Introduction : La fin de l’incompatibilité ?
De 1974 à 1980 ont eu lieu, entre l’Église catholique et les Grandes Loges unies d’Allemagne, des entretiens officiels, dans le but de vérifier si la position de la Franc-maçonnerie s’était modifiée et si, éventuellement, on pouvait désormais reconnaître la compatibilité entre l’appartenance à la Franc-maçonnerie et l’appartenance à l’Église catholique. La Documentation catholique (notée DC) du 3 mai 1981 a publié la traduction intégrale de ce document qui montre l’incompatibilité qui existe toujours entre l’Église catholique et la Franc-maçonnerie. Les évêques allemands ont soin de préciser que « la recherche a précisément porté sur la Franc-maçonnerie qui témoigne de la bienveillance à l’égard de l’Église catholique. » Or, concluent-ils, « même ici, des difficultés insurmontables doivent être constatées. »
Récemment, le 21 mai 2017, les évêques ivoiriens proclamèrent l’incompatibilité entre la foi catholique et la Franc-maçonnerie, certes sur des critères moins fermes que ceux des évêques allemands, mais toujours principalement en raison du relativisme : « Dans cette dynamique, la Vérité est relativisée et l’idée même d’une Révélation est refusée » (DC n° 2528, p. 122).
Au contraire, Mgr Thomas, évêque de Versailles, donna, en décembre 1992, une conférence à la Grande Loge de France à Paris. Elle fut publiée dans le numéro 89 de la revue de cette même loge, Points de vue initiatiques. Mgr Thomas rappelle toutes les condamnations de l’Église contre la Franc-maçonnerie de 1738 à 1983, mais, a‑t-il dit, « aujourd’hui c’est devenu un cas d’application du jugement de conscience ». Tout scrupule étant ainsi levé, il continue sa conférence et compare l’Église et la Franc-maçonnerie pour déterminer si elles sont une religion, une initiation, une fraternité, une référence à Dieu. Il aborde enfin le secret maçonnique. Puis il conclut comme il suit : « C’est par une ultime question que je voudrais conclure ce trop long exposé. Peut-on devenir franc-maçon quand on est chrétien, catholique ? Et peut-on devenir chrétien quand on est franc-maçon ? Les faits eux-mêmes répondent oui aux deux questions. Les faits sont tenaces. Ils ne disent pas tout. Il nous faudra donc chercher ensemble ce qui peut faire barrage à l’appartenance d’un chrétien à la Franc-maçonnerie, ou ce qui peut faire barrage à la foi chrétienne chez un honnête franc-maçon qui cherche Dieu et voit constamment la Bible ouverte sous ses yeux lorsqu’il travaille en loge. L’un et l’autre ne sont ni des athées stupides ni des libertins irréligieux. » Il est à noter que la dernière phrase de cette citation est quasiment une citation des Constitutions d’Anderson, lesquelles sont l’un des textes originels de la Maçonnerie et auxquelles se référent tous les maçons.
Dans le même esprit un prêtre du diocèse d’Annecy, bien formé dans le moule moderniste et ordonné en 1996, ne vit aucun obstacle à son adhésion à la Franc-maçonnerie en 2001, ni aucune contradiction entre celle-ci et la foi chrétienne. On pourra lire à ce sujet le Fideliter n° 239 (pp. 21–27).
Compatibles ou incompatibles ? Notre jugement portera d’une part sur le relativisme et sur sa conséquence immédiate, la tolérance, et d’autre part sur l’inclination du Concile Vatican II (et de ses réformes) vers ce relativisme.
Le relativisme consiste à mettre toute connaissance en dépendance des temps, des lieux, des circonstances et des personnes de sorte qu’il n’y ait jamais de vérité absolue et définitive.
1. Le relativisme
Le relativisme fait partie de la conviction fondamentale des francs-maçons : il refuse tout enseignement dogmatique qui contraint les intelligences.
Ne pas contraindre les intelligences
Dans leur étude publiée par la Documentation catholique du 3 mai 1981 (col. 446), les évêques allemands appuient leur affirmation sur une « source reconnue comme objective », le Lexique international franc-maçon d’Eugen Lennhoff-Oskar Posner (Internationales Freimaurer Lexikon, Vienne, 1975). Celui-ci déclare sur cette question : « La Franc-maçonnerie est sans doute la seule structure qui, avec le temps, ait réussi à largement maintenir l’idéologie et la pratique à l’écart des dogmes. La Franc-maçonnerie doit donc être considérée comme un mouvement qui s’efforce de rassembler, pour promouvoir l’idéal humanitaire, des hommes dont les dispositions sont empreintes de relativisme » (op. cit., p. 1300).
Par conséquent, le maçon refuse toute soumission à un dogme : il doit être un homme libre qui, posant comme fondement la relativité de toute vérité, « ne connaît aucune soumission à un dogme et à une passion » (op. cit., p. 524, ss).
De là vient une opposition irréductible à l’Église catholique : « Toutes les institutions qui reposent sur un fondement dogmatique, et dont l’Église catholique peut être considérée comme la plus représentative, exercent une contrainte de foi » (op. cit. p. 374).
Les papes de Vatican II
Mais qu’ont voulu les papes du Concile Vatican II, si ce n’est un certain relativisme ? Sans nier le dogme qui contraint les esprits, ils le mettent de côté en ne condamnant pas les erreurs, en n’engageant pas l’infaillibilité et en usant du langage moderne pour présenter la vérité.
- Ils refusèrent de condamner l’erreur. À l’ouverture du concile Vatican II, lors du discours du 11 octobre 1962, Jean XXIII donne le ton : « L’Église n’a jamais cessé de s’opposer à ces erreurs. Elle les a même souvent condamnées, et très sévèrement. Mais aujourd’hui, l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. » De même, Paul VI, le 29 septembre 1963, affirma « que l’autorité de l’Église ne peut se limiter à condamner les erreurs qui la blessent, mais qu’elle doit proclamer des enseignements positifs, d’intérêt vital, qui rendent la foi féconde ».
