Le pape est le successeur de saint Pierre sur le Siège de Rome et dans la primauté, c’est-à-dire dans le pouvoir de suprême et universelle juridiction sur toute l’Eglise. Il est donc le chef visible de l’Eglise, et le vicaire de Jésus-Christ, Chef invisible.
A ce titre, il a droit à notre respect et notre obéissance. C’est surtout de lui que le Christ a dit : « Qui vous écoute m’écoute, et qui vous méprise me méprise »[1].
En l’an 865, le pape saint Nicolas 1er écrit à l’empereur Michel :
Le juge ne sera jugé ni par l’empereur, ni par tout le clergé, ni par les rois, ni par le peuple…Le premier Siège ne sera jugé par personne.
Lettre Proposueramus quidem, Denz. 638
On ne voit donc pas très bien comment critiquer le pape peut être légitime pour un catholique. Cependant, si par malheur le pape enseigne une doctrine qui s’éloigne de la doctrine catholique, que faut-il faire ? Voici ce qu’écrit saint Thomas d’Aquin :
Les prédicateurs de la vérité doivent faire deux choses, à savoir exhorter selon une sainte doctrine, et vaincre la contradiction.
Saint Thomas d’Aquin, Comm. In 2 Cor, leçon 3, n°72
En cas de nécessité, là où la foi est en péril, n’importe qui est tenu de faire connaître sa foi, soit pour instruire ou affermir les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des infidèles.
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II.II.q.3, a.2, ad 2
Un exemple intéressant a été donné par saint Paul. Dès l’origine de l’Eglise, l’apôtre s’est opposé à saint Pierre qui, par crainte de déplaire aux judéochrétiens, ne voulait plus participer aux repas des païens convertis. Cette décision était grave, car elle risquait d’engendrer une rupture et pouvait favoriser l’opinion fausse selon laquelle la loi juive devait être imposée aux chrétiens. Saint Paul déclare donc : « Quand Céphas [Pierre] vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible »[2].
Voici comment saint Thomas d’Aquin commente cet incident :
S’il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, qui était soumis à Pierre, l’a-t-il repris pour cette raison. Et comme dit le commentaire de saint Augustin, « Pierre a donné lui-même un exemple à tous ceux qui sont constitués en dignité pour que, s’il leur arrivait de s’éloigner du droit chemin, ils n’aient pas honte de se faire corriger par des inférieurs »
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II.II.q.33, a.4, ad 2
Et Cajetan, le grand commentateur de saint Thomas, écrit dans un ouvrage consacré à la défense de la papauté :
Il faut tenir tête à un pape qui déchirerait l’Eglise. (…) Sinon, pourquoi dire que l’autorité a été donnée pour édifier et non pour détruire (2Co 13, 10) ? Contre un mauvais usage de l’autorité, on emploiera les moyens appropriés, en n’obéissant pas dans ce qui est mal, en ne cherchant pas à plaire, en ne se taisant pas[3], en reprenant, en invitant les autorités à faire les reproches nécessaire, à l’exemple de saint Paul et selon son précepte.
De comparatione auctoritatis papae et concilii, n°412
Cajetan ne pensait ici qu’à un pape simoniaque ou simplement malhonnête. Mais si le successeur de Pierre met la foi en danger, alors son comportement est bien plus grave et le devoir de résister à ce pape est évidemment encore plus impérieux.
Saint Grégoire le Grand donnait ce principe de conduite :
Il vaut mieux causer du scandale que d’abandonner la vérité.
Saint Grégoire le grand, homélie 7 sur Ezéchiel
Pour comprendre dans quel esprit cette critique du pape peut être menée, relisons la parole de Dieu au prophète Ezéchiel :
Quand je fais venir l’épée contre un pays et que les habitants de ce pays, prenant quelqu’un du milieu d’eux, l’établissent comme sentinelle, et que cet homme, voyant l’épée venir contre le pays, sonne de la trompette et avertit le peuple, si celui qui entend le son de la trompette ne se laisse pas avertir et que l’épée survienne et le surprenne, son sang sera sur sa tête : il a entendu le son de la trompette et ne s’est pas laissé avertir ; son sang sera sur lui ; mais s’il s’est laissé avertir, il aura sauvé sa vie. Que si la sentinelle, voyant venir l’épée, ne sonne pas de la trompette, et qu’ainsi le peuple ne soit pas averti, et que l’épée survienne et surprenne l’un d’entre eux, cet homme sera surpris dans son iniquité, mais je demanderai compte de son sang à la sentinelle. Et toi, fils de l’homme, je t’ai établi comme sentinelle pour la maison d’Israël. Quand tu entendras de ma bouche une parole, tu les avertiras de ma part.
