Réponse au livre d’Y. Chiron sur Dom Gérard – Pour l’honneur de Mgr Lefebvre, par l’abbé Aulagnier

« Monseigneur Lefebvre : Tradidi quod et acce­pi. J’ai trans­mis ce que j’ai reçu. Réponse au livre d’Yves Chiron sur « Dom Gérard » ou pour l’hon­neur de Mgr Lefebvre. En mémoire de Mgr Lefebvre et pour son honneur ».

C’est ain­si que M. l’ab­bé Paul Aulagnier [Photo ci-​dessus], qui fut un des pre­miers membres de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie‑X (FSSPX) fon­dée par Mgr Lefebvre, et qui fut Supérieur du District de France de 1976 à 1994, a publié sur son site Item une très longue cri­tique du livre hagio­gra­phique écrit par Yves Chiron à la demande de Dom Louis-​Marie, Père Abbé du Barroux, à l’oc­ca­sion du dixième anni­ver­saire du Dies nata­lis de Dom Gérard Calvet.

La seule courte réponse d’Yves Chiron au cou­ra­geux défen­seur de Mgr Lefebvre est cette phrase emblé­ma­tique d’un his­to­rien qui a choi­si son camp, celui du Concile Vatican II [1]: « Dieu mer­ci, ce livre, fruit de dix ans de tra­vail, a eu d’autres lec­teurs, plus bien­veillants. On me per­met­tra de citer ces mots, manus­crits, de notre pape émé­rite Benoît XVI, qui a lu le livre et qui m’a écrit : « Merci du cœur pour votre grand livre ! ».

« Ab uno disce omnes » : Et qu’un seul vous apprenne à les connaître tous (Virgile, Énéide, liv. II, v. 65)

La Porte Latine du 8 mai 2018

Texte intégral de M. l’abbé Paul Aulagnier écrit le 28 avril 2018 pour Item/​Un disciple

En mémoire de Mgr Lefebvre et pour son honneur

« Tradidi quod et acce­pi ». Ces paroles expriment tout l’idéal épis­co­pal de Mgr Lefebvre, une volon­té de fidé­li­té. Il vou­lut être un évêque fidèle. « J’ai trans­mis ce que j’ai reçu ». C’est ce qu’il vou­lut faire durant sa vie épis­co­pale tant en Afrique qu’en France. Ces paroles furent pro­non­cées par Mgr Lefebvre lors de sa pré­di­ca­tion, du 30 juin 1988, alors qu’il confé­rait le sacre épis­co­pal à quatre de ses dis­ciples au sémi­naire d’Ecône, devant une foule impor­tante de fidèles. D’aucuns y ont vu un « acte schis­ma­tique ». Yves Chiron, dans son nou­veau livre sur Dom Gérard : « Dom Gérard. Tourné vers le Seigneur » le dit haut et fort, invo­quant sans autre argu­ment, la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, le Droit Canon, sans tenir compte de la « crise » de l’Eglise pour­tant réelle.

Ce livre est très his­to­rique et sous ce rap­port, inté­res­sant. Il faut l’en féli­ci­ter. Un vrai tra­vail de moine ! Que d’archives consul­tées, ordon­nées, analysées !

C’est un livre en « com­mande ». L’auteur ne le nie pas, mais il affirme tout autant avoir gar­dé toute sa liber­té d’écrivain, d’historien…C’est d’autant plus grave et pour lui et pour les com­man­di­taires, tant les accu­sa­tions sont graves et lourdes de consé­quences pour l’honneur de Mgr Lefebvre et pour le monas­tère. Les com­man­di­taires en sont les moines du Barroux puisque il est édi­té aux « édi­tions Sainte Madeleine », les édi­tions du monas­tère…. Si les « accu­sa­tions » sont du seul chef d’Yves Chiron….la publi­ca­tion du livre laisse entendre que les moines épouse sa pen­sée, sa « doc­trine » ses accu­sa­tions » (Voir la lettre aux amis du monas­tère n° 165)… Autrement, les moines ne l’auraient pas édi­té… Ce livre est révé­la­teur d’une pensée…Il ne fau­dra pas l’oublier…

Ce livre est très sévère pour Mgr Lefebvre et son « com­bat » dans l’Eglise, très sévère pour la Fraternité sacer­do­tale saint Pie X, son œuvre, pour­tant si brillante et si mis­sion­naire. L’auteur et donc les moines parlent du « schisme de Mgr Lefebvre »[2], ni plus ni moins, en rai­son des Sacres » faits par ce der­nier, le 30 juin 1988, sou­te­nu par Mgr de Castro Mayer, évêque émé­rite de Campos, au Brésil. Il en parle non pas une fois, comme en pas­sant, mais « mille » fois. C’est même comme un leit-​motiv, lan­ci­nant et pénible. Il ne donne aucune preuve sinon l’argument « cano­nique », le seul, l’argument dis­ci­pli­naire. « Mais atten­tion la lettre tue et l’esprit vivi­fie ». C’est ce que disait NSJC face aux pha­ri­siens. Ces der­niers condam­nèrent même Jésus en rai­son de leur « Loi »…C’est ce qu’ « il » fait lui aus­si condam­nant Mgr Lefebvre, uti­li­sant uni­que­ment la « lettre ». J’ai lu tout le livre avec attention.

C’est ain­si que l’auteur inti­tule son cha­pitre 11 : « 1988, refus du schisme » (sous-​entendu par Dom Gérard). Ce juge­ment est caté­go­rique, loin d’être nuan­cé. Il est sans cesse répé­té, jus­ti­fié auprès des moines et des fidèles qui fré­quentent le monas­tère. Par exemple, l’auteur cite Dom Gérard, au moment de son éloi­gne­ment puis de sa rup­ture avec Mgr Lefebvre. A cette époque-​là, Dom Gérard met en garde contre une erreur bien actuelle : « n’ayons pas le roman­tisme du petit nombre, le roman­tisme de nous trou­ver très contents d’être en dehors de la léga­li­té. Cette situa­tion est un état violent. Elle n’est qu’un ultime refuge. L’Eglise étant une socié­té, le cadre est impor­tant (il est d’origine divine). Gardons le sens de l’Eglise. Ne tom­bons pas dans une men­ta­li­té de secte » (p. 481). Dans ce cha­pitre, l’auteur ne cesse d’utiliser ces mots de secte, de schisme, d’excommunication, « à l’origine de cet acte schis­ma­tique… », d’infidélité à l’autorité ecclé­sias­tique… Par exemple il dit que la com­mu­nau­té de l’Annonciation (les béné­dic­tines d’à côté) s’engagea, elles, sans défec­tion, dans la voie de la récon­ci­lia­tion avec le saint Siège….Mère Elizabeth ne pou­vait approu­ver l’acte schis­ma­tique accom­pli » (p 504). Elle en est féli­ci­tée. Tout est à l’encan…

Il va même jusqu’à dire, citant Dom Gérard, que Mgr Lefebvre n’avait pas le « sen­sus eccle­siae ». Pas moins ! Dans son tes­ta­ment, Dom Gérard écrit « pour le monas­tère » : « Aimez l’Eglise, sa litur­gie, son Magistère, le Souverain Pontife. Ayez le sen­tire cum eccle­sia. C’est l’amour de l’Eglise qui nous a sau­vés du schisme. Mgr Lefebvre avait tout d’un grand homme d’Eglise. Ce qui lui a man­qué, c’est le sen­sus eccle­siae, cet ins­tinct sur­na­tu­rel qui fait sen­tir ce qui est conforme à la pen­sée de l’Eglise. Il a pro­gres­si­ve­ment per­du ce sen­sus eccle­siae par crainte d’affaiblir sa résis­tance » (p 566). Ce n’est pas très joli d‘écrire cela, après avoir tant reçu de ce pré­lat. Si les moines jouissent de la messe tri­den­tine, la messe de « tou­jours », c’est bien grâce au « com­bat » de Mgr Lefebvre, et à sa fidé­li­té à la Tradition, sou­te­nu par d’autres prêtres, le Père Calmel, l’abbé Coache, le Père Barbara et de nom­breux laïques, Jean Madiran, Louis Salleron, Luce Quenette…un vrai géné­ral en chef …. Sans cette résis­tance « héroïque », nous n’aurions jamais eu la joie du Motu Proprio de Benoît XVI Summorum Pontificum recon­nais­sant que la messe « ancienne » n’avait jamais été abo­lie. On a même l’impression, à cer­tains moments du livre, que ses moines ou du moins l’auteur du livre, lui reprochent ce com­bat, cette résis­tance. Il a osé se dres­ser contre l’autorité ecclé­siale ! Dom Gérard est même quelque fois embar­qué dans la critique…Je trouve que c’est un manque évident de jus­tice, et même un manque à la pié­té filiale due.

Mgr Lefebvre est ain­si atta­qué injus­te­ment dans ce livre et ses com­man­di­taires indignes : les moines. Sur ce che­min, ils vont se perdre. Avec de tels argu­ments, ils n’auraient pas mené le « bon com­bat »…il y a trente ans….Et si ce com­bat se renou­ve­lait, ils se réfu­gie­raient, c’est à craindre, dans la « sainte obéis­sance », comme d’autres com­mu­nau­tés de l’époque le firent ?

En écri­vant ce nou­veau livre sur Mgr Lefebvre, j’ai la ferme inten­tion de défendre sa mémoire, son hon­neur mis à mal par ce livre de Yves Chiron.

« J’ai trans­mis ce que j’ai reçu ». Voilà en quelques mots le résu­mé de la per­son­na­li­té de Mgr Lefebvre. Il les pro­non­ça lors de son dis­cours du 30 juin 1988, le jour des Sacres :

« Loin de moi de m’ériger en pape. Je ne suis qu’un évêque de l’Église catho­lique qui conti­nue à trans­mettre, à trans­mettre la doc­trine. Tradidi quod et acce­pi. C’est ce que je pense…c’est ce que je sou­hai­te­rais qu’on mette sur ma tombe, et cela ne tar­de­ra sans doute pas… qu’on mette sur ma tombe Tradidi quod et acce­pi – ce que dit saint Paul – « Je vous ai trans­mis ce que j’ai reçu », tout sim­ple­ment. Je suis le fac­teur qui porte une lettre. Ce n’est pas moi qui l’ai faite cette lettre, ce mes­sage, cette parole de Dieu, c’est Dieu Lui-​même, c’est Notre Seigneur Jésus Christ Lui-​même, et nous vous l’avons trans­mis, par l’intermédiaire de ces chers prêtres qui sont ici pré­sents, et par tous ceux qui, eux-​mêmes, ont cru devoir résis­ter à cette vague d’apostasie dans l’Église, en gar­dant la Foi de tou­jours et en la trans­met­tant aux fidèles. Nous ne sommes que des por­teurs de cette nou­velle, de cet évan­gile que Notre Seigneur Jésus Christ nous a don­né et des moyens pour nous sanc­ti­fier : la Sainte Messe, la vraie Sainte Messe, les vrais sacre­ments, qui donnent vrai­ment la vie spi­ri­tuelle. Il me semble entendre la voix de tous ces papes depuis Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, nous dire :

« Mais de grâce, de grâce, qu’allez-vous faire de nos ensei­gne­ments ? de notre pré­di­ca­tion ? de la Foi catho­lique ? Allez-​vous l’abandonner ? Allez-​vous la lais­ser dis­pa­raître de cette terre ? De grâce, de grâce, conti­nuez à gar­der ce tré­sor que nous vous avons don­né. N’abandonnez pas les fidèles ! n’abandonnez pas l’Église ! conti­nuez l’Église ! Car enfin, depuis le concile, ce que nous avons condam­né, voi­ci que les auto­ri­tés romaines l’adoptent, et le pro­fessent, com­ment est-​ce pos­sible ? Nous avons condam­né le libé­ra­lisme, nous avons condam­né le com­mu­nisme, le socia­lisme, le moder­nisme, le sillon­nisme, toutes ces erreurs que nous avons condam­nées, voi­ci main­te­nant qu’elles sont pro­fes­sées, adop­tées, sou­te­nues par les auto­ri­tés de l’Église : est-​ce pos­sible ? Si vous ne faites pas quelque chose pour conti­nuer cette Tradition de l’Église que nous vous avons don­née, tout dis­pa­raî­tra. L’Église dis­pa­raî­tra, les âmes seront toutes perdues ».

Nous nous trou­vons devant un cas de néces­si­té. Nous avons tout fait pour essayer que Rome com­prenne qu’il faut reve­nir à cette atti­tude du véné­ré Pie XII et de tous ses pré­dé­ces­seurs. Nous avons écrit, nous sommes allés à Rome, nous avons par­lé, nous avons envoyé des lettres – Monseigneur de Castro Mayer et moi-​même – plu­sieurs fois, à Rome ; nous avons essayé par ces col­loques, par ces moyens, d’arriver à faire com­prendre à Rome que depuis le Concile, cet aggior­na­men­to, ce chan­ge­ment qui s’est pro­duit dans l’Église, n’est pas catho­lique, n’est pas conforme à la doc­trine de tou­jours de l’Église. Cet œcu­mé­nisme et toutes ces erreurs, ce col­lé­gia­lisme, tout cela est contraire à la Foi de l’Église, est en train de détruire l’Église.

C’est pour­quoi, nous sommes per­sua­dés qu’en fai­sant cette consé­cra­tion aujourd’hui, nous obéis­sons à l’appel de ces papes et, par consé­quent, à l’appel de Dieu car il repré­sente Notre Seigneur Jésus Christ dans l’Église ».

Il est évident que Mgr Lefebvre affir­mait ain­si sa fidé­li­té totale à l’enseignement de tou­jours de la saint Eglise, à l’enseignement de ces Pontifes romains, fidèles eux-​mêmes à l’enseignement de Dieu et de son Fils Jésus. Voilà com­ment il faut juger les « sacres ». J’y reviendrai.

Il s’inspirait clai­re­ment de l’attitude de saint Paul qu’il cite même dans cette homélie.

C’est bien en effet à cette fidé­li­té que saint Paul fait allu­sion alors qu’il trans­met, lui aus­si, aux com­mu­nau­tés la sainte Eucharistie ins­ti­tuée par Notre Seigneur Jésus-​Christ lors de la sainte Cène, le Jeudi Saint. Il affirme cette fidé­li­té aux Corinthiens dans les termes mêmes qu’utilisera Mgr Lefebvre : « Ego enim acce­pi a Domino quod et tra­di­di vobis, quo­niam Dominus Jesus in qua nocte tra­de­ba­tur acce­pit panem et gra­tias agens fre­git et dixit : acci­pite et man­du­cate, hoc est cor­pus meum quod pro vobis tra­de­tur : hoc facite in meam com­mé­mo­ra­tio­nem. Similiter et cali­cem post­quam cena­vit dicens : Hic calix novum tes­ta­men­tum est in meo san­guine. Hoc facite, quo­ties­cumque bibe­tis, in meam commemorationem ».

« Car, pour moi, j’ai reçu du Seigneur, ce que je vous ai aus­si trans­mis, savoir, que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir ren­du grâces, le rom­pit et dit : pre­nez et man­gez : ceci est mon Corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi ». De même, après avoir sou­pé, il prit le calice et dit : « ce calice est la Nouvelle Alliance en mon sang ; faites-​ceci ; toute les fois que vous en boi­rez, en mémoire de moi ». (I Cor 11 23–25)

Saint Paul trans­met bien ce qu’il a lui-​même reçu du Seigneur : la Sainte Eucharistie. Entre saint Paul et Mgr Lefebvre, les mots sont iden­tiques. Ils expriment l’identité d’une pen­sée. Mais plus encore : la chose elle-​même trans­mise est la même : le saint Sacrifice de la messe, la Sainte Eucharistie.

C’est en effet ce que Mgr Lefebvre décla­rait solen­nel­le­ment le 30 sep­tembre 1979 [3] , à la porte de Versailles, dans le Hall 6, aujourd’hui détruit, lors de la grande mani­fes­ta­tion que j’ai eu l’honneur d’organiser pour son jubi­lé sacer­do­tal. Voilà ses paroles. Elles sont émouvantes :

« Je ter­mi­ne­rai, mes bien chers frères, par ce que j’appellerai, un peu, mon tes­ta­ment. Testament, c’est un bien grand mot, parce que je vou­drais que ce soit l’écho du tes­ta­ment de Notre-​Seigneur, novi et aeter­ni tes­ta­men­ti.

« Novi et aeter­ni tes­ta­menti », c’est le prêtre qui récite ces paroles à la consé­cra­tion du pré­cieux Sang. « Hic est calix san­gui­nis mei, novi et aeter­ni tes­ta­men­ti », l’héritage que Jésus-​Christ nous a don­né, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civi­li­sa­tion chré­tienne et de ce qui doit nous mener au ciel.

Aussi je vous dis :

Pour la gloire de la Très Sainte Trinité,
pour l’amour de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ,
pour la dévo­tion à la Très Sainte Vierge Marie,
pour l’amour de l’Eglise,
pour l’amour du pape,
pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles,
pour le salut du monde,
pour le salut des âmes,
gar­dez ce tes­ta­ment de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ !
Gardez le Sacrifice de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ !
Gardez la messe de toujours !

Et vous ver­rez la civi­li­sa­tion chré­tienne refleu­rir, civi­li­sa­tion qui n’est pas pour ce monde, mais civi­li­sa­tion qui mène à la cité catho­lique, et cette cité catho­lique, c’est la cité catho­lique du ciel qu’elle pré­pare. Elle n’est pas faite pour autre chose, la cité catho­lique d’ici-bas, elle n’est pas faite pour autre chose que pour la cité catho­lique du ciel.

Alors en gar­dant le Sang de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, en gar­dant son Sacrifice, en gar­dant cette messe, messe qui nous a été léguée par nos pré­dé­ces­seurs, messe qui a été léguée depuis les Apôtres jusqu’à aujourd’hui – et dans quelques ins­tants je vais pro­non­cer ces paroles sur le calice de mon ordi­na­tion, et com­ment voulez-​vous que je pro­nonce, sur le calice de mon ordi­na­tion, d’autres paroles que celles que j’ai pro­non­cées il y a cin­quante ans sur ce calice, c’est impos­sible, je ne puis pas chan­ger ces paroles – alors nous conti­nue­rons à pro­non­cer les paroles de la consé­cra­tion, comme nos pré­dé­ces­seurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos édu­ca­teurs nous l’ont appris, afin que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ règne et que les âmes soient sau­vées par l’intercession de notre Bonne Mère du ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il ».

Comment expri­mer plus for­te­ment la fidé­li­té à l’enseignement de l’Eglise ! On pour­rait mettre dans la bouche de Mgr Lefebvre ce que saint Paul lui-​même écri­vait aux Galates : « Je m’étonne que si vite vous vous lais­siez détour­ner de celui qui vous a appe­lés en la grâce de Jésus-​Christ, pour pas­ser à un autre Evangile : non certes qu’il y en ait un autre ; seule­ment il y a des gens qui vous troublent et qui veulent chan­ger l’Evangile du Christ. Mais quand nous-​même, quand un ange venu du ciel vous annon­ce­rait un autre Evangile que celui que vous nous avons annon­cé, qu’il soit ana­thème ! Nous l’avons dit pré­cé­dem­ment, et je le répète à cette heure, si quelqu’un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit ana­thème ! En ce moment, est-​ce la faveur des hommes ou celle de Dieu que je recherche ? Mon des­sein est-​il de com­plaire aux hommes ? Si je plai­sais encore aux hommes, je ne serais pas ser­vi­teur du Christ. » (Galates 1 3–10)

Oh que ces phrases de saint Paul sont belles ! Oh com­bien elles reflètent joli­ment la per­son­na­li­té de Mgr Lefebvre

« Mon des­sein est-​il de com­plaire aux hommes ? Si je plai­sais encore aux hommes, je ne serais pas ser­vi­teur du Christ ». Citer ces paroles, c’est faire le plus bel éloge de Mgr Lefebvre ! Il vou­lut toute sa vie être « le ser­vi­teur du Christ ». « Son des­sein ne fut pas de com­plaire aux hommes ». Je l’affirme, moi qui aie vécu de nom­breuses années à ses côtés. Cela le condui­sit jusqu’aux sacres de 1988. Je l’expliquerai plus loin…

Voilà, je crois, tout l’idéal de Mgr Lefebvre. Il le mon­tre­ra toute sa vie et dans son ensei­gne­ment et dans son action. Ce sera l’objet de ce livre.

Dans sa doc­trine. Ce sera l’objet du cha­pitre 1.

Dans son action, ce sera l’objet du cha­pitre 2.

Aussi est-​il bien légi­time de prendre la défense de son hon­neur d’Apôtre, lui qui fut « bafoué » par les hommes tant ecclé­sias­tiques que civils, aujourd’hui comme hier. Ce sera l’objet du cha­pitre 3.

Présenter une apo­lo­gie de Mgr Lefebvre, apo­lo­gie pour répondre aux accu­sa­tions que répètent ite­rum et ite­rum M Yves Chiron dans son tout récent livre sur Dom Gérard : « Dom Gérard. Tourné vers le Seigneur ». On ne peut se taire. Il me faut protester.

Ch. 1. Héritage doctrinal de Mgr Lefebvre

Avant-​Propos

Proche col­la­bo­ra­teur de Mgr Lefebvre pen­dant de nom­breuses années, dans le cadre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X (FSSPX), je n’en res­te­rai pas dans cet essai au niveau des anec­dotes, des évé­ne­ments de sa vie. Non ! Je vou­drais, si pos­sible, aller plus au fond, cher­cher ce qui fut l’essentiel de sa pen­sée, ce qui a fait l’unité de sa vie, la rai­son de tous ses com­bats, d’abord en terre afri­caine comme Délégué apos­to­lique de Pie XII, puis en Occident, comme Père conci­liaire en tant que Supérieur des Pères du saint Esprit, la Congrégation mis­sion­naire du Père Libermann, puis comme Fondateur de la FSSPX, dès 1970, œuvre essen­tiel­le­ment sacer­do­tale. Je vou­drais étu­dier l’héritage qu’il nous laisse. Si nous arri­vions à trou­ver le cœur de sa pen­sée, nous pour­rons lui res­ter plus faci­le­ment fidèles et être comp­tés par­mi ses dis­ciples. Ce qui pour moi, serait un hon­neur. Que sont les anec­dotes de sa vie par rap­port à sa pen­sée sinon de simples cir­cons­tances, de simples évé­ne­ments qui passent, des aspects fugi­tifs d’une vie cer­tai­ne­ment très pleine, toute don­née à Dieu, à l’Eglise, toute don­née aux prêtres… mais enfin des anec­dotes qui lui sont personnelles…

Ce qui fait, me semble-​t-​il, l’unité de la pen­sée et de l’action apos­to­lique de Mgr Lefebvre, son héri­tage, c’est sa foi et son amour pour Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et l’Eglise romaine. « Credidimus cari­ta­ti ». « Nous avons cru à la Charité » du Christ. C’est sa devise. Le Christ, pour lui, est tout, comme il le fut pour saint Pierre et pour saint Paul. Et c’est dans cette foi au Christ, fidèle à la « doc­trine pétri­nienne et pau­li­nienne » que je trouve l’unité de la doc­trine de Mgr Lefebvre. C’est en cette doc­trine – l’amour du Christ – que je trouve l’unité de son épis­co­pat, la rai­son de son com­bat pour le sacer­doce ; c’est en cette pen­sée que je trouve la rai­son de son insis­tance sur la Messe, sur la garde de la Messe de tou­jours, que je trouve la rai­son de son com­bat sur la liber­té reli­gieuse, contre le laï­cisme contem­po­rain, contre le rela­ti­visme doc­tri­nal, le propre de notre siècle. C’est en cet amour du Christ que je trouve la rai­son de sa doc­trine sur le Christ-​Roi et la fougue avec laquelle il a par­lé et défen­du cette doc­trine essen­tiel­le­ment catho­lique. Il fut le témoin le plus har­di des Pères conci­liaires sur ce sujet ; c’est en cette foi au Christ, vrai Fils de Dieu, que je trouve la rai­son de son oppo­si­tion si forte à l’œcuménisme « pra­ti­qué fol­le­ment » et aux réunions inter­re­li­gieuses, comme celle qui s’est tenue à Assise, le 27 octobre 1986 et qui eut une telle consé­quence dans sa vie et sa pen­sée, ne fut-​ce que dans sa déci­sion d’opérer les sacres épis­co­paux sans le consen­te­ment for­mel de Rome. Sur cet évé­ne­ment d’Assise, je peux dire qu’il en fut humi­lié pour le Pape lui-​même, parce qu’il aimait abso­lu­ment la papau­té, parce qu’il a tou­jours vu en le Pape, pré­ci­sé­ment le Vicaire du Christ. Il avait à un très haut point le sens et l’amour de l’Eglise. C’est enfin en cette pen­sée du Christ « unique Principe de Vie », « Lumière unique et seul Sauveur des Nations » – expres­sions pau­li­niennes et pétri­niennes – que je trouve la rai­son de son amour pour l’Eglise, puisque l’Eglise, c’est Jésus-​Christ conti­nué dans le temps, et qu’en elle s’actualise et s’opère ce salut qui nous vient du Christ. Il a eu un amour de l’Eglise tel, qu’il fut capable d’accepter sinon le mar­tyr phy­sique – il ne lui fut pas deman­dé -, du moins un mar­tyr moral, le sacri­fice de l’honneur de son nom, de sa digni­té épis­co­pale pré­fé­rant par fidé­li­té au Christ, à l’Eglise même, être décla­ré « ana­thème », « sus­pens a divi­nis », voire « excom­mu­nié ». Quel drame fut le sien ! Lui qui n’avait qu’un hon­neur au monde, celui de sa famille, de ses parents, de l’Eglise. Mgr Lefebvre fut par­mi les évêques du XXe siècle, l’évêque le plus « ultra­mon­tain », je veux dire l’évêque romain par excel­lence, parce que, pour lui, Rome fut pro­vi­den­tiel­le­ment pré­pa­rée par Dieu pour deve­nir le Siège de Pierre, le centre du chris­tia­nisme. Il écrit, dans son livre « Itinéraire spi­ri­tuel », son der­nier livre : « On ne peut pas nier que ce soit là un fait pro­vi­den­tiel : Dieu, qui conduit toutes choses, a dans sa Sagesse infi­nie pré­pa­ré Rome à deve­nir le Siège de Pierre et le centre du rayon­ne­ment de l’Evangile. D’où l’adage « Unde Christo e Romano ». En un mot, c’est parce que le Christ est « la puis­sance de Dieu et la sagesse de Dieu » (1 Cor 1 24) que Mgr Lefebvre lui a don­né toute sa vie d’Evêque, toute son éner­gie épis­co­pale. Comment pou­voir affir­mer de lui, comme le fit Dom Gérard, qu’il n’avait pas le « sen­sus eccle­siae » ? Vraiment je ne com­prends pas. (Dom Gérard. Yves Chiron, p. 566). C’est ne pas connaître Mgr Lefebvre, sa pen­sée, son action. C’est lui faire injure ! C’est ne pas recon­naître son œuvre et l’héritage qu’il nous laisse !

I – L’épiscopat de Mgr Lefebvre

Mgr Lefebvre est essen­tiel­le­ment évêque. Il fut un grand évêque. A lui, comme à tout évêque, lui fut confié « l’Evangile » (1 Tim 1 11), « sa pré­di­ca­tion » comme le dit saint Paul aux Corinthiens : « Ce n’est pas pour bap­ti­ser que le Christ m’a envoyé, c’est pour prê­cher l’Evangile… ». Et l’objet de la pré­di­ca­tion de l’Evangile n’est pas un objet social, poli­tique comme si les Apôtres avaient été envoyés pour l’instauration d’un ordre social et poli­tique, voire même l’instauration du bien-​être en ce monde, ce qui serait ana­chro­nique au ser­mon sur la Montagne… Non ! L’objet de la pré­di­ca­tion de l’Evangile c’est « le Christ et le Christ cru­ci­fié » contem­plé et ado­ré comme Principe unique de salut. « Nous, nous prê­chons le Christ cru­ci­fié » (1 Cor 1 17 23), nous dit saint Paul. Il insiste : « C’est une parole cer­taine et digne de toute créance, que Jésus-​Christ est venu dans le monde pour sau­ver les pécheurs, dont je suis le pre­mier (moi qui étais aupa­ra­vant blas­phé­ma­teur, per­sé­cu­teur, homme de vio­lence)… Mais j’ai obte­nu misé­ri­corde pré­ci­sé­ment afin que Jésus-​Christ fit voir en moi le pre­mier, toute sa lon­ga­ni­mi­té, pour que je ser­visse d’exemple à ceux qui, à l’avenir, croi­ront en lui pour avoir la vie éter­nelle » (1 Tim 1 16). La vie éter­nelle ! C’est pour­quoi, pour Saint Paul comme pour Mgr Lefebvre, le Christ « est en nous l’espérance de la gloire », l’espérance de la vie éter­nelle. Il faut, de toute néces­si­té, lui être uni par le Baptême et par la Foi pour connaître la Béatitude éter­nelle. Sous ce rap­port (du salut) Jésus-​Christ est tout. Voilà la pré­di­ca­tion essen­tielle de tous les Apôtres, de tous les Evêques. Voilà l’Evangile. Ce fut l’objet des pre­mières pré­di­ca­tions de saint Pierre. Une pré­di­ca­tion claire et nette, éner­gique que d’aucuns diraient impru­dente selon la chair. Il ne crai­gnit pas de déran­ger les Juifs et leur reli­gion hébraïque. Il ne tut pas le nom du Christ dans leurs assem­blées. Non ! Le pre­mier objet de sa pré­di­ca­tion, de sa pre­mière pré­di­ca­tion fut « Jésus de Nazareth » ; fut la confes­sion de sa « filia­tion divine » ; fut la confes­sion de sa « cru­ci­fixion » : « Lui… que vous avez fait mou­rir en le cru­ci­fiant par la main des impies ». Mais sans cette cru­ci­fixion, vain est notre salut. Le pre­mier objet de sa pre­mière pré­di­ca­tion fut la confes­sion de sa « résur­rec­tion d’entre les morts » : « Dieu L’a res­sus­ci­té, déliant les liens de la mort, parce qu’il n’était pas pos­sible qu’elle Le tînt en son pou­voir », étant Dieu lui-​même. Sans cette Résurrection, vaine est notre foi.