- Ils voulurent ne pas enseigner de façon dogmatique mais de façon pastorale. C’est l’intention voulue par Jean XXIII dans le discours du 11 octobre 1962. C’est aussi pourquoi Jean XXIII et Paul VI n’engagèrent pas leur infaillibilité. Paul VI le rappelle en 1964 : « Étant donné le caractère pastoral du Concile, il a évité de prononcer d’une manière extraordinaire des dogmes comportant la note d’infaillibilité » (DC n° 1466, col. 418–420).
Sans nier l’autorité magistérielle de l’Église, ces deux papes la mirent de côté, laissant ainsi les intelligences libres de toute contrainte imposée par un dogme ou par la condamnation d’une erreur. De quoi satisfaire les « frères » !
- Mais plus encore, Jean XXIII, dans son Allocution au Sacré Collège du 23 décembre 1962, prétendit présenter les vérités de la foi en « suivant les modes de recherche et de formulation littéraire de la pensée moderne » (DC 1391, col. 101), tout « en leur conservant toutefois le même sens et la même portée ». À cette fin, dans son discours du 11 octobre 1962, il s’appuyait sur cette distinction : « autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées » (DC 1387, col. 1382–1383).
Or, il est évident que changer les mots pour exprimer la doctrine avec de nouveaux concepts issus d’une nouvelle philosophie, c’est changer nécessairement la doctrine.
Pie XII, dans son encyclique Humani generis de 1950, condamne ces novateurs qui ont la volonté « d’affaiblir le plus possible la signification des dogmes et de libérer le dogme de la formulation en usage dans l’Église depuis si longtemps et des notions philosophiques en vigueur chez les Docteurs catholiques, » afin, « pensent-ils, de donner satisfaction aux besoins du jour en exprimant le dogme au moyen des notions de la philosophie moderne, de l’immanentisme, par exemple, de l’idéalisme, de l’existentialisme ou de tout autre système à venir ». C’est pourquoi poursuit le pape, « tant d’efforts non seulement conduisent à ce qu’on appelle le « relativisme » dogmatique, mais le comportent déjà en fait : le mépris de la doctrine communément enseignée et le mépris des termes par lesquels on le signifie le favorisent déjà trop » (n° 14–16).
Jean XXIII est d’avance condamné par le pape Pie XII. Mais il est loué par les maçons dans le Bulletin du Centre de Documentation du Grand Orient de France, de mai-juin 1963 : « Nous jugeons à leur juste valeur l’audace et le courage que représente un message qui, s’il n’annule bien entendu aucune des condamnations antérieures prononcées jadis par l’Église, leur enlève en fait leur portée puisque chrétiens et non chrétiens sont appelés à travailler ensemble, à former la communauté universelle des hommes » (n° 39, p. 86).
La libre recherche de la vérité
Pour les maçons, il n’y a qu’une certitude c’est qu’il n’y a pas de certitude : il faut sans cesse tout remettre en question et chercher la vérité…
L’un d’eux, Richard Dupuy, ancien grand-maître de la Grande Loge, lors du convent annuel de son obédience en 1968, met bien en évidence cette disposition d’esprit : « La méthode maçonnique, c’est la remise en cause perpétuelle de ce qui est acquis… C’est la certitude que nous avons au plus profond de nous-mêmes, de par notre initiation traditionnelle, que nous sommes incapables d’énoncer une fois pour toutes une vérité éternelle, une vérité absolue, mais que nous sommes capables de découvrir la vérité à la condition que nous ayons la volonté de la rechercher perpétuellement et de remettre en question les certitudes dans lesquelles nous étions assis la veille. »
Un autre grand-maître de la même loge, Pierre Simon, exprime la même contestation : « Au fond, les méthodes maçonniques ne sont autres qu’une contestation permanente ; pour nous, il n’existe pas de vérités éternelles ; il n’y a que des traditions constamment remises en question » (Le Monde, 1er juillet 1970).
Que dit le Concile ?
Voici tout d’abord ce que dit la déclaration sur la liberté religieuse, Dignitatis humanae (DH) :
« Mais la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, avec l’aide du magistère, c’est-à-dire de l’enseignement, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité ; la vérité une fois connue, c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement » (DH n° 3, § 2).
Or, cela semble peu compatible avec l’enseignement du concile Vatican I en 1870. En effet, quand le magistère catholique enseigne avec autorité, il n’y a plus de libre recherche, mais l’obligation d’adhérer à la vérité par la soumission de l’intelligence et de la volonté à l’autorité de Dieu qui révèle (Constitution Dei Filius).
Ensuite cette vérité en matière religieuse semble, selon le concile Vatican II, le résultat d’une recherche commune entre personnes de convictions variées : elle ne peut donc pas dépasser l’ordre naturel et risque fort d’être le fruit d’un consensus plus que d’une soumission au réel ou à Dieu enseignant. Comment alors trouver et adhérer à la vérité surnaturelle enseignée par voie d’autorité ?
Ensuite ce même Concile, dans sa constitution sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes (GS), conforte nos critiques : « Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. Plus la conscience droite l’emporte, plus les personnes et les groupes s’éloignent d’une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité » (GS n° 16, § 2).
Comment trouver la solution aux problèmes moraux conforme à la sagesse divine si cette recherche est faite avec des hommes aux convictions toutes diverses ? Et les catholiques doivent-ils chercher cette solution par fidélité à leur conscience ou par fidélité au magistère catholique ? Comment pourraient-ils garder cette dernière fidélité avec des hommes aux opinions différentes ? Et si c’est là « la conscience droite » qui doit l’emporter, n’est-on pas en plein subjectivisme ?
