Benoît XVI : mise au point sur le concile Vatican II

Monsieur l’abbé François Knittel nous pro­pose une étude éla­bo­rée à par­tir du dis­cours pro­non­cé par Benoît XVI le 22 décembre 2005 dans lequel le Saint Père s’est essayé à une mise au point sur le concile Vatican II. Force est de consi­dé­rer ce dis­cours de Benoît XVI comme un dis­cours pro­gram­ma­tique.

Aussi l’abbé François Knittel nous incite à nous atte­ler à la tâche de com­prendre exac­te­ment ce dis­cours dense et for­te­ment struc­tu­ré qui veut nous pré­sen­ter « une inter­pré­ta­tion authen­tique de Vatican II ».

Au moment où cer­tains essaient de choi­sir dans ce dis­cours « éton­nant » de Benoît XVI ce qui les arrange, l’étude pré­sen­tée ci-​après ne fait l’impasse ni sur ce qui peut nous appa­raître comme une avan­cée posi­tive ni sur les carences qui y sont contenues.

Abbé Régis de Cacqueray † , Supérieur du District de France

Abbé François KNITTEL – Octobre 2006

À l’occasion de ses vœux à la curie romaine le 22 décembre 2005 ((Détail curieux à noter : le dis­cours de Jean-​Paul II à la curie romaine, des­ti­né à jus­ti­fier et à expli­quer la réunion inter­re­li­gieuse d’Assise en octobre 1986, était lui aus­si daté du 22 décembre 1986.)), après une pre­mière par­tie de son dis­cours consa­crée aux évè­ne­ments de l’année écou­lée (mort de Jean-​Paul II, élec­tion de son suc­ces­seur, J.M.J. à Cologne et Synode sur l’Eucharistie à Rome), le Pape Benoît XVI s’est essayé à une mise au point sur le concile Vatican II.

L’intérêt d’une telle ten­ta­tive n’échappera à per­sonne, sur­tout si l’on tient compte de la consta­ta­tion ini­tiale du pape dans son dis­cours : « Personne ne peut nier que, dans de vastes par­ties de l’Eglise, la récep­tion du Concile s’est dérou­lée de manière plu­tôt difficile… »

On ne peut s’empêcher de consi­dé­rer ce dis­cours de Benoît XVI comme un dis­cours pro­gram­ma­tique. Aussi faut-​il nous atte­ler à la tâche de com­prendre exac­te­ment ce dis­cours dense et for­te­ment struc­tu­ré qui nous pré­sente une inter­pré­ta­tion authen­tique de Vatican II.

Nous men­tion­ne­rons à l’occasion les textes paral­lèles de celui qui était alors le car­di­nal Joseph Ratzinger, pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Nous pen­sons en par­ti­cu­lier à son livre inter­view avec le jour­na­liste ita­lien Vittorio Messori, inti­tu­lé Entretien sur la foi et à son dis­cours aux évêques chi­liens le 13 juillet 1988, pro­non­cé dans la fou­lée des consé­cra­tions épis­co­pales à Ecône le 30 juin 1988.

Nous serons alors en mesure de com­prendre ce que le dis­cours du Souverain Pontife actuel a de com­mun, mais aus­si ce qu’il a de propre par rap­port aux réflexions du car­di­nal d’alors et de voir aus­si dans quelle mesure son dis­cours fait œuvre de clarification.

a par­tie du dis­cours de Benoît XVI sur la récep­tion de Vatican II compte cinq para­graphes et s’étend sur quatre pages impri­mées environ.

Le dis­cours com­mence par une brève intro­duc­tion sous forme d’é­tat de la ques­tion, résu­mé en ces termes :

« Pourquoi l’ac­cueil du concile, dans de grandes par­ties de l’Eglise, s’est-​il jus­qu’à pré­sent dérou­lé de manière aus­si difficile ?»

Le pape intro­duit ensuite l’i­dée qu’il va déve­lop­per tout le long du discours :

« Tout dépend de la juste inter­pré­ta­tion du concile ou ‑nous le dirons aujourd’­hui de sa juste her­mé­neu­tique, de la juste clé de lec­ture et d’application. »

Or, selon le pape, il y a deux her­mé­neu­tiques en com­pé­ti­tion : l’her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture et l’her­mé­neu­tique de la réforme. Enfin, Benoît XVI ter­mine en rap­pe­lant que l’Eglise se doit de res­ter un signe de contra­dic­tion tout en cher­chant à résoudre le « pro­blème éter­nel du rap­port entre foi et rai­son, qui se repré­sente sous des formes tou­jours nou­velles ».

1 – L’état de la question

Prenant occa­sion des 40 années écou­lées depuis la clô­ture du concile Vatican II, le pape s’interroge sur « le résul­tat du Concile ».

1.1 – La réception de Vatican II

Qu’on remarque bien dès l’abord que la ques­tion posée ne concerne pas le Concile en lui-​même, ni son dérou­le­ment, ni son objec­tif. De ce côté-​là, Benoît XVI ne semble pas per­ce­voir de problème((’est là la posi­tion de tou­jours du car­di­nal Ratzinger : « Dans la parie fon­da­men­tale des accords, Mgr Lefebvre avait recon­nu devoir accep­ter Vatican II et les affir­ma­tions du Magistère post-​conciliaire, selon l’au­to­ri­té propre à chaque dovu­ment » (Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chi­liens, 13 juillet 1988 ) « Défendre le Concile Vatican II contre Mgr Lefebvre, comme valide et ayant force de loi dans l’Eglise, est un devoir néces­saire » (Ibid.) « Je ne vois aucun ave­nir pour une posi­tion de refus fon­da­men­tal à l’égard de Vatican II, en soi illo­gique. » (Cardinal Joseph Ratzinger –Vittorio Messori, Entretien sur la foi, Fayard, Paris, 1985 <Ratzinger-​Messori>, p. 32))). Expert lui-​même lors du Concile, il ne voit dans ce concile pas­to­ral rien d’atypique.