Ezéch., ch 33
Cet avertissement du Seigneur montre bien que le silence, qui peut être très louable, est parfois gravement coupable. Un prêtre catholique a‑t-il le droit de se taire, en chaire, s’il constate que la foi de ses paroissiens est gravement ébranlée par certaines déclarations romaines ?
Or, on est bien obligé de constater que, depuis une cinquantaine d’année, certains propos prononcés par le successeur de Pierre en public, ainsi que certains de ses actes, constituent un danger objectif pour la foi et les mœurs des fidèles.
Par exemple, le 1er octobre 2013, le pape répondait au journal italien Repubblica :
Chacun à sa propre conception du Bien et du Mal et chacun doit choisir et suivre le Bien et combattre le Mal selon l’idée qu’il s’en fait.
C’est la doctrine relativiste, tant de fois condamnée par les papes.
Le 26 novembre 2013, le pape François signait l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, dans laquelle il écrivait :
Le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence.
Pourtant, dans la Sourate 9, verset 5, Allah demande de tuer les associateurs, c’est-à-dire ceux qui croient à la sainte Trinité. Plus loin, le pape affirmait aussi que les musulmans « professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique ». Mais le dieu des musulmans est anti-trinitaire. L’islam prétend que Dieu n’a pas de fils et que Jésus-Christ n’est pas Dieu. Le dieu des musulmans est donc un faux dieu.
Dans le même document, François disait aussi que l’alliance du peuple juif avec Dieu n’a jamais été supprimée. C’est oublier que le Vendredi saint, quand le rideau du Temple s’est déchiré, l’ancien Testament a pris fin.
Le 20 janvier 2014, le pape s’adressait aux migrants musulmans, leur conseillant de s’appuyer sur le Coran. Il ajoutait :
La foi que vos parents vous ont inculquée vous aidera toujours à avancer.
Au contraire, la foi musulmane, étant une fausse croyance, ne peut qu’être un obstacle pour avancer.
Le 6 mai 2014, le pape, en s’inclinant, a embrassé la main d’un prêtre leader homosexuel activiste faisant campagne pour que l’Eglise change son enseignement sur l’homosexualité. Michele de Paolis est en effet prêtre et cofondateur de l’organisation gay appelée Agedo Foggia. C’est devant les caméras que le pape lui a manifesté tant de bienveillance et d’amitié.
Le 29 novembre 2014, en voyage en Turquie, le pape est entré dans la mosquée bleue d’Istanbul. Il s’est déchaussé, s’est fait lire et expliquer le Coran par le grand Mufti, puis lui a proposé de prier ensemble. Le pape s’est alors tourné vers La Mecque, a croisé les doigts, s’est incliné, a fermé les yeux pour se recueillir pendant deux à trois minutes[4]. Un tel geste est plus qu’ambigu. Devant la morale catholique traditionnelle, il s’agit d’un scandale contre la foi.
Le 8 septembre 2015, le pape facilitait les procédures de nullité de mariage par le motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus. Mgr Fellay a fait remarquer publiquement [5] que ce document ouvrait la porte de fait à une procédure de divorce catholique qui ne dit pas son nom. C’est une grave blessure pour le sacrement de mariage et son indissolubilité.
Le mois suivant avait lieu le synode des évêques sur la famille, qui demandait notamment que les divorcés remariés civilement soient davantage intégrés dans les communautés chrétiennes. Ce synode a causé une profonde confusion dans les esprits.