C’est pourquoi Mgr Lefebvre concluait dans ses Dubia, publiés sous le titre Mes doutes sur la Liberté religieuse(Éditions Clovis), envoyés à Rome en 1986 :
« – La libre recherche en matière religieuse s’avère être une erreur. » Il en donne les raisons : « – elle est irréaliste en elle-même, puisqu’elle passe sous silence et nie dans la pratique la nécessité d’une autorité, d’un maître, pour parvenir à la vérité (en particulier l’autorité de Dieu qui révèle) ;
« – elle est imbue de l’erreur du naturalisme, en ce qu’elle nie dans la pratique le péché originel, la déchéance de la dignité humaine, et surtout la blessure de l’ignorance dont reste frappée l’intelligence humaine ;
« – elle est infectée de l’hérésie et même de l’apostasie de l’indifférentisme religieux qui fait de toute religion une voie de salut. Par conséquent, poursuit-il, on ne peut rien fonder sur cette erreur de la libre recherche : la « liberté religieuse » ne peut invoquer la liberté de recherche sans se condamner elle-même ! Bien plus, il nous semble maintenant clair que la « liberté religieuse » réclamée en ce XXe siècle finissant est motivée historiquement par des erreurs plus pernicieuses encore que les erreurs qui sous-tendaient la proclamation de la « liberté de conscience et des cultes » au XIXe siècle. Cette dernière, nous l’avons dit, était motivée par le rationalisme et le libéralisme absolu de l’époque ; mais qu’est-ce, par rapport au naturalisme et surtout à l’indifférentisme actuel qui, nous l’avons montré, manifeste tous les signes d’une apostasie véritable ! » (Dubia, ch. X).
Se faire son opinion et dialoguer
Puisqu’il n’y a pas de vérité, ne demeurent que les opinions de chacun, comme l’exprime clairement la revue maçonnique L’Acacia, de mars 1908 citée par Arnaud de Lassus dans Connaissance élémentaire de la Franc-maçonnerie (AFS, 1996) :
« Ce que nous devons proposer, c’est la conviction que chacun doit faire soi-même ses opinions, par les résultats de ses réflexions ou par les enseignements qu’il a reçus et qui lui ont semblé bons.
« Et si chacun a la liberté de former soi-même son opinion, il doit respecter cette même liberté chez autrui, ne pas s’irriter si son prochain pense autrement que lui, et le manifeste, se dire que, puisque l’erreur est une faiblesse commune à l’espèce humaine, il se pourrait bien que ce fut lui qui errât.
« Ce serait là l’enseignement de la pure doctrine maçonnique, qui n’est pas faite pour être enfermée dans les temples avec ses symboles, mais au contraire propagée au dehors » (p. 109).
Le dialogue est l’un des moyens de se former une opinion sur toutes choses et de nourrir la libre recherche de la vérité.
La réfutation de ce dialogue
La réfutation de ce dialogue est établie d’après Romano Amerio dans son Iota unum publié en langue française aux Nouvelles Éditions Latines en 1985.
Ce terme de « dialogue » était inconnu ou inusité avant le Concile. Dans les textes de Vatican II, le terme apparaît 28 fois, dont 12 dans le décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio(RU). Ce mot a été si bien répandu qu’il est devenu, dans l’Église, un principe premier, une catégorie universelle de la pensée nouvelle. Il est un principe évoqué par la déclaration sur la liberté religieuse : « la vérité doit être cherchée (…) avec l’aide du magistère, c’est-à-dire de l’enseignement, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée… » (DH n° 3, § 2)
Mgr Marafini en donne une définition : « La méthode du dialogue s’entend comme un mouvement convergent vers la plénitude de la vérité et recherche de l’unité profonde. » L’Osservatore Romano des 15–16 novembre 1965 en affirme la nécessité : « Celui qui renonce au dialogue est un fanatique, un intolérant qui finit toujours par être infidèle à lui-même et ensuite à la société dont il fait partie. Celui qui dialogue, au contraire, renonce à être isolé, à être condamné. » Il dit aussi, le 15 janvier 1971 que le dialogue veut dire « l’impossibilité de s’arrêter à quelque chose qui ne soit pas problème. C’est, en somme, nier le grand principe, reconnu en logique, en métaphysique et en morale qu’il faut s’arrêter », c’est-à-dire se fixer sur la vérité, et non la rechercher sans cesse.
Le dialogue conciliaire s’oppose à la méthode d’évangélisation qui est d’enseigner avec autorité et non de dialoguer.
En août 1963, Paul VI consacrait au dialogue le troisième tiers de son encyclique Ecclesiam suam. Il mettait en équation le devoir d’évangéliser le monde et le devoir de dialoguer avec le monde. Or, cette identité est impossible et ne se trouve ni dans l’Écriture Sainte, ni dans le dictionnaire. Le mot grec dialogue ne se trouve nulle part ; son équivalent latin colloquium n’est employé qu’au sens de conférence, conversation, dispute, jamais au sens moderne de négociation concertée.
Au contraire, dans l’Évangile, il est dit que Jésus-Christ enseignait avec autorité (Mt 7, 29). Cette conclusion se tire de ceci : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre, allez, enseignez toutes les nations… » (Mt 28, 19), ce qui, selon le grec, signifie « faire des disciples » de toutes les nations. Le verset suivant dit : « leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé ». Enseigner, ici, selon le grec, signifie « instruire ou apprendre ». Les Apôtres reçoivent donc l’ordre et la puissance de faire de tous les peuples d’abord des disciples dociles et attentifs et ensuite seulement de les instruire sur leurs devoirs pratiques pour bien obéir à Jésus-Christ.
Les Apôtres, dans les synagogues, discutent pour réfuter et attaquer l’erreur. Ils ne discutent pas pour chercher la vérité. Comme Jésus-Christ « parlait avec autorité », de même les Apôtres annoncent une parole qui est par elle-même pourvue d’autorité. Ce n’est pas parole d’homme qui peut porter à controverse, mais parole divine qui s’impose.
De plus, le dialogue pose une égalité destructrice de la vérité.
