à conclure que ces juge­ments ne sont pas par eux-​mêmes irré­for­mables. Comment ne voit-​il pas que ce rai­son­ne­ment est tout aus­si appli­cable aux déci­sions des Conciles œcu­mé­niques ? A‑t-​il jamais vu quelqu’un de ces Conciles défi­nis­sant dans un autre sens que dans celui de la foi anté­rieu­re­ment pro­fes­sée ? En conclura-​t-​il que les déci­sions conci­liaires ne sont pas irré­for­mables par elles-​mêmes ? Il le doit, si son prin­cipe est vrai.

Ces der­niers des gal­li­cans ont d’étranges idées. A les entendre, on croi­rait que la décla­ra­tion de l’infaillibilité, une fois ren­due, auto­ri­se­rait le Pape à défi­nir à tort et à tra­vers tout ce qui lui pas­se­rait par l’esprit, sans s’inquiéter de la foi anté­rieure de l’Église. Mais ils n’ont donc jamais ouvert un livre de contro­verse ? Ils ne savent donc pas que les pro­tes­tants, quand on leur affirme que le Concile est infaillible, se révoltent pré­ci­sé­ment par cette même rai­son qu’ils se figurent que nous accor­dons au Concile le droit de déci­der à volon­té, sans égard à la croyance géné­rale anté­rieure qu’il doit sim­ple­ment sanc­tion­ner par ses sentences ?

Pourtant, la situa­tion est la même. Qu’il s’agisse du Pape infaillible, ou du Concile infaillible, au fond, c’est tou­jours de l’Église infaillible qu’il s’agit. Le même Esprit Saint conduit tout, anime tout. En ver­tu des pro­messes de Jésus-​Christ, il fait que le corps ensei­gnant (le Pape et les évêques défi­nis­sant simul­ta­né­ment), est infaillible ; parce que le Sauveur l’a pro­mis. Il fait que le Pontife romain défi­nis­sant du haut de sa Chaire est infaillible ; parce que le Sauveur l’a pro­mis. Il fait que le corps épis­co­pal, quand le Pape défi­nit seul, adhère à la sen­tence dans une infailli­bi­li­té pas­sive ; parce que le Sauveur a pro­mis à son Église la per­ma­nence. Il fait enfin que l’Église ensei­gnée n’est jamais sans la véri­té pro­fes­sée, avant comme après la défi­ni­tion ; parce que le Sauveur a pro­mis de main­te­nir ses fidèles dans la véri­té jusqu’à la consom­ma­tion des siècles.

Non, il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il ne peut y avoir de défi­ni­tion de foi qui ne soit accueillie par le consen­te­ment de l’Église ; mais l’infaillibilité du Pape comme celle du Concile n’est pas pré­ci­sé­ment un pro­duit de ce consen­te­ment. Elle est l’œuvre directe du Saint-​Esprit qui l’influe. Il y a pro­messe divine pour le Pape et pro­messe divine pour le Concile ; ni Pape, ni Concile, n’est infaillible par lui-​même. Nous sommes ici dans l’ordre pure­ment sur­na­tu­rel dont vou­draient en vain nous dis­traire de vaines pré­ten­tions, aus­si ter­restres qu’elles sont odieuses. Que les pas­sions humaines s’agitent, c’est un triste spec­tacle sans doute ; mais l’Esprit Saint est notre force. Nous savons que nous ne serons pas confondus.

C’est en vain que l’auteur s’efforce, par des cita­tions tron­quées et des réti­cences, d’atténuer le grand mot de saint Augustin : Causa fini­ta est. D’autres pas­sages du saint doc­teur mettent au jour son sen­ti­ment sur l’autorité déci­sive des juge­ments doc­tri­naux du Saint-​Siège ; ils ont été cités dans la contro­verse pré­sente ; mais l’auteur s’est gar­dé de les repro­duire. Vient ensuite l’apologie de saint Cyprien dans sa résis­tance à saint Étienne. L’auteur oublie seule­ment de démon­trer que ce Pape aurait ren­du une déci­sion doc­tri­nale dans la ques­tion. Nous atten­drons les preuves. Après saint Cyprien, c’est le tour de saint Léon. On veut nous faire croire qu’un Pape si ferme dans la défense des droits de son siège, aurait avoué que la défi­ni­tion ren­due par lui contre la doc­trine d’Eutychès atten­dait la confir­ma­tion du Concile pour être irré­for­mable. Or, dans le pas­sage que l’on cite, saint Léon atteste que la sen­tence qu’il avait préa­la­ble­ment pro­non­cée était déjà reçue dans le monde chré­tien tout entier. Le Concile de Calcédoine n’était donc pas de néces­si­té abso­lue. Il ne fut convo­qué que dans le but de confondre plus effi­ca­ce­ment et avec plus d’éclat les héré­tiques ; et après la pro­cé­dure que cette sainte assem­blée exer­ça contre leurs erreurs, saint Léon pou­vait bien dire que le juge­ment qu’il avait ren­du était désor­mais rétrac­table ; en d’autres termes que la sen­tence était deve­nue si solen­nelle que les condam­nés n’avaient plus à invo­quer en leur faveur aucune dis­po­si­tion du droit qui ne leur eût pas été appliquée

Est-​ce conve­nir que jusque-​là il man­quait quelque chose à la défi­ni­tion de la foi ? Le Concile ne s’était-il pas écrié : Pierre a par­lé par Léon ? Quand Pierre a par­lé, on peut véri­fier sa parole, on peut la publier avec plus ou moins de solen­ni­té ; on n’y peut rien ajou­ter en fait d’autorité. Le même Esprit Saint qui a par­lé par Pierre, parle encore dans le Concile. Il n’y a pas d’antagonisme pos­sible entre Pierre et le Concile, ins­tru­ments l’un et l’autre du même Esprit Saint.

L’auteur, après avoir enre­gis­tré les lieux com­muns du gal­li­ca­nisme sur les pre­miers Conciles, nous dit qu’il a fal­lu quatre siècles pour éta­blir la foi droite (fides rec­ta) sur les mys­tères de la Trinité et de l’Incarnation, que, durant cet inter­valle, on a recou­ru fré­quem­ment au consen­te­ment des Églises ; et que les Papes, loin de s’y oppo­ser, se sont prê­tés d’eux-mêmes à cette inves­ti­ga­tion. Nous lui répon­drons que la foi droite et exacte sur ces mys­tères n’a jamais man­qué dans l’Église ; seule­ment on a dres­sé dans les quatre et même cinq pre­miers siècles des for­mules qui devaient ser­vir à dis­cer­ner la véri­té de l’erreur. Pour les rédi­ger, où aurait-​on pris les termes, si ce n’est dans la foi anté­rieure et uni­ver­selle ? Papes et Conciles ont consul­té la tra­di­tion avant de rendre les décrets qui devaient l’exprimer ; pouvait-​il en être autre­ment ? En quoi ce fait démontre-​il que le Concile est infaillible et que le Pape ne l’est pas ?

Si l’on eût été alors per­sua­dé de l’infaillibilité du Pape, dit notre auteur, on n’eût pas pris tant de peines pour réunir des Conciles, encou­ru tant de fatigues pour y assis­ter. On le prie­ra de se sou­ve­nir que les Conciles ont en pour motif de pro­duire avec la plus grande solen­ni­té pos­sible la mani­fes­ta­tion de la foi, afin de confondre plus effi­ca­ce­ment les héré­tiques, et d’affermir les fidèles en les fai­sant jouir du sublime spec­tacle de la croyance dans toute l’Église. Ce secours puis­sant don­né à l’orthodoxie est la rai­son his­to­rique des Conciles, et n’altéra jamais en rien la confiance que tous les siècles ont pro­fes­sé à l’égard de Pierre par­lant avec infailli­bi­li­té par son suc­ces­seur. Si l’on veut s’obstiner à répé­ter que les Conciles ont été tenus dans l’intention de sup­pléer à l’infaillibilité qui n’existe pas dans le Pape, res­te­rait à prou­ver que la ques­tion gal­li­cane avait été dès lors sou­le­vée ; mais on n’en vien­dra jamais à bout. Cette ques­tion est moderne ; elle est sor­tie de la scho­las­tique et n’a rien de com­mun avec l’antiquité.