Il en est de même pour la seconde pré­di­ca­tion publique au Temple de Jérusalem. Avec saint Jean, Pierre monte au Temple pour prier à la neu­vième heure. Pierre est inter­pel­lé par un boi­teux. Il le gué­rit au nom de Christ. Avec ces paroles mer­veilleuses : « Je n’ai rien… Mais ce que j’ai, je te le donne : « Au nom de Jésus-​Christ, lève-​toi ». Il le prit par la main et il se leva. Je n’ai rien, ce que j’ai, je te le donne : « Au nom de Jésus-​Christ lève-​toi ». Le Christ ! Voilà toute la richesse de Pierre. Et il le confes­sa de nou­veau dans la pré­di­ca­tion qui fit suite à ce miracle opé­ré au nom du Christ. Après avoir en effet opé­rés ce miracle au nom du Christ qui est tout, qui est « le Béni de Dieu », Pierre et Jean sont inter­pel­lés par les grands-​prêtres ; mis en pri­son, ils reçoivent l’ordre de ne plus prê­cher au nom du Christ, « Alors Pierre, rem­pli du Saint-​Esprit, leur dit : …C’est par le nom de Jésus-​Christ de Nazareth que vous avez cru­ci­fié, que Dieu a res­sus­ci­té des morts, c’est par Lui que cet homme est pré­sent devant vous en pleine san­té. C’est Lui, la pierre reje­tée par vous les construc­teurs, qui est deve­nue tête d’angle. Et le salut n’est en aucun autre, car il n’est sous le ciel aucun autre nom don­né par­mi les hommes, par lequel nous devions être sau­vés » (Act 4 8–12). Voilà la foi de Pierre sur le Christ. Le Christ est la « pierre angu­laire » c’est-à-dire « la pierre qui tient tout », « qui tient tout l’édifice ». Le Christ, en cet édi­fice, est le salut, le Sauveur, le seul Sauveur.

Voilà aus­si la foi de Mgr Lefebvre. Qu’a‑t-il pris comme devise de son épis­co­pat sinon cette phrase de saint Jean : « Credidimus cari­ta­ti ». Mais com­ment se mani­fes­ta cette cha­ri­té de Dieu, pré­ci­sé­ment dans le salut et l’envoi du Fils de Dieu pour le réa­li­ser dans sa chair, dans sa Passion ? C’est ce que dit saint Jean dans son Evangile : « Dieu a tel­le­ment aimé le monde qu’Il envoya son Fils bien-​aimé, son Monogène, afin que qui­conque croit en Lui ne périsse pas mais ait la Vie éter­nelle » (Jn 3 16). La fina­li­té de l’Incarnation rédemp­trice, c’est la vie éter­nelle, le salut, mani­fes­ta­tion de cha­ri­té. La cause effi­ciente du salut, c’est la cha­ri­té de Dieu mani­fes­tée dans le Christ. La cause finale de l’Incarnation, c’est encore la cha­ri­té pos­sé­dée, la vie éter­nelle, la vision de gloire. Tout, en matière de salut, en matière de rédemp­tion, de sain­te­té, se réca­pi­tule dans le Christ Jésus, c’est pour­quoi saint Paul pou­vait dire : « Omnia ins­tau­rare in Christo ». Voilà la Foi de Mgr Lefebvre. Il y confor­ma toute sa vie épis­co­pale. Il éle­va son épis­co­pat à ce niveau. Il fut consa­cré évêque pour prê­cher cela et rien d’autre. Voilà la haute idée que Mgr Lefebvre eut de son épis­co­pat, de sa mis­sion épis­co­pale et durant toute sa vie. Il n’a pas eu seule­ment le sens de sa digni­té épis­co­pale qu’il por­ta tou­jours avec sim­pli­ci­té et grande noblesse s’appliquant à suivre les conseils que saint Paul don­nait à Timothée : « L’évêque doit avoir le « sens ras­sis », il doit être « cir­cons­pect » « capable d’enseigner », « il ne doit pas s’adonner au vin, ni violent, mais doux, paci­fique, dés­in­té­res­sé, gou­ver­nant bien sa propre mai­son, il faut encore qu’il jouisse de la consi­dé­ra­tion de ceux du dehors » (1 Tim 3 2–7)… Telle fut l’attitude de Mgr Lefebvre dans sa vie épis­co­pale. J’en suis le témoin par­mi beau­coup d’autres.

Mais au-​delà de ses qua­li­tés per­son­nelles d’évêque – il était, il faut le dire, agréable de l’approcher -, il a sur­tout eu le sens de ses obli­ga­tions, de ses devoirs épis­co­paux. Il nous en a don­nés de nom­breux témoi­gnages. Souvenez-​vous de son dis­cours de Lille en juillet 1976 : Il vient d’être frap­pé d’une sus­pens, la « sus­pens a divi­nis », il démontre en quoi elle est illé­gale, en quoi elle est un abus de pou­voir et donc nulle, elle ne l’oblige pas en conscience.

Voilà ce qu’aurait dû rap­pe­ler Yves Chiron dans son livre. Et s’il se l’était rap­pe­lé, il n’aurait pas par­lé avec tant de désin­vol­ture et de mépris, du « schisme » de Mgr Lefebvre, de sa déso­béis­sance. Dans la pen­sée de Mgr Lefebvre, il n’y a ni schisme ni déso­béis­sance mais bien au contraire fidé­li­té, une fidé­li­té héroïque.

En effet voyez la conclu­sion de ce même dis­cours de Lille. C’est clair, c’est même pathétique :

« Je pense, en toute sin­cé­ri­té, en toute paix, en toute séré­ni­té, que je ne puis pas contri­buer par l’obéissance à cette sus­pense, par ces peines dont je suis frap­pé, par la fer­me­ture de mes sémi­naires, par le refus de faire des ordi­na­tions, à la des­truc­tion de l’Eglise catho­lique. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre Seigneur me deman­de­ra : « Qu’as-tu fait de ta grâce épis­co­pale et sacer­do­tale ? « Je ne puisse pas entendre de la bouche du Seigneur : « Tu as contri­bué à détruire l’Eglise avec les autres » (p. 72).

Et cette grâce épis­co­pale l’obligea à res­ter fidèle à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui est la Vérité. « On nous dit, poursuit-​il, vous jugez le Pape. Mais où est le cri­tère de la véri­té ? Mgr Benelli m’a jeté à la figure : « Ce n’est pas vous qui faites la véri­té ». Bien sûr, ce n’est pas moi qui fais la véri­té, mais ce n’est pas le pape non plus ! La véri­té, c’est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ (NSJC) et donc il faut nous repor­ter à ce que NSJC nous a ensei­gné, à ce que les Pères de l’Eglise et toute l’Eglise nous ont ensei­gné pour savoir où est la véri­té. Ce n’est pas moi qui juge le Saint-​Père. C’est la Tradition. Un enfant de cinq ans avec son caté­chisme peut très bien répondre à son évêque. Si son évêque venait à lui dire : « NSJC n’est pas pré­sent dans la Sainte Eucharistie. C’est moi qui suis le témoin de la véri­té et je te dis que NSJC n’est pas pré­sent dans la Sainte Eucharistie », eh bien, cet enfant, mal­gré ses cinq ans, a son caté­chisme, il répond : « Mais mon caté­chisme dit le contraire ». Qui a rai­son ? L’évêque ou le caté­chisme ? Le caté­chisme évi­dem­ment qui repré­sente la foi de tou­jours et c’est simple, c’est enfan­tin comme rai­son­ne­ment. Mais nous en sommes-​là » (pp. 77–78).

Pour Mgr Lefebvre, « la Vérité, c’est le Christ ». Et cette véri­té, le Christ l’a ensei­gnée à ses Apôtres et par eux, à l’Eglise. La Vérité du Christ c’est la Tradition. Et la mis­sion de l’Evêque, c’est de la gar­der dans son inté­gri­té pour la trans­mettre fidè­le­ment. Voilà ce que fut son épis­co­pat. Que demande-​t-​on à un ministre, « qu’il soit trou­vé fidèle », dira saint Paul. Fidélité à sa mis­sion ! Ce sont presque les der­nières paroles de Mgr Lefebvre pro­non­cées lors du ser­mon des Sacres, le 30 juin 1988, nous n’étions qu’à trois ans de son décès. Nous les avons déjà citées en intro­duc­tion. Mais il faut les reprendre là, tant elle sont pri­mor­diales pour juger sai­ne­ment de l’esprit de Mgr Lefebvre et com­prendre com­bien sont injustes les paroles de Dom Gérard disant qu’il a per­du le « sens ecclé­sial » :

« Cette vie de Notre-​Seigneur, dont nous avons besoin pour aller au ciel – vous voyez, nou­velle insis­tance de Mgr Lefebvre sur le Christ, c’est vrai­ment le sou­ci de son épis­co­pat -, elle est en train de dis­pa­raître par­tout dans cette église conci­liaire parce qu’elle suit les che­mins qui ne sont pas les che­mins catho­liques. Loin de moi, loin de moi de m’ériger en Pape ! Je ne suis qu’un évêque catho­lique, qui conti­nue à trans­mettre, à trans­mettre la doc­trine. « Tradidi quod et acce­pi » (J’ai trans­mis ce que j’ai reçu), c’est ce que je pense… C’est ce que je sou­hai­te­rais que l’on mette sur ma tombe et le moment ne tar­de­ra sans doute pas. Que l’on mette sur ma tombe : Tradidi quod et acce­pi, ce que dit saint Paul. Je vous ai trans­mis ce que j’ai reçu, tout sim­ple­ment. Je suis le fac­teur qui porte une lettre. Ce n’est pas moi qui l’ai faite cette lettre, ce mes­sage, cette parole de Dieu, c’est Dieu Lui-​même, c’est NSJC, et nous vous l’avons trans­mise – voi­là de nou­veau affir­mé la fonc­tion de l’Evêque : trans­mettre la doc­trine du Christ, sur le Christ – , par l’intermédiaire de ces chers prêtres qui sont ici pré­sents et par tous ceux qui, eux-​mêmes, ont cru devoir résis­ter à cette vague d’apostasie dans l’Eglise, en gar­dant la foi de tou­jours et en la trans­met­tant aux fidèles. Nous ne sommes que des por­teurs de cette nou­velle, de cet Evangile que NSJC nous a don­né, nous vous trans­met­tons les moyens de sanc­ti­fi­ca­tion, la vraie et sainte Messe, les vrais sacre­ments qui donnent la vie spi­ri­tuelle ». Je crois que l’on ne peut pas expri­mer en termes plus simples, le rôle de l’Evêque : trans­mettre le Christ, sa doc­trine, et tous les moyens de salut, ses sacre­ments qu’Il remit aux Apôtres et par les Apôtres à l’Eglise apos­to­lique. Et c’est pour­quoi, durant les der­nières années de son épis­co­pat, en rai­son de cette crise moder­niste post-​conciliaire, – ce qu’il ne faut jamais oublier si l’on veut com­prendre l’œuvre et les actions de notre pré­lat– et ce qu’oublie mal­heu­reu­se­ment tel­le­ment Yves Chiron – – Mgr Lefebvre n’a ces­sé de récla­mer entre autres choses au Saint-​Père qu’il nous redonne, outre le droit public de l’Eglise, j’y revien­drai –, « la Bible catho­lique, la Vulgate et non une Bible œcu­mé­nique, la vraie Messe et enfin le caté­chisme… « Rendez-​nous la vraie Bible, telle qu’était la Vulgate autre­fois, qui a été tant de fois consa­crée par les Conciles et par les papes… Enfin, rendez-​nous notre caté­chisme sui­vant le modèle du Catéchisme du Concile de Trente, car, sans un caté­chisme pré­cis, que seront nos enfants demain, que seront les géné­ra­tions futures ? Elles ne connaî­tront plus la foi catho­lique, et nous le consta­tons déjà aujourd’hui » (p. 72). Vraiment trans­mettre la foi, la doc­trine de NSJC, trans­mettre NSJC et ses moyens de salut, voi­là ce que fut le sou­ci de l’épiscopat de Mgr Lefebvre. Il l’exprima très clai­re­ment aus­si dans son petit ouvrage « Itinéraire spi­ri­tuel », son tes­ta­ment. Il a des pages sublimes sur le Christ Jésus. C’est l’objet de son cha­pitre 6. NSJC doit être, comme le dit saint Paul, « notre vie » et qu’à ce titre, nous devons « être tou­jours plus chré­tiens ». Il écrit : « Si l’on pense et croit que ce mys­tère de l’Incarnation est pour le mys­tère de la Rédemption, alors il va de soi que sans Jésus-​Christ, il n’y a pas de salut pos­sible ». Il en déduit que « tout acte, toute pen­sée qui ne sont pas chré­tiens sont sans valeur sal­vi­fique, sans mérite pour le salut » (p. 46) et c’est pour­quoi, écrit-​il, « l’avenir (d’un cha­cun) pour l’éternité dépen­dra désor­mais de (sa) rela­tion avec Jésus-​Christ, qu’il en soit conscient ou non, qu’il le veuille ou non » (p. 47). Et c’est là que se fonde le zèle mis­sion­naire de Mgr Lefebvre et de tout prêtre. C’est très beau.

Monsieur Yves Chiron je vous inter­pelle publi­que­ment : Peut-​on être plus fidèle que Mgr Lefebvre à l’enseignement de l’Eglise ?

II – Le Christ, Mgr Lefebvre et le Sacerdoce

Et parce que le prêtre est « le col­la­bo­ra­teur » de l’Evêque dans « la vigne du Seigneur », on com­prend volon­tiers que Mgr Lefebvre s’attacha toute sa vie à la for­ma­tion sacer­do­tale. Le prêtre est en quelle que sorte le pro­lon­ge­ment de son « bras », de « sa puis­sance » épis­co­pale. Voilà le deuxième grand thème de l’épiscopat de Mgr Lefebvre : son amour du Sacerdoce. Et là aus­si, il faut dire que, puisque tout sacer­doce minis­té­riel est une par­ti­ci­pa­tion au sacer­doce unique et éter­nel de NJSC, Mgr Lefebvre aima le sacer­doce catho­lique plus que tout. Il por­ta son amour du Christ sur ce qui était le plus cher au cœur de Notre-​Seigneur : le prêtre. Comme d’autres saints, Mgr Lefebvre aimait dire : « NSJC est mort, Il s’est sacri­fié pour faire un prêtre ». Aussi la Providence permit-​elle qu’il consa­cra de nom­breuses années de sa vie à la for­ma­tion sacer­do­tale, au Gabon, puis à Mortain, en France et, enfin, les vingt der­nières années de sa vie, à Ecône, dans le cadre de la FSSPX. Si tous les évêques de l’Eglise avaient fait autant de prêtres qu’en fit Mgr Lefebvre en vingt ans de sa vie, il n’y aurait pas aujourd’hui de crise sacer­do­tale… Il veilla à la sain­te­té sacer­do­tale. Elle lui tenait à cœur, cette sain­te­té. Car le prêtre doit être le reflet de la sain­te­té du Christ en son sacer­doce puisque le sacer­doce minis­té­riel par­ti­cipe à l’unique sacer­doce, celui du Christ. Dénaturer le sacer­doce minis­té­riel, le dimi­nuer, le confondre avec le sacer­doce des fidèles était, pour Mgr Lefebvre, insup­por­table : c’était por­ter atteinte au sacer­doce de Jésus-​Christ. La crise sacer­do­tale qui agi­ta le prêtre dans les années 1960–1970, fut la grande bles­sure de son épis­co­pat. Voir des prêtres deman­der leur réduc­tion à l’état laïc, défro­quer même tout sim­ple­ment, était pour lui un scan­dale, une infi­dé­li­té au Seigneur qui, vous dis-​je, a don­né sa vie pour faire un prêtre. Avoir remis, le Jeudi Saint, entre les mains du prêtre, son Corps, son Sang, preuve, ô com­bien, de son amour, et voir ensuite le prêtre « fri­vole », « mon­dain », « gar­dant des habi­tudes mon­daines », lui était par­ti­cu­liè­re­ment pénible. Il ne le sup­por­tait pas en ses propres prêtres. La sain­te­té sacer­do­tale : ce fut toute sa pré­oc­cu­pa­tion. Je me sou­viens très bien des conseils qu’il nous don­nait alors que nous étions au Séminaire fran­çais, dont il était le supé­rieur hié­rar­chique. Voyez ce qu’il écri­vait aux sémi­na­ristes, le 19 août 1970 alors qu’ils se pré­pa­raient à rejoindre Ecône : « Ainsi tout nous invite et nous encou­rage à conti­nuer cette œuvre de sain­te­té sacer­do­tale ». « Car c’est bien de cela qu’il s’agit, soit à Ecône, soit à Fribourg, faire de vous d’ardents dis­ciples de NSJC que vous devez revê­tir, dans lequel vous devez vous réno­ver comme le dit saint Paul – c’est, vous le voyez tou­jours la même idée : le Christ est tout pour le prêtre, il doit le revê­tir, se réno­ver en Lui, le prêtre se défi­nit par rap­port au Christ. C’est si vrai que toute la tra­di­tion affirme que le prêtre est « un alter Christus » – le connaître, connaître Dieu en Lui, Le prier nuit et jour, L’aimer de tout votre être, telles doivent être vos dis­po­si­tions, et les fruits de sagesse, de véri­té, de cha­ri­té inon­de­ront nos âmes ». Alors il médite ensuite, dans cette même lettre, sur les ver­tus sacer­do­tales. Ce sont celles-​là mêmes que le Christ a pra­ti­quées : la ver­tu d’humilité, d’oubli de soi, de condes­cen­dance, mais sur­tout la ver­tu d’obéissance : « Notre Seigneur a don­né un exemple par­ti­cu­lier de la ver­tu d’obéissance qui doit être la règle fon­da­men­tale de notre conduite. Obéissance à Dieu, à l’Eglise par la sou­mis­sion de nos intel­li­gences à la foi, à la véri­té révé­lée et à la loi de Dieu qui com­mande à nos volon­tés. Obéissance aus­si à ceux qui ont la mis­sion de nous trans­mettre cette Révélation et cette Loi. C’est pour­quoi je vous demande de venir dans de saintes dis­po­si­tions à cet égard ». Et parce que la situa­tion de l’Eglise en matière sacer­do­tale était véri­ta­ble­ment atroce – elle l’est tou­jours -, il nous deman­dait de réagir for­te­ment, de nous atta­cher vrai­ment à NSJC : « Parce qu’aujourd’hui l’enseignement de l’Eglise et la Tradition est délais­sé ou défor­mé dans la conduite des actes quo­ti­diens, parce que le sacer­doce tend à se sécu­la­ri­ser et donc à se pro­fa­ner, parce que les vices de ce monde déchu tendent à péné­trer par­tout dans la socié­té chré­tienne et dans les membres de l’Eglise, nous enten­dons l’appel du Cœur de NSJC, de l’Esprit Saint, l’appel de la Vierge Marie : « Si vous ne faites péni­tence, vous péri­rez tous ». C’est pour­quoi nous vou­lons prê­cher plus que jamais au monde la péni­tence, le mépris des vani­tés de ce monde, par notre habit ecclé­sias­tique, par la sou­tane, par notre répul­sion pour tout ce qui res­pire la concu­pis­cence de la chair, en nous abs­te­nant de la lec­ture de revues ou jour­naux dont les illus­tra­tions sont indé­centes et les articles pétris d’esprit licen­cieux, en évi­tant géné­ra­le­ment ciné­ma, télé­vi­sion et musique las­cive. Nous vou­lons gar­der nos âmes et nos sens purs pour aller à Dieu et Le rece­voir dans la sainte Eucharistie ». Voyez tou­jours cette insis­tance de Mgr Lefebvre sur le Christ, la sainte Eucharistie. C’est tout un. Et Mgr Lefebvre était conscient de rien faire d’extraordinaire. Il imi­tait seule­ment les grands saints de l’Eglise catho­lique, les grands réfor­ma­teurs du sacer­doce catho­lique : « Ce fai­sant, nous imi­te­rons tous les saints qui, au cours de l’histoire de l’Eglise, ont réagi avec cou­rage contre les erreurs et les mœurs cor­rom­pues de leur époque. C’est ain­si que nous ser­vi­rons vrai­ment les per­sonnes de notre temps en leur don­nant l’exemple de l’Evangile vécu au XXe siècle ». Ainsi pour Mgr Lefebvre, c’est parce qu’on oublie le vrai sens de l’Evangile, le vrai sens du Christ, que l’on délaisse l’idéal sacer­do­tal et que l’on tombe dans « les erreurs » sur le sacer­doce. En effet, qu’est-ce que l’Evangile ? C’est essen­tiel­le­ment la Révélation du plan divin de salut vou­lue par Dieu de toute éter­ni­té et réa­li­sé par son Fils, le Verbe de Dieu fait chair, par le sacri­fice de la Croix. « Le sacri­fice du Calvaire » est le point cen­tral et de l’Ancien Testament qui l’annonce dans les figures, les pro­phètes, et c’est le point cen­tral du Nouveau Testament qui le réa­lise par la vic­time « sainte, et sans tache », NSJC. Le sacri­fice du Calvaire est la rai­son de l’Ancien Testament, c’est la rai­son de l’Incarnation, la réa­li­sa­tion de la Rédemption, celui qui glo­ri­fie Dieu infi­ni­ment et ouvre les portes du Ciel à l’humanité péche­resse. « On ne peut qu’être frap­pé par l’insistance de NSJC, écri­vait Mgr Lefebvre dans son « Itinéraire spi­ri­tuel », durant toute sa vie ter­restre, sur son « heure ». « Desiderio desi­de­ra­vi » dit NSJC ; j’ai dési­ré d’un grand désir cette heure de mon immo­la­tion. Jésus est ten­du vers sa croix. Le « mys­te­rium Christi », qui est tout l’Evangile, c’est avant tout le « mys­te­rium Crucis ». C’est pour­quoi dans les des­seins de l’infinie Sagesse de Dieu, pour la réa­li­sa­tion de la rédemp­tion, de la Recréation, de la Rénovation de l’Humanité, la Croix de Jésus est la solu­tion par­faite, totale, défi­ni­tive, éter­nelle, par laquelle tout sera réso­lu. C’est dans cette rela­tion de chaque âme avec Jésus cru­ci­fié que le juge­ment de Dieu sera por­té. Si l’âme est dans une rela­tion vivante avec Jésus cru­ci­fié, alors elle se pré­pare à la vie éter­nelle et par­ti­cipe déjà à la gloire de Jésus par la pré­sence de l’Esprit Saint en elle. C’est la vie même du Corps mys­tique de Jésus. « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sar­ment et il sèche, puis on ramasse les sar­ments, on les jette au feu et ils brûlent » (Jn 15 6). Pour notre jus­ti­fi­ca­tion, pour notre sanc­ti­fi­ca­tion, Jésus orga­nise tout, autour de cette fon­taine de Vie qu’est son sacri­fice du Calvaire. Il fonde l’Eglise, il trans­met son sacer­doce, Il ins­ti­tue les sacre­ments, pour faire part aux âmes des mérites infi­nis du Calvaire ; saint Paul n’hésite pas à dire : « Je n’ai pas jugé que je devais savoir par­mi vous autre chose que Jésus et Jésus cru­ci­fié » (1 Cor 2 2) (Itinéraire spi­ri­tuel, p. 59). Voilà ce qu’est l’Evangile, « l’Evangile de la Vie », de la Vie divine obte­nue par le Calvaire. Or, ce sacri­fice du Calvaire devient sur nos autels le Sacrifice de la Messe qui, en même temps qu’il réa­lise le sacri­fice de la Croix, réa­lise le sacre­ment de l’Eucharistie qui nous rend par­ti­ci­pants à la divine Victime Jésus-​Christ. C’est donc autour du Sacrifice de la Messe que s’organisera l’Eglise, Corps mys­tique de NSJC, que vivra le Sacerdoce pour édi­fier ce Corps mys­tique, par la pré­di­ca­tion qui atti­re­ra les âmes à se puri­fier dans les eaux du Baptême pour être digne de par­ti­ci­per au Sacrifice Eucharistique de Jésus, à la man­du­ca­tion de la divine Victime, et s’unir ain­si tou­jours plus à la Trinité Sainte, inau­gu­rant déjà ici-​bas la vie céleste et éter­nelle. Or ce pro­gramme mer­veilleux éla­bo­ré par la Sagesse éter­nelle de Dieu ne pour­rait se réa­li­ser sans le Sacerdoce. Ainsi donc, la grâce par­ti­cu­lière du Sacerdoce est de per­pé­tuer l’unique Sacrifice du Calvaire, source de vie, de Rédemption, de sanc­ti­fi­ca­tion et de glo­ri­fi­ca­tion. Voilà le sens pro­fond du Sacerdoce. Jésus, cru­ci­fié et res­sus­ci­té, est au cœur du Sacerdoce. Il se défi­nit par rap­port au Sacrifice du Christ. Il le per­pé­tue. Le prêtre est vrai­ment un « alter Christus ». Mgr Lefebvre n’a ces­sé de nous rap­pe­ler cette véri­té. Le rayon­ne­ment de la grâce sacer­do­tale, c’est le rayon­ne­ment de la Croix. Le prêtre est donc au cœur de la réno­va­tion méri­tée par NSJC. Le prêtre n’est pas un homme « social », un homme « poli­tique », il n’a pas direc­te­ment à inven­ter une socié­té « démo­cra­tique », une nou­velle civi­li­sa­tion. Il n’a pas d’abord l’ordre tem­po­rel comme objet, ce n’est pas l’objet de ses res­pon­sa­bi­li­tés. Les laïcs sont là pour cela. Le prêtre doit prê­cher Jésus-​Christ et Jésus Crucifié. Il doit gar­der sans faille et sans com­pro­mis­sion la foi en la ver­tu de la Croix de Jésus, unique source de salut. Il ne doit pas ver­ser, à l’image du monde, dans la recherche des moyens humains pour un apos­to­lat soi-​disant plus effi­cace. Il y aurait là un signe de la perte de la foi en Jésus-​Christ cru­ci­fié, un signe de la perte du sens du sacer­doce. Le prêtre, sa mis­sion essen­tielle, est d’appeler son « peuple » au pied de l’autel, pour le faire vivre du mys­tère de la Rédemption, du mys­tère de la Croix, dans l’espérance du mys­tère de la gloire céleste. Le Sacrifice du Calvaire : voi­là l’essence du Sacerdoce catho­lique. Voilà ce que Mg Lefebvre nous a ensei­gné. Voilà ce qu’il a res­tau­ré : le Sacerdoce catho­lique. Et c’est ce Sacerdoce catho­lique dans sa rela­tion au Sacrifice du Calvaire, à la Messe qui est le « bien », le « tré­sor » de tous les ins­ti­tuts sacer­do­taux dépen­dant aujourd’hui de la Commission « Ecclesia Dei ». Sous ce rap­port, ne crai­gnons pas de le dire, ces ins­ti­tuts qui gardent, tous, cet idéal sacer­do­tal, font tous hon­neur à Mgr Lefebvre, tous, non seule­ment la FSSPX, mais aus­si tous les ins­ti­tuts de droit pon­ti­fi­cal dépen­dant de la Commission « Ecclesia Dei » car tous, comme la FSSPX, gardent le sens du Sacerdoce, l’amour de la Messe, l’amour de Jésus et de Jésus cru­ci­fié. C’est ce que leur ont trans­mis les « anciens » de la FSSPX… C’est ce qu’ils ont reçu, tout comme nous, de Mgr Marcel Lefebvre. Et si cela ne dépen­dait que de moi, il y aurait belle lurette que j’aurais réta­bli de bonnes rela­tions ami­cales avec tous ces ins­ti­tuts puisque nous par­ta­geons sur ce point, même idéal : celui-​là même de Mgr Lefebvre, mais plus encore celui de l’Eglise catho­lique. Car ce que je viens de vous rap­pe­ler, c’est l’enseignement de l’Eglise catho­lique. Mgr Lefebvre n’a rien inven­té, là aus­si. Il n’a fait que trans­mettre fidè­le­ment ce qu’il avait reçu de l’Eglise. « Tradidi quod et acce­pi »…Ah !, comme on aime relire les paroles que Mgr Lefebvre pro­non­çait en Allemagne, à Friedrichshafen, le 1er novembre 1990, à l’occasion du 20ème Anniversaire de la fon­da­tion de la FSSPX :

« Faire de bons prêtres, c’est pour cela que la FSSPX a été fon­dée ». « Mais qu’est-ce donc qu’un prêtre ? Le prêtre, selon l’esprit de l’Eglise, selon la défi­ni­tion de l’Eglise catho­lique, le prêtre est celui qui offre le Sacrifice de la Croix de NSJC, qui a le pou­voir par la grâce du sacre­ment de l’Ordre d’offrir le même sacri­fice que Jésus-​Christ a offert sur la Croix. Et donc le prêtre est un homme qui a un pou­voir sur Dieu Lui-​même, sur le Verbe de Dieu incar­né, il a le pou­voir de faire des­cendre sur l’autel, pour renou­ve­ler son sacri­fice, NSJC Lui-​même. Voilà ce qu’est le prêtre… Et par le fait même, deuxième pou­voir du prêtre, par le fait même qu’il a un pou­voir sur le Corps phy­sique de Notre Seigneur, sur son Corps, son Ame et sa Divinité dans la sainte Eucharistie, le prêtre a aus­si un pou­voir sur le corps mys­tique de NSJC qu’est l’Eglise. Il reçoit de Dieu une auto­ri­té sacrée pour ame­ner tous les hommes – tous, toute l’humanité – à par­ti­ci­per au Sacrifice de NSJC. Les prêtres, par consé­quent, doivent pré­pa­rer toutes ces âmes qui s’uniront à NSJC, et ils le font par les sacre­ments de Baptême, de Confirmation et tous les autres sacre­ments qui pré­parent les âmes à rece­voir digne­ment Jésus-​Christ, leur Créateur et leur Rédempteur. Voilà le tra­vail du prêtre. Voilà ce qu’est le prêtre catho­lique… Quelle digni­té que la digni­té sacer­do­tale, quel idéal que l’idéal sacer­do­tal, idéal magni­fique et c’est pour­quoi, pen­dant ces vingt années, nous nous sommes effor­cés d’insuffler dans l’âme de ces jeunes sémi­na­ristes, un amour pro­fond pour leur voca­tion, pour NSJC… Etait-​il vrai­ment néces­saire de fon­der cette FSSPX ? N’y avait-​il pas assez de sémi­naires dans le monde… ? (MBCF), c’est le sacer­doce qui est l’objet des attaques les plus tra­giques, les plus per­sis­tantes, les plus méchantes du démon dans l’Eglise. Le démon a une haine du vrai prêtre, une haine de la vraie Messe, de la Messe qui est la Croix de Jésus parce qu’il a été vain­cu par la Croix de Jésus. Depuis ce temps-​là, il ne cesse d’attaquer le Sacerdoce pour pou­voir détruire la Messe parce qu’il sait que c’est par la Messe que nous le vain­crons. Comme NSJC a vain­cu le démon par sa Croix, nous aus­si, prêtres, nous vain­crons le démon par la Croix…. Mais tout autour de nous, il faut le recon­naître, l’esprit de sacri­fice dis­pa­raît. On ne veut plus se mor­ti­fier. On veut jouir. On veut pro­fi­ter de la vie. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus la Croix de Jésus-​Christ. Et s’il n’y a plus de Croix, il n’y a plus d’Eglise catho­lique… Il n’y a plus de sacer­doce catho­lique… puisque le prêtre est fait pour offrir le Sacrifice de la Croix, pour conti­nuer le Sacrifice de la Croix, le prêtre a été atteint aus­si par le fait même, il n’a plus été l’homme du Sacrifice. Il a été l’homme du par­tage, il a été l’homme du ras­sem­ble­ment, de la com­mu­nion. Il a été l’animateur social. Il n’est plus l’homme du Sacrifice de la Croix. Et ceci est un chan­ge­ment consi­dé­rable, voyez-​vous. C’est un autre esprit. Ce n’est plus l’esprit de l’Eglise catholique… ».