Non, ce qui l’inquiète, c’est la récep­tion du Concile((« Personne ne peut nier que, dans de vastes par­ties de l’Eglise, la récep­tion du Concile s’est dérou­lée de manière plu­tôt dif­fi­cile… » « Les pro­blèmes de la récep­tion sont nés du fait que deux her­mé­neu­tiques contraires se sont trou­vées confron­tées… »)) ou son accueil((« A‑t-​il été accueilli de façon juste ? » « Dans l’accueil du concile, qu’est-ce qui a été posi­tif, insuf­fi­sant ou erro­né ? » « Pourquoi l’accueil du concile, dans de grandes par­ties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à pré­sent dérou­lé de manière aus­si dif­fi­cile ? »)). Le concile Vatican II est un fait incon­tour­nable et non-​négociable. Il est, tout sim­ple­ment. Certes, il y a des dif­fi­cul­tés, des confu­sions, des cla­meurs, mais le Concile n’est pas lui-​même en cause. La solu­tion pro­po­sée est donc une ques­tion d’interprétation : la bonne inter­pré­ta­tion ren­dant une bonne récep­tion pos­sible, la mau­vaise ayant l’effet contraire.

1.2 – Vatican II et Nicée

Cette impres­sion que ce qui est en cause ce n’est pas le Concile en lui-​même, mais cer­taines fausses inter­pré­ta­tions qui en rendent la récep­tion (ou l’accueil) dif­fi­cile, est confir­mée par la cita­tion de S. Basile décri­vant la situa­tion de l’Eglise après le concile de Nicée. Certes, le pape ne force pas la com­pa­rai­son((« … même sans vou­loir appli­quer à ce qui s’est pas­sé en ces années la des­crip­tion que le grand Docteur de l’Eglise, saint Basile, fait de la situa­tion de l’Eglise après le concile de Nicée… » « Nous ne vou­lons pas pré­ci­sé­ment appli­quer cette des­crip­tion dra­ma­tique à la situa­tion de l’après-Concile, mais quelque chose de ce qui s’y est pro­duit s’y reflète tou­te­fois. »)), mais il n’hésite pas à com­pa­rer la confu­sion dans l’Eglise après le concile de Nicée à celle qui sui­vit le concile Vatican II.
Cette com­pa­rai­son n’est pas nou­velle, puisqu’on la trouve expli­ci­te­ment dans la lettre adres­sée à Mgr Lefebvre le 11 octobre 1976 dans laquelle le pape Paul VI par­lait du concile Vatican II « qui ne fait pas moins auto­ri­té, qui est même sous cer­tains aspects plus impor­tant encore que celui de Nicée. » Cette com­pa­rai­son ne va pas faci­li­ter le diag­nos­tic que Benoît XVI veut por­ter sur la confu­sion actuelle.

En effet, com­ment com­pa­rer l’autorité d’un concile dog­ma­tique comme le concile de Nicée avec celle d’un concile pas­to­ral comme le concile Vatican I((Cette dif­fé­rence entre concile dog­ma­tique et concile pas­to­ral semble pour­tant avoir été per­çue par le car­di­nal Ratzinger en son temps : « The truth is that this par­ti­cu­lar Council defi­ned no dog­ma at all, and deli­be­ra­te­ly chose to remain on a modest level, as a mere­ly pas­to­ral coun­cil… » (Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chi­liens, 13 juillet 1988))) ? Où est-​elle la doc­trine de foi pro­po­sée par Vatican II qui pour­rait don­ner lieu à des fal­si­fi­ca­tions par excès ou par défaut, comme semble l’insinuer le texte de S. Basile cité ?

D’autre part, le concile de Nicée avait été convo­qué pour défi­nir la doc­trine catho­lique sur la divi­ni­té du Christ contre l’hérésie arienne : la confu­sion exis­tait donc déjà dans l’Eglise avant le concile de Nicée et celui-​ci avait été l’instrument choi­si pour sor­tir de la confu­sion, même si l’effet ne devait pas en être immé­diat. Dans le cas du concile Vatican II, la confu­sion est pos­té­rieure au Concile et il fau­drait se deman­der si elle n’a pas été engen­drée par lui. Certes, les ten­dances délé­tères du moder­nisme et de la Nouvelle Théologie se fai­saient déjà sen­tir bien avant Vatican II : il suf­fit de se rap­pe­ler les condam­na­tions des Pontifes((S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 sep­tembre 1907 ; Pie XII, Encyclique Humani gene­ris, 12 août 1950)). Mais, quelle a été l’attitude de Vatican II à leur égard ? A‑t-​il gar­dé ses dis­tances, voire condam­né ces erreurs ? Ou bien, au contraire, les a‑t-​il assu­mées et dans quelle mesure ?Enfin, au-​delà des pro­blèmes de lan­gage dus aux dif­fé­rences entre le grec et le latin, les dif­fi­cul­tés au terme du concile de Nicée ne furent pas dues à une ques­tion d’herméneutique, mais à une pro­blème d’adhésion au don­né révé­lé défi­ni à Nicée en un mot : « consubstantiel ».

Même si Benoît XVI avance avec pru­dence sa com­pa­rai­son entre Nicée et Vatican II, il n’en demeure pas moins que cette com­pa­rai­son même nous révèle ses convic­tions inté­rieures : Vatican II n’est pas en cause, c’est seule­ment sa récep­tion ren­due dif­fi­cile par une mau­vaise herméneutique.

1.3 – La solution proposée

Cette récep­tion dif­fi­cile de Vatican II, sem­blable selon le pape à celle de Nicée, amène le Pontife à se poser la ques­tion, qu’il va essayer de résoudre par la suite :

« Pourquoi l’accueil du concile, dans de grandes par­ties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à pré­sent dérou­lé de manière aus­si difficile ? »

La réponse de Benoît XVI est immé­diate et intro­duit le corps de son discours :

« Tout dépend de la juste inter­pré­ta­tion du concile ou –nous le dirons aujourd’hui de sa juste her­mé­neu­tique, de la juste clé de lec­ture et d’application. Les pro­blèmes de la récep­tion sont nés du fait que deux her­mé­neu­tiques contraires se sont trou­vées confron­tées et sont entrées en conflit. »

2 – Les deux herméneutiques

Le déve­lop­pe­ment du dis­cours du pape va consis­ter à décrire les deux her­mé­neu­tiques en pré­sence en tachant de les dépar­ta­ger.
Tâche dif­fi­cile si l’on prend en compte le fait que l’herméneutique de la réforme appa­raît elle aus­si comme une rup­ture, ce qui sem­ble­rait don­ner rai­son aux par­ti­sans de l’herméneutique de la dis­con­ti­nui­té et de la rupture.