On ne peut lire sans indi­gna­tion ce que l’auteur ajoute à la fin de son para­graphe, lorsque, après avoir sacri­fié à son sys­tème la cer­ti­tude de la foi durant les trois pre­miers siècles, ren­con­trant ensuite sur son che­min les témoi­gnages irré­cu­sables du pro­fond res­pect des Pères pour les déci­sions pon­ti­fi­cales, il ose dire qu’ils ont exal­té pareille­ment les décrets de cer­tains Conciles par­ti­cu­liers qui cepen­dant étaient faillibles ; lorsqu’il ne craint pas d’affirmer qu’il était natu­rel que les juge­ments du Siège apos­to­lique fussent accueillis avec une pieuse confiance dans le patriarche d’Occident, tan­dis que nous avons les témoi­gnages des Pères de l’Orient aus­si for­mels que ceux des latins sur l’inerrance de la Chaire de saint Pierre ; lorsqu’enfin il a l’audace d’expliquer les termes que les Pères et les Conciles employaient pour expri­mer leur foi dans la pré­ro­ga­tive du Pontife romain, par l’usage éta­bli alors dans les cours de se ser­vir de com­pli­ments empha­tiques à l’égard des dépo­si­taires du pou­voir, jusque-​là que Théodose Il pre­nant la chose au sérieux, parle de ses divines oreilles dans un de ses édits. En pré­sence de si misé­rables défaites, le cœur catho­lique se sou­lève, et pour ma part, sans connaître l’auteur du pam­phlet, je n’hésite pas à dire que sous son style pâteux et son appa­rente modé­ra­tion, on retrouve toute l’audace hypo­crite d’un Fébronius et d’un Ricci.

V) Le cin­quième para­graphe est diri­gé contre le for­mu­laire de saint Hormisdas, dont il est aisé de com­prendre que l’auteur est fort gêné. De ce for­mu­laire, Bossuet a dit : Quel chré­tien ose­rait le reje­ter ? Ce for­mu­laire, Bossuet lui-​même le regarde comme le prin­ci­pal monu­ment de la tra­di­tion sur l’indéfectibilité de la foi dans le Siège apos­to­lique. Croirait-​on que notre auteur s’efforce, contre l’évidence du texte, d’en détour­ner le sens, pour appli­quer au mys­tère de l’Incarnation dont il n’est pas même ques­tion à cet endroit, ce qui est dit dans le for­mu­laire, que l’entière et véri­table soli­di­té de la reli­gion chré­tienne repose dans le Siège de Rome ? Il est impos­sible de se jouer du lec­teur avec plus de har­diesse ; car enfin tout le monde est à même de véri­fier (21). Triste exemple de la pas­sion qui ne rai­sonne plus !

C’est ain­si que, dans le même para­graphe, l’auteur, vou­lant tirer à son sys­tème le for­mu­laire de saint Hormisdas dont le but était de réta­blir dans l’Orient la pro­fes­sion de la foi défi­nie au Concile de Calcédoine, s’imagine venir au secours du gal­li­ca­nisme en rap­pe­lant ces paroles du Pape saint Gélase sur les Conciles : Aucun vrai chré­tien n’ignore que lorsqu’il s’agit des décrets d’un Concile revê­tu de l’assentiment de l’Église uni­ver­selle, aucun Siège plus que le pre­mier Siège n’a le devoir de les mettre à exé­cu­tion ; car c’est ce Siège qui par son auto­ri­té confirme chaque Concile, et en demeure le gar­dien assi­du, en ver­tu de la prin­ci­pau­té accor­dée au bien­heu­reux Pierre de la bouche même du Seigneur, et recon­nue à jamais par l’Église qui s’y conforme.

Outre que ce texte de saint Gélase ne peut en aucune façon venir au secours du gal­li­ca­nisme si com­pro­mis par le for­mu­laire de saint Hormisdas, n’est-ce pas une grave mal­adresse chez l’auteur de s’en venir citer ces paroles d’un Pape du cin­quième siècle qui tombent sur lui de tout leur poids ? Oui, sans doute, c’est au pre­mier Siège de veiller à l’exécution des Canons d’un Concile œcu­mé­nique ; mais à quel titre ? parce que, dit saint Gélase, ce Concile d’abord a été confir­mé par le pre­mier Siège qui, en ver­tu de sa prin­ci­pau­té, est seul en mesure de le faire obser­ver. Y a‑t-​il là un mot qui auto­rise à pla­cer au-​dessus du Pape le Concile qui n’est Concile que par la confir­ma­tion du Pape ? Et n’est-ce pas le cas de rap­pe­ler la parole inci­sive et si pro­fon­dé­ment vraie de Joseph de Maistre : Comme il ne sau­rait y avoir de Concile œcu­mé­nique sans Pape, si l’on veut dire que le Pape et l’Épiscopat entier sont au-​dessus du Pape ; ou en d’autres termes, que le Pape seul ne peut reve­nir sur un dogme déci­dé par lui et par les évêques réunis en Concile géné­ral, le Pape et le bon sens en demeu­re­ront d’accord ? (22)

VI) Le sixième para­graphe est consa­cré à l’affaire des trois Chapitres. Il n’est pas long, et l’auteur cherche des argu­ments pour sa thèse dans les varia­tions de Vigile. Tout a été dit sur cette ques­tion. On sait que Vigile fut pri­vé de sa liber­té durant son séjour for­cé à Constantinople, et que ses actes, sous la pres­sion exer­cée contre lui, ne pou­vaient avoir une valeur véri­ta­ble­ment cano­nique. Le cin­quième Concile, qui ne fut pas œcu­mé­nique durant sa tenue, se mon­tra obsé­quieux outre mesure envers César. Ses décrets furent ortho­doxes ; mais ils reçurent toute leur auto­ri­té de leur confir­ma­tion par Vigile dont la doc­trine fut tou­jours aus­si saine qu’invariable, quelles qu’aient été ses ter­gi­ver­sa­tions au sujet des trois Chapitres.

La condam­na­tion de ces trois écrits cau­sa dans diverses pro­vinces de l’Église d’Occident des mal­en­ten­dus qui durèrent assez long­temps, et si le Siège apos­to­lique n’y avait mis la plus grande pru­dence, le cin­quième Concile eût en grande peine à être uni­ver­sel­le­ment accep­té. Il a plu à notre auteur de recueillir cer­tains traits emprun­tés à cette époque agi­tée, afin de don­ner à entendre que le res­pect pour le Saint-​Siège avait souf­fert chez quelques-​uns à l’occasion des contro­verses qui s’agitèrent alors. C’est bien peu pour contre­ba­lan­cer cette nuée de témoi­gnages qui s’élèvent de l’Orient et de l’Occident dans tout le cours des siècles en faveur de l’inerrance des Pontifes romains. Est-​il dans la théo­lo­gie une seule thèse contre laquelle on ne puisse réunir quelques textes qui ont besoin d’être élu­ci­dés, ou qu’il faut même aban­don­ner en pré­sence de la vraie doc­trine ? A voir la confiance avec laquelle les adver­saires nous pré­sentent cer­tains textes, on dirait que la théo­lo­gie leur est étran­gère, et qu’ils ignorent le cha­pitre des objec­tions, sur lequel il faut cepen­dant comp­ter tou­jours dans la dis­cus­sion des véri­tés les mieux établies.