Le 17 octobre 2015, dans un important discours sur la synodalité, le pape a appelé à une conversion de la papauté. Il a affirmé que, dans l’Eglise, personne ne se trouvait au-dessus des autres, et qu’il fallait édifier une église synodale.
Dans cette Eglise, comme dans une pyramide inversée, le sommet se trouve sous la base.
Cette vision de l’Eglise, démocratique et égalitaire, s’oppose à celle de Jésus-Christ, qui a voulu la sainte Eglise hiérarchique et monarchique.
Le 7 janvier 2016, dans une courte vidéo, le pape François a transmis au monde ses intentions de prières pour la nouvelle année. Après des images fortes du pape avec d’autres leaders religieux, le pape a conclu :
Pour que le dialogue sincère entre hommes et femmes de différentes religions porte des fruits de paix et de justice.
Ces vœux, loin de traduire le souci de l’Eglise que tous les égarés rentrent au bercail, rappellent davantage l’idéal maçonnique.
Le 17 janvier 2016, le pape s’est rendu dans la Synagogue de Rome. Un mois auparavant, le Saint-Siège avait déclaré :
L’Eglise catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs.
Voir DICI n°328
Au contraire, la conversion des juifs au catholicisme a toujours été une préoccupation importante de l’Eglise, depuis le Vendredi saint jusqu’au concile Vatican II exclusivement.
Enfin, le Saint-Siège a annoncé que le pape se rendra en Suède en octobre 2016, sur l’invitation de l’église luthérienne, pour fêter les 500 ans de la réforme protestante.
Dans le même temps, il faut reconnaître aussi que le pape a le courage de rappeler avec force certaines vérités qui déplaisent au monde moderne. Ainsi, il ne craint pas de condamner le crime de l’avortement.
Comment réagir devant une telle confusion ? Certains sont tentés de sombrer dans le sédévacantisme, estimant impossible que l’auteur de tels scandales soit vraiment le successeur de Pierre. D’autres au contraire se sentent obligés de le suivre, même dans ses égarements. Le juste milieu nous est tracé par Mgr Lefebvre, qui a suivi une ligne de crête entre le sédévacantisme et les compromissions avec le modernisme. Son amour de l’Eglise et du pape l’a conduit à reconnaître l’autorité du pape, tout en refusant avec force de lui obéir lorsque ce qu’il enseigne s’oppose à la foi.
Et si l’on nous accuse de juger le pape, nous répondons que nous ne faisons que constater une contradiction entre ce qu’il dit et ce qu’ont dit les papes pendant 19 siècles. Or, deux propositions contradictoires ne peuvent pas être vraies en même temps. Mais loin de nous la volonté de juger la personne du successeur de Pierre. Est-il manipulé ? A‑t-il l’intention de détruire l’Eglise ? Pense-t-il bien faire ? Qui sommes-nous pour oser répondre à de telles questions ?
La conclusion s’impose donc : c’est non seulement un droit, mais aussi un devoir de critiquer le pape publiquement. Il faut cependant préciser que cette correction ne doit être ni insolente ni dure, mais douce et respectueuse, inspirée par les paroles de saint Paul : « ne reprends pas avec rudesse un vieillard, mais avertis-le comme un père »[6].
Enfin, tout catholique a le devoir de prier pour le Saint Père. Ce triste spectacle d’un pape contaminé par le modernisme doit nous inciter à prier pour lui avec d’autant plus de ferveur. Si nous nous contentons de le critiquer sans prier pour lui, notre démarche manque d’esprit de foi.
Que la Bienheureuse Vierge Marie, elle qui a exterminé toutes les hérésies[7], augmente dans nos âmes notre amour pour la sainte Eglise et pour le successeur de Pierre !
Abbé Bernard de Lacoste-Lareymondie, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le saint-Vincent n° 13 de mars 2016
- Lc, X, 16[↩]
- Ga, II, 11[↩]
- C’est nous qui soulignons[↩]
- Voir DICI n°306[↩]
- Supplique au Saint Père, 29 sept 2015[↩]
- I Tim V, 1, cité par saint Thomas, IIa IIae, q.33 a.4[↩]
- Antienne des fêtes de la Sainte Vierge[↩]