2.1 – L’herméneutique de la discontinuité et de la rupture

2.1.1 – Sa présentation 

Selon Benoît XVI, l’herméneutique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture se pré­sente ainsi :

- Elle cause la confu­sion((« L’une a cau­sé de la confu­sion. »)) ;
- Elle béné­fi­cie de l’appui des medias et d’une par­tie de la théo­lo­gie moderne((« Celle-​ci a sou­vent pu comp­ter sur la sym­pa­thie des mass media, et éga­le­ment d’une par­tie de la théo­lo­gie moderne. »)) ;
- Elle risque de pro­vo­quer une rup­ture entre Eglise pré­con­ci­liaire et Eglise post-​conciliaire((« L’herméneutique de la dis­con­ti­nui­té risque de finir par une rup­ture entre Eglise pré­con­ci­liaire et Eglise post-​conciliaire. » /​/​« Il faut s’opposer à tout prix à cette vue sché­ma­tique d’un avant et d’un après dans l’histoire de l’Eglise, qu’on ne peut aucu­ne­ment étayer par des docu­ments qui, eux, ne font que réaf­fir­mer la conti­nui­té du catho­li­cisme. Il n’y a pas d’Eglise ‘pré’ ou ‘post’ conci­liaire : il n’y a qu’une seule et unique Eglise qui marche vers le Seigneur… Le Concile n’entendait pas du tout intro­duire un par­tage en deux du temps de l’Eglise. » (Ratzinger-​Messori, p. 37))) ;
- Elle prône un esprit du Concile qui dépasse la lettre de Vatican II, laquelle ne serait que le résul­tat d’un com­pro­mis des­ti­né en son temps à entraî­ner l’unanimité des Pères conci­liaires((« Celle-​ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas la véri­table expres­sion de l’esprit du Concile. Ils seraient le résul­tat de com­pro­mis dans les­quels, pour atteindre l’unanimité, on a dû encore empor­ter avec soi et recon­fir­mer beau­coup de vieilles choses désor­mais inutiles… En un mot : il fau­drait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit. » /​/​« Selon ce per­ni­cieux Konzils-​Ungeist [anti-​esprit du Concile], tout ce qui est nou­veau (ou pré­su­mé tel : com­bien d’anciennes héré­sies ont réap­pa­ru en ces années, pré­sen­tées comme des nou­veau­tés !) serait tou­jours, quoi qu’il en soit, meilleur que ce qui a été ou que ce qui est. C’est l’anti-esprit selon lequel l’histoire de l’Eglise devrait com­men­cer à par­tir de Vatican II, consi­dé­ré comme une espèce de point zéro. » (Ratzinger-​Messori, p. 36–37))) ;
- Elle inter­prète lar­ge­ment cet esprit du concile et laisse la porte ouverte à toutes les fan­tai­sies((« De cette manière, évi­dem­ment, il est lais­sé une grande marge à la façon dont on peut alors défi­nir cet esprit et on ouvre ain­si la porte à toutes les fan­tai­sies. »))

2.1.2 – Sa critique 

Dans un deuxième temps, le Pontife laisse entre­voir qu’il ne par­tage pas cette her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture, car « elle se méprend sur la nature d’un Concile en tant que tel ».En effet, un concile n’est pas une « Constituante, qui éli­mine une vieille consti­tu­tion et en crée une nou­velle. »
Or, les Pères conci­liaires :
- N’avaient pas un tel man­dat ;
- N’en ont reçu de per­sonne ;
- Ne pou­vaient en rece­voir de per­sonne.
Pourquoi ?

« Parceque la consti­tu­tion essen­tielle de l’Eglise vient du Seigneur… » et que les évêques ne sont que « les dépo­si­taires du don du Seigneur » et « les admi­nis­tra­teurs des mys­tères de Dieu » (1 Cor 4, 1).

Ces pro­pos, qui nous semblent inté­res­sants, sont à rap­pro­cher de ce que le car­di­nal Ratzinger disait aux évêques chi­liens en juillet 1988 :

« Certainly there is a men­ta­li­ty of nar­row views that iso­late Vatican II and which pro­vo­ked this oppo­si­tion [from Msgr Lefebvre]. There are many accounts of it which give the impres­sion that, from Vatican II onward, eve­ry­thing has been chan­ged, and that what pre­ce­ded it has no value or, at best, has value only in the light of Vatican II.
« The Second Vatican Council has not been trea­ted as a part of the entire living Tradition of the Church, but as an end of Tradition, a new start from zero. The truth is that this par­ti­cu­lar Council defi­ned no dog­ma at all, and deli­be­ra­te­ly chose to remain on a modest level, as a mere­ly pas­to­ral coun­cil ; and yet many treat it as though it had made itself into a sort of super­dog­ma which takes away the impor­tance of all the rest. »

2.2 – L’herméneutique de la réforme

C’est dans le cadre déli­mi­té par le dyna­misme et la fidé­li­té que Benoît XVI pré­sente l’herméneutique de la réforme qu’il fait sienne.

