27 septembre 1987

Conférence de Mgr Lefebvre à Annecy : « J’ai vu des prêtres pleurer »

Mai 1984 Mgr Lefebvre et l'abbé Marquis

Dans une confé­rence faite à Annecy en 1987, Mgr Lefebvre expose la situa­tion épou­van­table dans laquelle se sont retrou­vés, après le Concile, « les têtes un peu fortes de la Tradition », ceux qui avaient gar­dé la messe ancienne, la sou­tane, etc. Il affirme qu’il s’est pro­duit une véri­table per­sé­cu­tion et que cer­tains évêques et prêtres sont morts de cha­grin. et il nous en donne même des exemples.

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Extraits

« Comme ils (les libé­raux) ont gagné au Concile (Vatican II) – il faut le dire : ils ont gagné – ils ont pris les places immé­dia­te­ment. Comme dans un État : les socia­listes gagnent au gou­ver­ne­ment, immé­dia­te­ment on ren­voie tous ceux qui ne sont pas favo­rables au socia­lisme et on met en place des socia­listes, ça c’est clair. C’est ce qu’on a fait au Vatican.

Dès que les libé­raux ont gagné, alors tous les conser­va­teurs ont été éli­mi­nés immé­dia­te­ment de la curie de Rome et, dans tous les évê­chés où il y avait des têtes un peu fortes de la tra­di­tion, tous ceux-​là ont été éli­mi­nés ; beau­coup ont don­né eux-​mêmes leur démis­sion. Voyant ce qui se pas­sait dans l’Église, ils ont tel­le­ment été bou­le­ver­sés, tel­le­ment écœu­rés qu’ils ont don­né leur démission. (.)

Une vrai guerre contre tous les évêques qui étaient traditionnels

Je prends un exemple, celui de l’ar­che­vêque de Dublin que je connais­sais très bien, qui était un de mes amis parce qu’il était en même temps membre de la Congrégation des Pères du Saint-​Esprit, dont j’é­tais supé­rieur géné­ral pen­dant 6 ans, Mgr McQuaid1. Il a don­né sa démis­sion, quinze jours après il mou­rait. Il est mort de cha­grin, cet arche­vêque ! Je le connais­sais bien : il est mort de cha­grin. Il était atta­ché à Rome, au Saint-​Père, de toutes les fibres de son âme. Refuser qu’il puisse voir le Saint-​Père, se sen­tir comme chas­sé de Rome en quelque sorte, il n’a pas pu sup­por­ter cela, sa san­té n’a pas tenu. Et com­bien, et com­bien, et com­bien d’é­vêques comme ça !

Je peux vous citer encore un autre cas, celui de Mgr Morcillo2, arche­vêque de Madrid. Mgr Morcillo était un des secré­taires du Concile (ils n’é­taient pas nom­breux, ils étaient 5 ou 6 secré­taires du Concile). Tous les secré­taires du Concile ont été faits car­di­naux après le concile, sauf Mgr Morcillo, arche­vêque de Madrid pour­tant ; il aurait bien pu être fait car­di­nal aus­si, pour­quoi pas ? Parce qu’il était conser­va­teur, parce qu’il était très ferme dans ses idées. Eh bien, il est mort de cha­grin aus­si, de sen­tir qu’il était deve­nu per­so­na non gra­ta, qu’il était deve­nu quel­qu’un de repous­sant et qu’on reje­tait, et qu’il ne pou­vait pas être car­di­nal alors que les autres avaient tous été faits car­di­naux – ce n’est pas qu’il était dési­reux d’a­voir le cha­peau de car­di­nal, c’é­tait un homme très humble – mais c’est tout de même inad­mis­sible ! Alors on répon­dait à cela (aux gens qui fai­saient des objec­tions, à des Espagnols qui ne com­pre­naient pas pour­quoi tous les secré­taires du Concile avaient été faits car­di­naux et leur arche­vêque de Madrid ne l’a­vait pas été, pour­quoi ?) on répon­dait : « Ah, mais Madrid n’est pas une ville car­di­na­lice. Le pri­mat d’Espagne, c’est Tolède, ce n’est pas Madrid ! »