C’est pour­quoi il fal­lait nos sémi­naires. C’est pour­quoi il faut que tous les ins­ti­tuts conti­nuent de trans­mettre aux jeunes géné­ra­tions, cet idéal sacer­do­tal appris aux pieds de Mgr Lefebvre. Vous voyez, je ne me trompe pas en vous disant que Mgr Lefebvre tire la gran­deur du prêtre de son union à la Croix de Jésus, union qui est telle qu’il s’identifie dans l’oblation du Sacrifice au Prêtre Eternel qu’est NSJC Lui-​même. Le prêtre est grand, parce que grand est le Mystère de la Croix qui est le mys­tère du Christ, qui est le Verbe de Dieu fait chair. De même que sa foi dans le Christ a fait la gran­deur de son épis­co­pat, de même sa foi au Christ cru­ci­fié lui a per­mis de res­tau­rer le sacer­doce en rap­pe­lant sim­ple­ment la doc­trine catho­lique : le prêtre c’est l’homme qui per­pé­tue le Sacrifice du Christ qui est la Voie royale du Ciel.
Après ce rap­pel sur le sacer­doce, par­fai­te­ment catho­lique, com­ment peut dou­ter un ins­tant de sa fidé­li­té à l’Eglise, à son ensei­gne­ment. Comment peut-​on dire qu’il n’eut pas le « sen­sus eccle­siae ». Vraiment je ne com­prends pas !

III – Le Christ, Mgr Lefebvre et la Sainte Messe de toujours

Et s’il y a un com­bat qui fut au cœur de la vie de Mgr Lefebvre ce fut bien celui de la sainte Messe. Et s’il le prit tel­le­ment à cœur, s’il le prit à bras-​le-​corps, pourrait-​on dire, c’est qu’il a vu, en cette réforme de la messe issue du Concile Vatican II, un nou­veau dan­ger pour la pure­té de la foi catho­lique, un nou­veau dan­ger pour l’Eglise, un dan­ger dans la trans­mis­sion de ce que NSJC a réa­li­sé le Jeudi Saint dans l’Institution de la Sainte Eucharistie. Là, NSJC n’a pas seule­ment ins­ti­tué le sacre­ment de son Corps et de son Sang, mais, en son Corps et en son Sang consa­crés sépa­ré­ment et réel­le­ment pré­sents sous les espèces eucha­ris­tiques, Il ins­ti­tuait son Sacrifice et ordon­nait prêtres ses Apôtres, pour qu’eux et leurs suc­ces­seurs dans le sacer­doce, célé­brassent à per­pé­tui­té ce Sacrifice, le même, le seul : « Faites ceci en mémoire de Moi ». Or, comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a rien de plus grand en NSJC que son Sacrifice, que le Sacrifice du Calvaire. Il est venu sur la terre pour accom­plir ce sacri­fice par lequel Il ren­dait à Dieu toute hon­neur et toute gloire, confes­sant sa totale Seigneurie sur toutes choses, opé­rant notre salut par mode de cause effi­ciente, nous dit saint Thomas, par mode de mérite, par mode de satis­fac­tion, en tant qu’il nous a déli­vrés de l’obligation de la peine qu’avaient méri­té nos péchés, par mode de rédemp­tion ou de rachat, en tant qu’Il nous a déli­vrés de l’esclavage du péché et du démon et par mode de sacri­fice, en tant que par ce Sacrifice nous ren­trons en grâce auprès de Dieu, récon­ci­liés avec Lui. Dès lors, les portes du ciel nous sont ouvertes puisque l’obstacle – le péché – est enle­vé, répa­ré. Nous com­pre­nons ain­si com­bien est impor­tante pour la foi et la doc­trine catho­lique, ce Sacrifice du Seigneur. Et com­bien il faut l’aimer. Or on sait que le Sacrifice de la Messe est le Sacrifice de la Croix. C’est l’enseignement de l’Eglise. Le Catéchisme du Concile de Trente affirme sur ce point capi­tal, essen­tiel­le­ment deux choses : Nous recon­nais­sons, dit le caté­chisme, que le Sacrifice qui s’accomplit à la Messe, et celui qui fut offert sur la Croix ne sont et ne doivent être qu’un seul et même Sacrifice,

1) parce qu’il n’y a qu’une seule et même Victime, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui s’est immo­lé une fois sur la Croix d’une manière san­glante. Car il n’y a pas deux hos­ties, l’une san­glante, et l’autre non san­glante, il n’y en a qu’une ; il n’y a qu’une seule et même Victime dont l’immolation se renou­velle tous les jours dans l’Eucharistie depuis que le Seigneur a por­té ce com­man­de­ment « Faites ceci en mémoire de Moi » ;

2) parce qu’il n’y a qu’un seul et même Prêtre dans ce Sacrifice, c’est Jésus-​Christ. Car les Ministres qui l’offrent n’agissent pas en leur propre nom. Ils repré­sentent la Personne de Jésus-​Christ, lorsqu’ils consacrent son Corps et son Sang, comme on le voit par les paroles mêmes de la Consécration. Car les prêtres ne disent pas : Ceci est le Corps de Jésus-​Christ, mais, Ceci est mon Corps : se met­tant ain­si à la place de Notre-​Seigneur, pour conver­tir la sub­stance du pain et du vin en la véri­table sub­stance de son Corps et de son Sang.

Les choses étant ain­si, il faut sans aucune hési­ta­tion ensei­gner avec le saint Concile que l’auguste Sacrifice de la Messe n’est pas seule­ment un Sacrifice de louanges et d’actions de grâces, ni un simple mémo­rial de celui qui a été offert sur la Croix, mais EST encore un vrai Sacrifice de pro­pi­tia­tion pour, je me répète tant la chose est impor­tante, pour apai­ser Dieu et nous Le rendre favo­rable. Si donc nous immo­lons et si nous offrons cette Victime très Sainte avec un cœur pur, une Foi vive et une dou­leur pro­fonde de nos péchés, nous obtien­drons infailli­ble­ment misé­ri­corde de la part du Seigneur, et le secours de sa Grâce dans tous nos besoins. Le par­fum qui s’exhale de ce Sacrifice lui est si agréable qu’Il nous accorde les dons de la grâce et du repen­tir, et qu’Il par­donne nos péchés. Aussi l’Eglise dit-​elle, dans une de ses prières solen­nelles : « Chaque fois que nous renou­ve­lons la célé­bra­tion de ce Sacrifice, nous opé­rons l’œuvre de notre salut » (Secrète du 9ème dimanche après la Pentecôte). Car tous les mérites si abon­dants de la Victime san­glante se répandent sur nous par ce Sacrifice non san­glant. Ainsi de la même manière, Mgr Lefebvre n’a ces­sé de rap­pe­ler lui aus­si cette véri­té : « Notre Messe est la Messe du Sacrifice et il n’y a qu’un seul Sacrifice qui nous ouvre la porte du ciel : « Tu devic­to mor­tis acu­leo… », « Toi, en nous déli­vrant des chaînes de l’enfer, Tu nous as conduits au Ciel par la Croix ». La croix, c’est le che­min qui nous mène au ciel. Le Sacrifice de NSJC, c’est la voie royale qui nous mène à l’éternité. Il n’y en a pas d’autre. Il n’y a pas de choix. Il n’y a pas de liber­té reli­gieuse dans ce sens que l’on pour­rait choi­sir sa reli­gion. Il n’y a qu’une reli­gion parce qu’il n’y a qu’un che­min qui nous mène au ciel, il n’y en a pas deux, la Croix de NSJC. La Croix de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, c’est la vraie Messe, la Messe de tou­jours. Alors si nous vou­lons demeu­rer catho­liques, il faut gar­der cette Messe qui est le Sacrifice de la Croix de NSJC. Et si nous vou­lons gar­der cette Messe, il faut avoir des prêtres catho­liques, des prêtres qui y croient… » (Homélie en Allemagne pour les 20 ans de la Fondation de la FSSPX, p. 182). Aussi voulut-​il gar­der clai­re­ment cette Messe de « tou­jours ». Il vous sou­vient, du moins pour les plus anciens, de son appel pathé­tique lan­cé à la Porte de Versailles, lors de sa Messe Jubilaire, pour le 50ème Anniversaire de son Sacerdoce, le 23 sep­tembre 1979 :

« Je ter­mi­ne­rai, Mes Bien Chers Frères, disait-​il, par, ce que j’appellerai un peu, mon tes­ta­ment. Mon tes­ta­ment, c’est un bien grand mot, je vou­drais que ce soit l’écho du tes­ta­ment de Notre-​Seigneur : Novi et Aeterni Testamenti – Vous voyez comme tou­jours il moule sa pen­sée dans la pen­sée du Christ Seigneur. Il n’a qu’un amour au cœur, celui de NSJC. Il ne veut prê­cher qu’une chose, NSJC et sa Croix, le Christ et le Christ cru­ci­fié. On ne peut pas trou­ver une plus grande insis­tance… Il n’a qu’un Testament à don­ner, non le sien, on sent qu’il s’est sur­pris lui-​même en par­lant de son tes­ta­ment… Non pas mon tes­ta­ment, mais celui de NSJC – « Novi et Aeterni Testamenti…, c’est le prêtre qui récite ces paroles de la Consécration du Précieux Sang. « Hic est calix san­gui­nis mei, novi et aeter­ni tes­ta­men­ti », l’héritage que Jésus-​Christ nous a don­né, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civi­li­sa­tion chré­tienne et de ce qui doit nous mener au ciel. Aussi je vous dis : Pour la gloire de la Très Sainte Trinité, pour l’amour de NSJC, pour la dévo­tion à la Très Sainte Vierge Marie, pour l’amour de l’Eglise, pour l’amour du pape, pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles, pour le salut du monde, pour le salut des âmes, gar­dez ce tes­ta­ment de NSJC ! Gardez le Sacrifice de NSJC ! Gardez la Messe de tou­jours… Dans quelques ins­tants, je vais pro­non­cer ces paroles sur le calice de mon ordi­na­tion, et com­ment voulez-​vous que je pro­nonce, sur le calice de mon ordi­na­tion, d’autres paroles que celles que j’ai pro­non­cées il y a cin­quante ans sur ce calice ? C’est impos­sible. Je ne puis pas chan­ger ces paroles. Alors nous conti­nue­rons à pro­non­cer les paroles de la Consécration, comme nos pré­dé­ces­seurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos édu­ca­teurs nous l’ont appris, afin que NSJC règne et que les âmes soient sau­vées par l’intercession de Notre Bonne Mère du ciel. Amen ».

Cette fidé­li­té au tes­ta­ment de NSJC, à savoir au don que NSJC fait de son Sacrifice à son Eglise et aux prêtres, lui valut les pires ennuis. En effet, au milieu, en pleine déca­dence sacer­do­tale, il créa son sémi­naire : Fribourg, puis Ecône. Il n’avait – vous pou­vez l’imaginer faci­le­ment -, il n’avait dans cette œuvre qu’un but : celui de for­mer des prêtres qui célè­bre­raient cette Messe de tou­jours. Nous étions en sep­tembre 1969. Or, au même moment, quelques mois aupa­ra­vant, le Pape Paul VI publiait son « Novus Ordo Missae » qui, aux dires de nom­breuses cri­tiques et pas des moindres -le Cardinal Ottaviani, le Cardinal Bacci -, s’éloignait dans l’ensemble comme dans le détail de la doc­trine catho­lique sur la Messe défi­nie à jamais par le Concile de Trente dans sa ses­sion XXII, pour pro­té­ger la Chrétienté de l’hérésie pro­tes­tante. Pour les pro­tes­tants, la messe n’était que la Cène célé­brée le Jeudi-​Saint. Ils n’en font qu’une simple com­mé­mo­ra­tion. Pour eux, elle n’est nul­le­ment le renou­vel­le­ment du Sacrifice de la Croix. Elle n’est pour eux que l’assemblée des fidèles réunis en son nom sous la pré­si­dence du ministre pour faire, pour en faire une simple com­mé­mo­ra­tion. L’article 7 de l’Institutio gene­ra­lis du Novus Ordo Missae publiée dans la consti­tu­tion apos­to­lique « Missale roma­num » en repre­nait éton­nam­ment tous les élé­ments, d’où le grand émoi dans toute la Chrétienté et l’opposition qu’elle sus­ci­ta un peu par­tout. Mgr Lefebvre, sans être le seul, loin de là, ni le pre­mier, fut un ardent défen­seur de la messe de tou­jours et un ferme oppo­sant de la Nouvelle Messe. On ne peut être pour l’une sans être contre l’autre, doc­tri­na­le­ment. On ne peut être pour la véri­té sans être en même temps contre l’erreur. Le 5 juin 1971, devant son corps pro­fes­so­ral et devant tous les sémi­na­ristes d’Ecône, puis le len­de­main, de Fribourg, il pre­nait offi­ciel­le­ment posi­tion contre la réforme litur­gique ; il s’y oppo­sa for­te­ment disant que la Nouvelle Messe exprime d’une manière équi­voque les trois véri­tés essen­tielles de la messe catho­lique, à savoir la Présence réelle et sub­stan­tielle de NSJC dans l’Eucharistie, comme vic­time du sacri­fice, du Sacrifice de la messe, qui n’est pas seule­ment un sacri­fice de louange, ni une simple com­mé­mo­ra­tion, ni une simple assem­blée des fidèles sous la pré­si­dence du prêtre mais qui est essen­tiel­le­ment le Sacrifice pro­pi­tia­toire du Christ en Croix renou­ve­lé sur les autels, nous rache­tant du péché ori­gi­nel et de nos péchés per­son­nels, le prêtre offrant seul au nom du Christ – Grand Prêtre selon l’ordre de Melchisédech, ce sacri­fice réparateur.

Dans ses homé­lies, ses confé­rences, de par le monde, Mgr Lefebvre ne ces­sa d’exposer les dan­gers de la Nouvelle Messe argu­men­tant contre elle. On ne sait quelles confé­rences citer tel­le­ment elles sont nom­breuses. Il me reste dans ma biblio­thèque per­son­nelle, peut-​être une cin­quan­taine de confé­rences et homé­lies réunies, à l’époque, en pla­quettes ; la pla­quette inti­tu­lée « Le sacer­doce et la messe », la pla­quette réunis­sant « les homé­lies de l’été chaud ». Nous étions en 1976. La pla­quette inti­tu­lée « Pour l’honneur de l’Eglise » elle contient une confé­rence don­née en 1975 à Vienne, le 9 sep­tembre 1975 et un ser­mon pro­non­cé à la salle Wagram à Paris le 4 octobre 1975 à l’occasion des Confirmations ; une autre pla­quette, inti­tu­lée : « Crise de l’Eglise ou crise du sacer­doce », ce sont les textes d’une confé­rence don­née à Tourcoing, le 30 jan­vier 1974 ; dans une pla­quette, inti­tu­lée « En cette crise de l’Eglise, gar­dons la foi », nous avons le texte d’une confé­rence qu’il don­nait à Brest, le 17 jan­vier 1973. Et puis la fameuse pla­quette inti­tu­lée : « La messe de Luther » qui contient deux de ses confé­rences, l’une qui a pour titre : « De la messe évan­gé­lique de Luther au Novus Ordo Missae ». C’était une confé­rence pro­non­cée à Florence, le 15 février 1975, et l’autre inti­tu­lée : « De la messe et du sacer­doce catho­lique », C’était une confé­rence don­née à Mariazell en Suisse, le 8 sep­tembre 1975 ; la pla­quette réunis­sant les homé­lies qu’il don­nait à Rome à l’occasion de l’Année Sainte de 1975, les 3 et 26 mai. J’ai aus­si dans les mains sa fameuse confé­rence de Bruxelles du 22 mars 1986 toute consa­crée à l’œcuménisme et la liber­té reli­gieuse… Nous en par­le­rons plus loin… Vous le voyez, la messe « de tou­jours » fut vrai­ment son sujet de pré­di­lec­tion. Il mit tout son cœur pour gar­der ce tré­sor essen­tiel à l’Eglise et au sacer­doce. Et j’affirme que si nous avons encore ce tré­sor dans nos mains sacer­do­tales, c’est grâce à Mgr Lefebvre. Si nous avons la joie d’avoir le Motu Proprio de Benoît XVI, c’est encore grâce à Mgr Lefebvre. Benoît XVI n’aurait pas pu l’écrire sans Mgr Lefebvre puisque c’est lui qui, contre vents et marées, gar­da ce tré­sor. Contre vents et marées, pré­ci­sons, contre la volon­té expresse de Paul VI qui fit tout pour que Mgr Lefebvre cède. Il fal­lait avoir un carac­tère bien trem­pé, mieux, une foi par­ti­cu­liè­re­ment forte et éclai­rée pour oser se « dres­ser » contre Paul VI et sa volon­té for­melle. En 1976 la chose était enten­due, du moins dans la pen­sée du pape. Oui ! Il aurait dû en être ain­si sans « l’opiniâtreté » de Mgr Lefebvre qui s’est bat­tu comme un « lion ». Il devait ces­ser son oppo­si­tion à la réforme litur­gique et prendre enfin, lui et ses prêtres, la Nouvelle Messe, sinon son sémi­naire serait fer­mé, sa Fraternité sacer­do­tale sup­pri­mée, lui serait décla­ré sus­pens a divi­nis, ses prêtres, sans juri­dic­tion et donc sans aucun minis­tère. Mgr Lefebvre connais­sait ces menaces. Elles lui furent sou­vent for­mu­lées, puis com­mu­ni­quées par voie hié­rar­chique, cano­nique. Il les pesa, sou­pe­sa, exa­mi­na ; il en cher­cha la rai­son. Elles avaient pour rai­son, nous expliquait-​il, son atta­che­ment à la Messe de tou­jours, pour­tant jamais inter­dite, en termes for­mels et cano­niques dans la Constitution Missale roma­num de Paul VI. Souvenez-​vous du fameux ser­mon du 29 juin 1976 :

« Mais si, en toute objec­ti­vi­té, nous cher­chons quel est le motif véri­table qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordi­na­tions, si nous recher­chons leur motif pro­fond, nous voyons que c’est parce que nous ordon­nons ces prêtres afin qu’ils disent la Messe de tou­jours. Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la Messe de tou­jours, qu’on nous presse de ne pas les ordon­ner. Et j’en veux pour preuve le fait que six fois depuis trois semaines, six fois, on m’a deman­dé de réta­blir des rela­tions nor­males avec Rome et de don­ner pour témoi­gnage de rece­voir le rite nou­veau et de le célé­brer moi-​même. On est allé jusqu’à m’envoyer quelqu’un qui m’a offert de concé­lé­brer avec moi dans le rite nou­veau afin de mani­fes­ter que j’acceptais volon­tiers cette nou­velle litur­gie et, que de ce fait, tout serait apla­ni entre nous et Rome. On m’a mis dans les mains un mis­sel nou­veau en me disant : « Voilà la messe que vous devez célé­brer et que vous célé­bre­rez désor­mais dans toutes vos mai­sons ». On m’a dit éga­le­ment que si en cette date, aujourd’hui ce 29 juin, devant toute votre assem­blée, nous célé­brions une messe selon le nou­veau rite, tout serait apla­ni désor­mais entre nous et Rome. Ainsi donc, il est clair, il est net que c’est sur le pro­blème de la Messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome ». « Est-​ce que nous avons tort de nous obs­ti­ner à vou­loir gar­der le rite de toujours ? ».

Grave ques­tion, à la véri­té. Il s’employa, vous dis-​je, à démon­trer les rai­sons de sa fidé­li­té. Là aus­si, on peut les résu­mer, quoi qu’en disent cer­tains… en une ques­tion de fidé­li­té à la foi de tou­jours, à une fidé­li­té au mys­tère de la Rédemption de NSJC. Voyez, il disait, tou­jours dans le même dis­cours du 29 juin 1976 :

« Cette nou­velle messe est un sym­bole, une expres­sion, une image d’une foi nou­velle, d’une foi moder­niste. Si la Très Sainte Eglise a vou­lu gar­der tout au cours des siècles ce tré­sor pré­cieux qu’elle nous a don­né du rite de la sainte Messe qui a été cano­ni­sé par saint Pie V, ce n’est pas pour rien. C’est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catho­lique, la foi dans la Très Sainte Trinité, la foi dans la Rédemption de NSJC, la foi dans le Sang de NSJC qui a cou­lé pour la rédemp­tion de nos péchés, la foi dans la grâce sur­na­tu­relle qui nous vient par tous les sacre­ments. Voilà ce que nous croyons en célé­brant le saint Sacrifice de la Messe de tou­jours. Cela est une leçon de foi et en même temps une source de notre foi, indis­pen­sable pour nous en cette époque où notre foi est atta­quée de toute part. Nous avons besoin de cette messe véri­table, de cette messe de tou­jours, de ce Sacrifice de NSJC pour réel­le­ment rem­plir nos âmes du Saint-​Esprit et de la force de NSJC ».

« Rédemption de NSJC avec tous ses fruits » : Voilà ce que nous donne la messe de tou­jours. Voilà ce que n’exprime plus clai­re­ment la Nouvelle Messe. Voilà pour­quoi je la refuse, nous disait Mgr Lefebvre.

Vous le voyez, c’est tou­jours pour une ques­tion de fidé­li­té à la Croix de NSJC, mys­tère cen­tral de notre foi catho­lique parce que mys­tère cen­tral du Christ – Mysterium Christi, Mysterium Crucis -, que Mgr Lefebvre gar­da sa vie durant, et nous à sa suite, la Messe de tou­jours. Il y a vrai­ment une pro­fonde uni­té dans la vie de Mgr Lefebvre et son com­bat : Cette uni­té se fait sur la doc­trine de l’amour de NSJC et de sa Croix.
Voilà son héri­tage ! Quel hon­neur de lui être fidèle ! Mais où serait son infi­dé­li­té à la doc­trine de l’Eglise catho­lique ? Je me le demande bien !

Annexe : Déclaration du P. Calmel, o.p.

Je m’en tiens à la Messe tra­di­tion­nelle, celle qui fut codi­fiée, mais non fabri­quée, par saint Pie V, au XVIe siècle, confor­mé­ment à une cou­tume plu­sieurs fois sécu­laire. Je refuse donc l’ORDO MISSÆ de Paul VI. Pourquoi ? Parce que, en réa­li­té, cet ORDO MISSÆ n’existe pas. Ce qui existe c’est une Révolution litur­gique uni­ver­selle et per­ma­nente, prise à son compte ou vou­lue par le Pape actuel, et qui revêt, pour le quart d’heure, le masque de l’ORDO MISSÆ du 3 avril 1969. C’est le droit de tout prêtre de refu­ser de por­ter le masque de cette Révolution litur­gique. Et j’estime de mon devoir de prêtre de refu­ser de célé­brer la Messe dans un rite équi­voque. (Cf. 74:139.)

Si nous accep­tons ce rite nou­veau, qui favo­rise la confu­sion entre la Messe catho­lique et la Cène protes­tante – comme le disent équi­va­lem­ment deux Cardinaux et comme le démontrent de solides ana­lyses théo­lo­giques (Entre autres, Pensée catho­lique n° 122 et Courrier de Rome depuis le n° 49.) – alors nous tom­be­rons sans tar­der d’une Messe inter­chan­geable (comme le recon­naît du reste un pas­teur pro­tes­tant) dans une Messe car­ré­ment héré­tique et donc nulle. Commencée par le Pape, puis aban­don­née par lui aux églises natio­nales, la réforme révo­lu­tion­naire de la messe ira son train d’Enfer. Comment accep­ter de nous rendre complices ?

Vous me deman­de­rez : en main­te­nant, envers et contre tout, la Messe de tou­jours, avez-​vous réflé­chi à quoi vous vous expo­sez ? Certes. Je m’expose, si je peux dire, à per­sé­vé­rer dans la voie de la fidé­li­té à mon sacer­doce, et donc à rendre au Souverain Prêtre, qui est notre Juge Suprême, l’humble témoi­gnage de mon office de prêtre. Je m’expose encore à ras­su­rer des fidèles désem­pa­rés, ten­tés de scep­ti­cisme ou de déses­poir. Tout prêtre en effet qui s’en tient au rite de la Messe codi­fié par saint Pie V, le grand Pape domi­ni­cain de la Contre-​Réforme, per­met aux fidèles de par­ti­ci­per au Saint Sacrifice sans équi­voque pos­sible ; de com­mu­nier, sans risque d’être dupe, au Verbe de Dieu incar­né et immo­lé, ren­du réel­le­ment pré­sent sous les saintes espèces. En revanche, le prêtre qui se plie au nou­veau rite, for­gé de toutes pièces par Paul VI, col­la­bore pour sa part à ins­tau­rer pro­gres­si­ve­ment une Messe menson­gère où la pré­sence du Christ ne sera plus véri­table, mais sera trans­for­mée en un mémo­rial vide ; par le fait même le Sacrifice de la Croix ne sera plus réel­le­ment et sacra­men­tel­le­ment offert à Dieu ; enfin la com­mu­nion ne sera plus qu’un repas reli­gieux où l’on man­ge­ra un peu de pain et boi­ra un peu de vin ; rien d’autre ; comme chez les pro­tes­tants. Ne pas consen­tir à col­la­bo­rer à l’instauration révo­lu­tion­naire d’une Messe équi­voque, orien­tée vers la des­truc­tion de la Messe, ce sera se vouer à quelles mésa­ven­tures tem­po­relles, à quels mal­heurs en ce monde ? Le Seigneur le sait dont la grâce suf­fit. En véri­té la grâce du Cœur de Jésus, déri­vée jusqu’à nous par le Saint Sacrifice et par les sacre­ments, suf­fit tou­jours. C’est pour­quoi le Seigneur nous dit si tran­quille­ment : celui qui perd sa vie en ce monde à cause de moi la sauve pour la vie éternelle.