Ce vice a pour origine la volonté de mettre à égalité les deux interlocuteurs. Elle s’y applique sous le prétexte de faciliter la conversation en n’imposant pas ses propres convictions. L’autre doit découvrir… Le cardinal König, l’une des chevilles ouvrières du Concile, est imbu de cette illusion : « Le dialogue met les interlocuteurs sur un pied d’égalité. Le catholique n’y est pas considéré comme celui qui possède toute la vérité, mais comme celui qui, ayant la foi, recherche cette vérité avec les autres, croyants et non-croyants » (Revue Informations Catholiques Internationales n° 322, 15 octobre 1968).
Même dans l’ordre naturel, il n’y a pas parité ou égalité entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Le maître, compétent en sa science, est supérieur à l’élève qui en commence l’étude. Dans l’ordre religieux et surnaturel, cette mise à égalité est radicalement impossible : celui qui croit enseigne à cause de l’autorité de Dieu qui révèle ; l’autorité divine s’impose (Iota unum, pp. 296–306).
Mais ce faux dialogue est profondément ancré dans les esprits : « Dialoguer signifie être convaincu que l’autre a quelque chose de bon à dire, faire de la place à son point de vue, à ses propositions. Dialoguer ne signifie pas renoncer à ses propres idées et traditions, mais à la prétention qu’elles soient uniques et absolues. » Langage tout à fait maçon-nique, mais tenu par le pape François le 24 janvier 2014.
2. Relativisme et religion
Le relativisme maçonnique modifie profondément la conception de Dieu : d’objective, elle devient subjective et indéfinie.
Le relativisme et Dieu
Les évêques allemands, dans l’étude déjà citée, ont vu la fausseté et la conséquence de ce subjectivisme. Voici leur analyse :
« Dans les rituels, le concept de « grand architecte de l’univers » occupe une place centrale. Il s’agit là, en dépit de toute la volonté d’ouverture à l’ensemble du religieux, d’une conception empreinte de déisme.
« Selon cette conception, il n’existe aucune connaissance objective de Dieu, au sens du concept d’idée personnelle de Dieu dans le théisme. Le « grand architecte de l’univers » est un « Ça » neutre, indéfini et ouvert à toute compréhension. Chacun peut y introduire sa représentation de Dieu, le chrétien comme le musulman, le confucianiste comme l’animiste ou le fidèle de n’importe quelle religion. Pour le franc-maçon, le « grand architecte de l’univers » n’est pas un être au sens d’un Dieu personnel ; et c’est pourquoi il lui suffit d’une vive sensibilité religieuse pour reconnaître le « grand architecte de l’univers » » (DC, 3 mai 1981, col. 446).
Les évêques ivoiriens, en 2017, portent le même jugement : « Dans les rituels francs-maçons, le concept de « Grand architecte de l’univers » occupe une place centrale. Et ce « Grand architecte de l’univers » est en fait un contenant vide, dans lequel chacun est libre d’introduire sa représentation de Dieu, le chrétien comme le musulman, le confucianiste comme l’adepte des religions traditionnelles » (DC, octobre 2017, n° 2528, p. 122).
Cette conception n’est pas propre à l’Allemagne du XXe siècle ou à la Côte d’Ivoire du XXIe siècle, nous la retrouvons en d’autres cieux, présentée par Léon de Poncins dans son livre intitulé La Franc-maçonnerie (DPF, 1972) :
Parmi les maçons qui font autorité, Oswald Wirth dit non sans quelque mépris : « Nous n’avons pas à nier le Divin, mais nous le concevons d’une manière moins enfantine que ceux qui ont entrepris témérairement de satisfaire l’indiscrète curiosité des foules » (L’idéal initiatique, p. 165). Et ailleurs, il dévoile le fond de sa pensée : « Dieu est ici l’idéal que l’homme porte en lui-même. C’est la conception qu’il peut avoir du Vrai, du Juste et du Beau. C’est le guide supérieur de ses actions, l’architecte qui préside à la construction de son être moral. Il ne s’agit point là de l’idole monstrueuse que la superstition se forge sur le modèle des despotes terrestres. Nous portons en nous un Dieu qui est notre principe pensant (La Franc-Maçonnerie. Le livre de l’apprenti, p. 115). » Autrement dit le grand architecte n’est autre que l’homme déifié.
Plus près de nous un autre Très Puissant Souverain Grand Commandeur, le frère Jean-Marie Raymond dira : « Nous avons voulu cristalliser l’Immortalité dans le symbole du Grand Architecte de l’Univers, sorte de figuration de l’Unité cosmique, suprême intelligence universelle, qui n’est autre que la Vie elle-même » (pp. 40–43).
À la nouvelle messe
Dieu serait « un contenant vide, dans lequel chacun est libre d’introduire sa représentation de Dieu » selon l’exacte définition des Évêques ivoiriens.
En lisant cette ligne, comment ne pas penser à l’offertoire de la Nouvelle Messe ? Le pain et le vin y sont offerts au « Dieu de l’univers ». Tout le contexte est naturaliste : les prières au Saint-Esprit ou à la Sainte Trinité sont supprimées, l’offrande de l’Hostie immaculée et du Calice du salut (lesquels désignent Jésus-Christ) a disparu et est remplacée par celle du pain et du vin « fruits de la terre et du travail des hommes », etc. Dans ce contexte naturaliste qui est ce « Dieu de l’univers » ? N’est-on pas facilement porté à le considérer comme « un contenant vide, dans lequel chacun est libre d’introduire sa représentation de Dieu » ?
La rencontre de deux religions : fraternelle !
« L’homme prêtre et roi de lui-même qui ne relève que de sa volonté et de sa conscience », tel est l’idéal maçonnique défini par G. d’Aviello. Lui font écho ces paroles de J. Mitterrand : « Si mettre l’homme sur l’autel plutôt que Dieu est péché de Lucifer, tous les humanistes, depuis la Renaissance, commettent ce péché : ce fut l’un des griefs invoqués contre les francs-maçons quand ils furent pour la première fois excommuniés par le pape Clément XII en 1738 » (Connaissance, p. 43).