2.2.1 – Sa présentation 

Selon Benoît XVI, l’herméneutique de la réforme se pré­sente ain­si :
- Elle a por­té et porte des fruits, silen­cieu­se­ment mais de manière tou­jours plus visible((« …l’autre, silen­cieu­se­ment mais de manière tou­jours plus visible, a por­té et porte du fruit. » « Aujourd’hui, nous voyons que la bonne semence, même si elle se déve­loppe len­te­ment, croît tou­jours et que croît éga­le­ment notre pro­fonde gra­ti­tude pour l’œuvre accom­plie par le Concile. »)) ;
- Elle pro­cède au renou­veau dans la conti­nui­té de l’unique sujet-​Eglise((« D’autre part, il y a l’herméneutique de la réforme, du renou­veau dans la conti­nui­té de l’unique sujet-​Eglise, que le Seigneur nous a don­née ; c’est un sujet qui gran­dit dans le temps et qui se déve­loppe, res­tant tou­jours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche. »)) ;
- Elle a pro­duit de bons fruits((« Quarante ans après le Concile, nous pou­vons révé­ler que l’aspect posi­tif est plus grand et plus vivant que ce qu’il pou­vait appa­raître dans l’agitation des années qui ont sui­vi 1968. »)).

2.2.2 – Son fondement 

Cette her­mé­neu­tique de la réforme est-​elle propre à Benoît XVI ? La tire-​t-​il de son propre fond pour les besoins de la cause ?

Pour parer à cette objec­tion, le pape en appelle à l’intention du Concile telle que défi­nie par Jean XXIII, le pape qui ouvrit le concile, dans son allo­cu­tion d’ouverture le 11 octobre 1962, et par Paul VI, le pape qui conclut le Concile, dans son allo­cu­tion de clô­ture le 7 décembre 1965.

La boucle est donc bou­clée : le soleil se lève à l’est. Du début à la fin, Vatican II a obéi à une même inten­tion que le Pontife actuel assume dans son her­mé­neu­tique de la réforme, laquelle per­met­tra la récep­tion (ou l’accueil) adé­quate de Vatican II.

2.2.3 – L’apport de Jean XXIII 

En quoi consiste, selon Benoît XVI, l’apport de Jean XXIII à la cor­recte inter­pré­ta­tion de Vatican II ? Le pape se réfère à l’affirmation cen­trale de l’allocution de Jean XXIII sur la dis­tinc­tion entre le dépôt de la foi et la façon de l’énoncer((« Il est néces­saire que cette doc­trine cer­taine et immuable, qui doit être fidè­le­ment res­pec­tée, soit appro­fon­die et pré­sen­tée d’une façon qui cor­res­ponde aux exi­gences de notre temps. En effet, il faut faire une dis­tinc­tion entre le dépôt de la foi, c’est-à-dire les véri­tés conte­nues dans notre véné­rée doc­trine, et la façon dont celles-​ci sont énon­cées, en leur conser­vant tou­te­fois le même sens et la même doc­trine. » (Jean XIII, Allocution d’ouverture du concile Vatican II, 11 octobre 1962))).

D’autres se sont déjà pen­chés sur cette distinction((Voir Raoul Martin, Validité ou non vali­di­té de l’opposition ron­cal­lienne entre la forme et le fond in Premier Symposium théo­lo­gique de Paris, La reli­gion de Vatican II, 4–6 octobre 2002, Ed. Cercles de Tradition de Paris, 2003, p. 332–356)), à la fois fami­lière et étrange. Familière, car face au mys­tère et à Dieu, il y a tou­jours lieu de s’assurer de l’instrument adé­quat pour par­ler de l’indicible((S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 13)). De ce côté-​là, le récent concile ne s’affrontait avec rien de nou­veau par rap­port aux pré­cé­dents. Qu’il faille adap­ter son lan­gage à l’auditoire, sans jamais tra­hir le conte­nu révé­lé, c’est une expé­rience com­mune à tous les pré­di­ca­teurs et à tous les mis­sion­naires. Il n’y avait donc pas là matière à un nou­veau concile. Il faut donc cher­cher ailleurs.

Étrange, car il s’agit selon les termes mêmes de Jean XXIII « que cette doc­trine cer­taine et immuable, qui doit être fidè­le­ment res­pec­tée, soit appro­fon­die et pré­sen­tée d’une façon qui cor­res­ponde aux exi­gences de notre temps », « tâche que notre époque exige ». Or, on trouve chez Pie XII un pas­sage qui se réfère au thème de l’accommodation de la foi aux esprits et aux phi­lo­so­phies modernes : « Ils font l’objection que la phi­lo­so­phie per­en­nis n’est qu’une phi­lo­so­phie des essences immuables, tan­dis que l’esprit d’aujourd’hui doit consi­dé­rer l’existence des êtres sin­gu­liers et la vie tou­jours fluc­tuante. Pendant qu’ils méprisent cette phi­lo­so­phie, ils font l’éloge des phi­lo­so­phies, anciennes ou modernes, d’Orient ou d’Occident, en sorte qu’ils semblent insi­nuer dans les esprits que n’importe quelle phi­lo­so­phie, n’importe quelle façon de pen­ser peut, moyen­nant, s’il le faut, des cor­rec­tions et des com­plé­ments, s’accorder avec le dogme catho­lique »((Pie XII, Encyclique Humani gene­ris, 12 août 1950)), mais c’est pour condam­ner aus­si­tôt et sans appel cette ten­ta­tive : « Ce qui est abso­lu­ment faux, sur­tout lorsqu’il s’agit de sys­tèmes comme l’immanentisme, l’idéalisme ou le maté­ria­lisme, soit his­to­rique soit dia­lec­tique, ou encore de l’existentialisme, s’il pro­fesse l’athéisme ou du moins s’il rejette la valeur du rai­son­ne­ment méta­phy­sique »((Ibid.)).

L’explication qu’en donne Benoît XVI n’est pas là pour nous ras­su­rer : l’expression nou­velle d’une véri­té déter­mi­née requiert « une nou­velle réflexion sur celle-​ci et un nou­veau rap­port avec elle », les­quels sup­posent « une com­pré­hen­sion consciente de la véri­té expri­mée » et « que l’on vive cette foi ». Qu’est-ce à dire ? C’est, selon Benoît XVI, le moyen d’assurer « la syn­thèse de la fidé­li­té et de dyna­misme » men­tion­née plus haut.

Pour éclair­cir un peu ses idées, on pour­ra relire les réflexions déjà faites sur la conscience à Vatican II((Voir Deuxième Symposium théo­lo­gique de Paris, La conscience dans la reli­gion de Vatican II, 9–11 octobre 2003)) et ce S. Pie X disait de l’expérience de la foi dans le sys­tème moderniste((S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 sep­tembre 1907, Ed. A.F.S., n° 54)).