Je recon­nais sans hési­ter l’autorité du Saint Père. J’affirme cepen­dant que tout Pape, dans l’exercice de son auto­ri­té, peut com­mettre des abus d’autorité. Je sou­tiens que le Pape Paul VI com­met un abus d’autorité d’une gra­vi­té excep­tion­nelle lorsqu’il bâtit un rite nou­veau de la Messe sur une défi­ni­tion de la Messe qui a ces­sé d’être catho­lique. « La Messe, écrit-​il dans son ORDO MISSÆ, est le ras­sem­ble­ment du peuple de Dieu, pré­si­dé par un prêtre, pour célé­brer le mémo­rial du Seigneur. » Cette défi­ni­tion insi­dieuse omet de par­ti pris ce qui fait catho­lique la Messe catho­lique, à jamais irré­ductible à la Cène pro­tes­tante. Car dans la Messe catho­lique il ne s’agit pas de n’importe quel mémo­rial ; le mémo­rial est de telle nature qu’il contient réel­le­ment le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont ren­dus réel­le­ment pré­sents par la ver­tu de la double consé­cra­tion. Cela appa­raît à ne pou­voir s’y méprendre dans le rite codi­fié par saint Pie V, mais cela reste flot­tant et équi­voque dans le rite fabri­qué par Paul VI. De même, dans la Messe catho­lique, le prêtre n’exerce pas une pré­si­dence quel­conque ; mar­qué d’un carac­tère divin qui le met à part pour l’éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s’en faut de tout que le prêtre soit assi­mi­lable à quel­que pas­teur, délé­gué des fidèles pour la bonne tenue de leur assem­blée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordon­né par saint Pie V, est dis­si­mu­lé sinon esca­mo­té dans le rite nouveau.

La simple hon­nê­te­té donc, mais infi­ni­ment plus l’honneur sacer­do­tal, me demandent de ne pas avoir l’impudence de tra­fi­quer la Messe catho­lique, reçue au jour de l’Ordination. Puisqu’il s’agit d’être loyal, et sur­tout en une matière d’une gra­vi­té divine, il n’y a pas d’autorité au monde, serait-​ce une auto­ri­té ponti­ficale, qui puisse m’arrêter. Par ailleurs la pre­mière preuve de fidé­li­té et d’amour que le prêtre ait à don­ner à Dieu et aux hommes c’est de gar­der intact le dépôt infi­ni­ment pré­cieux qui lui fut confié lorsque l’évêque lui impo­sa les mains. C’est d’abord sur cette preuve de fidé­li­té et d’amour que je serai jugé par le Juge Su­prême. J’attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu’elle m’obtienne de res­ter fidèle jusqu’à la mort à la Messe catho­lique, véri­table et sans équi­voque. TUUS SUM EGO, SALVUM ME FAC.

R.-Th. Calmel, o. p.

IV – Le Christ, sa royauté et Mgr Lefebvre

Or, c’est pré­ci­sé­ment sur le Sacrifice de la Croix que se fonde la Royauté de NSJC. Voilà pour­quoi Mgr Lefebvre, très atta­ché au sacri­fice du Calvaire, le sera tout éga­le­ment à sa Royauté. Il sera le grand défen­seur, dans le corps épis­co­pal, en cette fin du XXe siècle, de la Royauté sociale de NSJC. Que de ser­mons a‑t-​il pro­non­cés sur ce sujet ! Ils sont presque infi­nis. Mais rap­pe­lons le prin­cipe pour en tirer la consé­quence, comme le fit Mgr Lefebvre. Il part de la cita­tion des Philippiens : « Dieu l’a exal­té et lui a don­né un nom qui est au-​dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou flé­chisse, au ciel, sur terre et dans les enfers ; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-​Christ est dans la gloire de Dieu le Père » (Phil 2 9–11). Il suit de la doc­trine de l’Apôtre que l’imposition du nom glo­rieux de Jésus et la domi­na­tion uni­ver­selle, l’empire sou­ve­rain atta­ché à ce nom, sont une récom­pense accor­dée au Fils de Marie. Assurément, le nom et l’attribut de Maître et Dominateur, de Roi, appar­tiennent par nature au Fils de Dieu fait homme : c’était l’apanage obli­gé de sa nature divine. Mais à son droit de nais­sance, il a joint le droit de conquête, comme le dit Pie XI. Il a vou­lu pos­sé­der, à titre de mérite et comme consé­quence des actes de sa volon­té humaine, ce que sa nature divine lui octroyait déjà par col­la­tion. Et quelle a été la source de ce mérite ? Saint Paul nous l’apprend dans la même Epître : « Bien qu’il fût dans la condi­tion de Dieu, il n’a pas rete­nu avi­de­ment son éga­li­té avec Dieu ; mais il s’est anéan­ti Lui-​même, en pre­nant la condi­tion d’esclave, en se ren­dant sem­blable aux hommes, et recon­nu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abais­sé Lui-​même, se fai­sant obéis­sant jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix ». Or, pour­suit l’Apôtre : « C’est pour­quoi aus­si, Dieu l’a sou­ve­rai­ne­ment éle­vé, et lui a don­né le nom qui est au-​dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou flé­chisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-​Christ est Seigneur » (Phil 2 6- 9). Quelle doc­trine impor­tante ! « Il s’est anéan­ti Lui-​même » ! Lucifer a été abais­sé au-​dessous de son rang pri­mi­tif, mais ce fut contre son gré. L’homme aus­si est tom­bé au-​dessous de lui-​même, mais cela a été la juste peine infli­gée à son ambi­tion. Il n’en est pas ain­si de NSJC. C’est libre­ment, c’est par choix, c’est par amour pour nous que le Fils de Dieu, égal et consub­stan­tiel au Père, a réso­lu de s’abaisser jusqu’à prendre notre nature. Puis, ayant pour­sui­vi ce des­sein, c’est par un acte méri­toire de sa volon­té humaine et de ses facul­tés créées que, non content de s’être fait homme, il s’est fait esclave, qu’il a choi­si la confu­sion de pré­fé­rence à la joie et, fina­le­ment, qu’il a pous­sé le sacri­fice jusqu’à l’acceptation de la mort, et de la mort de la Croix. Or, dit le grand Apôtre : « à cause de cela », « prop­ter quod » et abs­trac­tion faite de son empire qu’il a au titre de sa divi­ni­té, « Dieu L’a exal­té et Lui a don­né un nom qui est au-​dessus de tout nom ». Ce nom étant au-​dessus de tout nom, c’est l’ordre éta­bli de Dieu que devant Lui tout genou flé­chisse au ciel, sur terre et dans les enfers. Au ciel, c’est l’attribut, l’occupation des Anges et des Bienheureux de l’adorer. « Aux enfers », oui encore, ils le font par force… Mais « à la terre », c’est aus­si le com­man­de­ment de l’adorer. Il n’est rien ici-​bas, il n’est rien de ter­restre, qui ne doive cour­ber le genou devant ce nom de Jésus : c’est le com­man­de­ment fait à la terre. Dieu a mis toutes choses sous ses pieds et il l’a don­né pour Chef à toute l’humanité régé­né­rée. C’est le devoir de toute langue de recon­naître et de pro­cla­mer sa puis­sance sou­ve­raine. « Tout genou », « toute langue ». « N’établissons donc point d’exceptions là où Dieu n’a pas lais­sé de place à l’exception », nous dit le Cardinal Pie. L’homme indi­vi­duel, le chef de famille, le simple citoyen et l’homme public, les par­ti­cu­liers et les peuples, en un mot, tous les élé­ments quel­conques de ce monde ter­restre doivent la sou­mis­sion et l’hommage au nom de Jésus-​Christ. Voilà l’enseignement du Syllabus. Voilà l’enseignement de Quas Primas. Voilà l’enseignement de Mgr Lefebvre. Et voi­là pré­ci­sé­ment, ce que refuse la Révolution, ce que refusent les phi­lo­sophes des Lumières, ce que refuse leur ratio­na­lisme, leur natu­ra­lisme, leur athéisme. Voilà la poli­tique contem­po­raine. Voilà le monde moderne. Voilà ce qu’à son tour Mgr Lefebvre refuse, pour cette unique rai­son qu’il veut suivre l’ordre divin qui est l’adoration du Christ-​Roi, la sou­mis­sion au Christ-​Roi, à sa Loi. En consé­quence, il s’est tou­jours oppo­sé, comme tous les papes jusqu’à Pie XII, au catho­li­cisme libé­ral qui veut « marier l’Eglise à cette sub­ver­sion ». Mgr Lefebvre par­le­ra alors de « l’union adul­tère entre l’Eglise et la Révolution ». Il le rap­pel­le­ra très for­te­ment lors de son dis­cours à Lille en 1976 : « Qu’est-ce qu’ont vou­lu, en effet, les catho­liques libé­raux pen­dant un siècle et demi ? Marier l’Eglise et la Révolution, marier l’Eglise et la sub­ver­sion, marier l’Eglise et les forces des­truc­trices de la socié­té, de toutes les socié­tés, la socié­té fami­liale, civile, reli­gieuse. Ce mariage de l’Eglise avec la Révolution, il est ins­crit dans le Concile. Prenez le sché­ma Gaudium et Spes et vous y trou­ve­rez : « Il faut marier les prin­cipes de l’Eglise avec les concep­tions de l’homme moderne ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’il faut marier l’Eglise, l’Eglise catho­lique, l’Eglise de NSJC avec les prin­cipes qui sont contraires à cette Eglise, qui la minent, qui ont tou­jours été contre l’Eglise. C’est pré­ci­sé­ment ce mariage qui a été ten­té pen­dant le Concile par des hommes d’Eglise, et non pas l’Eglise, car jamais l’Eglise ne peut admettre une chose comme celle-​là. Pendant un siècle et demi pré­ci­sé­ment tous les sou­ve­rains pon­tifes ont condam­né ce catho­li­cisme libé­ral, ont refu­sé ce mariage (pour l’honneur de NSJC et sa Royauté), avec les idées de la Révolution, avec les idées de ceux qui ont ado­ré la Déesse-​Raison. Les papes n’ont jamais accep­té des choses sem­blables » (pp. 57–58). Le Concile s’est pour­tant bien dres­sé là contre. Je me sou­viens de la lec­ture qu’il fai­sait à Ecône des pro­pos écrits par le Cardinal Ratzinger dans le der­nier cha­pitre de son livre « Les prin­cipes de la Théologie catho­lique ». Ils l’horrifiaient tout en étant, pour lui, comme un confir­ma­tur de son ana­lyse propre du Concile. Voyez. Pour le Cardinal, « Gaudium et Spes », dit-​il,… per­met de per­ce­voir la phy­sio­no­mie spé­ciale du der­nier concile ». Il doit être consi­dé­ré comme « le véri­table tes­ta­ment du Concile ». Quel est donc ce tes­ta­ment ? Le texte cherche à ame­ner et l’Eglise et le monde à « une coopé­ra­tion dont le but est la construc­tion du monde. L’Eglise coopère avec le monde pour construire le monde… C’est ain­si, écrit-​il, qu’on pour­rait carac­té­ri­ser la vision déter­mi­nante du texte » (p. 224). Mais l’Eglise long­temps est res­tée en réserve par rap­port à ce monde moderne et ses prin­cipes. Or, pré­ci­sé­ment, ce texte a eu « la force de délo­ger (dans les men­ta­li­tés de l’Eglise) des concep­tions enra­ci­nées depuis des siècles ». « Ce texte res­pire un opti­misme éton­nant ». En effet, dit le car­di­nal : « L’attitude de réserve cri­tique à l’égard des forces déter­mi­nantes du monde moderne devait être effa­cée par une inser­tion réso­lue dans leur mou­ve­ment ». C’est pour­quoi Gaudium et Spes est comme « une révi­sion du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-​syllabus ». Il « a tra­cé une ligne de démar­ca­tion devant les forces déter­mi­nantes du XIXe siècle ». C’est pour­quoi il « repré­sente une ten­ta­tive pour une récon­ci­lia­tion offi­cielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789 » (p. 427).

Ces der­niers pro­pos du Cardinal, vous dis-​je, tout en confor­tant Mgr Lefebvre dans l’analyse qu’il fai­sait du Concile, étaient pour lui tout sim­ple­ment scan­da­leux. « Se récon­ci­lier avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789 » ? C’est inouï, disait-​il. C’est impos­sible. Ce monde issu de 1789 est oppo­sé au Christ, Ce monde est « anti­chris­tique ». Comment peut-​on envi­sa­ger une récon­ci­lia­tion ? Le natu­ra­lisme qui est le for­mel de la Révolution et, en consé­quence, du monde moderne, est ce qu’il a de plus oppo­sé au chris­tia­nisme. En effet, le chris­tia­nisme dans son essence est tout sur­na­tu­rel, ou plu­tôt c’est le sur­na­tu­rel même en sub­stance et en acte. Dieu sur­na­tu­rel­le­ment révé­lé et connu. Dieu sur­na­tu­rel­le­ment aimé et ser­vi, sur­na­tu­rel­le­ment don­né, pos­sé­dé et goû­té : c’est tout le dogme, toute la morale, tout le culte et tout l’ordre sacra­men­tel chré­tien. La nature y est indis­pen­sable, certes, elle est la base ; mais elle est par­tout dépas­sée. Le chris­tia­nisme est l’élévation, l’extase, la déi­fi­ca­tion de la nature créée. Or, le natu­ra­lisme phi­lo­so­phique nie avant tout ce sur­na­tu­rel. Le sur­na­tu­rel, le chris­tia­nisme est pour lui une usur­pa­tion et une tyran­nie. Le natu­ra­lisme est bien le pur anti­chris­tia­nisme. Il nie qu’il y ait des dogmes et qu’il puisse y en avoir. De toute façon, il les refuse… Le natu­ra­lisme nie que Dieu soit révé­la­teur. Le natu­ra­lisme éli­mine Dieu du monde et de la créa­tion. Il est en tout point en oppo­si­tion à la reli­gion chré­tienne, nous dit le Concile Vatican I. Et parce que le Christ dans le catho­li­cisme est cen­tral, le natu­ra­lisme, son prin­cipe, sa loi fon­da­men­tale, son besoin essen­tiel, son œuvre réelle, sa pas­sion obs­ti­née et, dans la mesure où il y réus­sit, son œuvre réelle, c’est de détrô­ner le Christ et de le chas­ser de par­tout : ce qui est la tâche de l’antéchrist et ce qui est l’ambition de Satan. Tel est le pro­gramme de la Révolution. Le Christ, notre unique Seigneur et Sauveur, c’est-à-dire le Christ qui est deux fois notre Maître, maître parce qu’il a tout fait, maître parce qu’il a tout rache­té, il s’agit de l’exclure de la pen­sée et de l’âme des hommes, de le ban­nir de la vie publique et des mœurs des peuples, pour sub­sti­tuer à son règne ce qu’on appelle le pur règne de la rai­son ou de la nature. Et les consé­quences ne sont rien d’autres que le déve­lop­pe­ment, dans le rejet de Dieu, du pan­théisme, de l’athéisme, du maté­ria­lisme. Et vous vou­lez vous récon­ci­lier avec de tels principes !

Voilà, bien sûr, ce que ne pou­vait admettre Mgr Lefebvre. Son épis­co­pat se dres­sait légi­ti­me­ment contre un tel pro­gramme. Voilà son héri­tage pour moi. Il prê­chait à Lille : « On ne veut plus du Règne social de NSJC, et cela sous pré­texte que ce n’est plus pos­sible. Je l’ai enten­du de la bouche du Nonce de Berne, je l’ai enten­du de la bouche de l’envoyé du Vatican, le Père Dhanis, ancien Recteur de l’Université Grégorienne, à Rome, qui est venu me deman­der, au nom du Saint-​Siège, de ne pas faire les ordi­na­tions du 29 juin. Il était le 27 juin à Flavigny lorsque je prê­chais la retraite aux sémi­na­ristes. Il m’a dit : « Pourquoi êtes-​vous contre le Concile ? ». Je lui ai répon­du : « Est-​il pos­sible d’accepter le Concile, alors qu’au nom du Concile vous dites qu’il faut détruire tous les Etats catho­liques, qu’il ne faut plus d’Etats catho­liques, donc plus d’Etats sur les­quels règne NSJC ? ». « Ce n’est pas pos­sible aujourd’hui ». Mais autre chose est que cela ne soit plus pos­sible aujourd’hui, et autre chose que nous pre­nions cette impos­si­bi­li­té comme prin­cipe, et que, par consé­quent, nous ne recher­chions plus ce règne de NSJC. Que disons-​nous tous les jours dans le Notre Père ? « Que votre règne, que votre volon­té soit faite sur la terre comme au ciel. Qu’est-ce que c’est que ce règne ? Tout à l’heure, vous avez chan­té dans le Gloria : « Tu solus Dominus, tu solus Altissimu Jésu Christe », « Vous êtes le seul Très Haut, vous êtes le seul Seigneur ». Nous le chan­te­rions, et dès que nous serions sor­tis nous dirions : « Non il ne faut plus que NSJC règne sur nous ». Vivons-​nous dans l’illogisme, sommes nous catho­liques ou non, sommes-​nous chré­tiens ou non ? Il n’y aura de paix sur cette terre que dans le règne de NSJC. …Même du point de vue éco­no­mique, il faut que NSJC règne. Parce que le Règne de NSJC c’est jus­te­ment le règne de ses prin­cipes d’amour que sont les com­man­de­ments de Dieu et qui mettent de l’équilibre dans la socié­té, qui font régner la jus­tice, la paix dans la socié­té. Ce n’est que dans l’ordre, la jus­tice et la paix que l’économie peut refleu­rir » Et de citer l’exemple de l’Argentine. Il pour­suit : « C’est le Règne de NSJC que nous vou­lons, et nous pro­fes­sons notre foi en disant que NSJC est Dieu. Et c’est pour­quoi nous vou­lons aus­si la Messe de saint Pie V. Pourquoi ? Parce que cette Messe est la pro­cla­ma­tion de la Royauté de NSJC. La nou­velle messe est une espèce de messe hybride qui n’est plus hié­rar­chique, qui est démo­cra­tique, c’est l’assemblée qui prend plus de place que le prêtre. Et donc ce n’est plus une messe véri­table, qui affirme la royau­té de NSJC. Comment NSJC est-​il deve­nu Roi ? Il a affir­mé sa Royauté sur la Croix. Regnavit a ligno Deus. Jésus-​Christ a régné par le bois de la croix. Car il a vain­cu le péché, il a vain­cu le démon, il a vain­cu la mort par sa Croix ! ». Voilà ce que deman­dait Mgr Lefebvre au Souverain Pontife : « Très Saint-​Père, rendez-​nous le droit public de l’Eglise, c’est-à-dire le règne de NSJC… ». « Hélas, je n’ai eu aucune réponse, sinon la sus­pens a divi­nis ».

Et voi­là pour­quoi Mgr Lefebvre par­lait si sou­vent de la « Chrétienté ». Il aimait dire : « C’est de la Croix que se construi­ra la Chrétienté ou le Règne social de Jésus cru­ci­fié, dans la famille et la socié­té. La Chrétienté, c’est la socié­té vivant à l’ombre de la Croix, de l’Eglise parois­siale construite en croix, sur­mon­tée de la Croix, abri­tant l’autel du Calvaire renou­ve­lé quo­ti­dien­ne­ment, où les âmes viennent naître à la grâce et l’entretiennent, par le minis­tère des prêtres, qui sont d’autres Christ. La Chrétienté, c’est le vil­lage, ce sont les vil­lages, les cités, le pays qui, à l’imitation du Christ en Croix, accom­plissent la loi d’amour, sous l’influence de la vie chré­tienne de la grâce. La Chrétienté, c’est le Royaume de Jésus-​Christ ; les auto­ri­tés de cette chré­tien­té se disent « lieu­te­nants de Jésus-​Christ » char­gés de faire appli­quer sa Loi, de pro­té­ger la foi en Jésus-​Christ et d’aider par tous les moyens à son déve­lop­pe­ment, en plein accord avec l’Eglise » (Itinéraire spi­ri­tuel, p. 60). Et c’est pour­quoi, il s’opposa si for­te­ment au prin­cipe de la liber­té religieuse.

Avec un tel ensei­gne­ment, vous osez dire que Mgr Lefebvre n’a pas le sen­sus eccle­siae ? Allons donc. Personne ne vous croi­ra.

V – La liberté religieuse et Mgr Lefebvre

Car la doc­trine de la « liber­té reli­gieuse » c’est la recon­nais­sance des droits à l’erreur et concrè­te­ment la néga­tion de la Vérité. On ne peut tout de même pas recon­naître des droits à l’erreur. On peut tolé­rer l’erreur mais on ne peut pas lui recon­naît de droit. Car NSJC est le seul Dieu, il a fon­dé la seule vraie reli­gion à laquelle il faut croire pour être sau­vé. Ce fut la posi­tion de tou­jours de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II. Dans le com­men­taire que Mgr Lefebvre don­nait aux sémi­na­ristes à Ecône sur l’Encyclique de Léon XIII, « Libertas », et qui fut publié dans un livre : « C’est moi l’accusé qui devrait vous juger », on lit cette belle page, sous le titre « Des droits pour toutes les religions » :

La liber­té des cultes est une liber­té fausse. Cent ans après Léon XIII, cette liber­té est vrai­ment deve­nue un prin­cipe cou­rant et nor­mal. Rares sont les catho­liques qui com­prennent encore que l’on puisse inter­dire l’expansion d’une reli­gion dans un pays. C’est dire com­bien les erreurs ont péné­tré les intel­li­gences. Pour ne pas se lais­ser empoi­son­ner, reve­nons tou­jours aux prin­cipes vrais. On entend dire : il est mieux que l’Etat laisse tout le monde libre en matière de reli­gion. Mais c’est un rai­son­ne­ment abso­lu­ment contraire à ce que le Bon Dieu a vou­lu. Quand Il a créé les hommes et les socié­tés, c’était pour que la reli­gion fût mise en œuvre et pas n’importe quelle reli­gion ! Or, pre­nons la décla­ra­tion de Vatican II sur la liber­té reli­gieuse : on y parle de groupes reli­gieux (DH 1,4) sous l’intertitre : Liberté des groupes reli­gieux : « Les groupes reli­gieux, en effet, sont requis par la nature sociale tant de l’homme que de la reli­gion elle-​même. Dès lors donc, que les justes exi­gences de l’ordre public ne sont pas vio­lées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immu­ni­té afin de pou­voir se régir selon leurs propres normes, d’honorer d’un culte public la divi­ni­té suprême… ». De quels groupes s’agit-il ? Mormons ? Scientologistes ? Musulmans ? Bouddhistes ? Où est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ là-​dedans ? La « divi­ni­té suprême », est-​ce le Grand Architecte ? « …aider leurs membres dans la pra­tique de leur vie reli­gieuse et les sus­ten­ter par un ensei­gne­ment, pro­mou­voir enfin les ins­ti­tu­tions au sein des­quelles leurs membres coopèrent à orien­ter leur vie propre selon leurs prin­cipes reli­gieux ». Vous avez bien lu : chaque groupe reli­gieux selon son propre prin­cipe reli­gieux ! Cela est inouï ! Pensons tou­te­fois que ce n’était qu’un Concile « pas­to­ral » et que le Saint-​Esprit n’y était pas… « Les groupes reli­gieux ont aus­si le droit de ne pas être empê­chés d’enseigner et de mani­fes­ter leur foi publi­que­ment, de vive voix et par écrit ». Leur foi ? Mais c’est ce qui est contraire à la foi catho­lique ! Les Etats devraient donc don­ner à ces « groupes reli­gieux » la facul­té de pou­voir écrire, dif­fu­ser leurs erreurs, pro­pa­ger leur ensei­gne­ment par les ins­ti­tu­tions ? C’est inima­gi­nable ! Il n’y a pas seule­ment les erreurs. Il faut immé­dia­te­ment pen­ser aux consé­quences. Car cela ne reste pas dans le domaine spé­cu­la­tif : chaque reli­gion a ses convic­tions doc­tri­nales mais aus­si sa morale. Les pro­tes­tants acceptent le divorce, les contra­cep­tifs ; les musul­mans ont droit à la poly­ga­mie… Faut-​il alors que les Etats admettent tout cela pour que les « groupes reli­gieux » puissent orien­ter leur vie propre selon leurs prin­cipes reli­gieux ? Et après, pour­quoi y aurait-​il des limites ? Pourquoi pas le sacri­fice humain ? On dira peut-​être : c’est contraire à l’ordre public… Mais un père qui sacri­fie­rait son enfant (en son par­ti­cu­lier) gênerait-​il vrai­ment l’ordre public ? Voilà à quoi on arri­ve­ra ! Et puis, pour­quoi pas l’euthanasie ? Tuer les vieillards dans les hôpi­taux, cela libère la socié­té de gens écra­sants et trop coû­teux… Une piqûre, et c’est fini ! Et sans gêner l’ordre public ! C’est effrayant. On peut dès lors tout admettre, au nom du droit pour tous « de ne pas être empê­ché d’enseigner » et « de mani­fes­ter leur foi publi­que­ment par écrit ou de vive voix ». La décla­ra­tion conci­liaire ajoute : « Mais dans la pro­pa­ga­tion de la foi (quelle foi?) et l’introduction des pra­tiques reli­gieuses, on doit tou­jours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coer­ci­tion, de per­sua­sion mal­hon­nête ou peu loyale, sur­tout s’il s’agit de gens sans culture ou sans res­sources. Une telle manière d’agir doit être regar­dée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres ». Voilà les pro­pos qui se retournent contre nous. On écrit qu’il faut des limites à la pro­pa­gande afin que n’y soient pas sou­mis des gens inca­pables de dis­tin­guer la véri­té de l’erreur (par exemple, contre les Témoins de Jéhovah, les Adventistes, qui font du porte à porte, qui dis­posent de beau­coup d’argent…). Mais de là, on en vient à nous dire à nous : n’essayer pas de convaincre les gens, de leur faire quit­ter leur reli­gion, de les conver­tir… C’est bien en fait ce qui se pro­duit : puisque tous les « groupes reli­gieux » ont le droit d’exister. Que va-​t-​on faire en mis­sion ? Si tous ont un droit natu­rel à avoir leur reli­gion, ce n’est pas la peine d’essayer de les conver­tir, nous n’en avons même plus le droit. « La liber­té reli­gieuse, dit encore la Déclaration, demande en outre que les groupes reli­gieux ne soient pas empê­chés de mani­fes­ter libre­ment l’efficacité sin­gu­lière de leur doc­trine pour orga­ni­ser la socié­té et vivi­fier toute l’action humaine ». Quelle « effi­ca­ci­té » ? Celle des musul­mans avec la poly­ga­mie et l’esclavage ? « La nature sociale de l’homme, enfin, ain­si que le carac­tère même de la reli­gion fondent le droit qu’ont les hommes mus par leur sen­ti­ment reli­gieux de tenir libre­ment des réunions ou de consti­tuer des asso­cia­tions édu­ca­tives, cari­ta­tives et sociales, selon leur propres prin­cipes ». Et après tout, puisque tout le monde doit pou­voir se réunir libre­ment, pour­quoi pas aus­si les francs-​maçons ? Tout cela est abso­lu­ment contraire à l’enseignement des papes du XIXe siècle et de la pre­mière moi­tié du XXe siècle. S’il y a une véri­té, le Bon Dieu ne peut pas don­ner à l’erreur un droit pour qu’elle se pro­page comme la véri­té. Ce n’est pas pos­sible. Parler ain­si revient à insul­ter Dieu » (pp. 171–173).