Léon de Poncins dans Christianisme et Franc-maçonnerie (DPF, 1975) cite une lettre ouverte au Souverain pontife de 1937 d’Albert Lantoine, autre représentant autorisé de la fraternelle, qui propose une trêve et une conciliation entre l’Église catholique et la F.-M. : « La Franc-maçonnerie poursuit l’exaltation de l’Homme, l’Église, l’exaltation de Dieu. Rivalité ? Non. Conjonction, malgré tout ! Le penseur qui ne transige pas avec les impératifs de son devoir et le croyant qui ne faillit point aux exigences de son culte se rejoignent en esprit par-dessus la divergence de leurs postulats » (op. cit. pp. 40–41).
La spiritualité du Concile
Comment ne pas penser aussitôt au discours de clôture du concile Vatican II, le 7 décembre 1965, où Paul VI tint les propos suivants :
« L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »
Une fraternité universelle
L’ambition de créer une fraternité universelle s’enracine dans les fondements de la Maçonnerie. Les Constitutions d’Anderson, référence obligée de tous les maçons, dévoilent cette intention. Bernard Faÿ la cite dans La Franc-maçonnerie (La Librairie Française, 1961) : « Mais, bien qu’autrefois les maçons aient eu l’obligation d’appartenir dans chaque pays à la religion du lieu, quelle qu’elle fût, maintenant il a paru plus à propos de ne les obliger à appartenir qu’à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, en leur laissant le choix de leurs opinions individuelles ; ainsi il suffit qu’ils soient bons et véridiques, gens d’honneur et de probité, quelles que puissent être les religions ou sectes différentes auxquelles ils appartiennent ; par là, la Maçonnerie deviendra le centre de l’union et le moyen de créer une fraternité véritable entre des gens qui sans cela seraient restés divisés pour toujours » (op. cit, p. 90).
Cet idéal maçonnique est bien une religion à prétention universaliste, celle des droits de l’homme. Oswald Wirth, dans Le Livre du Maître (p. 22), ne s’en cache pas :
« Cesserait-elle d’en être une parce que les autels de ses Temples sont consacrés au culte de la Liberté, de la Fraternité, de l’Égalité ? Ayons le courage de nous dire religieux et de nous affirmer apôtres d’une religion plus sainte que toutes les autres. Propageons la religion de la République qui formera le cœur des citoyens et cultivera les vertus républicaines » (La Franc-maçonnerie, pp. 40–43).
Fraternité encouragée par les papes
À cette prétention de créer une fraternité universelle au-dessus de toutes les religions, les papes du Concile ont su donner une réponse encourageante (cf. Combat de la Foi n° 174, pp. 10–12).
Que ce soit dans le Discours d’ouverture du 11 octobre 1962, ou dans le Message à tous les hommes du 23 octobre 1962, le pape Jean XXIII appelle à une fraternité universelle « par-dessus les frontières et les civilisations », c’est-à-dire au-dessus de toutes les religions, et de toutes les opinions philosophiques.
Quant au Concile lui-même, il « offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle » (GS nnos 3 ; 29, § 2 ; 91, § 1).
La déclaration sur les religions non chrétiennes Nostra aetate (NA) affirme sans scrupule que l’Église « dans sa tâche de promouvoir l’unité et la charité entre les hommes, et même entre les peuples, examine ici d’abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée » (NA nos 1 et 5).
Ces dernières paroles ne sont pas sans rappeler les Constitutions d’Anderson citées plus haut…
3. La liberté religieuse
Du relativisme découle le respect égal à toutes les religions et aux convictions de chacun, ce qui doit se traduire par la liberté donnée à toutes les religions dans la vie sociale. Les évêques allemands, dans l’étude déjà citée, exposent clairement cette conséquence. « La conception franc-maçonne de la religion, disent-ils, est relativiste : toutes les religions sont des tentations concurrentes pour exprimer la vérité sur Dieu, qui, en définitive, est inaccessible. En effet, la seule chose qui soit conforme à la vérité de Dieu est le langage à multiples sens, laissé à la capacité d’interprétation de chaque maçon, des symboles maçonniques. (…)
Certes, autrefois, les maçons de chaque pays avaient l’obligation d’appartenir à la religion en vigueur dans leur pays ou leur peuple, mais aujourd’hui il est plutôt conseillé de s’engager dans la religion où tous les hommes sont d’accord et de laisser à chacun ses convictions particulières (Die Alten Pflichten von 1723, Hambourg, 1972, p. 10). Le concept de religion « où tous les hommes sont d’accord » implique une conception relativiste de la religion qui n’est pas compatible avec la conviction fondamentale du christianisme » (DC, 3 mai 1981, col. 446), c’est-à-dire une seule vraie religion obligatoire pour tous.
« Nos bras sont ouverts pour toutes les convictions, s’écrie en 1874 le Grand Orateur du Suprême Conseil (F. Malapert). Nous ne donnons aucune forme au Grand Architecte de l’Univers, nous laissons à chacun le soin d’en penser ce qu’il veut.
« Quant à nous, nous nous inclinons devant l’infini, l’incompréhensible, et nous n’imposons pas plus la religion de Jupiter que celle d’Adonaï ; toutes sont égales à nos yeux. »
« Imprégnée de pensée libre, écrit, de son côté, Albert Lantoine, la fameuse formule donne nettement du Grand Architecte la définition symboliste adéquate à toutes les confessions, et à la conception que doit en avoir la maçonnerie mondiale. En effet, Anderson ayant précisé dans ses Obligations que toutes les religions y sont admises, il est contraire à ces Obligations de prétendre faire du Grand Architecte le dieu particulier d’une de ces religions » (La Franc-maçonnerie, pp. 40–43).
C’est pourquoi les maçons défendent le principe de la laïcité, c’est-à-dire l’État neutre entre les religions. On peut lire, dans le Bulletin du Grand Orient de France, n° 45 de mai-juin 1964, à la page 80 : « Pour nous la laïcité est la construction de l’État et de l’école sur la raison, la solidarité et la tolérance. Aucun compromis ne peut être possible avec les affirmations dogmatiques d’une religion révélée ».