VII) Après Vigile, l’éternel Honorius paraît à son tour, et l’auteur lui fait les hon­neurs du sep­tième para­graphe. Est-​ce à dire que l’on trouve là quelque chose de nou­veau ? Non, assu­ré­ment. Tous les lieux com­muns ordi­naires, et rien de plus. Il faut de toute néces­si­té qu’Honorius ait ensei­gné l’unique volon­té et l’unique opé­ra­tion dans le Christ. Il a beau dire et répé­ter dans sa lettre à Cyrus, que dans l’unique per­sonne du Christ, cha­cune des deux natures, divine et humaine, opère ce qui lui est propre ; il faut de toute néces­si­té qu’il ait dit le contraire. Dans la lettre à Sergius, Honorius inci­dente, plus ou moins à pro­pos, pour réfu­ter ceux qui diraient qu’il pou­vait y avoir contra­dic­tion dans le Christ, en ce sens que sa volon­té humaine eût res­sen­ti l’entorse que nous a lais­sée le péché d’origine ; il faut qu’en cela encore Honorius ait nié l’existence d’une volon­té humaine dans le Christ. Comme on le voit, notre auteur n’a rien de nou­veau à dire, et ses asser­tions ont été cent fois réfutées.

Quant à ce que dit Honorius au sujet de l’emploi des termes, une volon­té, une opé­ra­tion, deux volon­tés, deux opé­ra­tions, il est vrai qu’il qua­li­fie cet emploi d’inep­tum ; j’ai mon­tré ailleurs quelle est la valeur de ce mot dans la langue latine et com­ment il n’implique pas la répro­ba­tion d’un terme comme expri­mant le faux, mais seule­ment la super­flui­té ou une sub­ti­li­té exces­sive. Il ne s’agit pas de jus­ti­fier ici Honorius d’une faute de conduite qui est évi­dente, sur­tout après les évè­ne­ments ; il importe seule­ment de n’être pas injuste envers un Pape, et de ne pas lais­ser peser sur lui sans rai­son l’accusation d’avoir ensei­gné l’erreur, quand il ne l’a pas enseignée.

L’auteur s’évertue à prou­ver que les lettres d’Honorius étaient des docu­ments offi­ciels revê­tus de l’ex Cathedra. A ce compte, toutes les réponses ren­dues par les Papes à des consul­ta­tions seraient autant de défi­ni­tions. Sans doute, la qua­li­té de chef de l’Église ne quitte jamais le Pape. C’est en rai­son de cette qua­li­té qu’on le consulte de toutes parts et qu’il répond aux consul­ta­tions ; mais vou­loir trans­for­mer toutes ses réponses en déci­sions solen­nelles, c’est oublier qu’une défi­ni­tion, des­ti­née tou­jours à faire loi dans la croyance, a besoin essen­tiel­le­ment de cer­taines formes déter­mi­nées annon­çant l’intention d’obliger tous les fidèles en matière de foi, et en même temps d’une pro­mul­ga­tion néces­saire à toute nou­velle inti­ma­tion légale. Qu’ont de com­mun avec ces formes essen­tielles à un juge­ment doc­tri­nal, les lettres d’Honorius à Sergius et à Cyrus ? Puisque nous n’enseignons pas l’infaillibilité du Pape comme doc­teur pri­vé, c’est temps per­du de s’en venir nous les objecter.

VIII) Le sixième Concile arrive au hui­tième para­graphe, et l’auteur veut bien nous apprendre que ce Concile condam­na Honorius comme héré­tique. Jusque-​là nous sommes dans l’histoire ; mais il fau­drait aus­si faire en sorte de res­ter dans la théo­lo­gie. L’auteur en sort cepen­dant, lorsqu’il vient nous dire que dans cette occa­sion l’Église uni­ver­selle, condam­na comme héré­tique l’infortuné pon­tife ; car enfin le Pape fait par­tie essen­tielle de l’Église uni­ver­selle, et le Pape n’a pas condam­né Honorius comme héré­tique. Après la mort de saint Agathon, durant la vacance du Siège apos­to­lique, le Concile agit avec une remar­quable vio­lence contre Honorius, et ne fit aucune dif­fi­cul­té de condam­ner d’hérésie Honorius, dans le même décret où il ana­thé­ma­ti­sait Sergius, Pyrrhus et les autres.

Enfin le Siège apos­to­lique fut rem­pli, et saint Léon Il, suc­ces­seur de saint Agathon, vit arri­ver à Rome les Actes du Concile qui allait se ter­mi­ner et sol­li­ci­tait la confir­ma­tion romaine. Le nou­veau Pontife accor­da cette confir­ma­tion à la doc­trine du Concile ; mais quant au décret, qui enve­lop­pait Honorius avec les fau­teurs du mono­thé­lisme, le Pape le réfor­ma, et tout en main­te­nant la note d’hérétiques infli­gée à Sergius, Pyrrhrus et les autres, il mit à part Honorius, et le réprou­va seule­ment pour avoir, par sa fai­blesse, com­pro­mis les inté­rêts de la foi. Le sixième Concile réside tout entier dans cette lettre confir­ma­tive de saint Léon Il ; le reste n’appartient qu’à l’histoire de cette assemblée.

L’auteur s’évertue ensuite à prou­ver qu’un Pape pour­rait tom­ber dans l’hérésie, et que dans ce cas, il serait jus­ti­ciable de l’Église. On peut le lui accor­der, en lui fai­sant tou­te­fois obser­ver que ce cas n’est pas celui d’Honorius qui n’a point ensei­gné l’hérésie, et qui n’a point été jus­ti­fié par l’Église, puisque cha­cun sait que les décrets d’un Concile n’obtiennent la valeur conci­liaire qu’en tant qu’ils sont confir­més par le Pontife romain.

IX) Au neu­vième para­graphe l’auteur prend congé d’Honorius ; mais c’est pour se jeter sur sept ou huit autres Pontifes romains atteints et convain­cus par lui d’hérésie sur le ministre du sacre­ment de l’Ordre. On s’attend à le voir pro­duire de nom­breuses décré­tales de ces Papes ensei­gnant à l’Église uni­ver­selle que les évêques héré­tiques ou simo­niaques sont impuis­sants à trans­mettre le carac­tère divin à ceux aux­quels ils imposent les mains ; mais cette attente est déçue. L’auteur se borne à racon­ter plu­sieurs faits de conduite pri­vée, tous contes­tables, tous en dehors de la ques­tion de l’infaillibilité ex Cathedra. Le gal­li­can Tournely les a tous dis­cu­tés dans son trai­té de Ordine, et il n’en laisse pas un debout.

Véritablement, l’auteur n’est pas fort, et je lui conseille­rais volon­tiers d’étudier un peu le savant Père Morin dans son grand trai­té sur l’Ordination. La pra­tique de l’Église est de rece­voir les héré­tiques et les schis­ma­tiques qui font retour à l’unité avec les ordres qu’ils ont reçus, si ces ordres ont été confé­rés dans les véri­tables condi­tions sacra­men­telles ; mais il ne serait cepen­dant pas hété­ro­doxe de sou­te­nir, avec le Maître des Sentences, que l’Église pour­rait oppo­ser un empê­che­ment, l’hérésie par exemple, à la vali­di­té de l’ordination, comme elle en a mis, par la réserve de cer­tains cas, à la vali­di­té de l’absolution, et par les empê­che­ments diri­mants, à celle du contrat et du sacre­ment de mariage.

Quant à vou­loir accu­ser Paul IV d’avoir pré­ten­du infir­mer tous les sacre­ments confé­rés par des pré­lats qui seraient tom­bés dans l’hérésie avant leur pro­mo­tion, on avait lieu d’espérer que cette excen­tri­ci­té échap­pée au R.P. Gratry serait demeu­rée à son compte. Notre auteur la fait sienne, et il s’en vient don­ner pour preuve les paroles de la bulle, où Paul IV déclare nuls omnia et sin­gu­la per eos (epi­sco­pos) dic­ta, fac­ta, ges­ta et admi­nis­tra­ta. Ce mot admi­nis­tra­ta, nous dit-​il avec une cer­taine bon­ho­mie, ne peut guère s’entendre (Vix) que de l’administration des sacre­ments. Donc Paul IV a infir­mé et irri­té tous les sacre­ments confé­rés par ces pré­lats. Pour toute réponse je le prie de citer un seul docu­ment cano­nique ou litur­gique dans lequel le mot admi­nis­trare ait pour inten­tion de signi­fier l’administration des sacre­ments, lorsque le mot sacra­men­tum n’y est pas joint en ce genre ou en espèce.