Mgr Lefebvre aimait nous racon­ter com­ment les choses se sont pas­sées au Concile sur ce sujet. Il le redi­sait le 10 octobre 1990, un an avant sa mort. Il faut relire ce pas­sage émou­vant, son témoi­gnage per­son­nel sur le Concile Vatican II. « J’ai sou­vent cité comme exemple cette oppo­si­tion véhé­mente entre deux hommes : d’une part, le Cardinal Ottaviani repré­sen­tant l’Eglise catho­lique et sa Tradition de 20 siècles et, d’autre part, le Cardinal Bea repré­sen­tant l’esprit libé­ral, moder­niste. Cet esprit libé­ral et moder­niste se trou­vait déjà à l’intérieur de l’Eglise du temps de saint Pie X qui a dû le condam­ner. Eh bien, j’ai été témoin de cette oppo­si­tion à la der­nière séance de la Commission cen­trale pré­pa­ra­toire du Concile, deux idéo­lo­gies se sont affron­tées dure­ment, vio­lem­ment : l’idéologie révo­lu­tion­naire de ceux qui ont adop­té ou qui veulent adop­ter les prin­cipes des droits de l’homme et tout ce que cela com­porte, cette espèce d’athéisme, athéisme pro­fond de l’homme qui ne consi­dère plus que sa liber­té, et qui ne veut plus consi­dé­rer la Loi de Dieu, qui ne veut plus se consi­dé­rer par rap­port à Dieu, qui veut être indé­pen­dant, indé­pen­dant de Dieu, indé­pen­dant de l’Eglise. Le Cardinal Bea repré­sen­tait cette idéo­lo­gie de liber­té. La meilleure preuve c’est que le texte qu’il nous pré­sen­tait était inti­tu­lé : La liber­té reli­gieuse, et le texte que nous pré­sen­tait le Cardinal Ottaviani sur le même sujet avait pour titre : La tolé­rance reli­gieuse. Parce que l’Eglise tolère l’erreur, l’Eglise tolère les fausses reli­gions, mais elle ne peut pas les approu­ver, elle ne peut pas les mettre sur le même pied que la véri­table reli­gion, ce n’est pas pos­sible. L’Eglise tra­di­tion­nelle affirme qu’elle est la seule véri­table reli­gion fon­dée par Dieu Lui-​même, par Notre Seigneur Jésus-​Christ, – NB : Vous le voyez, nous trou­vons tou­jours la même réfé­rence à la Vérité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, à l’amour de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et de son Eglise – et, par consé­quent, que les autres reli­gions sont fausses et qu’il faut être mis­sion­naire et essayer de conver­tir les adeptes de ces fausses reli­gions pour les faire deve­nir catho­liques et qu’ils soient sau­vés » – C’est ce qu’affirmait saint Pierre lors de sa pre­mière pré­di­ca­tion… – « Cela a tou­jours été la foi de l’Eglise, cela a tou­jours été la rai­son d’être des mis­sions dans l’Eglise : conver­tir les âmes et non pas dire aux âmes : votre reli­gion est aus­si bonne que la nôtre. Alors, ces deux idéo­lo­gies se sont affron­tées dans deux per­sonnes qui carac­té­ri­saient en quelque sorte les oppo­si­tions à l’intérieur de l’Eglise, le Cardinal Ottaviani a dit ouver­te­ment au Cardinal Bea qu’il n’était pas d’accord avec son texte et que, d’ailleurs, il n’avait pas le droit de le rédi­ger, et le Cardinal Bea s’est levé et lui a dit : « Eh bien, moi aus­si je suis contre votre texte, fon­da­men­ta­le­ment ». Qui avait rai­son ? Le Cardinal Bea ou le Cardinal Ottaviani ? Qui a rai­son, de la Révolution ou de l’Eglise catho­lique ? La Révolution s’est dres­sée contre l’Eglise catho­lique. Il fal­lait en finir avec ce clé­ri­ca­lisme. Il fal­lait en finir avec cette auto­ri­té de l’Eglise, et avec cette auto­ri­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ sur la socié­té. Il est évident que l’Eglise ne pou­vait que condam­ner les prin­cipes de la Révolution si elle vou­lait être fidèle au mes­sage de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. C’est ce qu’ont fait tous les papes au cours du XIXe siècle jusqu’au cours de la pre­mière moi­tié du XXe siècle, jusqu’au Pape Pie XII : condam­ner les prin­cipes de la Révolution. Or voi­ci que dans cette Commission cen­trale pré­pa­ra­toire se forme un clan de car­di­naux qui pré­tend accep­ter les prin­cipes de la Révolution avec le Cardinal Bea. Alors le Cardinal Ruffini, de Palerme, s’est levé et a dit : « Nous regret­tons infi­ni­ment de voir deux émi­nents confrères s’opposer l’un à l’autre de façon aus­si vio­lente et aus­si pro­fonde sur un sujet qui est capi­tal pour la foi de l’Eglise, pour la doc­trine de l’Eglise. Nous sommes obli­gés donc d’en réfé­rer à l’autorité supé­rieure, au Pape lui-​même. Le Cardinal Bea a dit : « Ah mais non, je veux un vote, je veux qu’on fasse un vote pour savoir quels sont les car­di­naux qui sont avec moi et ceux qui sont contre moi ». On a fait un vote et les 70 car­di­naux qui étaient là se sont par­ta­gés en deux camps : celui du Cardinal Bea et celui du Cardinal Ottaviani. Généralement, ceux qui étaient avec le Cardinal Bea étaient des Allemands, des Hollandais, des Français, ceux des Etats-​Unis, les Anglo-​Saxons ; et ceux qui étaient avec le Cardinal Ottaviani furent les Italiens, les Espagnols, les Sud-​Américains, plu­tôt les latins qui ont encore le sens de la Tradition dans l’Eglise. Voilà com­ment a débu­té le Concile : der­nière séance de la Commission cen­trale pré­pa­ra­toire du Concile, oppo­si­tion vio­lente entre deux groupes de car­di­naux. Un groupe favo­rable aux idées révo­lu­tion­naires, donc favo­rable à l’athéisme d’Etat, contre le règne social de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ dans la socié­té, et le Cardinal Ottaviani avec le groupe des car­di­naux qui le sui­vaient en faveur, évi­dem­ment, du règne social de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, tolé­rant les fausses reli­gions, mais ne leur don­nant pas la même place qu’à la véri­table reli­gion, qu’à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ que l’Eglise consi­dère comme Dieu, qu’elle affirme être Dieu. Ce sont des choses qui paraissent si simples. C’est ain­si que la Révolution est vrai­ment entrée à l’intérieur de l’Eglise. Il faut regar­der toute l’Histoire pré­cé­dente, à l’intérieur de l’Eglise, dans les dif­fé­rents pays euro­péens sur­tout, ces idées ont fait leur che­min grâce au libé­ra­lisme, grâce ensuite au moder­nisme, au sil­lio­nisme. Toutes ces idées fausses se sont intro­duites à l’intérieur de l’Eglise. Ce n’est pas pour rien que le Pape Pie IX d’abord a condam­né les idées de la Révolution dans son Encyclique Quanta Cura et le Syllabus, et qu’ensuite le Pape Saint Pie X a condam­né le moder­nisme, qui n’était que la suite des idées révo­lu­tion­naires dans son Encyclique Pascendi Dominici Gregis et dans son décret Lamentabili où il condamne les idées fausses qui sont issues des prin­cipes révo­lu­tion­naires. Alors main­te­nant en 1962, l’Eglise veut pré­tendre aller à l’encontre de ce que treize papes, depuis la Révolution, ont condam­né offi­ciel­le­ment. Qui a rai­son ? Qui va avoir rai­son ? A qui les membres du Concile vont-​ils don­ner rai­son ? A la Tradition de l’Eglise, donc à ces treize papes qui ont condam­né les idées révo­lu­tion­naires qui se sont intro­duites à l’intérieur de l’Eglise, ou bien, au contraire, vont-​ils suivre les idées révo­lu­tion­naires qui se répandent à l’intérieur de l’Eglise ? Eh bien, il faut recon­naître en toute sin­cé­ri­té que ce sont les libé­raux qui ont gagné, qui ont réus­si à domi­ner le Concile, grâce évi­dem­ment à l’appui des papes Jean XXIII et Paul VI. C’est tout de même un drame, ce drame que l’Eglise, d’une manière qua­si offi­cielle, admet­tant les prin­cipes révo­lu­tion­naires à l’intérieur de l’Eglise, admet­tant les droits de l’Homme, refu­sant que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ règne dans les socié­tés civiles, sur les socié­tés civiles, ne demande plus que le droit com­mun comme les autres reli­gions, consi­dé­rant toutes les autres reli­gions comme aus­si valables que la sienne. C’est une véri­table Révolution à l’intérieur de l’Eglise et dans les socié­tés. Et cela a des consé­quences évi­dem­ment déplo­rables pour toutes les familles chré­tiennes, pour la foi des fidèles.

Mais que s’est-il pas­sé dans l’Eglise ? Que se passe-​t-​il dans l’Eglise ? Pourquoi y a‑t-​il ce chan­ge­ment main­te­nant ? Alors le Concile ayant don­né rai­son aux libé­raux, toutes les ordon­nances qui en ont résul­té, et tous les règle­ments qui l’ont appli­qué, ils se sont effor­cés évi­dem­ment de mettre en pra­tique ce nou­veau prin­cipe révo­lu­tion­naire : la liber­té. Le Concile a été essen­tiel­le­ment anti-​autoritaire, contre l’autorité. D’abord contre l’autorité de Dieu, contre l’autorité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, contre l’autorité du pape, contre l’autorité des évêques, contre l’autorité des prêtres, contre l’autorité des pères de famille. Toutes les auto­ri­tés ont été pra­ti­que­ment déca­pi­tées. Pourquoi ? Parce qu’il fal­lait don­ner à l’homme la liber­té de sa conscience. On a exal­té la conscience de l’homme, ce qui est le prin­cipe fon­da­men­tal des droits de l’homme : l’homme a une conscience, et c‘est à lui de déci­der de son ave­nir, de sa vie, de ses pen­sées, de sa reli­gion, de sa morale. Voilà. Il y a un trans­fert qui se fait : d’un côté, l’autorité qui vient de Dieu et qui se trans­met à tra­vers les auto­ri­tés, même de la socié­té civile, pour impo­ser la Loi du Bon Dieu, pour faire pra­ti­quer la Loi du Bon Dieu aux hommes et, de l’autre côté, la libé­ra­tion : l’homme se libère de la Loi, se libère des auto­ri­tés. C’est l’anarchie totale dans laquelle nous vivons actuel­le­ment, l’anarchie com­plète. Nous sommes confron­tés à une situa­tion inima­gi­nable… Ce qui s’est pas­sé dans le Concile, c’est le sui­cide de l’Eglise catho­lique… Ceux qui sont à l’intérieur de l’Eglise minent la vie de l’Eglise, sont en train de la rui­ner tota­le­ment… Il n’y a aucun espoir de retour à une grande vita­li­té de l’Eglise s’il n’y a pas un retour à la Tradition, au règne de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, aux prin­cipes fon­da­men­taux de l’Eglise… C’est une véri­table tra­hi­son envers Notre-​Seigneur Jésus-​Christ ! Notre Seigneur est tra­hi ! On ne veut plus de son règne, on ne veut plus qu’il règne sur les âmes, sur les familles, sur la socié­té ! Et là où Notre-​Seigneur Jésus-​Christ ne règne plus, c’est le désordre, c’est la ruine totale dans tous les domaines ! » (In L’Eglise 25 ans après Vatican II et 10 ans avant l’an 2000, pp. 6–10).

Voilà ce qu’il faut com­prendre pour com­prendre l’action de Mgr Lefebvre…jusqu’aux sacres.

VI – L’œcuménisme et Mgr Lefebvre

Le règne de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ sur toutes choses parce que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est tout. Et parce qu’il en est ain­si, parce qu’Il est la tête du Corps mys­tique qu’est l’Eglise, il faut aller à Lui pour être sau­vé. Il faut aller à l’Eglise romaine pour connaître et le Christ et le salut éter­nel. « Il n’y a pas d’autre nom sous le ciel par lequel nous puis­sions être sau­vé » répète Mgr Lefebvre après l’Apôtre saint Pierre. Et ce nom de Jésus se trouve dans sa tota­li­té dans l’Eglise, avec sa véri­té, celle de Dieu, avec ses sacre­ments, ses sacre­ments de vie, de vie sur­na­tu­relle. Il faut néces­sai­re­ment appar­te­nir à l’Eglise catho­lique par le Baptême et la confes­sion de la foi.

Dès lors, pour Mgr Lefebvre, l’œcuménisme, le vrai, ne peut être qu’un retour de toutes les confes­sions chré­tiennes dans l’Eglise romaine. Voilà le grand prin­cipe. L’Eglise est une, en elle-​même. Elle est tou­jours telle. Il le disait à Bruxelles, le 22 mars 1986 : « L’Eglise catho­lique est tou­jours une, parce qu’elle est une dans sa foi ». Elle n’a pas à le deve­nir. Elle l’est de par sa consti­tu­tion divine. Ceux qui l’ont quit­tée au cours de l’histoire doivent la retrou­ver. Il disait tou­jours à Bruxelles : « Ceux qui se séparent de l’Eglise, eh bien, ils s’en séparent ! Ils ne font plus par­tie de l’unité de l’Eglise. Si l’on veut qu’ils s’unissent à l’Eglise, il faut leur deman­der de se conver­tir, d’abandonner leurs erreurs pour adop­ter la foi catho­lique, et alors ils seront dans l’unité de l’Eglise. C’est un concept abso­lu­ment faux que de dire : « L’Eglise est divi­sée ! C’est un scan­dale que cette divi­sion de l’Eglise ». Il n’y a pas de divi­sion de l’Eglise. Je le répète : « Il n’y a pas de divi­sion dans l’Eglise ». Ils ne font pas par­tie de l’Eglise, ceux qui n’ont plus la foi de l’Eglise puisqu’il n’y a, dit saint Paul, qu’une seule foi, un seul bap­tême, un seul Dieu ». C’est l’enseignement de l’Eglise, tout par­ti­cu­liè­re­ment rap­pe­lé par le Pape Pie XI dans son Encyclique « Mortalium ani­mos ». Il écrit : « Ce Siège Apostolique n’a jamais auto­ri­sé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-​catholiques : il n’est pas per­mis, en effet, de pro­cu­rer la réunion des chré­tiens autre­ment qu’en pous­sant au retour des dis­si­dents à la seule véri­table Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le mal­heur de s’en sépa­rer ». « Le retour à l’unique véri­table Eglise, disons-​Nous, bien visible à tous les regards »…Voilà le prin­cipe des prin­cipes en matière œcu­mé­nique. Car il faut le confes­ser clai­re­ment, l’Eglise n’a jamais per­du son uni­té. Saint Cyprien s’étonnait vive­ment, et à bon droit, qu’on pût croire « que cette uni­té pro­ve­nant de la sta­bi­li­té divine, conso­li­dée par les sacre­ments célestes, pou­vait être déchi­rée dans l’Église et bri­sée par le heurt des volon­tés dis­cor­dantes » (ibid.). C’est pour­quoi Pie XI pou­vait écrire : « Le corps mys­tique du Christ, c’est-à-dire l’Eglise, étant un (I Cor., XII, 12), for­mé de par­ties liées et coor­don­nées (Eph. IV, 16) à l’instar d’un corps phy­sique, il est absurde et ridi­cule de dire qu’il peut se com­po­ser de membres épars et dis­joints ; par suite, qui­conque ne lui est pas uni n’est pas un de ses membres et n’est pas atta­ché à sa tête qui est le Christ » (Eph.V, 30 ; 1,22). La consé­quence de ce prin­cipe est qu’il faut néces­sai­re­ment, pour être dans cette Eglise, la recon­naître telle qu’elle est et confes­ser l’autorité du Pontife suprême : « Or, dans cette unique Eglise du Christ, per­sonne ne se trouve, per­sonne ne demeure si, par son obéis­sance, il ne recon­naît et n’accepte l’autorité et le pou­voir de Pierre et de ses légi­times suc­ces­seurs. N’ont-ils pas obéi à l’Evêque de Rome, Pasteur suprême des âmes, les ancêtres de ceux qui, aujourd’hui, sont enfon­cés dans les erreurs de Photius et des nova­teurs ? Des fils ont, hélas, déser­té la mai­son pater­nelle, laquelle ne s’est point pour cela effon­drée et n’a pas péri, sou­te­nue qu’elle était par l’assistance per­pé­tuelle de Dieu. Qu’ils reviennent donc au Père com­mun, qui oublie­ra les insultes pro­fé­rées jadis contre le Siège Apostolique et les rece­vra avec la plus grande affec­tion. Si, comme ils le répètent, ils dési­rent se joindre à Nous et aux nôtres, pour­quoi ne se hâteraient-​ils pas d’aller vers l’Eglise, « mère et maî­tresse de tous les fidèles du Christ » (Conc. Latran IV, c. 5). Qu’ils écoutent Lactance s’écriant : « Seule… l’Eglise catho­lique est celle qui garde le vrai culte. Elle est la source de véri­té, la demeure de la foi, le temple de Dieu ; qui n’y entre pas ou qui en sort, se prive de tout espoir de vie et de salut. Que per­sonne ne se flatte d’une lutte obs­ti­née. Car c’est une ques­tion de vie et de salut ; si l’on n’y veille avec pré­cau­tion et dili­gence, c’est la perte et la mort « (Divin. Instit., IV. 30, 11–12). Que les fils dis­si­dents reviennent donc au Siège Apostolique, éta­bli en cette ville que les princes des Apôtres, Pierre et Paul, ont consa­crée de leur sang, au Siège « racine et mère de l’Eglise catho­lique « (S. Cypr., Ep. 48 ad Cornelium, 3). Qu’ils y reviennent, non certes avec l’idée et l’espoir que « l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fon­de­ment de la véri­té « (I Tim. II, 15) renon­ce­ra à l’intégrité de la foi et tolè­re­ra leurs erreurs, mais au contraire, pour se confier à son magis­tère et à son gou­ver­ne­ment. Plaise à Dieu que cet heu­reux évé­ne­ment, que tant de nos pré­dé­ces­seurs n’ont pas connu, Nous ayons le bon­heur de le voir, que nous puis­sions embras­ser avec un cœur de père les fils dont nous déplo­rons la funeste sépa­ra­tion ; plaise à Dieu notre Sauveur, « qui veut que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té « (I Tim. II,4), d’entendre Notre ardente sup­pli­ca­tion pour qu’il daigne appe­ler tous les éga­rés à l’unité de l’Eglise. En cette affaire cer­tai­ne­ment très impor­tante, Nous fai­sons appel et Nous vou­lons que l’on recoure à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de la divine grâce, vic­to­rieuse de toutes les héré­sies et Secours des chré­tiens, afin qu’elle Nous obtienne au plus tôt la venue de ce jour tant dési­ré où tous les hommes écou­te­ront la voix de son divin Fils « en gar­dant l’unité de l’Esprit dans le lien de la paix « (Eph. IV, 3). Vous com­pre­nez, Vénérables Frères, com­bien nous sou­hai­tons cette union. Nous dési­rons que Nos fils le sachent aus­si, non seule­ment ceux qui appar­tiennent à l’univers catho­lique, mais aus­si tous ceux qui sont sépa­rés de nous. Si, par une humble prière, ces der­niers implorent les lumières célestes, il n’est pas dou­teux qu’ils ne recon­naissent la seule vraie Église de Jésus-​Christ et qu’ils n’y entrent enfin, unis à Nous par une cha­ri­té par­faite. Dans cette attente, comme gage des bien­faits divins et en témoi­gnage de Notre bien­veillance pater­nelle, Nous vous accor­dons de tout cœur, Vénérables Frères, ain­si qu’à votre cler­gé et à votre peuple, la béné­dic­tion apos­to­lique ». Voilà qui est clair. Voilà ce que confes­sait Mgr Lefebvre. Et voi­là pour­quoi il mani­fes­tait sa stu­pé­fac­tion devant les pro­pos que tenait Jean-​Paul II en 1989 lors de sa visite dans les pays nor­diques : « Ma visite aux pays nor­diques est une confir­ma­tion de l’intérêt de l’Eglise catho­lique dans l’œuvre de l’œcuménisme qui est de pro­mou­voir l’unité entre tous les chré­tiens ». Et Mgr Lefebvre répon­dait : Il ne s’agit pas d’une uni­té entre tous les chré­tiens comme si tous les chré­tiens avaient la même véri­té : les pro­tes­tants n’ont pas notre véri­té, ils sont chré­tiens, mais ils n’ont pas notre véri­té. On ne peut pas unir ce qui est contraire, c’est impos­sible. Il ne parle pas de la conver­sion des pro­tes­tants au catho­li­cisme, mais de l’unité entre tous les chré­tiens, i.e. de l’unité entre les pro­tes­tants, les catho­liques et tous ceux qui croient en Jésus-​Christ, ce qui est impos­sible. Le pape pour­suit : « Il y a 25 ans, le Concile Vatican II insis­tait vive­ment sur l’urgence de ce défi de l’Eglise, oui, c’est un véri­table défi, et mes pré­dé­ces­seurs ont pour­sui­vi cette entre­prise avec une per­sé­vé­rante atten­tion par la grâce du Saint-​Esprit qui est la source divine et le garant du mou­ve­ment œcu­mé­nique. Depuis le début, telle est ma sol­li­ci­tude pour l’action pastorale ».

Pour le Pape, c’est clair, la prio­ri­té de son action pas­to­rale, c’est l’union, l’union de tous les chré­tiens. Mais com­ment la réa­li­ser ? On ne peut pas unir les contraires, l’unité doit se faire dans l’Eglise catho­lique, pas à côté, pas avec tous ceux qui ne sont pas de l’Eglise. Donc, le Pape n’a pas chan­gé, il a ces idées-​là, ce sont encore les idées du Concile, il n’y a rien à faire » (Préd. à Albias le 10 octobre 1990). Et Mgr Lefebvre concluait sou­vent ce genre de réflexions en disant : « L’Eglise a tou­jours prê­ché Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Il n’y a pas d’œcuménisme pos­sible. L’œcuménisme est faux ! Il est une fausse route ! Il est abso­lu­ment impos­sible » (Conférence du 22 mars 1986, p. 19).

VII – Le dialogue interreligieux et Mgr Lefebvre

Enfin, nous en arri­vons à la der­nière idée : son atti­tude par rap­port à ces réunions inter­re­li­gieuses. On venait de voir le Pape à la Synagogue de Rome. On venait d’assister à la Journée d’Assise en 1986. Il y voyait un risque cer­tain de lati­tu­di­na­risme, d’indifférentisme reli­gieux, plus encore une insulte à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et, bien sûr, une infi­dé­li­té de la foi au Christ Jésus. A Bruxelles, dans sa fameuse confé­rence du 22 mars 1986, Mgr Lefebvre disait au sujet de la pro­chaine visite du Pape à la Synagogue – il s’y ren­dit le 13 avril 1986 :

« Quand le Pape va se trou­ver dans la Synagogue, à quel Dieu va-​t-​il adres­ser sa prière, puisqu’il dit qu’il va prier avec les Juifs ? Je me le demande. Réfléchissez‑y un ins­tant. Demandez-​vous quel est le Dieu auquel le pape va s’adresser dans sa prière à la Synagogue. Il est impos­sible pour nous de prier avec les Juifs. Comment voulez-​vous que nous prions avec les Juifs ? Nous, nous prions tou­jours « per Christum Dominum Nostrum ». Toujours ! Il est notre Dieu. Jésus-​Christ est Dieu. Jésus-​Christ est le Verbe de Dieu fait homme. Il n’y a pas d’autre che­min que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Il l’a dit Lui-​même : « Ego sum ostium ». Je suis la porte du para­dis. Je suis la porte de la ber­ge­rie. Personne ne pour­ra entrer au Ciel s’il ne passe par moi ». C’est pour­quoi toutes nos prières, dans l’Eglise, se ter­minent tou­jours par ces mots : Per Christum Dominum Nostrum. Il est la voie de toutes nos prières. Il est notre prière, en quelque sorte. Notre-​Seigneur est notre prière, toutes nos prières passent par Lui. Comment prier Notre-​Seigneur Jésus-​Christ avec les Juifs qui n’acceptent pas Notre-​Seigneur Jésus-​Christ ? Ils le condamnent depuis qu’ils l’ont cru­ci­fié. Ils le com­battent ! Ils com­battent son Corps mys­tique. Ils ne peuvent plus com­battre contre Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui est res­sus­ci­té, bien sûr ; mais ils com­battent main­te­nant contre son Corps mys­tique qu’est l’Eglise. Depuis vingt siècles, ils sont oppo­sés fon­ciè­re­ment à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Ils ont per­sé­cu­tés tous les Juifs qui se sont conver­tis. Car il y en a eu des mil­liers qui se sont conver­tis, des cen­taines de mil­liers, après la pré­di­ca­tion des Juifs qu’étaient les Apôtres. Ceux-​ci furent même les pre­miers conver­tis ; ils ont prê­ché et ils ont conver­tis des mil­liers, des mil­liers de Juifs. Ces Juifs-​là ont été per­sé­cu­tés, mas­sa­crées. Et Paul était char­gé, avant sa conver­sion, de les enchaî­ner et de les ame­ner à Jérusalem pour qu’on les condamne et qu’on les lapide, qu’on les tue… Les Juifs ont tou­jours été oppo­sés à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Ils disent : « Il n’est pas le Messie, nous ne Le recon­nais­sons pas comme Dieu. Nous atten­dons tou­jours le Messie. A plus forte rai­son, nous ne Le recon­nais­sons pas comme Dieu. Nous atten­dons tou­jours le Messie, il n’est pas encore venu. Donc, il sera impos­sible pour le Pape de prier Notre-​Seigneur Jésus-​Christ lorsqu’il sera à la Synagogue, c’est abso­lu­ment exclu. Il ne pour­ra pas prier le vrai Dieu. Car Notre Seigneur Jésus-​Christ est Dieu, et s’il ne peut pas prier Notre Seigneur Jésus-​Christ, il ne peut pas prier le vrai Dieu. Quel Dieu va-​t-​il prier ? Je ne sais pas… C’est tout de même très grave. Nous sommes vrai­ment pla­cés devant une situa­tion invrai­sem­blable qui ne s’était jamais ren­con­trée, je crois, dans l’Histoire de l’Eglise » (pp. 7–8).

Ce dia­logue inter­re­li­gieux oblige néces­sai­re­ment à trai­ter toutes les reli­gions sur un pied d’égalité. Mais com­ment est-​ce pos­sible ? se deman­dait Mgr Lefebvre. Il ne com­pre­nait pas cette « poli­tique » vati­cane. Contre elle, il repre­nait son grand argu­ment, Notre-​Seigneur Jésus Christ. « Que doit pen­ser Notre-​Seigneur Jésus-​Christ de tout cela, Lui qui est mort sur la Croix?… Comment peut-​on mettre sur le même pied Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, Bouddha, Mahomet… Ce n’est pas pos­sible. C’est impos­sible. Car tout nous vient de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, tout, tout. Nous avons été créés par Lui, c’est Lui qui a jeté les mondes dans l’espace, c’est Lui qui nous sou­tient dans l’existence. Nous lui devons tous. Il a ver­sé son sang pour nous. Nous devons nous tour­ner vers Lui pour rece­voir les grâces dont nous avons besoin, et l’existence même. Il est le Maître de notre san­té, de nos mala­dies, de notre vie, de notre mort. Le jour où Il dira que nous devons mou­rir, nous mour­rons, et nous serons jugés par Lui. Il est le Maître. Comment pouvons-​nous ne pas nous tour­ner vers le Seigneur pour lui deman­der de don­ner la grâce de la conver­sion au monde entier… la grâce de don­ner Jésus-​Christ aux hommes…Cette crise dans l’Eglise est une crise d’une gra­vi­té incon­nue au cours de son his­toire » (p. 17). Ainsi, comme vous le voyez, Mgr Lefebvre, tout comme Mgr de Castro Mayer, fut très oppo­sé, à ces réunions inter­re­li­gieuses. C’est ensemble en effet qu’ils écri­virent au Souverain Pontife Jean-​Paul II la fameuse lettre après la jour­née d’Assise.

En voi­ci le texte :

« Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer, 2 décembre 1986 fai­sant suite à la visite de Jean-​Paul II à la Synagogue et au Congrès des Religions à Assise.

« Rome nous a fait deman­der si nous avions l’intention de pro­cla­mer notre rup­ture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise. La ques­tion nous sem­ble­rait plu­tôt devoir être la sui­vante : Croyez-​vous et avez-​vous l’intention de pro­cla­mer que le Congrès d’Assise consomme la rup­ture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ? Car c’est bien cela qui pré­oc­cupe ceux qui demeurent encore catho­liques. Il est bien évident, en effet, que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent tou­jours plus net­te­ment de leurs pré­dé­ces­seurs. Tout ce qui a été mis en œuvre pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles pas­sés, et tout ce qui a été accom­pli pour la dif­fu­ser par les mis­sion­naires, jusqu’au mar­tyre inclu­si­ve­ment, est désor­mais consi­dé­ré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire par­don­ner. L’attitude des onze Papes qui, depuis 1789 jusqu’en 1958 ont dans des docu­ments offi­ciels condam­né la Révolution libé­rale, est consi­dé­rée comme « un manque d’intelligence du souffle chré­tien qui a ins­pi­ré la Révolution ». D’où le revi­re­ment com­plet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora ves­tra et potes­tas tene­bra­rum (« C’est ici votre heure et la puis­sance des ténèbres ») (Luc 22, 52–53). Adoptant la reli­gion libé­rale du pro­tes­tan­tisme et de la Révolution, les prin­cipes natu­ra­listes de Jean-​Jacques Rousseau, les liber­tés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le prin­cipe de la digni­té humaine n’ayant plus de rap­port avec la véri­té et la digni­té morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs pré­dé­ces­seurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au ser­vice des des­truc­teurs de la Chrétienté et du Règne uni­ver­sel de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Les actes actuels de Jean-​Paul II et des Episcopats natio­naux illus­trent, d’année en année, ce chan­ge­ment radi­cal de concep­tion de la foi, de l’Eglise, du sacer­doce, du monde, du salut par la grâce. Le comble de cette rup­ture avec le magis­tère anté­rieur de l’Eglise s’est accom­pli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait fré­mir d’horreur : Jean-​Paul II encou­ra­geant les fausses reli­gions à prier leurs faux-​dieux : scan­dale sans mesure et sans pré­cé­dent. Nous pour­rions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais. Pour nous, demeu­rant indé­fec­ti­ble­ment atta­chés à l’Eglise Catholique et Romaine de tou­jours, nous sommes obli­gés de consta­ter que cette Religion moder­niste et libé­rale de la Rome moderne et conci­liaire s’éloigne tou­jours davan­tage de nous, qui pro­fes­sons la foi catho­lique des onze Papes qui ont condam­né cette fausse reli­gion. La rup­ture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI et Jean-​Paul Il, qui rompent avec leurs pré­dé­ces­seurs. Ce renie­ment de tout le pas­sé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impié­té incon­ce­vable et une humi­lia­tion insou­te­nable pour ceux qui demeurent catho­liques dans la fidé­li­té à vingt siècles de pro­fes­sion de la même foi. Nous consi­dé­rons donc comme nul tout ce qui a été ins­pi­ré par cet esprit de renie­ment : toutes les Réformes post­con­ci­liaires, et tous les actes de Rome qui sont accom­plis dans cette impié­té. Nous comp­tons avec la grâce de Dieu et le suf­frage de la Vierge fidèle, de tous les mar­tyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fon­da­teurs et fon­da­trices des Ordres contem­pla­tifs et mis­sion­naires, pour nous venir en aide dans le renou­veau de l’Eglise par la fidé­li­té inté­grale à la Tradition.