À cette conception s’oppose radicalement le règne social de Jésus-Christ qui affirme l’unicité de la vraie religion et qui prescrit à l’État de reconnaître la seule vraie religion et de rendre honneur à l’unique vrai Dieu Jésus-Christ Notre Seigneur et enfin de proscrire les fausses autant que faire se peut. C’est l’enseignement des papes Léon XIII dans l’encyclique Immortale Dei, et Pie XI dans l’encyclique Quas primas.
Que dit le Concile ?
Que dit le Concile ? La déclaration sur la liberté religieuse « déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse (…) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres » (DH n° 2).
De là découlerait pour l’État le devoir de donner à toutes les religions un droit égal dans la vie sociale, et non de les tolérer seulement comme un mal.
Ce droit à la liberté religieuse est jugé par l’Église comme faux, et Pie IX, dans l’Encyclique Quanta Cura, condamne les propositions suivantes : « Le meilleur gouvernement est celui où on ne reconnaît pas au pouvoir l’office de réprimer par la sanction des peines les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande » ; « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme » ; « (Ce droit) doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société correctement constituée ».
Plus tard, Léon XIII, dans l’Encyclique Immortale Dei, condamne l’opinion suivante : « l’État doit leur attribuer à toutes (les religions) l’égalité de droit, du moment que la discipline de la chose publique n’en subit pas de détriment. Par conséquent, chacun sera libre de se faire juge de toute question religieuse, chacun sera libre d’embrasser la religion qu’il préfère ».
Mais les maçons ont bien compris les avantages qu’ils pouvaient tirer de la déclaration sur la liberté religieuse. La Pensée catholique n° 226 de janvier-février 1987 a relevé deux citations éclairantes à ce sujet. Le Père Sebott dit, au sujet du Concile : « Avec la déclaration sur la liberté religieuse, le IIe concile du Vatican a créé les bases d’un accord possible avec les maçons ». Le franc-maçon Charles von Bokor affirme la même chose dans son histoire de la maçonnerie publiée en 1980 sous le titre Équerre et compas : « Ce devoir est facilité du fait que le IIe Concile du Vatican s’est exprimé sans réserves en faveur de l’exercice de la liberté religieuse et pour la reconnaissance de toute idéologie ».
4. La tolérance
À cette fausse liberté est liée l’idée de la tolérance de toutes les opinions et religions comme telles, comme en ont bien jugé les évêques allemands : « Du concept de vérité découle également l’idée spécifique de tolérance chez les francs-maçons ». Chez eux, ajoutent-ils, « domine la tolérance à l’égard des idées, quelque opposées qu’elles puissent être entre elles ». C’est pourquoi, « il faut encore une fois revenir à Lennhoff-Posner (op. cit. p. 1500) : « C’est du relativisme que découle le point de vue des francs-maçons sur les problèmes du monde et de l’humanité… Le relativisme étaie la tolérance par des arguments rationnels. La Franc-maçonnerie est l’un des mouvements qui sont nés à la fin du Moyen Age, en réaction contre le caractère inconditionnel de la doctrine de l’Église et l’absolutisme politique, en réaction contre les fanatismes de tous ordres » » (DC, 3 mai 1981, col. 447).
Que dit le Concile ?
Le Concile nous invite au respect égal envers toutes les personnes, même envers celles qui s’égarent loin du vrai et du bien.
« Le respect et l’amour, dit Gaudium et spes, doivent aussi s’étendre à ceux qui pensent ou agissent autrement que nous en matière sociale, politique ou religieuse. D’ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer de l’intérieur, avec bienveillance et amour, leurs manières de voir, plus le dialogue avec eux deviendra aisé. » De plus, « celui qui se trompe garde toujours sa dignité de personne, même s’il se fourvoie dans des notions fausses ou insuffisantes en matière religieuse » (GS n° 28).
Enfin, « Le respect de ceux qui professent une opinion ou une religion différentes grandit de jour en jour » (GS n° 73).
Ce respect mal compris dérive vers la fausse tolérance à l’égard de toutes les opinions et de toutes les religions : « toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu » (GS n° 29, § 2 ; NA n° 5).
Conception catholique de la tolérance
Premier principe. Aucun gouvernement ne peut jamais, quelles que soient les circonstances, ni approuver ni donner un droit au mal (erreur, cultes faux, vices).
Pie XII, dans son Allocution aux juristes catholiques Ci riesce du 6 décembre 1953, affirme : « Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence ni à la propagande ni à l’action ».
Léon XIII, dans son encyclique Libertas qui sera citée ici plusieurs fois, dit de son côté : « Si, en vue du bien commun, et par ce motif exclusivement, la loi des hommes peut ou même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne doit ni ne peut l’approuver ni le vouloir en lui-même ; car, étant de soi la privation du bien, le mal s’oppose au bien commun, que le législateur doit vouloir et défendre du mieux qu’il peut ». « Tout en n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête » avait-il dit d’abord.
La loi et les formules législatives sont pour le bien ; elles ne peuvent jamais être pour le mal, même si elles sont obligées de le tolérer.
Deuxième principe. On peut et doit, en certaines circonstances, tolérer le mal en vue d’un plus grand bien à favoriser ou d’un plus grand mal à éviter. Léon XIII dit : « Tout en n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, l’Église ne s’oppose pas, cependant, à la tolérance dont la puissance publique croit pouvoir user à l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir ou à conserver. »
Troisième principe. On reconnait que la tolérance est un bien ou un mal aux exigences du bien commun, sagement et adéquatement entendu. Le bien commun est, pour la tolérance civile, l’unique critère de légitimité, et c’en est aussi l’unique mesure.