X) Après de longs pré­li­mi­naires dans les­quels il recon­naît l’influence salu­taire des Papes dans les choses civiles au moyen âge, l’auteur, dans son dixième para­graphe, arrive péni­ble­ment à la bulle Unam sanc­tam de Boniface VIII. On sait que le sys­tème du par­ti est de ne recu­ler devant aucun moyen, pas même la félo­nie, pour arrê­ter, s’il le peut, la défi­ni­tion de l’infaillibilité. Il a donc rêvé de sus­ci­ter de la part des gou­ver­ne­ments tem­po­rels cer­tains obs­tacles à la liber­té du Concile, don­nant à entendre que cette défi­ni­tion aurait pour résul­tat de sou­mettre le civil au spi­ri­tuel, atten­du que le Pape décla­ré infaillible se met­trait immé­dia­te­ment à dis­po­ser des cou­ronnes à son gré.

Il faut avouer que le stra­ta­gème, s’il est peu loyal à l’égard d’un chef auquel on a juré obéis­sance, est pour le moins fort étrange au temps où nous vivons. On conçoit que sous le règne de Louis XIV, où le roi ne tenait sa cou­ronne que de Dieu et de son épée, il pou­vait sem­bler har­di d’enseigner que le Pape aurait le droit d’enlever cette cou­ronne et de la pas­ser à un autre ; mais en ce moment où les gou­ver­ne­ments s’empressent de recon­naître la sou­ve­rai­ne­té du peuple, on ne voit pas quel ombrage pour­rait leur cau­ser un vieillard désar­mé qui n’a plus à son ser­vice les res­sources d’attaque et de défense qu’avaient ses pré­dé­ces­seurs au Moyen-​Âge. Cette dénon­cia­tion du Pape aux gou­ver­ne­ments comme un péril pour eux est une mau­vaise action.

Elle est en même temps une pitoyable incon­sé­quence. Quel rap­port, en effet, y a‑t-​il entre la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape et l’intervention de celui-​ci dans les choses tem­po­relles ? L’auteur constate lui-​même que les Papes, dans le pas­sé, ont exer­cé la supré­ma­tie spi­ri­tuelle sur les États bien des siècles avant la défi­ni­tion de leur infailli­bi­li­té doc­tri­nale ; il n’y a donc pas de rela­tion néces­saire entre les deux. Il admet sans doute l’infaillibilité des Conciles, il ne voit même l’infaillibilité que dans les Conciles ; si donc c’est pour lui une si funeste erreur de croire à la supé­rio­ri­té du spi­ri­tuel sur le tem­po­rel, com­ment ne voit-​il pas que ce sont les Conciles même qu’il com­pro­met, puisqu’il en est plu­sieurs qui ont agi et décré­té dans le même sens que les Pontifes du Moyen-​Âge ? Le ger­ma­nisme nous admi­nistre donc encore ici une leçon en faveur de l’identité des contraires.

La Bulle Unam sanc­tam joue natu­rel­le­ment un grand rôle dans tout ceci, et l’auteur se fait dis­ciple de Mgr d’Orléans pour la signa­ler comme une œuvre scan­da­leuse qu’il suf­fit de mon­trer du doigt pour sou­le­ver d’indignation le spec­ta­teur. Entendons-​nous cepen­dant, et voyons si nous sommes déci­dés avant tout à demeu­rer catho­liques. C’est un point fon­da­men­tal de notre reli­gion que l’Église ne peut admettre l’erreur dans son ensei­gne­ment ni dans sa pra­tique ; on se rap­pelle l’axiome de saint Augustin, nec appro­bat, nec facit, nec tacet. Or, depuis six siècles la bulle Unam sanc­tam fait par­tie du Corps du Droit. Trois Conciles œcu­mé­niques se sont tenus depuis, ils n’ont pas récla­mé. De toute néces­si­té il faut conclure que l’Église est tom­bée dans l’erreur, ou que la bulle Unam sanc­tam n’est pas si scan­da­leuse qu’on le prétend.

Maintenant, si l’on exa­mine cette bulle en elle-​même, on voit que dans sa teneur elle se com­pose de consi­dé­rants et d’un dis­po­si­tif. Tout éco­lier en théo­lo­gie sait que la valeur déci­sive d’un acte défi­ni­toire, décret de Concile ou bulle pon­ti­fi­cale, réside, non dans les consi­dé­rants, mais dans le dis­po­si­tif. Or, l’auteur est obli­gé de conve­nir que le dis­po­si­tif, la défi­ni­tion pro­pre­ment dite, dans la bulle Unam sanc­tam, ne contient rien dont un gal­li­can même ait rai­son de s’effaroucher. Ainsi c’est en pure perte qu’il a vou­lu faire émeute sur ce terrain.

Il est donc per­mis de dis­cu­ter dans l’école la valeur théo­lo­gique des asser­tions et des preuves rela­tées dans les pré­li­mi­naires d’une défi­ni­tion doc­tri­nale ; aus­si n’y a‑t-​on jamais man­qué. On doit sans doute le faire avec égards, mais la liber­té n’en existe pas moins. Certains théo­lo­giens don­ne­ront à ces pré­li­mi­naires une impor­tance doc­tri­nale plus grande que ne le feront d’autres qui croient pou­voir s’en affran­chir, ; mais cha­cun sait que l’infaillibilité pro­pre­ment dite ne réside pas là.

Je ne veux pas ter­mi­ner l’examen de ce para­graphe sans faire res­sor­tir sur un autre point l’inconséquence de l’auteur. On sait que le but qu’il se pro­pose est de per­sua­der que la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape est impos­sible, atten­du que des Papes ont ensei­gné l’hérésie. Tout à l’heure ce pauvre Honorius était sur la sel­lette ; main­te­nant c’est le tour dé Boniface VIII. L’auteur accu­sait Honorius d’avoir ensei­gné le mono­thé­lisme ; le mono­thé­lisme, il faut en conve­nir, était bien une héré­sie ; mais Boniface VIII, qu’a‑t-il ensei­gné ? la supé­rio­ri­té de la puis­sance spi­ri­tuelle sur la puis­sance tem­po­relle. Est-​ce une héré­sie ? Le sen­ti­ment gal­li­can est-​il un article de foi ? Jusqu’à pré­sent on avait cru qu’il était sim­ple­ment tolé­ré. L’autre a pour lui un nombre immense d’auteurs les plus doctes et les plus ortho­doxes. Vraiment, on croit rêver en voyant les adver­saires de l’infaillibilité avoir recours à de si étranges moyens. Voici leur argu­men­ta­tion : le Pape n’est pas infaillible, car des Papes ont ensei­gné l’hérésie. Preuve : Boniface VIII a sou­te­nu que la puis­sance sécu­lière était infé­rieure à la puis­sance spi­ri­tuelle ; or cette doc­trine est com­mune dans l’École, accep­tée par les plus grands théo­lo­giens ; la contra­dic­toire n’est que tolé­rée ; donc Boniface VIII a ensei­gné l’hérésie ; donc le Pape n’est pas infaillible ; donc la défi­ni­tion de l’infaillibilité du Pape est inop­por­tune, impos­sible, scan­da­leuse. N’est-ce pas le cas de dire avec le poète : Spectatum admis­si, et le reste ?