Buenos Aires, le 2 décembre 1986. S. Exc. Mgr LEFEBVRE, Archevêque-​Evêque émé­rite de Tulle S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émé­rite de Campos en par­fait accord avec la pré­sente Déclaration

VIII – Mgr Lefebvre et l’Eglise romaine

Cette lettre de Mgr Lefebvre au Pape a pour rai­son, pour prin­cipe, son amour de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, son amour de l’Eglise. Aussi je ne don­ne­rais pas le vrai visage de Mgr Lefebvre si je ne ter­mi­nais pas cet hom­mage sur sa foi en l’Eglise romaine, sur cet article de notre Credo : « Je crois en l’Eglise, une, sainte, catho­lique, apos­to­lique et romaine ». Tout pro­cède chez lui de cet amour de Rome. Il reçut sa for­ma­tion à Rome, ce qui l’a tel­le­ment mar­qué. Il l’a reçu du Père Le Floch qui déve­lop­pa en son cœur l’amour des Papes et de leurs ensei­gne­ments. C’est à Rome que Pierre a consom­mé son sacri­fice, et c’est à Pierre que Notre-​Seigneur Jésus Christ a remis son Eglise et ses tré­sors, son tré­sor de véri­tés, son Ecriture Sainte, sa Bible, la Vulgate, son Sacrifice de la Croix, per­pé­tué dans le Sacrifice de la Messe, son Eucharistie, sa Présence réelle et effec­tive sou­te­nant la marche de son Eglise au milieu d’un monde hos­tile. Notre spi­ri­tua­li­té, notre litur­gie, notre théo­lo­gie sont romaines. Elles s’expriment dans cette langue latine, langue romaine. « C’est, comme l’écrit Mgr Lefebvre dans son livre Itinéraire spi­ri­tuel, cette langue qui a por­té l’expression de la foi et du culte catho­lique jusqu’aux confins du monde. Et les peuples conver­tis étaient fiers de chan­ter leur foi dans cette langue, sym­bole réel de l’unité de la foi catho­lique. Les schismes et les héré­sies ont sou­vent com­men­cé par une rup­ture avec la Romanité, rup­ture avec la litur­gie romaine, avec le latin, avec la théo­lo­gie des Pères et des théo­lo­giens latins et romains ». Il a cette phrase for­mi­dable qui dit bien qui était Mgr Lefebvre, ce qui le por­ta dans toute sa vie : « Aimons scru­ter comme les voies de la Providence et de la Sagesse divine passent par Rome et nous conclu­rons qu’on ne peut être catho­lique sans être romain. Cela s’applique aus­si aux catho­liques qui n’ont ni la langue latine, ni la litur­gie romaine ; s’ils demeurent catho­liques, c’est parce qu’ils demeurent romains – comme les Maronites par exemple, par les liens de la culture fran­çaise catho­lique et romaine qui les a for­més » (pp. 90–91). « A nous aus­si, concluait-​il, de gar­der cette Tradition romaine vou­lue par Notre-​Seigneur Jésus-​Christ comme Il a vou­lu que nous ayons Marie pour Mère » (p. 92).

Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, la Très Sainte Vierge Marie, voi­là les trois biens de l’héritage que nous lègue Mgr Lefebvre. A nous d’y être fidèles.

Et après cela, ne croyez-​vous pas que des rai­sons peuvent jus­ti­fier son action et ses sacres.

Voilà ce qu’il nous faut étu­dier main­te­nant pour répondre aux cri­tiques de M. Yves Chiron for­mu­lées sur Mgr Lefebvre prin­ci­pa­le­ment dans son cha­pitre 11 : « 1988 : refus du schisme ».

Ch. 2. Mgr Marcel Lefebvre : un homme d’action

L’objet de ce cha­pitre sera de mon­trer que Mgr Lefebvre fut aus­si un homme d’action.

Mgr Lefebvre ne fut pas seule­ment un homme de doc­trine, une, il fut aus­si, comme le deman­dait saint Pie X, dans son ency­clique « E supre­mi apos­to­la­tus », un homme d’actions. Il uni­ra son action à sa pen­sée. Il réa­li­sa, dans son action, sa pen­sée romaine. Il ne fut pas un homme libé­ral ni uto­pique, mais réaliste.

Réaliste, il le fut dans tous les domaines de sa pensée.

A – Sur le sacerdoce.

Aimant le sacer­doce, comme nous l’avons vu, il fit tout ce qu’il fal­lait pour le défendre. Déjà en Afrique, au Gabon, il fut supé­rieur du sémi­naire des Pères du Saint Esprit. Il fut direc­teur du sémi­naire de théo­lo­gie de Mortain, en France, mai­son des Spiritains. Au sémi­naire fran­çais, dès 1964, lors de la der­nière année du Concile Vatican II, il venait sou­vent nous sou­te­nir, nous, sémi­na­ristes en dif­fi­cul­tés avec la direc­tion du sémi­naire parce que « tra­di­tio­na­listes ». Lorsqu’il nous adres­sait la parole, comme Père Conciliaire, le sujet de ses confé­rences n’était pas le Concile comme le fai­sait tous les autres évêques, mais bien uni­que­ment le sacer­doce. C’est là que j’ai com­men­cé à appré­cier sa pen­sée sur le sacer­doce. Lorsque mes confrères furent refu­sés à « la ton­sure » parce que trop « conser­va­teurs », il s’occupa d’eux, et en homme réa­liste, les confia au RP Théodocios rési­dant au dio­cèse de Gênes, sous la pro­tec­tion du car­di­nal Siri. Lorsqu’il consta­ta qu’il n’était plus pos­sible, vrai­ment, de rece­voir une bonne for­ma­tion sacer­do­tale à Rome, et qu’il fut libre de la direc­tion de sa Congrégation, ayant démis­sion­né, il déci­da de faire une fon­da­tion en la ville de Fribourg en Suisse, près de l’université des domi­ni­cains, jouis­sant encore de la pré­sence de quelques bons pro­fes­seurs, le Père Spicq, en Ecriture Sainte, le Père Nicolas en dogme….

J’ai assis­té moi-​même à la réunion où il prit la déci­sion de ren­con­trer l’évêque du lieu, Mgr Charrières, – il n’aurait rien fait sans son auto­ri­sa­tion. Il res­pec­tait tou­jours le droit de l’Eglise et ne fai­sait jamais rien contre, pour lui deman­der l’autorisation de créer un « convict sacer­do­tal ». J’étais en per­mis­sion mili­taire, étant venu à Fribourg pour visi­ter le car­di­nal Journet et lui deman­der conseil. Ce devait être juste après les fêtes pascales.

Cette réunion eut lieu dans la biblio­thèque pri­vée de M. le pro­fes­seur Faÿ, rue du » Vieux Fribourg ». Il y avait outre le pro­fes­seur et Mgr Lefebvre, le RP Marie Dominique Philippe, le RP abbé d’Auterive, un repré­sen­tant du minis­tère confé­dé­ral de l’éducation, M l’abbé Pierre Piquet, sémi­na­riste romain et votre ser­vi­teur. La conver­sa­tion por­tait sur la situa­tion du sacer­doce, l’absence de for­ma­tion spi­ri­tuelle, la trop grande liber­té accor­dée dans les sémi­naires. Toutes les per­sonnes pré­sentes encou­ra­geaient Mgr Lefebvre à faire quelque chose pour le sacer­doce, pour sau­ver la for­ma­tion sacer­do­tale. C’est suite à cette longue réunion, dans l’après-midi, qui s’est tenu dans cette belle pièce du Professeur Faÿ domi­nant la val­lée de la Sarine, que Mgr Lefebvre déci­da d’aller visi­ter l’Evêque de Fribourg. Il le connais­sait bien car il l’avait invi­té à Dakar pour visi­ter ses prêtres au Sénégal.

Cette ren­contre eut lieu le len­de­main de notre réunion. L’autorisation lui fut don­née. En homme réa­liste, il loua deux étages d’une pen­sion salé­sienne, au 106 route de Marly. Fort de cet accord, il adres­sa à quelques sémi­na­ristes qui s’étaient fait connaître de lui, dont le jeune Tissier de Mallerais – qui lui fut pré­sen­té par le RP Luc Lefebvre, direc­teur de « la Pensée Catholique » -, et moi-​même, une belle lettre où écla­tait déjà tout son idéal sacer­do­tal. C’était une lettre pleine d’amour de NSJC. « Il s’agit de faire de vous d’autre Christ ». Le prêtre n’est-il pas un « alter Christus ». C’était les pre­mières paroles qu’il nous adres­sait sur le sacer­doce. Je n’ai pas mis long­temps à me décider…Les vacances arri­vées et libé­ré de mes obli­ga­tions mili­taires, en sep­tembre 1969, je suis allé cher­cher mes affaires à Rome et reve­nais juste pour la ren­trée des cours. Je fus accueilli par le jeune Bernard Tissier de Mallerais, ancien étu­diant en sciences natu­relles. Mgr Lefebvre était au milieu de nous…Quelle joie et quel honneur.

En cette année uni­ver­si­taire, 1969–1970, nous sui­vions les cours à l’université des Dominicains, soit en phi­lo­so­phie soit en théo­lo­gie, selon nos niveaux res­pec­tifs. Nous étions neuf (9). Cette année fut dif­fi­cile, Mgr Lefebvre était sou­vent malade, sou­vent absent. C’est le Père Guérard des Lauriers (OP) qui venait le rem­pla­cer ou le RP Rivière, père des Coopérateurs du Christ Roi. Quelques pères ont pro­po­sé leur ser­vice, au fil de l’année, pour assu­rer la direc­tion du sémi­naire : un ancien aumô­nier du col­lège de la Flèche, pré­sen­té, je crois, par le colo­nel Pellaboeuf qui avait un fils au Convict. Il était bien « gen­til » mais vou­lait nous faire quit­ter la sou­tane pour que nous nous adap­tions mieux au milieu uni­ver­si­taire que nous fré­quen­tions… Vous ima­gi­nez ! Tous les can­di­dats sémi­na­ristes n’étaient pas non plus de niveau… Sur neuf, nous res­te­rons à peine quatre à la fin de l’année…

Constatant la fai­blesse des carac­tères, Mgr Lefebvre déci­da de créer une « année de spi­ri­tua­li­té ». Il ne crai­gnait pas les nouveautés…Il s’avait innover.

Cette année de spi­ri­tua­li­té se fit à Ecône, dans une mai­son des cha­noines du Grand Saint Bernard qu’ils venaient de vendre et qui avaient été ache­tée par un groupe de catho­liques fer­vents, dont plu­sieurs étaient « Chevaliers de Notre Dame ». C’est un dimanche soir, alors que nous étions à la Chartreuses de la Valsainte, pour chan­ter les Vêpres avec les moines, que Mgr Lefebvre ren­con­tra Maître Lovey, avo­cat, membre du Conseil d’Etat du Valais. A la sor­tie des Vêpres, Il lui rap­pe­la que la pro­prié­té d’Ecône était tou­jours à sa dis­po­si­tion. Quelques jours plus tard, Mgr Lefebvre me deman­da de le conduire en Valais, auprès du groupe de pro­prié­taires, le Curé de Riddes, paroisse sur le ter­ri­toire de laquelle se trou­vait la mai­son d’Ecône, était pré­sent, pour visi­ter la pro­prié­té. Nous avons eu un bon repas, joyeux, comme savent le faire les valai­sans. Au cours de ce repas, le frère de M. Pédroni pro­phé­ti­sa : « d’Ecône, on en par­le­ra dans le monde entier ». Il ne se trom­pait pas…

Dès la déci­sion prise, avec, là encore, l’autorisation de Mgr Adam, évêque de Sion, Mgr Lefebvre se mit en quête du corps pro­fes­so­ral. La ren­trée était pré­vue pour octobre 1970. Il ne fal­lait pas perdre de temps. C’est M. l’abbé Masson qui en fut le pre­mier direc­teur. Il hési­ta entre M. l’abbé Masson et M. l’abbé Gottlieb, M. l’abbé Michel en fut l’économe, – il tenait à ce que les éco­nomes de mai­sons soient des ecclé­sias­tiques…- les reli­gieuses de Pontcallec assu­re­ront les ser­vices divers, cui­sine, linges…. Il fal­lait réflé­chir sur les matières à ensei­gner. Il ne crai­gnit pas de deman­der conseils. Le 16 août 1970, alors qu’il était venu aima­ble­ment visi­ter mes parents, je le condui­sis, avec la voi­ture de mon père, à Fontgombault. Nous sommes arri­vés à l’heure du repas et nous avons pas­sé une bonne par­tie de l’après-midi, j’y étais, avec le Père Maître des Novices du monas­tère, Dom Marc ; il réflé­chis­sait sur les sujets à ensei­gner : un cours sur le Magistère de l’Eglise. Ce qu’il avait reçu du Père Le Floch au sémi­naire fran­çais, il vou­lait le don­ner à ses futurs prêtres ; un cours de litur­gie, un cours de doc­trine, un cours de Patrologie, un cours sur la messe…Il n’était pas ques­tion d’étudier ni la phi­lo­so­phie ni expres­sé­ment la théo­lo­gie. Il fal­lait don­ner une for­ma­tion géné­rale et étu­dier les carac­tères et la voca­tion des can­di­dats. Et quand je pense que dans un sémi­naire le corps pro­fes­so­ral vou­lut intro­duire « un cours de logique ». C’était déna­tu­rer l’esprit que Mgr Lefebvre vou­lait intro­duire dans cette année de spiritualité.

Réaliste, Il aimait le sacer­doce, et fit tout pour le sau­ver. Je vous l’ai démontré.

Réaliste, il le fut dans tous les domaines de sa pensée.

B – Sur la sainte Messe.

Il fut au cœur de la rédac­tion de l’étude que l’on appe­la : « le Bref Examen Critique », un ensemble de cri­tiques doc­tri­nales et litur­giques du nou­vel « Ordo Missae de Paul VI ». Mgr Tissier de Mallerais, dans son livre sur Mgr Lefebvre, a bien pré­sen­té son action en cette affaire. Il prit offi­ciel­le­ment posi­tion pour la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, en mai ou juin 1971 dans une confé­rence qu’il fit d’abord à Ecône, au corps pro­fes­so­ral et aux sémi­na­ristes, puis, le len­de­main, à Fribourg, pour les « théo­lo­giens ». Il ne crai­gnait pas de don­ner de sa per­sonne. Le sujet était impor­tant. La messe est le bien le plus impor­tant de l’Eglise parce que le Sacrifice est le bien cen­tral de NSJC. Ce fut son « heure ». Le mys­tère de l’Incarnation est pour la Rédemption, parce que la Croix est pour le salut des âmes. Le sacer­doce se défi­nit dans sa rela­tion à la sainte Eucharistie. Elle en est la rai­son. « Faites ceci en mémoire de moi ». Elle est son bien. Ainsi défendre la sainte Eucharistie, le Sacrifice eucha­ris­tique, c’est défendre le sacer­doce. « Toucher » à l’Eucharistie, c’est « tou­cher » au Sacerdoce. En modi­fier le sens, en faire plus un repas qu’un sacri­fice, le sacri­fice du Christ, c’est modi­fier le sens du sacer­doce. Mgr Lefebvre se dres­sa de toutes ses forces, on le com­prend, contre cette réforme litur­gique de Paul VI. Il fut le grand sau­veur de ce bien…Il faut savoir l’en remer­cier et gar­der grande estime et vénération.

Il fut au cœur de la lettre que les Cardinaux Ottaviani et Bacci adres­sèrent au Souverain Pontife, Paul VI. Ils concluaient que « cette réforme litur­gique s’éloignait dans l’ensemble comme dans le détail de la doc­trine catho­lique sur le saint sacri­fice de la Messe défi­nie pour tou­jours par le Concile de Trente ». C’est lui qui alla la pré­sen­ter à plu­sieurs car­di­naux pour en obte­nir la signa­ture… Réaliste dans son action, il ne crai­gnit pas de s’opposer aux pro­pos tenus par le Pape au Consistoire de juin 1974, où il vou­lait, rien moins, qu’interdire la célé­bra­tion de « la messe de tou­jours » parce qu’abolie. Comment inter­dire une cou­tume immé­mo­riale dans l’Eglise ? Il y avait mani­fes­te­ment « un abus de pou­voir », « un abus de droit ». Mgr Lefebvre le fit remar­quer très for­te­ment. Saint Pie V, lui, en son temps, res­pec­ta, lors de sa « réforme », les rites litur­giques qui pou­vaient jouir d’une ancien­ne­té de 200 ans d’existence dans l’Eglise. C’est ain­si que nous avons encore dans l’Eglise, les rites ambro­sien, lyon­nais, domi­ni­cain, cartusien…Une cou­tume immé­mo­riale ne peut être abo­lie que par un ordre expresse…ordre que l’on ne trouve nul­le­ment dans la consti­tu­tion « Missale roma­num » qui publia le nou­vel Ordo Missae. M l’abbé Dulac le fit remar­quer à l’époque. Ses études doc­tri­nales et cano­niques étaient publiées dans « Itinéraires » et « le Courrier de Rome » dans ce sens. Mgr Lefebvre en encou­ra­geait for­te­ment la lec­ture. Il vou­lait que ces études soient dans les mains de tous les sémi­na­ristes. Il me l’écrivit per­son­nel­le­ment alors que j’étais supé­rieur du District de France. En ce domaine litur­gique, il résis­ta jusqu’au bout, jusqu’au sacre, le 30 juin 1988. Il sut résis­ter à l’injustice. Il jouis­sait par­ti­cu­liè­re­ment de la ver­tu de force. Il pra­tique cette ver­tu jusqu’à l’héroïsme. C’est une marque de sain­te­té. On lui repro­cha ces sacres. Nous allons le voir plus bas. Yves Chiron, voire ses com­man­di­taires, y voit un acte schismatique…

Ainsi homme réa­liste, fort de son bon droit il res­ta atta­ché, sans crainte et sans reproche, à la messe de tou­jours quoi qu’il lui en coûta….Et il lui en coû­ta beaucoup…Sans sa résis­tance opi­niâtre, la messe « dite de Saint Pie V » n’existerait plus dans l’Eglise. Le Motu Proprio Summorum Pontificum n’aurait jamais vu le jour. Et lorsque je vois tant de belles per­son­na­li­tés, car­di­naux, évêques, pères abbés… s’exprimer, aujourd’hui, sur ce Motu Proprio sans jamais pro­non­cer, une seule fois, le nom de Mgr Marcel Lefebvre, si non pour le condam­ner, j’en suis révol­té. (Cf le col­loque du 10ème anni­ver­saire de Summorum Pontificum). C’est une véri­table mal­hon­nê­te­té intel­lec­tuelle, une véri­table injus­tice. Il faut répa­rer. C’est jus­tice. Cela jus­ti­fie ample­ment ma nou­velle chro­nique sur mon site ITEM : « Un disciple ».

La pres­sion se fit très forte alors contre son œuvre sacer­do­tale, contre son sémi­naire. Il fal­lait fer­mer ce sémi­naire que l’on décré­ta de « sau­vage ». (Mgr Etchegaray) L’épiscopat fran­çais s’y employa, aidé par le Secrétaire d’Etat, le car­di­nal Villot et le car­di­nal Garonne. Une visite cano­nique fut orga­ni­sée. Elle eut lieu le 11 novembre 1974. Elle est assu­rée par Mgr Déclin et Mgr Onchan. En atten­dant leur visite, le 11 novembre au matin, Mgr Lefebvre me dit, nous mar­chions le long du cou­loir d’entrée : « j’aurais pré­fé­ré mou­rir plu­tôt que de me trou­ver en oppo­si­tion avec Rome ». C’étaient des pro­pos venant d’un vrai cœur romain. Il fit son devoir ! Et on ose le trai­té de schismatique…Non ! Au cours de la visite, ces pré­lats tinrent des pro­pos tel­le­ment scan­da­leux que Mgr Lefebvre, en conscience, écri­vit une décla­ra­tion : la Déclaration du 21 novembre 1974 où il affir­ma, en homme réa­liste, son atta­che­ment à la Rome éter­nelle et son refus de la Rome moder­niste et de ses réformes « toutes » impré­gnées de l’esprit pro­tes­tant et moder­niste. C’était très abso­lu. Il ne vou­lut jamais en chan­ger les termes, mal­gré les pres­sions. Il recon­nut seule­ment l’avoir écrite un peu dans « l’émotion ». On le com­prend. Les pro­pos enten­dus étaient tel­le­ment scan­da­leux, rien moins que la néga­tion de la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de Notre Dame…

Homme réa­liste, homme de foi, par­fai­te­ment cohé­rent avec sa pen­sée sur le sacer­doce et sur la messe, il confé­re­ra, mal­gré l’interdiction qui lui en fut faite, l’ordination sacer­do­tale en juin 1976 à de nom­breux diacres, per­sua­dé que cette inter­dic­tion n’avait pour rai­son que son atta­che­ment à la messe tridentine…il ira jusqu’au bout de cet amour et de son bon droit…N’eût-il pas rai­son ? Le pape Benoît XVI ne déclara-​t-​il pas le 7 juillet 2007, 31 ans après… que cette messe tri­den­tine n’avait jamais été abo­lie et qu’il était donc bien légi­time de la célé­brer. L’interdire était, par consé­quent, vrai­ment un abus de droit…Toutes les sanc­tions cano­niques qui s’en sui­virent, étaient donc bien illé­gales, nulle de plein droit. Ce fut la posi­tion irré­fra­gable du prélat…La Bulle Quo pri­mum tem­pore n’a, de fait, jamais été abo­li. Et elle recon­nais­sait un droit à tout prêtre de célé­brer cette messe dans toutes les églises catho­liques sans risque d’encourir jamais la moindre sanc­tion… Le bon droit de Mgr Lefebvre était évident, total, hier comme aujourd’hui. Et mal­gré cela, cer­tains – et pour­quoi ne pas les nom­mer, les moines de Dom Gérard, Dom Gérad lui-​même – osent, osaient contes­ter son « sen­sus eccle­siae » et ne cessent de par­ler à lon­gueur de pages du récent livre sur Dom Gérard par Yves Chiron, Yves Chiron s’en fai­sant l’écho sans aucune nuance – du schisme qu’il com­mit déjà en 1976 , et sur­tout en 1988…par les sacres. Ils ne com­prennent donc pas que c’est uni­que­ment par amour de l’Eglise et de son bien suprême qu’est la messe de NSJC, que Mgr Lefebvre agis­sait comme il le fit. Je me dois de prendre en tant que dis­ciple de Mgr Lefebvre sa défense et de pro­tes­ter for­te­ment contre ses allé­ga­tions fausses. Oh ! comme les pages de ce livre, à par­tir des pages rela­tant la situa­tion ecclé­siale après 1988 sont mal­heu­reuses dans beau­coup de leurs affir­ma­tions : schisme, perte du sens de l’Eglise……C’est le Père Basile qui fut au chœur de bien des nou­velles posi­tions prises par Dom Gérard, avant et après les sacres…Mais se souvient-​on qu’il avait publié un article « savant » dans la NEF, dans lequel il affir­mait que la Bulle Quo Primum tem­pore, si elle n’avait pas été « abro­gée », avait du moins été « obro­gée »…Ce qui reve­nait au même, elle avait été interdite…Heureusement le pape Ratzinger réta­blit la véri­té quelques temps après…De belle culture uni­ver­si­taire, ce moine manque peut-​être de jugement…et du vrai sens de l’Eglise, du Sensus fidei… ? Je le fai­sais remar­quer à Jean Madiran…quand il venait me saluer.

Homme réa­liste, il refu­sa tou­jours d’être consi­dé­ré comme le « lea­der des tra­di­tio­na­listes ». Il avait hor­reur de cette « expres­sion ». Il n’accomplissait que « sa fonc­tion d’évêque ». Ne vou­lant pas nous lais­ser « orphe­lins » sachant très bien que ses sémi­na­ristes ne trou­ve­raient aucun évêque de par le monde, qui accep­te­rait de les ordon­ner, le car­di­nal Villot ayant bien pré­ci­sé qu’il ne fal­lait don­ner aucune lettre dimis­so­riale à la FSSPX qui, du reste, était cen­sée ne plus exis­ter… il déci­da de sacrer quatre des « nôtres ». Et si les « autres », ceux qui l’ont quit­té, trou­vèrent à l’époque des évêques consé­cra­teurs, ce n’était que dans un esprit d’opposition à son œuvre, pour les atti­rer plus faci­le­ment loin de lui. Il ne fal­lait entre­te­nir aucune rela­tion avec lui. « Nullam par­tem ». Ce « nul­lam par­tem », odieux, de la lettre « Quattuor abhic annos » (1974) se retrou­vait tou­jours dans les notes du Motu Proprio : Ecclesia Dei adflic­ta (1988) pris par Jean-​Paul II, à la suite des sacres (juillet 1988), comme, du reste, dans la lettre aux évêques accom­pa­gnant l’envoi de la Bulle Summorum Pontificum. Ces départs furent « le péché ori­gi­nel » des com­mu­nau­tés « Ecclesia Dei adflic­ta ». Je ne peux l’oublier. Mais c’est là qu’il faut dire : « que font-​ils du droit » ? Le salut des âmes n’est-il pas la pre­mière loi de l’Eglise, comme le rap­pe­lait si sou­vent Mgr Lefebvre ? Et la messe ancienne avait-​elle été abo­lie ? Benoît XVI dit que « non ». Qui eut rai­son ? De plus, tous unis, comme en juin 1976, nous aurions été plus forts et nous aurions davan­tage obte­nu en 1988, de la Rome « conci­liaire » qu’en mar­chant en ordre dis­per­sé…. Mais on ne refait pas l’histoire…

Oui ! Dans cer­tains milieux de la Tradition, on regret­ta beau­coup ces sacres. Dom Pateau, Père Abbé de Fontgombeault, vient même de les décla­rer « acte mal­heu­reux ». (Rome 14 sep­tembre 2017). Non ! C’est faux. Je reste convain­cu que les Sacres de 1988 et l’excommunication – injuste – qui s’en sui­vit, sont à l’origine de la réac­tion de Rome en matière litur­gique. C’est seule­ment après ces sacres que les car­di­naux Ratzinger et Stikler tinrent, de fait, confé­rences, dis­cours, homé­lies, livres, tous en faveur de la litur­gie ancienne lan­çant l’idée de la « Réforme de la Réforme ». C’est le car­di­nal Ratzinger qui don­na le ton dès sa confé­rence au Chili en juillet 1988, devant l’épiscopat chi­lien. Il reprit cette idée devant les moines de Fontgombault en juillet 1998. (Sur ce sujet, voir mon livre en pré­pa­ra­tion : Histoire de la messe inter­dite).

Par son action si ferme et si cohé­rente avec sa doc­trine, Mgr Lefebvre fai­sait « recon­naître » et « res­pec­ter » les droits de Dieu, les droits de la Messe. Il les met­tait en œuvre. Il en assu­rait l’avenir… Il avait hor­reur du libé­ra­lisme. Il res­pec­tait l’être his­to­rique de l’Eglise. Qui a per­du le sen­sus eccle­siae ? Comme l’écrivait François Brigneau « Mgr Lefebvre incarne les ver­tus capi­tales : la luci­di­té et le cou­rage d’aller jusqu’au bout de ses cer­ti­tudes dans la séré­ni­té et la sim­pli­ci­té » (pour saluer Mgr Lefebvre p. 19)

C – L’œcuménisme, le dialogue interreligieux.

Il était réa­liste. Lorsque le pape Jean-​Paul II convo­qua la réunion d’Assise en 1986, il ne crai­gnit pas de s’élever contre cette déci­sion. C’était le prin­cipe qu’il condam­na et pas seule­ment le dérou­le­ment scan­da­leux que l’on consta­ta. Il adres­sa, là encore, une très belle lettre, pour l’honneur de Notre Seigneur et pour l’honneur de la papau­té. N’ayant pu obte­nir une seule réac­tion car­di­na­lice, avec Mgr de Castro Mayer, hon­neur à lui, il écri­vit une magni­fique pro­tes­ta­tion de foi, la céré­mo­nie accomplie.

La voi­là. C’est un docu­ment his­to­rique que la nou­velle géné­ra­tion doit connaître.

Déclaration de Mgr Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer fai­sant suite à la visite de Jean-​Paul II à la Synagogue et au congrès des reli­gions à Assise

Rome nous a fait deman­der si nous avions l’intention de pro­cla­mer notre rup­ture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise.

La ques­tion nous sem­ble­rait plu­tôt devoir être la sui­vante : Croyez-​vous et avez-​vous l’intention de pro­cla­mer que le Congrès d’Assise consomme la rup­ture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ? Car c’est bien cela qui pré­oc­cupe ceux qui demeurent encore catho­liques. Il est bien évident en effet que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent tou­jours plus net­te­ment de leurs pré­dé­ces­seurs. Tout ce qui a été mis en œuvre pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles pas­sés, et tout ce qui a été accom­pli pour la dif­fu­ser par les mis­sion­naires, jusqu’au mar­tyre inclu­si­ve­ment, est désor­mais consi­dé­ré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire pardonner.