L’unique critère de légitimité, Léon XIII le précise : « Si la loi humaine peut ou même doit tolérer le mal, c’est à cause du bien commun et exclusivement à cause de lui. »
Il fixe aussi l’unique mesure, soit dans le mode, soit dans la durée : « Appartenant aux principes de la prudence politique, la tolérance du mal doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d’être, c’est-à-dire le salut public. C’est pourquoi, si elle est nuisible au bien public, si elle est pour l’État la cause d’un plus grand mal, il suit qu’il n’est pas permis d’en user ; car alors toute apparence de bien manque. »
Mais, « Si, en raison de conditions particulières, dit encore ce Pape, l’Église acquiesce, pour un État, à certaines libertés modernes – non, certes, qu’elle les approuve en elles-mêmes, mais parce qu’elle juge expédient de les tolérer – et que la situation vienne à s’améliorer, elle usera évidemment de sa liberté… pour remplir, comme c’est son devoir, la mission qu’elle a reçue de Dieu… »
Quatrième principe. Enfin, alors même que la tolérance est bonne et permise, elle n’est jamais un indice de progrès ou de perfection. Elle est proprement un signe de décadence, dont personne n’a lieu d’être fier et qui ne peut être un idéal pour personne.
Léon XIII dit : « Pour que notre jugement reste dans la vérité, il faut reconnaître que, plus on est obligé de tolérer de mal dans un État, plus cet État se trouve éloigné de la perfection… »
Pour approfondir ce sujet, on se reportera avec fruit aux deux livres suivants : celui d’A. Roul, L’Église catholique et le Droit commun et celui de Mgr Lefebvre, Mes doutes sur la liberté religieuse (Éditions Clovis).
5. La pratique œcuménique
De cette fausse conception de Dieu, de la liberté religieuse et de la tolérance vient aussi la pratique œcuménique des papes du Concile : Jean-Paul II par ses réunions interreligieuses, comme Assise en 1986, suivi par Benoît XVI dès son élection en 2005, en Allemagne, et par le pape François en janvier 2016, au cours d’une vidéo dont il a été parlé dans un article précédent.
De là encore, la réception à Rome par les papes des représentants de toutes les religions ou l’honneur rendu à leur statue comme à celle de Luther par le pape François, ou pire par la pratique des faux cultes : en 1986, le 2 février à Bombay, Jean-Paul II reçoit sur le front le Tilak, symbolisant le troisième œil de Shiva ; le 5 février, il reçoit le Vibhuti, c’est-à-dire des cendres « sacrées », signe des adorateurs de Shiva et de Vishnu (Photos dans Pierre, m’aimes-tu ? par Daniel Leroux, Éditions Fideliter) ; le 30 novembre 2006, dans la mosquée d’Istanbul, Benoît XVI se déchausse, et prie quelques instants en silence, comme les musulmans, les mains sur le ventre et tourné vers la Mecque, etc.
Cette mise en pratique rend visible et sensible le relativisme et le fait entrer en profondeur dans les âmes beaucoup plus que de grands discours : « L’événement d’Assise, dit Jean-Paul II aux cardinaux le 22 décembre 1986, peut ainsi être considéré comme une illustration visible, une leçon de choses, une catéchèse intelligible à tous, de ce que présupposent et signifient l’engagement œcuménique et l’engagement pour le dialogue inter-religieux recommandé et promu par le concile Vatican II » (DC n°1933 du 1er février 1987, p. 133).
6. Relativisme et morale
Le pape François, le 28 juillet 2013, scandalisa plus d’une bonne âme par cette assertion : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Si à ces paroles, on joint la photographie du pape bras dessus, bras dessous avec un gay, on comprend que la terrible réprobation de l’Écriture Sainte à l’égard de ces personnages puisse perdre toute force aux yeux du public.
L’Église catholique a toujours enseigné que le mariage-sacrement est indissoluble et que les personnes qui ont divorcé et par la suite ont voulu contracter une nouvelle union, sont des pécheurs publics et donc à ce titre, vivant publiquement dans une occasion prochaine et volontaire de pécher, ne peuvent être en état de grâce et par là même s’approcher de l’Eucharistie qui est le sacrement de l’amour de Dieu.
Amoris laetitia
L’exhortation Amoris Laetitia (AL), au contraire, relativise cet enseignement de l’Église. Le pape, certes, reconnaît le modèle parfait et idéal du mariage tel que l’Église l’a toujours enseigné. Or, selon lui, cet idéal est difficilement réalisable dans les circonstances du monde actuel. C’est pourquoi il faut reconnaître que des situations stables non conformes à l’idéal chrétien (entendons : concubinages, mariages purement civils, etc.) se rapprochent cependant de l’idéal. Par conséquent, dit-il, « quand l’union atteint une stabilité consistante à travers un lien public, elle est caractérisée par une affection profonde, confère des responsabilités à l’égard des enfants, donne la capacité de surmonter les épreuves et peut être considérée comme une occasion à accompagner dans le développement menant au sacrement du mariage » (AL n° 293). Dès lors, il faudrait nécessairement conclure de ces propos qu’une vie de péché à deux serait une étape vers la sainteté du mariage chrétien ! Et aussi conclure qu’on pourrait les admettre aux sacrements de confession et de communion sans qu’ils quittent leur état de péché d’un manière ou d’une autre. Là est bien la volonté du pape comme il l’a confirmée à différentes conférences épiscopales.
Le fondement erroné de cette attitude est posé au n° 305 : « Dans cette même ligne, s’est exprimée la Commission Théologique Internationale : « La loi naturelle ne saurait donc être présentée comme un ensemble déjà constitué de règles qui s’imposent a priori au sujet moral, mais elle est une source d’inspiration objective pour sa dé-marche, éminemment personnelle, de prise de décision » » (AL n° 305).
« La loi naturelle, commente l’abbé Gleize, n’est donc plus une loi énonçant un commandement obligatoire. Elle se trouve ravalée au rang d’un simple conseil, d’un stimulant ou d’une recommandation. Une source d’inspiration. Nous retrouvons ici la proposition condamnée par le pape saint Pie X, dans le décret Lamentabili : « La vérité n’est pas plus immuable que l’homme lui-même, puisqu’elle se développe avec lui, en lui et par lui » » (n° 58).