En effet, il y avait un car­di­nal à Tolède. Mais on a bien fait un car­di­nal à Lille dans mon pays où il n’y avait jamais eu de car­di­nal, on peut faire des car­di­naux, on n’a pas besoin d’un titre spé­cial. Et puis, la meilleure preuve, c’est que quand il a dis­pa­ru, l’ar­che­vêque3 qui a été nom­mé après lui a été fait immé­dia­te­ment car­di­nal à Madrid ! Une fausse rai­son, voyez. Et quel car­di­nal lui a suc­cé­dé : il était favo­rable au double mariage en Espagne, mariage civil pour ceux qui le dési­raient, puis mariage reli­gieux pour ceux qui le dési­raient aus­si, pour les catho­liques ; ils pou­vaient avoir le choix, voi­là ce que le car­di­nal de Madrid, suc­ces­seur de Mgr Morcillo, a pré­sen­té comme pro­jet à l’as­sem­blée des car­di­naux et arche­vêques d’Espagne !

C’est vous dire, c’é­tait une vrai guerre contre tous ceux qui étaient tra­di­tion­nels. Alors il ne faut pas vous éton­ner que je sois encore pour­sui­vi et que j’aie été pour­sui­vi rapi­de­ment après le Concile, c’est clair ! Si j’a­vais eu un siège encore à ce moment-​là, il est clair que j’au­rais été aus­si éli­mi­né rapi­de­ment. Mais comme j’é­tais supé­rieur géné­ral des Pères du Saint-​Esprit, supé­rieur d’une congré­ga­tion, c’é­tait plus difficile. (.)

J’ai vu des prêtres pleurer

La situa­tion d’a­près le Concile était épou­van­table pour ceux qui étaient de la Tradition, qui avaient gar­dé la Tradition. C’était une per­sé­cu­tion, et ça l’est encore main­te­nant. Vous connais­sez tous des cas de prêtres, n’est-​ce pas, dans les dio­cèses, qui sont per­sé­cu­tés : Pourquoi ? – Parce qu’ils gardent la messe ancienne, parce qu’ils gardent la sou­tane, parce qu’ils disent encore un peu de latin. Ils sont per­sé­cu­tés jusque dans les plus petits vil­lages. Dès qu’un prêtre veut gar­der la tra­di­tion, il est immé­dia­te­ment pour­sui­vi par son évêque, pour­sui­vi par le cler­gé local, c’est épou­van­table, vous savez ! J’ai vu des prêtres pleu­rer, pleu­rer de douleur.

Mais enfin qu’est-​ce que nous avons bien fait ? Nous ne fai­sons que ce qu’on nous a com­man­dé depuis que nous sommes ren­trés au sémi­naire, nous conti­nuons notre messe comme nous l’a­vons apprise, comme nous avons été ordon­nés, nous prions de la même façon, nous fai­sons tou­jours notre apos­to­lat, nous n’a­vons rien changé.

Avant nous étions plu­tôt loués par nos évêques, nous étions encou­ra­gés par nos évêques, et tout à coup, main­te­nant, depuis ce concile, nous sommes deve­nus des mal­fai­teurs, des gens qu’il faut per­sé­cu­ter, des gens qui devraient être éli­mi­nés des diocèses.

C’est affreux, affreux.

« Vous ne rentrez pas au Sénégal »

Dernièrement, un des seuls prêtres afri­cains, Père du Saint-​Esprit qui disait la messe ancienne4, qui n’a jamais dit la messe nou­velle, qui a dit :

Moi non, j’ai été ordon­né avec la messe ancienne, je garde la messe ancienne jus­qu’à ma mort, rien à faire je ne change rien

, Il est res­té dans la brousse, un mis­sion­naire que je connais­sais bien, qui était au Sénégal, que j’a­vais eu comme mis­sion­naire quand j’é­tais évêque à Dakar : un excellent mis­sion­naire, pauvre, vivant pau­vre­ment, comme les Africains de la brousse, magni­fique mis­sion­naire, connais­sant la langue, par­lant comme un indigène.