Appel à la phi­lo­so­phie moderne, insis­tance sur la conscience au détri­ment de l’être, men­tion de la foi vécue à saveur moder­niste et blon­dé­lienne : rien n’est fait pour nous ras­su­rer dans cette allo­cu­tion de Jean XXIII et dans sa men­tion comme cri­tère d’une her­mé­neu­tique de la réforme par Benoît XVI.

2.2.4 – L’apport de Paul VI 

En quoi consiste alors, selon Benoît XVI, l’apport de Paul VI à la cor­recte inter­pré­ta­tion de Vatican II ?

Au Concile, l’Eglise s’est consa­cré au « grand débat sur l’homme, qui carac­té­rise le temps moderne », à l’« anthro­po­lo­gie », au « rap­port entre l’Eglise et sa foi, d’une part, et l’homme et le monde d’aujourd’hui, d’autre part », au « rap­port entre l’Eglise et l’époque moderne ». Nous revien­drons un peu plus loin sur la vision qu’a le pape de ce débat, de sa généa­lo­gie, de sa chro­no­lo­gie, de ses étapes et de son état actuel (Cf. 2.3).

Disons sim­ple­ment pour l’instant qu’on retrouve là l’intention ini­tiale de Jean XXIII : il faut « que cette doc­trine cer­taine et immuable, qui doit être fidè­le­ment res­pec­tée, soit appro­fon­die et pré­sen­tée d’une façon qui cor­res­ponde aux exi­gences de notre temps. » Encore une fois, ce rap­port dif­fi­cile entre l’Eglise et le monde, qu’il soit moderne ou pas, n’est pas nou­veau. Il est de tous les âges de l’Eglise.

Il peut être réso­lu essen­tiel­le­ment de deux manières : soit le monde, pre­nant la mesure de son éloi­gne­ment de Dieu, cherche à s’élever vers cet idéal que lui pré­sente l’Eglise ; soit l’Eglise, par cha­ri­té mal entendue((Qu’on pense spé­cia­le­ment à la para­bole du Bon Samaritain men­tion­née expli­ci­te­ment par Paul VI dans son Discours de clô­ture pour décrire les rap­ports de Vatican II avec l’humanisme moderne :
« L’humanisme laïque et pro­fane enfin est appa­ru dans sa ter­rible sta­ture et a, en un cer­tain sens, défié le Concile.
« La reli­gion du dieu qui s’est fait homme s’est ren­con­trée avec la reli­gion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.
« Qu’est-​il arri­vé ? Un choc, une lutte, un ana­thème ? Cela pou­vait arri­ver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille his­toire du Samaritain a été le modèle de la spi­ri­tua­li­té du Concile. Une sym­pa­thie sans bornes l’a enva­hi tout entier. La décou­verte des besoins humains (et ils sont d’au­tant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand) a absor­bé l’at­ten­tion de notre Synode.
« Reconnaissez-​lui au moins ce mérite, vous huma­nistes modernes, qui renon­cez à la trans­cen­dance des choses suprêmes, et sachez recon­naître notre nou­vel huma­nisme : nous aus­si, nous plus que qui­conque, nous avons le culte de l’homme. »)), se penche vers le monde en adop­tant ses idéaux, ses mots d’ordre et ses maximes, et s’éloigne dans la même mesure de sa mis­sion divine.

Il n’est pas dif­fi­cile de com­prendre quelle est l’option choi­sie par Vatican II pour cor­res­pondre aux « exi­gences de notre temps » et à « la tâche que notre époque exige »

2.3 – Présentation du débat entre l’Eglise et le monde moderne

L’allocution de clô­ture de Vatican II pro­non­cée par Paul VI mérite une atten­tion par­ti­cu­lière. Benoît XVI lui consacre trois longs para­graphes dans son dis­cours du 22 décembre 2005.

En effet, le « grand débat sur l’homme qui carac­té­rise le temps moderne », dont Vatican II a fait l’objet prin­ci­pal de ses débats, semble don­ner des argu­ments aux par­ti­sans d’une her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té(( « Paul VI, dans son dis­cours lors de la clô­ture du Concile, a ensuite indi­qué une autre moti­va­tion spé­ci­fique pour laquelle une her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té pour­rait sem­bler convain­cante. »)). On est en droit de se deman­der à ce point : quels sont les par­ti­sans d’une her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té visés ici ?

Directement, il s’agit bien sûr de ceux qui ont été décrits plus haut comme vou­lant dépas­ser la lettre du Concile au nom d’un esprit du Concile, de ceux qui risquent de pro­vo­quer une rup­ture entre Eglise anté­con­ci­liaire et Eglise post-​conciliaire, de ceux qui laissent la porte ouverte à toutes les fantaisies.

Mais, indi­rec­te­ment, on ne peut s’empêcher de voir ici une réponse à d’autres par­ti­sans de la dis­con­ti­nui­té, qui la consi­dèrent non comme un idéal à atteindre, mais comme un mal auquel il fau­drait remé­dier. Nous vou­lons par­ler bien évi­dem­ment des tra­di­tio­na­listes. Ce sont bien eux qui se réfèrent aux condam­na­tions de Pie IX, eux qui regrettent la laï­ci­sa­tion des États, eux qui condamnent la liber­té reli­gieuse défi­nie par Dignitatis humanæ eux qui se réfèrent aux condam­na­tions du moder­nisme et aux déci­sions de la Commission Biblique.

Benoît XVI ramène les dif­fi­cul­tés qui ont sur­gi dans le sillage de Vatican II à une ques­tion d’herméneutique, sans sem­bler se rendre compte que les tra­di­tio­na­listes mettent en cause le conte­nu même de cer­tains textes du Concile bien pré­cis (Gaudium et spes, Dignitatis humanæ, Nostra ætate, Unitatis Redintegratio, en par­ti­cu­lier) et mettent en accu­sa­tion l’esprit qui a pré­si­dé à la rédac­tion de leur ensemble. Pour eux, ce n’est pas une ques­tion d’herméneutique, mais bien de conte­nu objec­tif, jugé hété­ro­gène par rap­port aux défi­ni­tions anté­rieures du Magistère.