7. Jusqu’aux simples fidèles
Ne pensons pas que ces dérives vers les principes maçonniques restent au niveau du pape et des évêques : elles descendent jusqu’aux simples fidèles dans le catéchisme et dans la vie spirituelle.
Le catéchisme
Sous l’influence de ce qu’on a appelé le mouvement catéchétique, l’enseignement de la doctrine catholique a été soumis, surtout après 1945, à un processus de mutation permanente, d’inspiration maçonnique. Il s’agit, selon André Fossion, jésuite, de créer et d’inventer :
Indéfiniment reprise, la tâche catéchétique a pour mission de s’accorder à l’incessante nouveauté de Dieu. Elle est appelée à défricher, à créer, à inventer, à se recomposer aussi bien dans ses contenus que dans ses méthodes et son organisation » (La catéchèse française, A. de Lassus, AFS, 1985, p. 14).
Selon l’idéologie maçonnique, les novateurs, comme le père de Vaucelles, jésuite, refusent la soumission à une doctrine : « On ne peut que se réjouir du refus d’endoctrinement qui caractérise, de façon générale, les démarches d’initiation à la foi, puisqu’en France les animateurs se montrent respectueux de la liberté de conscience de leurs auditeurs et cherchent, surtout au niveau de l’adolescence, à les introduire à la pluralité des références et des pratiques, si caractéristiques de notre monde » (A. de Lassus, op. cit., p. 14).
Les livres de prières
Dans Méditations bibliques, livret édité en 1995 par Panorama, à la page 29 au jour du 27 décembre, on peut lire ce qui suit :
« La famille, telle qu’elle se présentait dans sa dimension sociale aux yeux du sage d’Israël et à ceux de saint Paul, appartient à une époque, une civilisation, une culture qui ne sont plus les nôtres. En outre, le monde dans lequel s’insérait l’univers familial bénéficiait de la stabilité la plus totale, alors que le nôtre est en continuelle mutation. La liturgie a‑t-elle inséré une fête de la Sainte Famille dans le cycle de Noël pour présenter aux hommes de ce temps un idéal immuable qui serait aussi celui que Dieu lui-même nous proposerait de vivre concrètement ? Certainement pas ! Dieu est vivant, il nous a créés vivants, et il nous veut créateurs de vie dans toutes nos institutions. »
Et le texte ajoute :
« Par-dessus tout cela qu’il y ait l’amour ». Voilà l’idéal familial, conclut-il ! Pas d’idéal ni de modèle immuables mais l’amour dont jamais une définition n’est donnée.
Conclusion
Nous aurions pu aborder d’autres conséquences de ces faux principes comme l’évolution, puisqu’il faut sans cesse tout remettre en question (voir CF 174), ou la démocratie (voir CF 171), ou l’inculturation, c’est-à-dire l’adaptation des rites liturgiques à chaque pays et à chaque civilisation. Mais ce que nous avons dit est assez accablant !
Dans son livre L’œcuménisme vu par un franc-maçon de tradition paru en 1964, le franc-maçon Yves Marsaudon pouvait se réjouir de la pénétration des idées maçonniques dans l’Église à la faveur du Concile Vatican II :
« Nous ne pensons pas qu’un franc-maçon digne de ce nom, et qui s’est lui-même engagé à pratiquer la tolérance, ne puisse se féliciter sans aucune restriction des résultats irréversibles du concile, quelles qu’en soient les conclusions momentanées. Nous applaudissons à ces manifestations aussi inattendues que parfois brutales, mais il était évident que l’Église la plus dogmatique devait un jour disparaitre ou s’adapter et pour s’adapter revenir aux Sources » (A. de Lassus, op. cit., p. 115).
Un journaliste catholique, Fesquet, se réjouissait lui aussi en son temps : « Cette libération de la pensée catholique, trop longtemps prisonnière du courant négatif de la Contre-Réforme, permet en quelque sorte d’opérer la jonction avec la trilogie de la Révolution française, qui a fait le tour du monde profane avant d’être récupérée par le catholicisme d’où elle était sortie non sans déformation : Liberté, égalité, fraternité : cette glorieuse devise fut somme toute celle de Vatican II, comme l’a suggéré récemment Hans Küng » (Le journal du Concile, p. 1127).
Le franc-maçon E. Plantagenet, dans La Franc-maçonnerie en France (p. 41), donne une description rassurante et alléchante de la F.-M. :
« La Franc-maçonnerie – disent ses statuts – institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Elle a pour principe la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même et la liberté de conscience.
« Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, elle se refuse à toute affirmation dogmatique.
« Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité.
« La Franc-maçonnerie a pour devoir d’étendre à tous les membres de l’humanité les liens fraternels qui unissent les francs-maçons sur toute la surface du globe » ( op. cit., p. 35).
N’est-ce pas une description assez conforme à ce que l’Église est devenue depuis 50 ans ? Un aggiornamento réussi ! hélas !
Nous ne pouvons que prier avec instance nos lecteurs de prendre avec fermeté et persévérance les antidotes. Tout d’abord étudier les ouvrages sur la Franc-maçonnerie, et sur le libéralisme, en particulier la vie de Mgr Lefebvre, et, de celui-ci, les deux ouvrages suivants : Ils l’ont découronné et Mes doutes (Éditions Clovis). Ensuite étudier Le catéchisme catholique de la crise dans l’Église de l’abbé Gaudron, prêtre de la Fraternité Saint-Pie X (Éditions du Sel de la terre). Également étudier et méditer la doctrine de l’Église pour se forger des fortes convictions. Être aussi combatifs (donc donner des coups et en recevoir !) pour défendre le règne et l’honneur de Jésus-Christ et de sa sainte Mère. Enfin être apôtre, plein de zèle pour le salut des âmes et la Gloire de Dieu.?
Abbé O. du Châtelet+, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Combat de la Foi n° 183 de cédembre 2017 /La Porte Latine du 25 mars 2018
Accès à toutes les condamnations de la secte franc-maçonne par l’Eglise