L’attitude des onze Papes qui depuis 1789 jusqu’en 1958 ont, dans des docu­ments offi­ciels, condam­né la Révolution libé­rale, est consi­dé­rée comme « un manque d’intelligence du souffle chré­tien qui a ins­pi­ré la Révolution ». D’où le revi­re­ment com­plet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre-​Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora ves­tra et potes­tas tene­bra­rum (c’est ici votre heure et la puis­sance des ténèbres) (Luc XXII 52–53).

Adoptant la reli­gion libé­rale du pro­tes­tan­tisme et de la Révolution, les prin­cipes natu­ra­listes de J‑J. Rousseau, les liber­tés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le prin­cipe de la digni­té humaine n’ayant plus de rap­port avec la véri­té et la digni­té morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs pré­dé­ces­seurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au ser­vice des des­truc­teurs de la Chrétienté et du Règne uni­ver­sel de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Les actes actuels de Jean-​Paul II et des Episcopats natio­naux illus­trent d’année en année ce chan­ge­ment radi­cal de concep­tion de la foi, de l’Eglise, du sacer­doce, du monde, du salut par la grâce. Le comble de cette rup­ture avec le magis­tère anté­rieur de l’Eglise s’est accom­pli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait fré­mir d’horreur : Jean-​Paul II encou­ra­geant les fausses reli­gions à prier leurs faux dieux : scan­dale sans mesure et sans précédent.

Nous pour­rions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais. Pour nous, demeu­rant indé­fec­ti­ble­ment atta­chés à l’Eglise Catholique et Romaine de tou­jours, nous sommes obli­gés de consta­ter que cette Religion moder­niste et libé­rale de la Rome moderne et conci­liaire s’éloigne tou­jours davan­tage de nous, qui pro­fes­sons la foi catho­lique des onze Papes qui ont condam­né cette fausse reli­gion. La rup­ture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI et Jean-​Paul Il, qui rompent avec leurs prédécesseurs.

Ce renie­ment de tout le pas­sé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impié­té incon­ce­vable et une humi­lia­tion insou­te­nable pour ceux qui demeurent catho­liques dans la fidé­li­té à vingt siècles de pro­fes­sion de la même foi. Nous consi­dé­rons donc comme nul tout ce qui a été ins­pi­ré par cet esprit de renie­ment : toutes les Réformes post-​conciliaires, et tous les actes de Rome qui sont accom­plis dans cette impiété.

Nous comp­tons avec la grâce de Dieu et le suf­frage de la Vierge fidèle, de tous les mar­tyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fon­da­teurs et fon­da­trices des Ordres contem­pla­tifs et mis­sion­naires, pour nous venir en aide dans le renou­veau de l’Eglise par la fidé­li­té inté­grale à la Tradition.

Buenos Aires, le 2 décembre 1986.

S. Exc. Mgr LEFEBVREArch.-Evêque émé­rite de Tulle

S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émé­rite de Campos en par­fait accord avec la pré­sente Déclaration

D – Les sacres

Les sacres furent l’ultime action de Mgr Lefebvre. Son der­nier com­bat. J’ose même écrire, sa gloire. Voilà com­ment il faut les com­prendre. Je me sou­viens de ses paroles le jour des sacres :

« Le pro­to­cole venait à peine d’être signé que, le jour même, on me remet­tait une lettre…Je devais deman­der par­don de mes erreurs…Je devais recon­naître la véri­té du Concile…Mais la véri­té du Concile nous n’en vou­lons pas…pour rien au monde….Aussi en atten­dant que la Tradition retrouve sa place…en atten­dant que la Tradition retrouve ses droits à Rome…J’ai déci­dé cette opération-survie…Ne rien faire eût été une opération-​suicide. »

Je me sou­viens de sa voix. Elle était calme et sereine…. « Je ne pou­vais lais­ser les sémi­na­ristes orphe­lins, en dis­pa­rais­sant sans rien faire. Nous avons donc choisi ».

Des applau­dis­se­ments ont écla­té. Ceci a fort déplu à Dom Gérard. Il en fut même « indis­po­sé », nous dit Yves Chiron. Il quit­ta la céré­mo­nie (p. 486)….Pourtant rien de plus romain…C’est le ton déci­dé « de ce vieil évêque, condam­né à être rebelle par fidé­li­té » (Brigneau Pour saluer Mgr Lefèbvre p. 12) qui les a pro­vo­qués. Il rap­pelle briè­ve­ment la situa­tion de l’Eglise, de la réunion d’Assise, de son ini­qui­té. Il voit le pape humi­lié. Il évoque la pro­phé­tie de Quito annon­çant « l’Eglise en situa­tion de catas­trophe » et « l’arrivée d’un pré­lat au pied du rocher, qui s’opposera en pré­ser­vant la Tradition ». Autre scan­dale pour Dom Gérard. Il par­le­ra des appa­ri­tions de La Salette, du troi­sième secret de Fatima que Jean XXIII se refu­se­ra à révé­ler. Il rap­pelle aus­si les qua­torze années qui viennent de s’écouler. Sa Déclaration du 21 novembre 1974. Son amour de la Rome éter­nelle. Son refus de la Rome conci­liaire. En consé­quence il fut consi­dé­ré comme « rebelle et dis­si­dent ». Cela n’a pas empê­ché le car­di­nal Gagnon, envoyé pon­ti­fi­cal, d’assister à sa messe, le 8 décembre 1987…La messe dite par un « sus­pens ». Il rece­vait en ce jour les enga­ge­ments de nom­breux membres de la FSSPX dans une Fraternité que Rome avait sup­pri­mée, le car­di­nal assis­tant à tout cela en mosette, (habit de chœur) … ». Aujourd’hui nous sommes condamné…un jour pro­chain on nous féli­ci­te­ra d’avoir main­te­nu la foi »…disait Mgr Lefebvre.

Certes, les sacres, selon la pres­crip­tion du droit canon (can 953) sont réser­vés au Souverain Pontife [4]. C’est pour­quoi il est néces­saire d’avoir un man­dat du saint Siège. D’où la pre­mière ques­tion pla­cée au début de la cérémonie

- Avez-​vous un man­dat apos­to­lique ? demande l’évêque consécrateur.

- Nous l’avons, répond le pre­mier assistant

- Qu’on le lise.

Comprenez donc la pen­sée de Mgr Lefebvre. Nous l’avons de par l’Eglise romaine, tou­jours fidèle à la sainte Tradition qu’elle a reçue des Apôtres, fait-​il dire. Cette Tradition, c’est le dépôt de la foi, que l’Eglise nous pres­crit de trans­mettre fidè­le­ment à tous les hommes pour le salut de leur âme…Depuis le Concile Vatican II, jusqu’à aujourd’hui, les auto­ri­tés de l’Eglise romaine sont ani­mées de l’esprit moder­nisme. Elles ont agi en l’encontre de la sainte Tradition. « Elles ne sup­portent pas la saine doc­trine »…. « Elles détourent l’oreille de la véri­té pour se tour­ner vers des fables », comme le dit Saint Paul à Timothée. C’est pour­quoi nous esti­mons sans valeur aucune toutes les peines et toutes les cen­sures por­tées par ces auto­ri­tés contre nous. Quelle mâle assurance !

« Quant à moi, tan­dis que je suis offert en sacrifice…et que le moment de mon départ est arrivé….j’entends l’appel des âmes qui demandent que leur soit don­né le pain de vie…Le pain de vie qui est le Christ…J’ai pitié de cette foule, disait NSJC….Ce m’est donc une grave obli­ga­tion de trans­mettre la grâce de mon épis­co­pat aux chers prêtres qui sont ici…afin qu’ils puissent à leur tour confé­rer la grâce sacer­do­tale à d’autres clercs nom­breux, ins­truits selon les saintes tra­di­tions de l’Eglise Romaine….C’est de par ce man­dat de la sainte Eglise, tou­jours fidèle, qu’avec Mgr de Castro Mayer nous éli­sons à l’épiscopat les prêtres ici pré­sents comme auxi­liaires de la FSSPX.
Avez-​vous compris ?

C’est ain­si – par ces sacres – que Mgr Lefebvre arrê­tait défi­ni­ti­ve­ment « l’aggiornamento » conci­liaire per­met­tant à la Tradition de se pour­suivre…. Avec Mgr de Castro Mayer, il a empê­ché par son action, par sa réac­tion, que le « glis­se­ment » se fasse en cati­mi­ni. Par ces sacres, il a dénon­cé la « mue » à voix haute. Mgr Bunigni, dans sa réforme litur­gique chan­geait le sens de la messe ; ce n’était plus le sacri­fice de NSJC, mais un repas, une réunion du peuple sous l’autorité du prêtre, une cène protestante…une simple com­mé­mo­ra­tion, comme bien des « messes » aujourd’hui ou concé­lé­bra­tions. La méta­mor­phose se serait accom­plie en dou­ceur, sans dou­leurs ni cris, sans même qu’en prit conscience le peuple chlo­ro­for­mé. Mais Mgr Lefebvre a mis le « holas ». Il a « réveillé » les âmes et tout autant Rome par les « sacres ».Il a empê­ché que la reli­gion révé­lée soit esca­mo­tée. On ne le lui par­don­ne­ra pas. Il sera excom­mu­nié. Il fal­lait le chas­ser puisqu’il empê­chait que l’Eglise soit vidée de son Esprit. Voilà la rai­son de la haine qui entoure son action, ses sacres.

Mgr Lefebvre, sou­te­nu par Mgr de Castro Mayer, avait acquis la convic­tion, nour­rie par des exemples nom­breux, des faits, des posi­tions, des atti­tudes – l’événement d’Assise ne fut des moindres -, que l’Eglise ne vou­lait plus gagner la guerre pour­sui­vie contre elle, depuis des siècles, par le moder­nisme et la Révolution. (Voir plus haut). Ce constat annon­çait la tra­hi­son de la Tradition qui se dérou­lait sous ses yeux. Or pour Mgr Lefebvre, la meilleure arme et la meilleure armure de l’Eglise, son cœur et son bras était la Tradition. Celle-​ci n’occupait plus dans l’Eglise conci­liaire la place qu’elle aurait dû occu­per. Il conve­nait de par­ler haut et clair, le plus haut et le plus clair qu’il fût pos­sible, afin qu’elle la retrou­vât. Les sacres en étaient le moyen. « Le Bon Dieu a vou­lu la Tradition. Je suis inti­me­ment convain­cu que la Fraternité repré­sente le moyen que le Bon Dieu a vou­lu pour gar­der et main­te­nir la foi, la véri­té de l’Eglise et ce qui peut être encore sau­vé dans l’Eglise » (Fideliter n. 79 ). J’en fus tou­jours convain­cu et le suis encore même si on m’a mis dehors injustement…Dès lors le devoir était tout tra­cé et rien ni per­sonne n’aurait pu empê­cher Mgr Lefebvre de le suivre jusqu’au bout ‑sauf Dieu. C’est ce qui lui don­na cette force hors du com­mun, cette résis­tance à toute épreuve, et cette séré­ni­té dans l’adversité. Voilà la rai­son des sacres.

Ch. 3. Plaidoyer pour Mgr Lefebvre

Dans ce cha­pitre je m’adresse à la hié­rar­chie catho­lique et plaide en faveur de Mgr Lefebvre, plaide sa réha­bi­li­ta­tion dans l’Eglise. Que son nom soit hono­ré et même que sa sain­te­té soit reconnue !

Éminences,

Permettez-​moi de m’adresser à vous en toute sim­pli­ci­té de cœur, en toute loyau­té, dans un esprit filial. Permettez-​moi de vous expri­mer mon éton­ne­ment, ma sur­prise, mon inquié­tude… de cette manière, dans une « lettre ouverte », mon éton­ne­ment sur un point pré­cis : la condam­na­tion de Mgr Lefebvre. Je ne com­prends pas que vous ne réexa­mi­niez pas cette « affaire ». C’est la rai­son de ce plai­doyer, Éminences.

Vous savez très bien qu’il fut un grand pré­lat, un grand mis­sion­naire. Délégué apos­to­lique en Afrique fran­co­phone, il fut le grand défen­seur de l’Église en terre afri­caine. Il lais­sa, à son départ, une œuvre extra­or­di­naire. Tout le monde le recon­naît. Tout cela pos­tule en sa faveur.

Revenu en France, nom­mé par le Pape Jean XXIII, Archevêque- évêque de Tulle, il se mit à la tâche sans amer­tume, avec le même zèle qu’en Afrique. Une seule chose comp­tait pour lui : le ser­vice de l’Église dans la fidé­li­té au Souverain Pontife et à la Tradition. À peine nom­mé à Tulle, il fut élu, par ses pairs, supé­rieur géné­ral de la Congrégation des Pères du Saint-​Esprit, une congré­ga­tion forte de plus de 5000 membres, répan­due dans le monde.

Le Concile œcu­mé­nique de Vatican II fut alors convo­qué par le Pape Jean XXIII. En tant que Supérieur géné­ral, il par­ti­ci­pa aux séances pré­pa­ra­toires du Concile. Il nous racon­tait tout cela… lorsque nous eûmes la grâce de le connaître, d’abord à Rome, puis ensuite à Écône.

Douloureusement affec­té par la crise sacer­do­tale, par l’effondrement des voca­tions, en Occident, et par la perte du sens sacer­do­tal, libé­ré de toute res­pon­sa­bi­li­té – il avait don­né sa démis­sion, Rome le lui conseillait – il déci­da, enfin, de tout faire pour lut­ter contre. Il fon­da son sémi­naire à Fribourg avec l’autorisation épis­co­pale de Mgr Charrière, avec les encou­ra­ge­ments du Cardinal Journet. Il créa son ins­ti­tut sacer­do­tal : la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, tou­jours avec l’approbation de Mgr Charrière, évêque de Fribourg-​Lausanne-​Genève. Quelle joie fut la sienne lorsqu’il reçut le décret de l’Évêque ! Une joie toute sur­na­tu­relle, Éminences.

Il nous apprit la gran­deur du sacer­doce, son rôle, son sens. Il nous fit appré­cier le tré­sor de la messe, de la messe catho­lique. Il nous en rap­pe­la la fina­li­té, les fruits, son impor­tance et pour le prêtre et pour le chré­tien. Il nous don­na du cœur à l’ouvrage, un « moral de fer ». Il mul­ti­plia les contacts pour per­mettre le rayon­ne­ment de son œuvre. Il était infatigable.

Arriva l’année 1969, avril 1969. Ce fut la publi­ca­tion de la Constitution Missale Romanum et du nou­veau rite de la messe, de la Nouvelle Messe de Paul VI. Terrible réforme litur­gique… contes­tée, contes­table, qui allait ébran­ler de fond en comble la Sainte Église, son uni­té, sa sain­te­té. Des théo­lo­giens se lève­ront pour s’y oppo­ser, des car­di­naux aus­si. Des intel­lec­tuels de renom firent entendre leur voix. Pour ne citer qu’un nom, per­met­tez, Éminences, que j’invoque l’autorité du Cardinal Ottaviani. Dans une lettre au Souverain Pontife, Paul VI, il lui pré­sen­ta une cri­tique du nou­veau rite, lui deman­dant « d’abroger ce nou­veau rite ou, tout au moins, de ne pas enle­ver, à la catho­li­ci­té, la pos­si­bi­li­té de conti­nuer à recou­rir à l’intègre et fécond mis­sel romain de saint Pie V ». Tout cela fit grand bruit. Mgr Lefebvre prit posi­tion assez tard. Ce n’est que le 2 juin 1971 qu’il réunit à Écône son corps pro­fes­so­ral, les sémi­na­ristes. Le len­de­main, il venait ren­con­trer « les théo­lo­giens », sémi­na­ristes à Fribourg. Il expo­sa sa posi­tion. Il expli­qua son refus, son « non pos­su­mus », avec des argu­ments clairs. Il nous lais­sa, à l’issue de cette confé­rence, un texte, un petit texte résu­mant sa pen­sée. Séminariste, à l’époque, je gar­dais jalou­se­ment ce texte. Je l’ai sou­vent lu et relu. Je me per­mets de vous l’adresser, Éminences. Il ne doit pas être très connu… Comme vous pou­vez le voir, Éminences, la posi­tion de notre fon­da­teur est simple, doc­tri­nale, fon­dée sur la plus sûre théo­lo­gie, sur les décrets solen­nels du Concile de Trente, sur les prin­cipes du Droit Canon. Cette posi­tion fut publique. Elle est écrite. Dans ses confé­rences, il ne ces­sa de l’expliquer, de la justifier.

Or, Éminences, c’est en rai­son de cette posi­tion sur la messe que Mgr Lefebvre fut condam­né. On trai­ta tout d’abord sa fon­da­tion de « sau­vage ». C’est Mgr Etchegaray qui pro­non­ça la phrase le pre­mier. Il était, alors, Archevêque de Marseille… Première affir­ma­tion fausse : son sémi­naire n’avait rien de sau­vage, ni son ins­ti­tut. Le « tout » fut approu­vé – vous le savez très bien, Éminences – par Mgr Charrière, par Mgr Adam. La fon­da­tion à Albano eut l’accord de l’Évêque du lieu. Rien de « sau­vage » à la véri­té. Au contraire, Mgr Lefebvre, en homme d’Église, res­pec­tueux de ses lois, vou­lait tout faire avec les auto­ri­sa­tions requises. Et c’est ce qu’il fit, Éminences.

Peu importe, il n’était plus dans la ligne. C’est qu’il ne vou­lait pas suivre aveu­glé­ment les réformes conci­liaires… Empêcheur de tour­ner en rond, il fal­lait qu’il soit dis­cré­di­té. Ses fon­da­tions ne pou­vaient être que sau­vages, que condamnées.

Le cycle infer­nal démarrait.

Alors une visite cano­nique eut lieu. Mgr Onclin, Mgr Deschamps furent envoyés de Rome. Ils tinrent des pro­pos tel­le­ment « nou­veaux » que Mgr Lefebvre dut pro­tes­ter à leur départ. Et ce fut sa très belle pro­tes­ta­tion de foi du 21 novembre 1974. Dieu ! Qu’elle fit cou­ler de l’encre, cette décla­ra­tion ! Qu’elle fut com­men­tée !… À l’extérieur comme à l’intérieur… par le corps pro­fes­so­ral lui-​même. Il fal­lait que Mgr Lefebvre « rétracte » ce texte. « Il a signé sa propre condam­na­tion »… J’ai enten­du tout cela. J’étais à l’époque sous-​directeur du Séminaire.

Il fut alors convo­qué à Rome, devant une com­mis­sion, « ad hoc », devant le Cardinal Garonne, le Cardinal Wright, le Cardinal Tabera. Ils essayèrent de le convaincre de l’« ina­ni­té » de sa posi­tion. Rien à faire. Ils n’imaginaient pas ren­con­trer une telle sûre­té, une telle force, la force simple de la doc­trine catho­lique aimée plus que soi-​même. Ne pou­vant le convaincre, il fal­lait l’« écra­ser ». Les sanc­tions cano­niques tom­bèrent. Les pres­sions psy­cho­lo­giques se firent tout d’abord ter­ribles. Ce fut la menace de la fer­me­ture du Séminaire, de la Fraternité. Comme il ne lâchait tou­jours pas, des menaces, on pas­sa aux sanc­tions. Et c’est Mgr Mamie, Évêque de Fribourg, qui por­ta le cha­peau de tout cela. Le pauvre. Il lui fut inti­mé l’ordre de ne pas faire les ordi­na­tions, le 29 juin 1976. Terrible dilemme, Éminences. J’en fus le témoin privilégié.

Le 28 au soir, dans mon bureau, à Ecône, il exa­mi­nait encore la solu­tion… pesait le pour et le contre… La fête bat­tait déjà son plein. Tout était prêt… « On peut, mal­gré tout, me disait-​il, ne pas faire les ordi­na­tions ». Il était d’un calme sou­ve­rain, tranquille.

Le 29 juin, devant une foule immense, il expli­quait son geste. Il par­la clai­re­ment, sans ambages : notre fidé­li­té à la messe de tou­jours, à la messe codi­fiée, cano­ni­sée même, par saint Pie V est la rai­son de nos dif­fi­cul­tés. La sanc­tion cano­nique tom­ba, le 22 juillet 1976. Il fut décla­ré « sus­pens a divi­nis ». Il ne pou­vait plus exer­cer aucun pou­voir inhé­rent à son état sacer­do­tal et épiscopal.

À Lille, le 29 août 1976, il renou­ve­la ses expli­ca­tions. Il par­la ouver­te­ment de la réforme litur­gique, de la réforme de la messe, messe « équi­voque ». C’est là qu’il par­la de la messe « hybride » : « la Nouvelle Messe est une espèce de messe hybride qui n’est pas hié­rar­chique, qui est démo­cra­tique, où l’assemblée prend plus de place que le prêtre ».

On peut, Éminences, résu­mer la posi­tion de Mgr Lefebvre en disant qu’il refu­sa la nou­velle messe parce qu’équivoque, plus pro­tes­tante que catho­lique, s’éloignant de la Tradition catho­lique, voire même en rup­ture avec la Tradition catho­lique et les dogmes catholiques.

Et le conflit per­dure, Éminences. Vous êtes, tous, l’autorité. C’est pour cela que je m’adresse à vous. Vous main­te­nez tou­jours la condam­na­tion de Mgr Lefebvre, de sa fon­da­tion, de ses prêtres parce que nous vou­lons – à notre tour – res­ter fidèles à cette Messe catho­lique pour sau­ve­gar­der notre foi, gage d’éternité. Le car­di­nal Burgues conti­nuent de dire, avec les autres, que la FSSPX est « schismatique »…

Cependant Éminences, un des vôtres, le car­di­nal Ratzinger, le temps pas­sant, est deve­nu très sévère sur cette réforme litur­gique qui nous attriste. Permettez que je le cite aujourd’hui.

Il pré­face un livre de Mgr Gamber dans son édi­tion fran­çaise, heu­reu­se­ment dif­fu­sé par Dom Gérard Calvet et inti­tu­lé La réforme litur­gique en ques­tion. Dans cette pré­face, il fait l’éloge de Mgr Gamber, de son œuvre théo­lo­gique et litur­gique. Il le recom­mande for­te­ment. Il en fait un modèle, « un père » de ce renou­veau litur­gique qu’il appele de tous ses vœux. « Ce nou­veau départ a besoin de pères qui soient des modèles… Qui cherche aujourd’hui de tels pères, ren­con­tre­ra imman­qua­ble­ment la per­sonne de Mgr Klaus Gamber… Il pour­rait en cette détresse (litur­gique) – dit-​il– deve­nir le père du nou­veau départ » (p. 7). On ne peut être plus clair.

Dans cette pré­face, il cri­tique « joli­ment » la réforme litur­gique. Il affirme que : « la litur­gie est (doit être) d’un déve­lop­pe­ment conti­nu », har­mo­nieux (p. 7). C’est bien, en effet, ce que fut la litur­gie catho­lique, celle codi­fiée par saint Pie V. Elle évo­lua har­mo­nieu­se­ment à tra­vers les siècles. Il en est de la litur­gie comme de la doc­trine catho­lique. Il n’y a de « fixiste » que l’hérétique. Il n’y a de radi­ca­le­ment arrê­té que la mort. La litur­gie catho­lique n’est pas cela. Nous le savons bien. Ce prin­cipe posé, il part « en guerre » contre la litur­gie réfor­mée issue du Concile Vatican II. « Ce qui s’est pas­sé après le Concile signi­fie tout autre chose : à la place de la litur­gie, fruit du déve­lop­pe­ment conti­nu, on a mis une litur­gie fabri­quée. On est sor­ti du pro­ces­sus vivant de crois­sance et de deve­nir pour entrer dans la fabri­ca­tion ».

C’est l’œuvre de Mgr Bugnini. « On n’a pas vou­lu conti­nuer le deve­nir et la matu­ra­tion orga­nique du vivant à tra­vers les siècles et on les a rem­pla­cés – à la manière de la pro­duc­tion tech­nique – par une fabri­ca­tion, pro­duit banal de l’instant » (p. 7).
Il dit aus­si : « La litur­gie n’est pas objet de notre faire ».

C’est la grande idée de Mgr Gamber. Mgr Lefebvre aurait été très cer­tai­ne­ment de cet avis, lui qui sou­tint jusqu’à la rup­ture, contre cer­tains sémi­na­ristes amé­ri­cains qui refu­saient les réformes de saint Pie X, de Pie XII et même de Jean XXIII en matière liturgique.

Il demande, Éminences, qu’on se penche sur la pen­sée de Mgr Gamber, qu’on la fasse nôtre. Il donne une appro­ba­tion sen­tie de son œuvre. C’est ce que j’ai fait, Éminences. J’ai lu – à sa recom­man­da­tion – ce livre. Je dois avouer que je n’ai jamais ren­con­tré de cri­tique de la Nouvelle Messe aus­si forte, aus­si radi­cale… même sous la plume de Mgr Lefebvre.

Alors, Éminences, vous voyez main­te­nant ma ques­tion. Vous voyez où je veux en venir. Vous voyez ce que je vou­drais vous dire de vive voix si vous me rece­viez : « Pourquoi approu­ver si for­te­ment Mgr Gamber, l’applaudir, le recom­man­der et conti­nuer à réprou­ver Mgr Lefebvre ? ». Mgr Gamber est pour­tant plus sévère encore que Mgr Lefebvre dans sa cri­tique du nou­veau rite. N’y aurait-​il pas deux poids, deux mesures ? Tel est mon éton­ne­ment, mon angoisse même ! Voyez ce qu’écrit Mgr Gamber : « On mit désor­mais (avec la réforme litur­gique) de façon exa­gé­rée, l’accent sur l’activité des par­ti­ci­pants, reje­tant de la sorte au second plan, l’élément cultuel » (p. 15). C’est ce que Mgr Lefebvre appe­lait l’aspect « démo­cra­tique » de la nou­velle liturgie…dans son dis­cours de Lille. « Celui-​ci (élé­ment cultuel, i.e. le Sacrifice, l’action eucha­ris­tique elle-​même) s’appauvrit de plus en plus chez nous ». « De même, il manque main­te­nant dans une large mesure, cette solen­ni­té qui fait par­tie de toute action cultuelle, sur­tout si celle-​ci se déroule devant une grande assem­blée » (p. 12). C’est ce que nous disons, ni plus, ni moins. Mgr Gamber ose écrire sur ce sujet : « En lieu et place, on voit sou­vent régner une aus­té­ri­té cal­vi­niste » (p. 13).

Ce n’est pas nous qui le disons, Éminences. Mgr Gamber pour­suit… Vous allez être stu­pé­fait… J’écris aus­si pour les fidèles, Éminences : « Il n’est pas rare de voir les formes cultuelles exis­tant jusqu’ici, mépri­sées par les pas­teurs eux-​mêmes et lais­sées de côté sous pré­texte qu’elles seraient démo­dées : on ne veut pas lais­ser sup­po­ser qu’on aurait raté le train de l’évolution moderne. Et, cepen­dant, la masse du peuple chré­tien reste atta­chée à ces formes anciennes qui portent sa pié­té. Les réfor­ma­teurs d’aujourd’hui, trop pres­sés, n’ont pas suf­fi­sam­ment consi­dé­ré à quel point, dans l’esprit des fidèles, il y a coïn­ci­dence entre la doc­trine et cer­taines formes de pié­té. Pour beau­coup, modi­fier les formes tra­di­tion­nelles signi­fie modi­fier la foi ».

Éminences en pré­fa­çant ce livre, le car­di­nal Ratzinger donne son appro­ba­tion à cette cri­tique géné­rale. Mgr Lefebvre a dit la même chose. Il n’a ces­sé – toute sa vie – de nous rap­pe­ler l’axiome fon­da­men­tal en matière litur­gique : lex oran­di, lex cre­den­di [5]. C’est le thème de sa confé­rence – entre mille – du 15 février 1975, don­née à Florence : « Pour beau­coup, modi­fier les formes tra­di­tion­nelles signi­fie modi­fier la foi ». Je signe, Éminences.

Mais la cri­tique de Mgr Gamber du nou­veau rite n’est pas finie. Suivez-​moi, Éminences. Vous irez d’étonnement en éton­ne­ment. « Les res­pon­sables dans l’Église n’ont pas écou­té la voix de ceux qui ne ces­saient de les aver­tir, leur deman­dant de ne pas sup­pri­mer le Missel romain tra­di­tion­nel (et de n’autoriser la nou­velle litur­gie que dans cer­taines limites et seule­ment « ad expe­ri­men­tum »)… Aujourd’hui, voi­ci quelle est mal­heu­reu­se­ment la situa­tion : de nom­breux évêques se taisent devant presque toutes les expé­ri­men­ta­tions litur­giques mais répriment plus ou moins sévè­re­ment le prêtre qui, pour des rai­sons objec­tives ou de conscience, s’en tient à l’ancienne litur­gie » (p. 14).