XI) L’auteur revient encore, dans son onzième para­graphe, sur la ques­tion des deux puis­sances et de leur supé­rio­ri­té rela­tive. Il s’impose de faire un résu­mé de l’action de l’Église dans l’ordre poli­tique ; mais il faut conve­nir que ce n’est pas la par­tie brillante du mémoire, qui d’ailleurs, dans toute sa teneur, n’a guère eu pour ins­pi­ra­trice que la Musa pedes­tris, dont parlent les anciens. Les contra­dic­tions sur­tout ne manquent pas. Ainsi, il pense en avoir fini avec le pou­voir indi­rect de l’Église en rap­pe­lant le texte : Regnum meum non est de hoc mun­do, et plus loin il est obli­gé, pour sau­ver en prin­cipe le domaine tem­po­rel de l’Église sur ses propres biens, de nous dire que de hoc mun­do ne signi­fie pas in hoc mun­do. Il donne pour argu­ments de sa thèse l’abus qui a été fait sou­vent des droits tem­po­rels ; mais s’apercevant que la consé­quence pour­rait être favo­rable au socia­lisme qui se pro­pose de remé­dier aux abus de la pro­prié­té en la sup­pri­mant, il cite le mot de sainte Catherine de Sienne qui dit que les choses de ce monde ne sont mon­daines que parce que l’attache désor­don­née de notre cœur les rend telles. Il remarque avec com­plai­sance que tel monde d’influence de l’Église ne s’est exer­cé qu’après tel nombre de siècles, comme s’il y avait lieu de s’étonner qu’une socié­té des­ti­née à durer, n’apparaisse pas dès ses pre­miers jours avec tous les déve­lop­pe­ments dont elle porte les germes et que les cir­cons­tances feront ressortir.

Je conviens volon­tiers que l’auteur a rai­son lorsqu’il nous dit sérieu­se­ment que les idées qui avaient cours dans les âges de foi sur les rela­tions de l’Église avec les socié­tés ne sont pas réa­li­sables dans notre socié­té du dix-​neuvième siècle ; mais je deman­de­rai si c’était une rai­son pour entas­ser toutes les vul­ga­ri­tés dont ces pages sont rem­plies, et s’en venir sou­te­nir le pour et le contre, disant d’un côté que l’influence poli­tique de l’Église a ren­du d’immenses ser­vices, et de l’autre que cette influence était contraire à l’Évangile. Du moins, les gal­li­cans de 1682 étaient plus logiques. Par dévoue­ment à Louis XIV et à ses ministres, ils ana­thé­ma­ti­saient comme contraire à la parole de Dieu, comme impie et abo­mi­nable, la doc­trine de la pré­do­mi­nance du pou­voir spi­ri­tuel, et ils s’en tenaient là. Il est vrai qu’après eux sont venus une foule d’auteurs pro­tes­tants et phi­lo­sophes que l’on a enten­dus glo­ri­fier l’heureuse influence de l’Église sur la socié­té civile au Moyen-​Âge, et qu’il a bien fal­lu que, de proche en proche, la lourde et mes­quine école du gal­li­ca­nisme finit par entrer plus ou moins dans cette ordre d’idées ; mais quand on la voit remettre sur le tapis ces indignes reproches d’usurpation qui vont atteindre un saint Grégoire VII, un Innocent III, et cela pour com­pro­mettre la papau­té vis-​à-​vis des pou­voirs d’aujourd’hui, à pro­pos d’une ques­tion qui ne touche qu’au spi­ri­tuel, on ne peut que s’indigner de cette méchan­ce­té lâche et décrépite.

Et pour­quoi donc ces hommes osent-​ils s’en prendre à la papau­té seule, quand il s’agit de l’intervention de la puis­sance spi­ri­tuelle dans le tem­po­rel ? Pourquoi ne conviennent-​ils pas que des Conciles ont agi de même ? Si l’immixtion des conciles dans de telles affaires n’a pas nui à leur infailli­bi­li­té, pour­quoi, encore une fois, porterait-​elle obs­tacle à celle du Pape ? Un peu d’étude leur eût appris, et un peu de bonne foi les ferait conve­nir que le prin­cipe fon­da­men­tal d’où sont sor­ties les pré­ten­dues usur­pa­tions dont ils se scan­da­lisent, est non pas le domaine per­son­nel du Pape sur le tem­po­rel, mais la nature même de l’Église comme puis­sance spi­ri­tuelle. En pour­sui­vant le Pape, ils n’ont rien fait encore ; il leur faut atta­quer l’Église même et je le répète, les conciles. Ipsi vide­rint.

XII) Le dou­zième para­graphe contient un expo­sé fort bref des condi­tions de la répu­blique chré­tienne. L’auteur convient que le chris­tia­nisme devrait être la pre­mière loi des socié­tés ; mais pour être juste, il faut conve­nir qu’il prend très ron­de­ment son par­ti en face d’une situa­tion toute contraire. Quoiqu’il en soit, il arrive à sup­po­ser que le Concile est à la veille de rendre une défi­ni­tion en faveur du domaine tem­po­rel du Pape sur toutes les sou­ve­rai­ne­tés, et il trouve avec rai­son qu’une telle défi­ni­tion man­que­rait au moins d’opportunité. Je ne crois pas que per­sonne ne lui conteste cette conclu­sion ; mais on se demande si de pareilles inquié­tudes sont sérieuses.

Allons au fond. C’est au Syllabus que l’on en veut, on ne trou­ve­ra cepen­dant pas dans le Syllabus que le Pape doive exer­cer le domaine tem­po­rel sur les États ; mais le libé­ra­lisme y est atta­qué, le libé­ra­lisme qui refuse à l’Église la nature et les condi­tions de socié­té. Cette véri­té de foi, que l’Église est une socié­té par­faite, déplait aux uns, embar­rasse les autres, et voi­là la cause de tout le bruit. Le gal­li­ca­nisme qui n’a jamais été franc sur cet article, le gal­li­ca­nisme qui admet le prin­cipe libé­ral dans l’Église (à l’égard du Pape tou­te­fois, mais non à l’égard des évêques), se trouve gêné, et il fait bon mar­ché de l’Église comme socié­té. Afin d’embrouiller la ques­tion, et d’arrêter la condam­na­tion des erreurs signa­lées dans le Syllabus, il s’en vient nous par­ler de la bulle Unam sanc­tam qui est hors la ques­tion, il cherche à sus­ci­ter des inquié­tudes dans les régions de la poli­tique ; mais la Vérité du Seigneur demeure éter­nel­le­ment, et rien n’arrête son cours, pas même la trahison.

XIII) L’auteur, dans son trei­zième para­graphe, accom­plit une excur­sion inat­ten­due, dans laquelle il est cepen­dant à pro­pos de le suivre. C’est d’abord un pèle­ri­nage inof­fen­sif vers les églises fon­dées par les apôtres, et il en signale l’origine glo­rieuse. Se propose-​t-​il de nous faire accep­ter la foi ensei­gnée actuel­le­ment dans ces églises ? Non ; il convient qu’elles sont suc­ces­si­ve­ment tom­bées dans l’erreur, et que l’Église de Rome est aujourd’hui la seule qui puisse reven­di­quer le beau titre d’Église apostolique.

Mais ce à quoi on ne s’attend pas, en conti­nuant à le suivre dans sa marche, c’est à cette remarque que je trans­cris. De ce que l’Église de Rome, nous dit-​il, a fini par res­ter l’unique église apos­to­lique, est résul­té insen­si­ble­ment chez les catho­liques le pré­ju­gé qu’une Église si véné­rable ne pour­rait ensei­gner l’erreur. Cela, ajoute-​t-​il, a beau­coup contri­bué, mul­tum hoc contri­buit, à implan­ter la croyance à l’infaillibilité du Pape. On com­mence à décou­vrir le but de l’auteur : mais avant de le lais­ser aller plus loin, il serait peut-​être bon de lui faire obser­ver, che­min fai­sant, que déjà au deuxième siècle, lorsque les églises apos­to­liques gar­daient toutes encore la foi pri­mi­tive, saint Irénée pro­cla­mait l’infaillibilité des évêques de Rome.Mais avan­çons. L’auteur, après avoir fait res­sor­tir l’importance du patriarche d’Occident, en un mot de l’Église latine, sous le rap­port de l’orthodoxie, arrive à saint Thomas qu’il avait en vue dans ce paragraphe.