S’agit-il d’une méprise invo­lon­taire, d’une igno­ran­tia elen­chi ou d’une incom­pré­hen­sion ? La suite des rela­tions entre la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X et les auto­ri­tés vati­canes pour­rait fort bien dépendre de la réponse à cette ques­tion fondamentale.

Essayons tou­te­fois de com­prendre la vision que le Pape actuel a de la rela­tion entre l’Eglise et le monde moderne.

2.3.1 – Etapes his­to­riques d’un conflit 

Pour Benoît XVI, le conflit entre le monde moderne et l’Eglise serait allé in cres­cen­do selon trois étapes :
- Un début pro­blé­ma­tique avec le pro­cès fait à Galilée((« Ce rap­port avait déjà connu un début très pro­blé­ma­tique avec le pro­cès fait à Galilée. »)) ;
- Une rup­ture totale avec la reli­gion dans les limites de la rai­son pure de Kant((« [Ce rap­port] s’était ensuite tota­le­ment rom­pu lorsque Kant défi­nit la ‘reli­gion dans les limites de la rai­son pure’… »)) ;
- Une exclu­sion de l’Eglise et de la foi de la vie sociale par la Révolution Française(((27)« [Ce rap­port s’était tota­le­ment rom­pu] lorsque, dans la phase radi­cale de la Révolution fran­çaise, se répan­dit une image de l’Etat et de l’homme qui ne vou­lait pra­ti­que­ment plus accor­der aucun espace à l’Eglise et à la foi. »)).

Il serait inté­res­sant à ce point de com­pa­rer les étapes de ce conflit sécu­laire entre l’Eglise et le monde moderne avec l’enseignement des Papes anté­rieurs qui par­laient
- du pro­tes­tan­tisme((« Mais pour faire éva­nouir aux yeux de la saine rai­son ce fan­tôme d’une liber­té indé­fi­nie, ne suffit-​il pas de dire que ce sys­tème fut celui des Vaudois et des Bégards, condam­nés par Clément V avec l’approbation du concile œcu­mé­nique de Vienne : que dans la suite, les Wicléfistes et enfin Luther se ser­virent du même appas d’une liber­té effré­née pour accré­di­ter leurs erreurs : ‘Nous sommes affran­chis de toute espèce de joug’, criait à ses pro­sé­lytes cet héré­tique insen­sé. » (Pie VI, Lettre Quod ali­quan­tu­lum, 10 mars 1791 /​PIN 4) On peut aus­si lire Pie VI, Allocution au Consistoire, 17 juin 1793 (PIN 11) ; Grégoire XVI, EncycliqueMirari vos, 15 août 1832 (PIN 28) ; Léon XIII, Encyclique Quod Apostolici, 28 décembre 1878 /​PIN 65) ; Léon XIII, Encyclique Diuturnum, 29 juin 1881 (PIN 93 et 105) ; Léon XIII, Encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885 (PIN 143) ; Pie XII, Encyclique Summi Pontificatus, 20 octobre 1939 (PIN 741))),
- des socié­tés secrètes, en par­ti­cu­lier de la maçon­ne­rie((« Aussitôt que com­men­çaient à gros­sir les socié­tés secrètes, dans le sein des­quelles cou­vaient alors déjà les semences des erreurs dont Nous avons par­lé, les Pontifes Romains, Clément XII et Benoît XIV, ne négli­gèrent pas de démas­quer les des­seins impies des sectes et d’avertir les fidèles du monde entier du mal que l’on pré­pa­rait ain­si sour­de­ment. » (Léon XIII, Encyclique Quo Apostolici, 28 décembre 1878 /​PIN 68. Voir aus­si PIN 69)),
- de la Révolution fran­çaise((« Mais après que, grâce à ceux qui se glo­ri­fiaient du nom de phi­lo­sophes, une liber­té effré­née fût attri­buée à l’homme, après que le droit nou­veau, comme ils disent, com­men­ça d’être for­gé et sanc­tion­né, contrai­re­ment à la loi natu­relle et divine, le pape Pie VI, d’heureuse mémoire, dévoi­la tout aus­si­tôt, par des docu­ments publics, le carac­tère détes­table et la faus­se­té de ces doc­trines ; en même temps, la pré­voyance apos­to­lique a pré­dit les ruines aux­quelles le peuple trom­pé allait être entraî­né. » (Léon XIII, Encyclique Quod Apostolici, 28 décembre 1878 /​PIN 68))),
- et du com­mu­nisme((« Vous com­pre­nez sans peine, Vénérables Frères, que Nous par­lons de la secte de ces hommes qui s’appellent diver­se­ment et de noms presque bar­bares, socia­listes, com­mu­nistes et nihi­listes, et qui, répan­dus par toute la terre, et liés étroi­te­ment entre eux par un pacte inique, ne demandent plus désor­mais leur force aux ténèbres de réunions occultes, mais, se pro­dui­sant au jour publi­que­ment, et en toute confiance, s’efforcent de mener à bout le des­sein, qu’ils ont for­mé depuis long­temps, de bou­le­ver­ser les fon­de­ments de la socié­té. » (Léon XIII, Encyclique Quo Apostolici, 28 décembre 1878 /​PIN 62. Voir aus­si 69) ; « [Les francs-​maçons] frayent ain­si le che­min à d’autres sec­taires plus nom­breux et plus auda­cieux, qui se tiennent prêts à tirer de ces faux prin­cipes des conclu­sions encore plus détes­tables, à savoir le par­tage égal et la com­mu­nau­té des biens entre tous les citoyens, après que toute dis­tinc­tion de rang et de for­tune aura été abo­lie. » (Léon XIII, Encyclique Humanum genus, 20 avril 1884, /​PIN 121) ; Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris du 19 mars 1937 (Introduction)),
comme des grandes phases de cette manœuvre d’encerclement de l’Eglise par les forces de la cité du diable((Léon XIII, Encyclique Humanum genus, 20 avril 1884, Introductio)).