C’est ce que conseillaient, Éminences, des « Grands » dans le car­di­na­lat. C’est ce que conseillait Mgr Lefebvre. C’est ce que fai­sait Mgr Lefebvre : s’en tenir pour des rai­sons objec­tives et de conscience, à l’ancienne litur­gie.
Éminences, il faut être logique dans le gou­ver­ne­ment : ou vous êtes d’accord avec Mgr Gamber et vous sou­te­nez ceux qui veulent – dans cette tour­mente – res­ter atta­chés au « mât » de la Tradition, ou vous êtes pour les évêques qui, par fai­blesse, nous com­battent injus­te­ment – comme en Normandie, Mgr Pican, Mgr David, Mgr Fihey, Mgr Dubigeon… Mais alors, de grâce, n’acceptez pas que soit pré­fa­cé par un des vôtres, ce livre de Mgr Gamber. Et puisque vous êtes d’accord avec la pen­sée de Mgr Gamber, qui dit mot consent…, veuillez, je vous prie, faire ouvrir de nou­veau le dos­sier de « l’affaire Lefebvre » et le juger en bonne et due forme, vous sou­ve­nant qu’aujourd’hui – encore, mal­heu­reu­se­ment – de nom­breux évêques se taisent devant presque toutes les expé­ri­men­ta­tions litur­giques per­mises par « l’esprit conci­liaire » mais répriment sévè­re­ment les prêtres qui, pour des rai­sons objec­tives et de conscience, s’en tiennent à l’ancienne litur­gie. Nous, Éminences. Cette situa­tion est mal­heu­reuse, remarque encore Mgr Gamber. Oh, Combien ! Nous qui rece­vons les coups, nous pour­rions vous en par­ler en connais­sance de cause.

J’aime la jus­tice, Éminences Vous aus­si. Mgr Gamber est vrai­ment sévère… Après avoir recon­nu que « les inno­va­tions litur­giques » sont pos­sibles, mais que tout doit se faire « avec bon sens et pru­dence » – ce n’est pas le prin­cipe le plus ultime, mais peu importe, il conclut, se tour­nant alors vers le concret de la réforme litur­gique issue du Concile Vatican II : « La rup­ture avec la Tradition est désor­mais consom­mée ». Il pré­cise même : « Par l’introduction de la nou­velle forme de la célé­bra­tion de la Messe (il s’agit bien ici du rite nou­veau lui-​même) et des nou­veaux livres litur­giques, encore davan­tage par la litur­gie concé­dée taci­te­ment par les auto­ri­tés, d’organiser libre­ment la célé­bra­tion de la messe sans qu’on puisse déce­ler en tout cela un avan­tage sub­stan­tiel du point de vue pas­to­ral (c’est le moins que l’on puisse dire !) au lieu de cela, poursuit-​il, on constate dans une large mesure, une déca­dence de la vie reli­gieuse qui, il est vrai, a aus­si d’autres causes. Les espoirs pla­cés dans la réforme litur­gique – on peut déjà le dire – ne sont pas réa­li­sés ».

Éminences, ce texte a été pré­fa­cé par l’un des vôtres !. Mgr Lefebvre n’a jamais par­lé aus­si for­te­ment, aus­si bru­ta­le­ment. De grâce ! Ressortez le dos­sier. Redonnez vie à son recours qu’il por­ta lui-​même, dans les mains du Préfet de la « Signature Apostolique » de l’époque, mais que ce der­nier ne put trai­ter par ordre du tout puis­sant Cardinal Louis Villot.

Éminences, je vous parle en toute sim­pli­ci­té. Je vous dis ce que j’ai sur le cœur. Faites ces­ser toute injus­tice dans l’Église… en France tout par­ti­cu­liè­re­ment… Faites ces­ser cette injustice-​là. Ou alors, je serais en droit de dire qu’il y a contra­dic­tion dans vos gou­ver­ne­ments et que vous don­nez d’une main ce que vous repre­nez de l’autre… Mais, ça, Éminences, c’est l’arbitraire et per­sonne n’aime l’arbitraire… Il est juste de lut­ter contre.

Vous connais­sez très bien, Éminences, la pen­sée de Mgr Gamber. Voyez encore ! « D’année en année, la réforme litur­gique, saluée avec beau­coup d’idéalisme et de grands espoirs par de nom­breux prêtres et laïcs, s’avère être, comme nous l’avons déjà expri­mé, une déso­la­tion de pro­por­tion effroyable » (p. 15).

Mgr Lefebvre a dit cela, mais je dois l’avouer pas aus­si for­te­ment. Notre auteur pour­suit : « Au lieu du renou­vel­le­ment de l’Église et de la vie ecclé­sias­tique atten­due, nous assis­tons à un déman­tè­le­ment des valeurs de la foi et de la pié­té qui nous avaient été trans­mises et, en lieu et place d’un renou­vel­le­ment fécond de la litur­gie, à une des­truc­tion des formes de la messe qui s’étaient orga­ni­que­ment déve­lop­pées au cours des siècles » (p. 15). Vous approu­vez ce juge­ment, Éminences, puisque l’un des vôtres l’a pré­fa­cé élo­gieu­se­ment. Mgr Lefebvre n’a rien dit d’autre, lui est condam­né, Mgr Gamber, approu­vé. Là, Éminences, je ne com­prends plus. Mon intel­li­gence, à l’affût, attend une réponse, a droit à une jus­ti­fi­ca­tion qui en soit une, vrai­ment une. Pas une réponse comme cela, du bout des doigts, mépri­sante, qui ne règle rien, ne donne aucune expli­ca­tion valable, une réponse à la « Cassidy »… Mais une réponse claire, du bon pain comme on aime en trou­ver à la table fami­liale après la messe domi­ni­cale… De grâce ? Éminences, donnez-​nous de ce pain…

Je pour­suis ma lec­ture, Éminences : « …s’y ajoute, sous le signe d’un œcu­mé­nisme mal com­pris, un effrayant rap­pro­che­ment avec les concep­tions du pro­tes­tan­tisme… Ce qui ne signi­fie rien moins que l’abandon d’une tra­di­tion jusqu’à ce jour com­mune à l’Orient et à l’Occident » (p. 15). Alors ça ! Quand j’ai lu cela pour la pre­mière fois, je suis res­té coi. J’ai relu, relu encore. Et dans mon inno­cence, je me disais : mais Mgr Lefebvre ne dit rien d’autre. C’est ce qu’il a dit à Florence – déjà en 1975. C’est ce qu’il disait dans un article publié en 1971 dans la Pensée Catholique – mais déjà écrit en plein Concile : « Pour res­ter catho­lique faudra-​t-​il deve­nir pro­tes­tant ? »… Et il concluait : « On ne peut imi­ter les pro­tes­tants indé­fi­ni­ment sans le deve­nir ». Mais je trouve Mgr Gamber plus caté­go­rique encore. Il parle – lui – lisez bien : « d’un effroyable rap­pro­che­ment avec les concep­tions du pro­tes­tan­tisme ».

Mais c’est la même pen­sée ! Alors, Éminences, com­ment est-​ce pos­sible de faire la louange de l’un, Mgr Gamber, et de conti­nuer à condam­ner l’autre, Mgr Lefebvre. Ils disent, tous deux la même chose. De grâce, Éminences, ouvrez de nou­veau le pro­cès de Mgr Lefebvre. C’est une sup­plique légi­time. Mgr Gamber, dans un second cha­pitre, parle de la « ruine » du rite romain. Il le déplore, tout comme nous. Il va même jusqu’à dire que le rite nou­veau, sans être en soi inva­lide – ce que Mgr Lefebvre n’a jamais dit – est célé­bré de plus en plus sou­vent, de manière inva­lide. Mgr Lefebvre dit exac­te­ment la même chose. Pas plus. Pas moins. Il est seule­ment un peu plus pré­cis : « Tous ces chan­ge­ments dans le nou­veau rite sont vrai­ment périlleux parce que peu à peu sur­tout pour les jeunes prêtres qui n’ont plus l’idée de sacri­fice, de la pré­sence réelle et de la trans­sub­stan­tia­tion, et pour les­quels tout cela ne signi­fie plus rien, ces jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Église et ne disent plus de messes valides » (Conférence à Florence, le 15 février 1975). L’aspect « com­mé­mo­ra­tion » prime aujourd’hui lar­ge­ment. Mais, dans ce cas, la messe que ces prêtres célèbrent est invalide…

J’en arrive main­te­nant au cha­pitre IV du livre : le juge­ment du pré­lat est ter­rible. Il expose d’abord briè­ve­ment mais jus­te­ment la réforme luthé­rienne, la réforme que Luther fit subir à la Messe catho­lique, la Messe romaine. « Le pre­mier, écrit-​il, à avoir entre­pris une réforme de la litur­gie et cela en rai­son de consi­dé­ra­tions théo­lo­giques est, sans conteste, Martin Luther. Il niait le carac­tère sacri­fi­ciel de la Messe et était, de ce fait, scan­da­li­sé par cer­taines par­ties de la Messe, en par­ti­cu­lier par les prières sacri­fi­cielles du Canon » (p. 41). D’où la réforme qu’il entre­prit de la messe et tout d’abord la sup­pres­sion des prières sacri­fi­cielles, mais il a agi pru­dem­ment – avec la pru­dence de la chair – pour ne pas cho­quer et créer des réac­tions. Or, rien de tel avec la réforme litur­gique conci­liaire. Mgr Gamber est ter­rible. Il affirme tout d’abord qu’on a agi là trop bru­ta­le­ment : « La nou­velle orga­ni­sa­tion de la litur­gie et sur­tout les modi­fi­ca­tions pro­fondes du rite de la Messe qui ont vu le jour sous le Pontificat de Paul VI et sont, entre-​temps, deve­nues obli­ga­toires – on peut légi­ti­me­ment dis­cu­ter ce point –, ont été beau­coup plus radi­cales que la réforme litur­gique de Luther et ont moins tenu compte du sen­ti­ment popu­laire » (p. 42).

Puis, il affirme que des élé­ments de la doc­trine pro­tes­tante ont été pris en compte pour jus­ti­fier cette réforme litur­gique. Il parle lui-​même du « refou­le­ment de l’élément latreu­tique », « la sup­pres­sion des for­mules tri­ni­taires », et enfin de l’« affai­blis­se­ment du rôle du prêtre ». On retrouve ici, pure­ment et sim­ple­ment, les affir­ma­tions de Mgr Lefebvre – vous lirez son papier ci-​joint –, celles du « Bref exa­men cri­tique » pré­sen­té au Pape par le Cardinal Ottaviani. Il va même jusqu’à dire qu’« on n’a pas encore suf­fi­sam­ment tiré au clair dans quelle mesure, ici aus­si, comme ce fut le cas pour Luther, des consi­dé­ra­tions dog­ma­tiques ont pu exer­cer une influence » (p. 42).

Je trouve per­son­nel­le­ment, Éminences, que des théo­lo­giens, en France – le Père Calmel, l’abbé Dulac… – ont déjà dit, sur ce sujet, pas mal de choses… Notre pré­lat, Mgr Gamber, il est vrai, est alle­mand. Il recon­naît que « c’est la nou­velle théo­lo­gie (libé­rale) qui a par­rai­né la réforme conci­liaire ». Il se désole alors que le Pape Paul VI n’ait pas cru devoir tenir compte de « ces cri­tiques dog­ma­tiques », « ni les pres­santes objur­ga­tions des car­di­naux de mérite – com­ment, ici, Éminences, ne pas pen­ser au Cardinal Ottaviani, au Cardinal Bacci, qui avaient émis des objec­tions dog­ma­tiques quant au nou­veau rite de la messe – ni les ins­tantes sup­pli­ca­tions pro­ve­nant de toutes les par­ties du monde, n’empêchèrent Paul VI d’introduire impé­ra­ti­ve­ment le nou­veau mis­sel » (p. 43).

Ainsi, Éminences, pour Mgr Gamber dont on nous recom­mande tant la doc­trine, le « Nouvel Ordo Missae » aurait des « odeurs » pro­tes­tantes, des relents de théo­lo­gie pro­tes­tante, de théo­lo­gie libé­rale. Avouez, Éminences, que c’est assez fort et que cela peut rai­son­na­ble­ment rete­nir tout enthou­siasme de la célé­brer. Ces cri­tiques sont approu­vées par les vôtres. Pourquoi, alors, condamnez-​vous tou­jours Mgr Lefebvre ? Son tort est peut-​être d’avoir eu rai­son trop tôt – ou d’avoir été, en son temps, un évêque de carac­tère… Mais s’il en est ain­si qui pour­rait rai­son­na­ble­ment cri­ti­quer et cette luci­di­té et cette force d’âme ? Sont-​ce des titres de condam­na­tion ? On ne vous croi­ra pas, Éminences. Son tort est peut-​être aus­si d’avoir eu un sens pas­to­ral trop grand ? Il crai­gnait les effets de cette réforme sur la foi du peuple chré­tien, sur son ortho­doxie : « On ne peut imi­ter les pro­tes­tants indé­fi­ni­ment sans le deve­nir » (Mgr Lefebvre).

Mgr Gamber le constate aus­si : « Nos messes sont-​elles deve­nues plus atti­rantes pour les fidèles depuis le Concile ? La litur­gie renou­ve­lée a‑t-​elle contri­bué à aug­men­ter le sens de la foi et de la pié­té ? À peine, semble-​t-​il. Le peu de temps écou­lé depuis l’introduction, en 1969, du « Nouvel Ordo Missae » a suf­fi à révé­ler que nos églises se vidaient de plus en plus, que le nombre de nos prêtres et de nos reli­gieux dimi­nuait de plus en plus, et ce dans des pro­por­tions effrayantes. Certes, les causes en sont mul­tiples, néan­moins, la réforme litur­gique n’a pas été capable d’arrêter cette évo­lu­tion néga­tive (je pré­cise et qua­li­ta­ti­ve­ment et quan­ti­ta­ti­ve­ment) : il est pro­bable qu’elle n’a pas peu contri­bué à l’entretenir » (p. 44).

Avouez, Éminences, qu’il en fau­drait moins pour jus­ti­fier la posi­tion de Mgr Lefebvre, son « non pos­su­mus », son « refus » et aujourd’hui le refus des dociles à la loi catho­lique. Et si j’en viens main­te­nant à la cri­tique que Mgr Gamber adresse à la nou­velle ordon­nance de la messe pro­pre­ment dite de Paul VI, alors, je dois dire, Éminences, que je me sens à l’aise dans ma posi­tion, notre posi­tion. Il sur­vole « le nou­vel ordo ». Tout d’abord : pour les rites d’ouverture de la messe, il écrit : « Les rites d’ouverture… ouvrent une porte toute grande à l’arbitraire du prêtre célé­brant ». Il com­mente : « Quels bavar­dages les fidèles ne doivent-​ils pas subir, par endroit, dès le début de la messe ! Tout comme c’est plus d’une fois le cas aujourd’hui dans les com­mu­nau­tés pro­tes­tantes ».

Le Cardinal Danneels, Éminences, dit la même chose. Il fut invi­té à écrire un article dans Communio, la revue du car­di­nal Ratzinger. Nous disions la même chose, Éminences, vous le voyez. Nous sommes en bonne com­pa­gnie… Mais alors, pour­quoi l’ostracisme à notre égard… ? Il en vient à la litur­gie de la parole et se per­met de dire : « Nous fai­sons toutes réserves quant à la nou­velle ordon­nance des lec­tures ». Quant à la prière uni­ver­selle, dont il ne conteste pas le prin­cipe, il écrit cepen­dant : « On assiste de nos jours, aux pires écarts dans la libre éla­bo­ra­tion de cette prière et même, dit-​il, les for­mu­laires pré­sen­tés aux fidèles dans les recueils ad hoc, ne sont que peu uti­li­sables »… Moi, elles me font fuir… Bref. Il avoue qu’une telle prière devrait être dite à l’autel et non au « siège » : « il faut être tour­né vers l’Orient pour prier ».

Il en arrive enfin à la litur­gie eucha­ris­tique pro­pre­ment dite et là, il affirme une chose for­mi­da­ble­ment impor­tante : « Contentons-​nous ici, où il n’est ques­tion que du rite, de remar­quer qu’il manque à cette déno­mi­na­tion, toute allu­sion au fait que la messe est un sacri­fice » (p. 48).

Éminences ? Vous avez bien lu. Vous trou­vez ici sous la plume de Mgr Gamber, les cri­tiques que nous avons depuis long­temps adres­sées au nou­veau rite de la messe. Nous disons, nous aus­si, cela. La messe est bien cela, essen­tiel­le­ment cela : un sacri­fice pro­pi­tia­toire. J’avais trou­vé que la cri­tique du Cardinal Danneels était, sur ce point, faible et j’avais été éton­né de voir publier son texte dans Communio, sans remarque par­ti­cu­lière. Mais je suis très heu­reux, par contre, de voir que l’on recom­mande dans le milieu car­di­na­lise la lec­ture d’un livre qui met le doigt sur une grave omis­sion du nou­veau rite…

Alors Éminences, pour­quoi notre condam­na­tion main­te­nue ? Voilà mon interrogation !

Mgr Gamber en arrive au plus par­ti­cu­lier : à la prex eucha­ris­ti­ca. Alors là ! La cri­tique est de nou­veau ter­rible. « Les trois nou­veaux canons consti­tuent, eux, une rup­ture com­plète avec la tra­di­tion. Ils ont été nou­vel­le­ment com­po­sés d’après des modèles orien­taux et gal­li­cans, et repré­sentent, au moins de part leur style, un corps étran­ger dans le rite romain » (49). Il des­cend encore un peu plus dans le « menu », aux paroles de la consé­cra­tion. Il est très sévère : « La modi­fi­ca­tion ordon­née par Paul VI des paroles de la consé­cra­tion et de la phrase qui suit… n’était d’aucune uti­li­té pour la pas­to­rale. La tra­duc­tion de « pro mul­tis » par « pour tous » qui se réfère à des concep­tions théo­lo­giques modernes et qu’on ne retrouve dans aucun texte litur­gique ancien, est dou­teuse et a même scan­da­li­sé » (p. 50).

Ce n’est pas nous qui le disons, Éminences ! Mgr Gamber est cho­qué, vrai­ment cho­qué, Éminences, par le dépla­ce­ment du mot « mys­te­rium fidei » de la for­mule de la Consécration du vin. Son expli­ca­tion est lumi­neuse : « Du point de vue du rite, on est frap­pé de voir qu’on ait pu reti­rer, sans rai­son, les mots « mys­te­rium fidei » insé­rés dans les paroles de la consé­cra­tion depuis envi­ron le VIe siècle, pour leur confé­rer une signi­fi­ca­tion nou­velle ; ils deviennent un appel du prêtre après la consé­cra­tion. Un appel de cette sorte : mys­te­rium fidei n’a cer­tai­ne­ment jamais été en usage. L’acclamation de l’assemblée : « Nous pro­cla­mons ta mort… » ne se trouve que dans quelques ana­phores égyp­tiennes. Elle est, en revanche, étran­gère aux autres rites orien­taux et à toutes les prières eucha­ris­tiques occi­den­tales et ne cadre pas non plus avec le style du canon romain… » (p. 50).

Et sur le même ton, il pour­suit dans le cha­pitre IV sa cri­tique du rite nou­veau. J’ai l’impression, Éminences, en lisant ce cha­pitre IV de retrou­ver la doc­trine du Bref exa­men cri­tique. Ainsi, si vous le sou­hai­tez, Éminences, nous serions prêts à nous en tenir à cette cri­tique de Mgr Gamber. Je crois qu’elle peut, à elle seule, par­fai­te­ment jus­ti­fier notre posi­tion pra­tique, celle pré­vue, Éminences, par le canon 23 de l’ancien Code. Ce canon a bien dû être repris dans le nou­veau Code. Il fait par­tie des grands prin­cipes cano­niques. Mais parce que nous avons dési­ré res­ter atta­chés au Bref exa­men cri­tique et à la sagesse du Droit Canon – par sou­ci théo­lo­gique – nous sommes pra­ti­que­ment excom­mu­niés, chas­sés de nos églises, nous pas­sons pour rétro­grades. On nous dit ne pas avoir le sens de la Tradition… Mais alors pour­quoi, Éminences, por­ter aux nues Mgr Gamber et conti­nuer de com­battre Mgr Lefebvre et son œuvre ?

Je ne com­prends plus. N’y aurait-​il pas « quelque part », – comme on dit aujourd’hui à tort et à tra­vers – une injus­tice ? Voilà ce que j’ai sur le cœur, Éminences, et ce que je veux vous dire. Mgr Gamber de conclure ce cha­pitre par ce juge­ment géné­ral : « Avec le nou­veau, on a vou­lu se mon­trer ouvert à la nou­velle théo­lo­gie, si équi­voque, ouvert au monde d’aujourd’hui » (p. 54). « Ce qui est cer­tain, c’est que le Nouvel Ordo Missae dans cette forme n’aurait pas reçu l’assentiment de la majo­ri­té des pères conci­liaires ». Incroyable ! Mgr Lefebvre nous a tou­jours répé­té cela. Dom Guillou éga­le­ment… Je ne serai pas éton­né que Dom Prout, Père abbé de Solesmes, ait pen­sé cela aus­si. Cette seule affir­ma­tion, Éminence, devrait suf­fire à tenir fer­me­ment l’ancien rite…

Et que peut jus­ti­fier devant cela, la seule ver­tu d’obéissance… ! C’est bien Mgr Lefebvre qui a rai­son et non les béné­dic­tins d’aujourd’hui qui vont et viennent à tra­vers les rites, de l’un à l’autre – l’ancien, le nou­veau – par simple obéis­sance… des girouettes au gré des vents. Qui est vrai­ment fidèle au Concile ? Mgr Lefebvre qui a signé le docu­ment litur­gique du Concile… ou les béné­dic­tins d’aujourd’hui ? « Mais vous n’avez pas l’esprit du Concile… » ! C’est l’arme qui tue. Mais quel est cet esprit conci­liaire, Éminences qu’il faut avoir pour vivre… Mgr Gamber l’avait-il…? Ah, que d’arbitraire ! Que d’arbitraire !

Tous ces dires, Éminences, pour­raient vous gêner un peu… Si vous m’aviez reçu, j’aurais pu voir, voir votre œil… s’assombrir… s’éclairer. Vous vous seriez peut-​être rai­di un peu. Vous auriez peut-​être pris la parole et vous auriez pu me dire : Mais enfin vous avez eu satis­fac­tion avec le Motu Proprio du pape Benoît XVI « Summorum Pontificum ». Vous l’avez votre messe…

-Mais« Vous vous trom­pez. Ce n’est pas la messe qui fait problème ».

-« Oui mais com­bien d’année il a fal­lu com­battre pour l’avoir, pour obte­nir jus­tice et le res­pect de l’être his­to­rique de l’Eglise, la messe de saint Pie V.

-Vous vous trom­pez. Ce n’est pas la messe qui fait pro­blème. Ce sont les sacres. Mgr Lefebvre les a faits sans auto­ri­sa­tion pon­ti­fi­cale. Il devait être puni. Aujourd’hui, le nou­veau Droit canon parle d’excommunication. Voilà l’affaire ! C’est tout ».

Éminences, est-​ce vrai­ment le pro­blème ? Si vous me rece­vez, nous pour­rions abor­der le sujet. Nous pour­rions argu­men­ter, voir ensemble… voir ce qui avait été pré­vu dans le pro­to­cole d’accord avec Mgr Lefebvre. Le prin­cipe du sacre dans la Fraternité d’un membre de la Fraternité, avait été accep­té. Mais pour l’instant, Éminences, ici, dans cette lettre publique, faite aus­si pour les fidèles qui s’intéressent beau­coup à ces ques­tions, res­tons au niveau du simple bon sens.

Mgr Lefebvre n’a pas été moins aimé des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques après les sacres qu’avant les sacres. Il n’a pas été plus hon­ni après les sacres qu’avant les sacres. Avant les sacres, on lui fit la guerre, son œuvre fut décla­rée « sau­vage ». Mgr Garonne le décla­ra « fou »… Les évêques des dio­cèses lui écri­vaient des lettres très désa­gréables quand il visi­tait les tra­di­tio­na­listes de leur dio­cèse. Quelles lettres ! J’en ai quelques-​unes, en mémoire. Mgr Tissier de Mallerais les a soi­gneu­se­ment clas­sées. On pour­rait vous les com­mu­ni­quer…
Oui, Mgr Lefebvre n’était pas aimé même avant les sacres. Il n’était pas déjà, semble-​t-​il, en leur « com­mu­nion ». On lui fer­mait déjà les églises. Les cœurs des évêques se fer­maient… Même à Rome, on n’osait plus le rece­voir… lorsqu’il visi­tait un dicas­tère… le Préfet était tout dans l’embarras… Être vu avec Mgr Lefebvre était com­pro­met­tant… Même long­temps avant les sacres, il était le « mal aimé » de l’Église. Il n’avait pas l’esprit conci­liaire… Et de fait, son œuvre, son œuvre sacer­do­tale fut inter­dite, son sémi­naire fer­mé. Interdites les ordi­na­tions sacer­do­tales… Bien sûr, il nous ordon­nait pour le Sacrifice de la messe…! Il était hon­ni par ses pairs, bien avant les sacres, même pen­dant le Concile.

On ne lui par­don­nait pas sa posi­tion, sa pré­si­dence du Coetus inter­na­tio­na­lis Patrum. Même avant le Concile, lorsqu’il était Archevêque-​évêque de Tulle, les car­di­naux et arche­vêques de France lui fer­mèrent la porte de leurs assem­blées, de leurs réunions. Il avait plein droit d’y prendre part. Ils refu­sèrent. C’est his­to­rique, Éminences. Si le Cardinal Richaud – à l’époque Archevêque de Bordeaux – était encore de ce monde, il pour­rait en témoi­gner. Mgr Lefebvre nous l’a dit. Il en sou­riait. Il n’était pas ran­cu­nier. Oui, même avant les sacres, Mgr Lefebvre n’était pas aimé. C’est ainsi.

À cette lumière, Éminence, le pro­blème des sacres prend son vrai sens. C’est fina­le­ment un pro­blème mineur, quoi qu’on dise… En ce sens, que ce n’est pas la rai­son fon­da­men­tale de son excom­mu­ni­ca­tion. Il l’était déjà, pra­ti­que­ment. Il le devint, dites-​vous, après les sacres cano­ni­que­ment. Cela n’a pas chan­gé grand-​chose, Éminences… La peine cano­nique – sa décla­ra­tion – fut d’abord et essen­tiel­le­ment diplo­ma­tique : pour faire peur et effrayer les fidèles, et leur faire lâcher prise… Le Cardinal Gagnon a mal jugé, lui qui avait dit qu’excommunié, les fidèles lâche­raient l’évêque. Finalement assez peu l’ont quit­té… C’est un autre sujet…Je pour­rais un jour reve­nir sur ce sujet…

Mais, admet­tons, Éminences, que l’excommunication ait sa rai­son essen­tielle, exclu­sive dans les sacres. Cette action – cette sanc­tion – touche la per­sonne de Mgr Lefebvre, des quatre évêques consa­crés, le co-​consécrateur, Mgr de Castro Mayer… et per­sonne d’autre, et nul­le­ment la Fraternité Sacerdotal et ses prêtres. Ils ne sont pas excom­mu­niés, eux. Ils sont dans l’Église, de l’Église. Je n’ai jamais reçu la moindre noti­fi­ca­tion d’excommunication. Le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta ne me concerne pas, moi direc­te­ment. On pour­rait en dis­cu­ter, Éminences.

Vous me direz peut-​être que la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X a été sup­pri­mée par Mgr Mamie, Évêque de Fribourg. Elle n’existe plus. Elle n’est plus de droit dio­cé­sain. Vous êtes « néant », rien. « Vous n’avez aucune exis­tence légale. » Ah ! Permettez, Éminences ! Mgr Mamie a peut-​être vou­lu sup­pri­mer la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X… Mais je me per­mets hum­ble­ment de vous faire remar­quer que nous le fûmes en rai­son de notre atta­che­ment à la messe tri­den­tine et en rai­son de notre refus du Nouvel Ordo Missae. (Voir plus haut)

Or, Éminences, en pré­fa­çant le livre de Mgr Gamber, le car­di­nal Ratzinger pré­face nos propres cri­tiques. Nos cri­tiques de tou­jours. Encore une fois, Mgr Lefebvre et le Bref exa­men cri­tique sont moins durs que Mgr Gamber et son livre. Notre condam­na­tion, notre sup­pres­sion, Éminences, est donc sans rai­son suf­fi­sante. Elle est injuste. Elle est nulle.

J’espère, Éminences, vous avoir convain­cu et espère rece­voir bien­tôt votre appel pater­nel à venir vous saluer à Rome. Je reste dans cette espé­rance. D’autant plus que vous avez accueilli les « ral­liés » qui, eux aus­si, sont atta­chés, peu ou prou, à la messe ancienne. Ils ont été à Rome le 24 octobre 1998 pour le dire fran­che­ment. Ils y étaient en force…

Éminences, nous prie­rons pour vous.

Abbé Paul Aulagnier

Sources : Item

Notes de bas de page
  1. Note de LPL : Voir Dom Gérard, « Tourné vers le concile », par l’ab­bé J‑M. Gleize – 6 mai 2018[]
  2. Note de LPL : Lire à ce sujet notre article du 14 sep­tembre 2014 : Gratitude et cha­ri­té envers Mgr Lefebvre au Barroux : le coup de pied de l’âne ![]
  3. Note de LPL : Il s’a­git en fait du 23, et non du 30, sep­tembre 1979 à la Porte de Versailles[]
  4. Note de LPL : Droit canon 1917, 953 – « La consé­cra­tion épis­co­pale est réser­vée au pon­tife romain, de sorte qu’il n’est per­mis à aucun évêque de consa­crer quel­qu’un évêque, sans qu’il ait d’a­bord connais­sance du man­dat apos­to­lique l’y auto­ri­sant. »[]
  5. Note de LPL : Lire Lex Orandi, lex cre­den­di – La Nouvelle Messe et la Foi, par Daniel Raffard de Brienne – Mai 1983[]