Or, saint Thomas, il l’avoue, lui est incom­mode. Le doc­teur angé­lique ne s’est-il pas avi­sé de dire dans sa Somme que c’est au Pape de dres­ser le sym­bole de la foi ? Impossible de lais­ser pas­ser impu­né­ment une asser­tion si scan­da­leuse. Il faut donc que le saint doc­teur essaye la dia­tribe accou­tu­mée. A la suite des doc­teurs Dollinger, Gratry, etc., notre auteur lui signi­fie que déci­dé­ment il n’a vécu que de textes apo­cryphes, et qu’il a fait par là le plus grand tort à ses thèses.

Comme il a été répon­du déjà à ce reproche inique, je ne m’étendrai pas à le réfu­ter. Pour ma part, j’ai dit ailleurs que saint Thomas n’ayant pas eu à sa dis­po­si­tion nos édi­tions et nos biblio­thèques, est très excu­sable d’avoir cité quel­que­fois des textes apo­cryphes ; mais en même temps que c’est une insigne faus­se­té de pré­tendre que ses argu­ments reposent seule­ment sur des auto­ri­tés contes­tables. J’en appelle, pour la seconde fois, à l’Article de la Somme auquel l’auteur fait allu­sion. Les pas­sages de l’Écriture et les auto­ri­tés sur les­quelles s’appuie saint Thomas en cet endroit sont par­fai­te­ment authentiques.

En outre, je prie­rai l’auteur de vou­loir bien me per­mettre de lui dire que l’infaillibilité du Pape et son droit de rédi­ger le sym­bole de la foi, ne reposent pas seule­ment sur l’autorité de scho­las­tique, mais bien sur le témoi­gnage de toute l’antiquité. En ce point, les Pères grecs sont d’accord avec les Pères latins ; mais ce n’est pas le moment d’y reve­nir. Le der­nier sym­bole de la foi dans l’ordre des temps est la Profession de foi de Pie IV, et il semble que Pie IV qui l’a dres­sé était un Pape. Les déci­sions doc­tri­nales des Pontifes romains, jusqu’à celle de l’immaculée Conception par Pie IX, sont les élé­ments du sym­bole de la foi, et l’autorité qui les pro­mulgue dans son infailli­bi­li­té, est par­fai­te­ment libre d’en dres­ser le symbole.

L’auteur, pour don­ner un peu plus de corps à son accu­sa­tion contre saint Thomas, ose lui faire dire qu’il appar­tient au Pape seul de rédi­ger le Symbole, et il reven­dique gra­ve­ment le droit du Concile œcu­mé­nique en cette matière. C’est une indigne fal­si­fi­ca­tion du texte de la Somme. Saint Thomas n’a pas dit que le droit de for­mu­ler le Symbole appar­tient au Pape seul, mais bien que ce droit lui com­pète ; en la même manière que l’on enseigne que le Pape est infaillible, sans pré­ju­dice de l’infaillibilité dont jouit le Concile, à la condi­tion qu’il sera confir­mé par le Pape.

Le para­graphe se ter­mine par une asser­tion rela­tive à l’Exposition de la foi catho­lique par Bossuet, ce livre si doc­te­ment et si habi­le­ment rédi­gé dans le but de dis­si­per les pré­ju­gés des pro­tes­tants. Nous avons déjà répon­du à ce médiocre argu­ment. Je n’ajouterai qu’un mot ; ce sera pour deman­der à l’auteur si Pie IX et l’Église catho­lique ont pu légi­ti­me­ment admettre et pro­fes­ser comme dogme catho­lique l’Immaculée Conception, tan­dis qu’il est évident que Bossuet n’a pas admis ce dogme dans son Exposition de la foi ? Ainsi, il est enten­du que nos adver­saires non seule­ment ne veulent pas que le Pontife romain rédige le sym­bole de la foi ; mais en revanche, ils accordent à l’Évêque de Meaux le droit de l’avoir rédi­gé défi­ni­ti­ve­ment en 1676, en sorte que l’Église catho­lique réunie en Concile œcu­mé­nique n’y pour­ra plus rien ajouter.

XIV) Après avoir alté­ré le texte de saint Thomas, l’auteur se pro­pose, dans son qua­tor­zième para­graphe, d’anéantir la pro­fes­sion de foi des Grecs reçue dans le deuxième Concile de Lyon, et revê­tue de son auto­ri­té. Tout le monde sait que ce Concile fut ras­sem­blé et pré­si­dé par le Bx. Grégoire X, prin­ci­pa­le­ment dans le but d’y opé­rer la réunion de l’Église grecque à l’Église latine. Il y avait pré­sents cinq cents évêques et soixante-​dix abbés. On y lut la pro­fes­sion de foi de l’empereur Michel Paléologue, pré­sen­tée au Concile dans le nom de ce prince et de l’Église grecque, par Germain, ancien patriarche de Constantinople, Georges Acropolite, grand Logothète, Théophane, métro­po­li­tain de Nicée, et deux des prin­ci­paux offi­ciers de la cour impé­riale. Le Concile reçut avec una­ni­mi­té cette pro­fes­sion de foi, dans laquelle il recon­nut les condi­tions de la plus pure croyance, et l’hymne d’actions de grâces enton­né par le Pape fut conti­nué avec trans­port par le Concile tout entier.

Cette for­mule de foi devait natu­rel­le­ment être recon­nue dans toute l’Église comme un docu­ment irré­fra­gable, puisque c’est sur elle qu’était appuyée l’admission des Grecs à la com­mu­nion catho­lique par le Concile. Il est vrai qu’on y lit, comme dans la Somme de saint Thomas, que les contro­verses sur la foi doivent être déci­dé par le Pontife romain, et que son infailli­bi­li­té est la consé­quence directe de cette pro­po­si­tion. Notre auteur n’en vou­drait pas conve­nir, et pour s’en excu­ser, il pré­tend que l’Eglise n’a pas don­né son consen­te­ment exprès à cette confes­sion de foi. Avouons qu’il faut avoir du cou­rage pour oser dire de pareilles choses. L’Église catho­lique est ras­sem­blée en Concile œcu­mé­nique pour opé­rer la ren­trée de l’Église grecque dans l’unité catho­lique. Cette ren­trée ne peut avoir lieu que sur l’acceptation d’une confes­sion de foi pré­sen­tée par les Grecs et agréée par le Concile. Cette confes­sion de foi est pré­sen­tée, le Concile l’agrée, l’union se consomme, et l’auteur ose nous dire que l’Église n’a pas don­né son consen­te­ment exprès à la for­mule ! Pourquoi ? Parce que cette for­mule contient des choses qui, mal­heu­reu­se­ment pour l’auteur, ne vont pas à son idée. La ques­tion n’est pas là, j’imagine. Il s’agit de savoir si, dans son opé­ra­tion prin­ci­pale, la réunion des Grecs, le Concile a agi avec intel­li­gence et pro­bi­té ; mais le gal­li­ca­nisme n’y regarde pas de si près. Lorsqu’un Concile lui semble pou­voir être exploi­té dans un sens défa­vo­rable au Pape, par exemple, s’il s’agit d’Honorius, il n’a jamais une trop grande auto­ri­té ; mais si ses actes sont dans le sens de la pré­ro­ga­tive romaine, on le passe sous silence ou on l’interprète contre toute évi­dence. Quelqu’un d’impartial dirait, en lisant la for­mule en ques­tion, qu’elle n’offre rien de sur­pre­nant, puisqu’elle ne dit au sujet du Pape que ce que tout le monde en pen­sait alors, que ce que saint Thomas et saint Bonaventure en avaient ensei­gné, enfin ce que l’école de Paris en ensei­gnait elle-même.