La pers­pec­tive des deux visions est très dif­fé­rente1 : l’une, celle de Benoît XVI, se laisse impo­ser les thèmes de contro­verse par un esprit humain de plus en plus cor­rom­pu dans ses assises natu­relles ; l’autre, celle des papes anté­rieurs, mesure la dégra­da­tion de l’idéal chré­tien, indi­vi­duel et social et tache d’en aver­tir pas­teurs et fidèles.

2.3.2 – La réac­tion de l’Eglise 

L’opposition de la foi de l’Eglise avec le libé­ra­lisme et le scien­tisme condui­sit, selon Benoît XVI, aux sévères condam­na­tions de Pie IX.
Arrêtons-​nous quelques ins­tants sur cette réac­tion de l’Eglise, telle que le Pape la perçoit.

Tout d’abord, on peut s’interroger sur l’opportunité de réduire l’opposition du seul Pie IX aux méfaits de la révo­lu­tion dans tous les domaines((Déjà dans l’ouvrage Les prin­cipes de la théo­lo­gie catho­lique, le car­di­nal Ratzinger voyait dans Pie IX et le Syllabus un pape et un docu­ment signi­fi­ca­tifs dans l’histoire des rap­ports entre l’Eglise et le monde moderne : « [Gaudium et Spes] est (en liai­son avec les textes sur la liber­té reli­gieuse et sur les reli­gions dans le monde) une révi­sion du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-​syllabus. » (Tequi, Paris, 1982, p. 426))). Qu’en est-​il des ensei­gne­ments de Pie VI contre la consti­tu­tion civile du clergé(((35) Pie VI, Allocution au Consistoire, 17 juin 1793 (PIN 10–16)), des condam­na­tions du libé­ra­lisme catho­lique par Grégoire XVI((Grégoire XVI, Encyclique Mirari vos, 15 août 1832 (PIN 24–28))) et Léon XIII((Léon XIII, Encyclique Libertas, 20 juin 1888 (PIN 169–232))), des condam­na­tions, du laï­cisme(( S. Pie X, Encyclique Vehementer nos, 11 février 1906 (E 682–683))), du moder­nisme(( S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 sep­tembre 1907 (E 703–709))) et du Sillon(( S. Pie X, Lettre Apostolique Notre Charge Apostolique, 25 août 1910 (PIN 420–468))) par S. Pie X, de la condam­na­tion du communisme(((41) Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris, 19 mars 1937 (PIN 678–697))) et du faux œcuménisme(((42) Pie XI, Encyclique Mortalium ani­mos, 6 jan­vier 1928 (E 854–874))) par Pie XI, de la condam­na­tion de la Nouvelle Théologie par Pie XII(( Pie XII, Encyclique Humani gene­ris, 12 août 1950 (E 1275–1284))) ?

Isoler Pie IX de toute la série des Pontifes qui ont lut­té contre la révo­lu­tion dans tous les domaines, c’est pas­ser sous silence la conti­nui­té du magis­tère durant un siècle et demi et faire de Pie IX une excep­tion regrettable.

Le Pontife insiste lour­de­ment sur le carac­tère radi­cal des idéo­lo­gies condam­nées au XIXe siècle. Son insis­tance sur le terme radi­cal devient même à la longue pesante.

Ce qui fut la cause de cette réac­tion de Pie IX c’est « la phase radi­cale de la Révolution Française », « le libé­ra­lisme radi­cal » (2 occur­rences), les « sciences natu­relles qui pré­ten­daient embras­ser à tra­vers leurs connais­sances toute la réa­li­té jusque dans ses limites », « les ten­dances radi­cales appa­rues dans la seconde phase de la Révolution Française », les sciences natu­relles dési­reuses de com­prendre « la glo­ba­li­té de la réa­li­té » ou « la tota­li­té de la réalité ».

Inutile d’insister : ce que Pie IX a condam­né au XIXe siècle, c’est un cer­tain radi­ca­lisme scien­tiste, natu­ra­liste, libé­ral ou scrip­tu­raire. Enlevé ce radi­ca­lisme de mau­vais aloi, tout peut encore être sauvé !

Ce qui est remar­quable, au sens strict du mot, c’est que le pape Pie IX s’est lui aus­si lais­sé entraî­ner au radi­ca­lisme dans ses condam­na­tions : « [Le radi­ca­lisme libé­ral et scien­tiste] avait pro­vo­qué de la part de l’Eglise, au XIXe siècle, sous Pie IX, des condam­na­tions sévères et radi­cales de cet esprit de l’époque moderne. » Ainsi, donc les torts étaient par­ta­gés dans cette affaire.

Un point par­tout, balle au centre.

2.3.3 – Évolution posi­tive des deux parties.

Cette pre­mière phase du conflit, où le radi­ca­lisme était le fait des deux par­ties, débouche sur une phase de rap­pro­che­ment, située sur­tout dans le 2e tiers du XXe siècle et jugée posi­tive par Benoît XVI :

- D’un côté la révo­lu­tion amé­ri­caine offrait « un modèle d’Etat moderne », non taché de radi­ca­lisme, et « des hommes poli­tiques d’Etat catho­liques avaient démon­tré qu’il peut exis­ter un Etat moderne laïc », per­méable aux valeurs et « pui­sant aux grandes sources éthiques ouvertes par le chris­tia­nisme » ;

- D’un autre côté, des sciences natu­relles qui réa­li­saient qu’elles « n’étaient tou­te­fois pas en mesure de com­prendre la glo­ba­li­té de la réa­li­té » et qui « ouvraient de nou­veau les portes à Dieu ».

On ne peut s’empêcher de remar­quer l’absence notable du Magistère de l’Eglise dans cette évo­lu­tion posi­tive des deux par­ties. Les papes Pie XI et Pie XII n’ont-ils pas été conscients de cette évo­lu­tion positive ?