Il revient der­niè­re­ment pour marier une de ses nièces, de la région de Melun, il fait le mariage de sa nièce, il y avait 40 ans qu’il était au Sénégal, puis le pro­vin­cial des Pères du Saint-​Esprit lui dit :

- « Non, vous retour­nez plus au Sénégal, c’est fini. »
- « Mais pour­quoi ? qu’est-​ce que j’ai fait ? »
- « Ah, parce que vous dites la messe de saint Pie V. »
- « Mais oui, je dis la messe de saint Pie V ! Qu’est-​ce que je fais de mal ? Mes Africains sont très contents de la messe que je dis, j’ai tou­jours dit la même messe, on n’a rien chan­gé, on conti­nue comme autre­fois, ils sont très contents »
- « Non vous ne retour­ne­rez plus au Sénégal ».

Ce mis­sion­naire qui était atta­ché corps et âme à ces Africains, à ce vil­lage, et qui aurait vou­lu mou­rir là-​bas, n’a pas pu ren­trer et j’ai appris qu’il était dans le Gard, chez un de ses amis, aban­don­né par les Pères du Saint-​Esprit. Je pense sin­cè­re­ment qu’il a attra­pé le can­cer ron­gé par la dou­leur, ron­gé par la dou­leur de ne plus pou­voir retour­ner en Afrique. Et il est mort il y a trois semaines.

Mort en célébrant la Sainte Messe

Et j’ai reçu le faire-​part fait par ses deux sœurs et ses deux frères mariés : ils ont eu le cou­rage d’é­crire sur ce faire-​part impri­mé : « Mort pour avoir conti­nué à célé­brer la messe de saint Pie V ». C’est la pre­mière fois que je vois ça sur un faire-​part impri­mé : « Mort pour avoir conti­nué à célé­brer la messe ». J’ai écrit à sa sœur, j’ai dit :

Mon Dieu, je vous féli­cite, vous avez au moins mis la vraie rai­son pour laquelle ce pauvre mis­sion­naire est mort.

Alors elle m’a dit :

Monseigneur, je ne savais pas que j’a­vais un frère aus­si saint, je l’ai veillé, les deux jours avant sa mort, il était sur son lit de mort, il ne me regar­dait plus, il était tout entier pris par sa messe, il a célé­bré la sainte messe cou­ché dans son lit, il a réci­té toutes les prières, du début à la fin comme tou­jours, il a consa­cré une hos­tie, il s’est com­mu­nié lui-​même sur son lit de mort parce que per­sonne n’est venu pour l’ai­der à mou­rir et la veille de sa mort, il a répé­té encore les paroles de la consé­cra­tion, de la messe, il ne me voyait plus, il était pris, sa messe et il est par­ti comme ça dans sa messe, c’é­tait magni­fique, je ne savais pas que j’a­vais un frère aus­si saint.

Ce sont des exemples, des exemples vécus, il y a trois semaines, ce n’est pas vieux. La per­sé­cu­tion ! Et pen­dant ce temps-​là on peut par­ler de cha­ri­té, ils l’ont aban­don­né, aban­don­né, per­sonne n’est venu pour le sou­te­nir pour le sou­la­ger pour l’as­sis­ter à sa sainte mort, une abo­mi­na­tion, une abomination !

† Marcel Lefebvre

  1. Mgr John Charles McQuaid, C.S.Sp. (1895–1973). []
  2. Mgr Casimiro Morcillo González (1904–1971). []
  3. Cardinal Vicente Enrique y Taracón (1907–1994). []
  4. Le père Pierre Bouvet (1919–1987). []

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.