On ne peut non plus lais­ser dire à l’auteur que Jean Veccus, pré­lat ortho­doxe qui fut pla­cé sur le siège de Constantinople immé­dia­te­ment après le Concile, en rem­pla­ce­ment de Joseph, enne­mi de l’union, n’aurait pas été favo­rable à la for­mule accep­tée par Ie Concile de Lyon. Il est aisé de com­prendre que cette for­mule ne pou­vait être du goût de ceux des Grecs qui ne voyaient pas l’union avec faveur ; mais il faut bien que l’auteur convienne de l’évidence des faits. Il ne tient qu’à lui d’ouvrir la col­lec­tion des Conciles. Il y pour­ra lire, comme tout le monde, la lettre que le patriarche Jean Veccus adresse au Pape au nom du Concile qu’il vient de pré­si­der à Constantinople. Il y ver­ra com­ment ce cou­ra­geux pré­lat, ain­si que ses évêques, accepte et repro­duit la for­mule de Lyon, sans oublier la clause : si quae de fide subor­lae fue­rint quaes­tiones, suo debent judi­cio defi­ni­ri. Quel est donc cet inté­rêt qui entraîne à fal­si­fier l’histoire ?

Et n’est-ce pas une indigne chi­cane de pré­tendre, comme le fait l’auteur, que si la for­mule de Lyon eût été valable, Eugène IV eût dû l’imposer aux Grecs à Florence, au lieu d’en faire sous­crire une autre ? Ces deux for­mules seraient-​elles donc par hasard en contra­dic­tion ? Dire que les ques­tions sur la foi doivent être déci­dées par le Pape, ou dire, comme à Florence, que le Pape est le Docteur de tous les chré­tiens, n’est ce pas au fond dire une même chose ? Ne faut-​il pas être infaillible aus­si bien pour être le Docteur de tous les chré­tiens que pour déci­der les ques­tions de la foi ?

XV) Dans son quin­zième para­graphe, l’auteur revient sur les idées qu’il a émises au com­men­ce­ment, rela­ti­ve­ment à l’adhésion que les fidèles doivent aux juge­ments doc­tri­naux du Siège apos­to­lique. Il trouve que cette adhé­sion est louable, dési­rable, fon­dée sur la soli­di­té de l’enseignement des Pontifes romains, ensei­gne­ment auquel la chute d’Honorius n’a enle­vé que momen­ta­né­ment la pure­té qui fait ordi­nai­re­ment son carac­tère. Cette adhé­sion pieuse suf­fit, nous dit-​il, au main­tien de l’orthodoxie dans les pays catho­liques, mais là où se trouve le mélange des pro­tes­tants, il faut le Concile. Quand le Pape a par­lé, les catho­liques disent : Il ne s’est pas trom­pé ; quand il décrète étant uni au corps épis­co­pal, ils doivent dire : l’erreur n’est pas pos­sible. Voilà pour­quoi, ajoute-​il, le Concile remue tout autre­ment les peuples que ne le ferait une bulle doc­tri­nale du Pontife romain ; les pro­tes­tants eux-​mêmes ont été émus à l’annonce du Concile du Vatican.
Comme on le voit, l’auteur n’est pas dif­fi­cile sur l’article de la foi. Pour peu que l’accord se fasse, il est content. Rome a par­lé ; la cause n’est pas finie ; mais l’Église peut mar­cher. Si plus tard un Concile œcu­mé­nique condamne la déci­sion pon­ti­fi­cale, on en sera quitte pour abju­rer ce que l’on avait cru tran­quille­ment sur la déci­sion apos­to­lique ; ain­si se conci­lie l’obéissance au Saint Siège avec le prin­cipe de l’infaillibilité qui ne réside que dans l’accord des évêques avec le Pape. Après tout, les Honorius sont très rares, et en sui­vant les déci­sions papales, on a la chance d’être presque tou­jours assu­ré d’être dans la vérité.

Telle est la sta­tion qu’a choi­sie le gal­li­ca­nisme dans le Mémoire que nous exa­mi­nons. Un tel sys­tème, s’il était accep­table, don­ne­rait à conclure, comme il a été remar­qué ci-​dessus, que la cer­ti­tude de la foi n’est pas tel­le­ment néces­saire à l’Église qu’elle ne puisse s’en pas­ser durant des siècles, qu’elle ne puisse même se trou­ver enva­hie par l’erreur, atten­du que d’une part les fidèles sont tenus de rece­voir avec sou­mis­sion les ensei­gne­ments de Rome, et que de l’autre ces ensei­gne­ments peuvent plus tard être réfor­més. Cette conclu­sion, qui résulte avec évi­dence du sys­tème, n’est ni plus ni moins que le ren­ver­se­ment de l’Église, avec laquelle le Christ, qui est la Vérité (23), a pro­mis d’être tous les jours, de l’Église qui est essen­tiel­le­ment la colonne et l’appui de la Vérité (24).

Si donc la néces­si­té d’une défi­ni­tion sur l’infaillibilité pon­ti­fi­cale s’est jamais révé­lée, on peut dire assu­ré­ment que c’est au moment pré­sent, où for­cé dans ses retran­che­ments le gal­li­ca­nisme offre une capi­tu­la­tion qui ren­ferme la renon­cia­tion à cette Église sans tache ni ride que Jésus-​Christ a fon­dée, qu’il s’est don­né pour Épouse, et dont il a dai­gné faire notre mère com­mune. On convient main­te­nant que cette Église est tenue de suivre les ensei­gne­ments du Pontife romain ; que le saint Concile se hâte donc de pro­cla­mer inac­ces­sible à l’erreur ces ensei­gne­ments dont doivent vivre nos esprits et nos cœurs !

XVI) Il est assez dif­fi­cile d’analyser le sei­zième et der­nier para­graphe. La manière de l’auteur géné­ra­le­ment n’est pas ser­rée ; mais là, il est plus vague encore que par­tout ailleurs. Il semble cepen­dant que son inten­tion est de don­ner à entendre que la véri­té catho­lique étant dans un état de clar­té suf­fi­sante, les nou­velles défi­ni­tions sont super­flues. Il en donne pour preuve la confor­mi­té du jan­sé­nisme avec le cal­vi­nisme, en sorte que, selon lui, il aurait été inutile de condam­ner le pre­mier, parce que le second l’avait été par le Concile de Trente.

A cela, il y a deux choses à répondre. Premièrement, nous avons vu l’Église, au sixième Concile, condam­ner le mono­thé­lisme ; cepen­dant le mono­thé­lisme n’était qu’une consé­quence du mono­phy­sisme condam­né au qua­trième Concile. L’auteur trouve-​t-​il que le Concile a eu tort ? Si cela étant, il sié­rait assez de ne plus tant par­ler d’Honorius. En second lieu, je me per­met­trai de lui faire obser­ver que le Concile de Lyon ensei­gnant que les contro­verses sur la foi doivent être défi­nies par le Pontife romain, et le Concile de Florence, que le Pontife romain est le Docteur de tous les Chrétiens, la consé­quence logique est que le Pape doit être infaillible dans son ensei­gne­ment. Mais de même que les mono­thé­lites ne vou­laient pas voir que la doc­trine des deux volon­tés est conte­nue clans la doc­trine des deux natures, et qu’il fal­lut une déci­sion expresse pour déga­ger la foi de l’Église ; ain­si est-​il besoin aujourd’hui d’une défi­ni­tion pour cer­ti­fier aux yeux de ceux qui ne la voient pas l’identité de la doc­trine des Conciles de Lyon et de Florence avec la doc­trine de l’infaillibilité du Pontife romain. Une défi­ni­tion qui éclair­ci­ra la ques­tion et fixe­ra les esprits flot­tants, ne sau­rait être qu’un bien, et la cha­ri­té de l’Église, dis­pen­sa­trice de la véri­té, se mon­tre­ra au Concile du Vatican, comme elle se mani­fes­ta au sixième Concile.

L’auteur parle ensuite de cer­tains catho­liques de notre temps qui s’élèvent contre l’Église et se pré­ci­pitent dans des erreurs qui vont à détruire jusqu’au fon­de­ment de la foi divine. Il me semble que des catho­liques de cette espèce ne méritent guère le nom que l’auteur conti­nue de leur don­ner. On com­prend moins encore ce qu’il ajoute, que ces pré­ten­dus catho­liques ne font pas cou­rir un grand péril au peuple chré­tien. La consé­quence est sans doute que l’Église pour­rait se dis­pen­ser de défi­nir contre leurs erreurs ; et en effet, on se sou­vient des dif­fi­cul­tés qui se sont éle­vées dans le Concile, de la part de quelques-​uns qui trou­vaient inutile que l’on condam­nât les erreurs contre les­quelles sont diri­gées les ana­thèmes qui ren­ferment les pre­miers décrets de fide qui viennent d’être publiés dans le Concile.

La conclu­sion des Observationes est digne de remarque. S’il s’élève dans tout pays des erreurs mani­festes, que l’évêque les condamne. Le Concile pro­vin­cial pour­ra aus­si s’en occu­per. Ceux qui se croi­ront lésés seront à même de recou­rir au Saint-​Siège, s’il s’agit de causes majeures. Le Pape jugeant qu’il est besoin d’une solen­nelle défi­ni­tion, s’il n’est pas à pro­pos de convo­quer le Concile œcu­mé­nique, adres­se­ra des lettres aux évêques, en leur pres­cri­vant de lui envoyer leur avis par écrit ; ce qui deman­de­ra peu de temps, vu la rapi­di­té des com­mu­ni­ca­tions. Par ce moyen, la doc­trine du consen­te­ment des Églises, qui est le cri­té­rium de la véri­té catho­lique, sera conser­vée intacte, sans aucun détri­ment du pou­voir pontifical.

On croit rêver en lisant ce pro­jet de consti­tu­tion à l’usage de l’Église. L’auteur est de ceux qui dési­rent que l’Église fasse aus­si son 89 ; mais il y a tou­jours cette dif­fé­rence que le 89 de France était au pro­fit de la démo­cra­tie, au lieu que ce der­nier est un mou­ve­ment sim­ple­ment aris­to­cra­tique. Pour qu’il eût chance de suc­cès il faudrait :

  • Que les ques­tions sur la foi fussent rayées du nombre des causes majeures ; car on sait que les causes majeures sont du res­sort immé­diat et exclu­sif du Siège apostolique ;
  • Que l’on effa­çât de l’Évangile le ver­set 32 du cha­pitre 22 de saint Luc, où Jésus-​Christ donne à saint Pierre, avec l’indéfectibilité de la foi, la charge de confir­mer ses frères ;
  • Que l’on ordon­nât la révi­sion des défi­ni­tions apos­to­liques qui n’ont pas été ren­dues avec l’accord préa­lable des évêques. Saint Augustin pen­sait que, sans cela, la cause était finie : il parait qu’elle ne l’est plus. Cela ne lais­se­ra pas d’être une assez forte besogne, que de révi­ser dix-​huit siècles de défi­ni­tions papales, de saint Clément 1er à Pie IX ;
  • Que l’on décla­rât non ave­nus tous les témoi­gnages de la tra­di­tion qui nous enseignent que Pierre vît et parle dans son suc­ces­seur, en lequel il exerce les pré­ro­ga­tives que l’Évangile rap­porte lui avoir été confé­rées par Jésus Christ, pour durer aus­si long­temps que l’Église ;
  • Enfin, que l’on décla­rât abro­gées les confes­sions de foi sur l’autorité papale accep­tées par les Conciles œcu­mé­niques de Lyon et de Florence, et sous­crites par les Grecs, comme condi­tion de leur réunion à l’Église catholique.

Comme il est hors de doute que ces diverses clauses à accep­ter, pour­raient pré­sen­ter des dif­fi­cul­tés insur­mon­tables, je conseille­rais volon­tiers à l’auteur de faire le sacri­fice de ses seize para­graphes, et de s’unir à la majo­ri­té du Concile qui pré­pare en ce moment la défi­ni­tion solen­nelle de l’infaillibilité du Pape. Il y gagne­ra du côté de l’orthodoxie, en même temps que, par une défi­ni­tion si néces­saire l’Église sera désor­mais affran­chie de l’ennui d’entendre for­mu­ler jusque dans son sein des théo­ries, qui l’atteignent dans l’honneur et l’intégrité de sa foi, et semblent accu­ser soin divin fon­da­teur de n’avoir pas pris les moyens effi­caces de conser­ver et de pro­té­ger en elle la véri­té dont il l’a éta­blie dépo­si­taire jusqu’à ce qu’il vienne. (25)

Source : La Porte Latine

Notes

1) Act 1, 7
(2) Voir sur ces faits doc­tri­naux La Monarchie pontificale
(3) Rom 1, 14
(4) Il n’est pas à dou­ter qu’un jour Mgr d’Orléans ne regrette de s’être atti­ré les déplo­rables éloges des adver­saires de la foi catho­lique. Dans la Revue des Deux Mondes (15 Avril), H. Vacherot s’ex­prime ain­si : « Rome est le siège du roma­nisme plu­tôt que du chris­tia­nisme. Le mot est de l’évêque d’Orléans, et il a encore plus de por­tée que ne lui en attri­bue celui qui l’a lais­sé échap­per dans un acte de décou­ra­ge­ment ». L’article est inti­tu­lé le Nouveau chris­tia­nisme, et les féli­ci­ta­tions qu’il contient montrent par trop la sym­pa­thie que cer­taines impru­dences ont exci­tées dans le camp de l’er­reur. Peut-​on se flat­ter que les vrais catho­liques voient sans une émo­tion pro­fonde ce triomphe des enne­mis de la foi ? Une telle humi­lia­tion eût pu aisé­ment leur être épargnée.
(5) Au XVIIe siècle, dans des assem­blées de cler­gé aux­quelles Bossuet pris part, il eut été peut-​être un peu sévère de lui contes­ter cer­taine pré­pon­dé­rance, sous le pré­texte qu’il était simple évêque de la petite ville de Meaux, tan­dis qu’il ne man­quait pas autour de lui et au-​dessus de lui de grands pré­lats qui, par l’importance de leurs villes épis­co­pales, repré­sen­taient bien autre­ment la gran­deur et la civi­li­sa­tion de la France.
(6) I Cor., 4, 9
(7) 2 Cor., 10, 4–5
(8) 2 Tim., 2, 19
(9) La Monarchie pon­ti­fi­cale, page 212
(10) Moniteur du 17 mars
(11) Ce vil­lage, situé près de Rimini, porte depuis le IVe siècle jusqu’aujourd’hui le beau nom de Cattolica. En octobre 1837, je visi­tai son église avec l’abbé Lacordaire, et j’engageai le futur domi­ni­cain à y réci­ter avec moi le sym­bole de Nicée, en nous unis­sant à ces cou­ra­geux évêques, qui seuls avaient pro­tes­té à Rimini en faveur du Consubstantiel.
(12) In fidei quaes­tio­ni­bus, prae­ci­puas sum­mi Pontiflcis esse partes.
(13) Ipsius Dei in Terris Vicarius, Sess. VI, De reform., Cap. 1
(14) Jn 14, 26
(15) Ps 29
(16) Mt 28, 20
(17) Jn 14, 16
(18) Jn 18, 20
(19) Ep 4, 3
(20) De potes­tate Papae et Concilii. Prop. V
(21) Voir dans la Monarchie pon­ti­fi­cale le pas­sage de Bossuet auquel on a ajou­té un autre de Fénelon dans la deuxième et la troi­sième édition.
(22) Du Pape. Livre I, cha­pitre III.
(23) I Jean, V. 6
(24) I Tim., III, 15
(25) I Cor IV, 5