D’autre part, la men­tion de la révo­lu­tion amé­ri­caine nous laisse son­geur. Que la révo­lu­tion amé­ri­caine ait été moins agres­sive que sa jeune sœur fran­çaise dans son fana­tisme contre l’Eglise ne signi­fie pas qu’elle ait moins méri­té le titre de révo­lu­tion, c’est-à-dire de ren­ver­se­ment de l’ordre natu­rel et sur­na­tu­rel éta­bli par Dieu((Qu’on lise à ce pro­pos les com­men­taires du pape Léon XIII dans sa lettre Longinqua ocea­ni du 6 jan­vier 1895)).

Quant aux hommes catho­liques, sur l’identité des­quels nous en sommes réduits à des conjec­tures, il fau­drait exa­mi­ner atten­ti­ve­ment dans quelle mesure ils n’ont pas eux-​mêmes été conta­mi­nés par le libé­ra­lisme catho­lique. Ceci (leur libé­ra­lisme) pou­vant alors aisé­ment expli­quer cela (leur démons­tra­tion que peut exis­ter un Etat moderne laïc).

2.3.4 – La pro­blé­ma­tique offerte à Vatican II 

À la veille de Vatican II, une triple pro­blé­ma­tique à résoudre s’offre à l’Eglise :
1) La rela­tion entre foi et sciences modernes (sciences natu­relles et sciences historiques((En par­ti­cu­lier la cri­tique biblique)) ;
2) Le rap­port entre Eglise et Etat moderne, dans le cadre d’une rela­tion paci­fique entre diverses reli­gions et idéo­lo­gies à l’intérieur d’un même Etat ;
3) Le rap­port entre foi chré­tienne et reli­gions du monde((En par­ti­cu­lier le rap­port entre l’Eglise et la foi d’Israel.))

On peut par­ta­ger ou non ce sta­tus quæs­tio­nis à la veille de Vatican II, mais ce qui ne laisse pas d’inquiéter dans la pré­sen­ta­tion de Benoît XVI, c’est l’insistance sur la nou­veau­té((« Tout d’abord, il fal­lait défi­nir de façon nou­velle la rela­tion entre foi et sciences modernes… », « En second lieu, il fal­lait défi­nir de façon nou­velle le rap­port entre Eglise et Etat moderne… », « Cela était lié, en troi­sième lieu, de façon plus géné­rale au pro­blème de la tolé­rance reli­gieuse – une ques­tion qui exi­geait une nou­velle défi­ni­tion du rap­port entre foi chré­tienne et reli­gions du monde. » « Le concile Vatican II, avec la nou­velle défi­ni­tion de la rela­tion entre la foi de l’Eglise et cer­tains élé­ments essen­tiels de la pen­sée moderne, a revi­si­té… ») (ou pro­blème de la tolérance).)).

Le concile Vatican II est-​il le pre­mier et le seul à s’être inté­res­sé à ces pro­blèmes ? À lire Benoît XVI, c’est l’impression qu’on en retire. De même que Pie IX était le seul pape men­tion­né dans la condam­na­tion des prin­cipes modernes, ain­si pour les ques­tions à résoudre à la veille de Vatican II ne trouve-​t-​on aucun élé­ment de réponse dans le magis­tère antérieur.

Qu’on nous per­mette de don­ner ici quelques docu­ments du magis­tère qui pour­raient cer­tai­ne­ment éclai­rer ces ques­tions cru­ciales :
- Sur la foi et les sciences modernes en géné­ral : Vatican I,Constitution Dei Filius, 24 avril 1870 (chap. 4)
- Sur la méthode historico-​critique en matière biblique : les nom­breuses déci­sions de la Commission Biblique ain­si que les ency­cliques en matière biblique de Léon XIII (Providentissimus Deus du 18 novembre 1893), de Benoît XV (Spiritus Paraclitus du 15 sep­tembre 1920) et de Pie XII (Divino afflante du 30 sep­tembre 1943)
- Sur l’Eglise et l’Etat : Léon XIII, ency­clique Immortale Dei du 1er novembre 1885
- Sur la tolé­rance : Léon XIII, ency­clique Libertas du 20 juin, 1888
- Sur la foi chré­tienne et les reli­gions du monde : Pie XI, ency­clique Mortalium ani­mos du 6 jan­vier 1928.

Il ne fait aucun doute que ces docu­ments du magis­tère n’ont pas tout dit sur tout, pas plus que S. Thomas ne l’a fait dans sa Somme Théologique tant louée par les papes. Mais, de même que la Somme Théologique a posé les prin­cipes ration­nels qui per­met­tront de résoudre les pro­blèmes nou­veaux qui pour­raient appa­raître avec le temps, ain­si le magis­tère tra­di­tion­nel a‑t-​il posé les jalons pour don­ner les bonnes réponses aux pro­blèmes nou­veaux qui surgissent.

Lorsque, après la décou­verte de l’Amérique par Christophe Colomb, il fal­lut sta­tuer sur ces hommes jusqu’alors incon­nus, sur leur nature, sur leurs droits natu­rels et sur­na­tu­rels, cette pro­blé­ma­tique nou­velle fut abor­dée sur la base des prin­cipes de toujours.

Or, ce n’est pas ce que nous entre­voyons ici : il s’agit de défi­ni­tions nou­velles, mais qui font abs­trac­tion de l’enseignement anté­rieur du magis­tère. Le monde a‑t-​il com­men­cé avec Vatican II ?

2.4 ‑La solution apportée par Vatican II

Peut-​être la conci­lia­tion des contraires nous semblera-​t-​elle plus claire en lisant l’explication qu’en donne le Pontife.

2.4.1 – Le prin­cipe : la nou­veau­té dans la continuité.

Des nou­velles défi­ni­tions don­nées par Vatican II aux rap­ports entre foi et sciences modernes, entre Eglise et Etat moderne, entre foi chré­tienne et reli­gions du monde, en fai­sant abs­trac­tion du magis­tère anté­rieur, il « pou­vait res­sor­tir une cer­taine forme de dis­con­ti­nui­té » et s’est « effec­ti­ve­ment mani­fes­tée une dis­con­ti­nui­té ».
Comment cela est-​il possible ?

Parce que, « une fois éta­blies les diverses dis­tinc­tions entre les situa­tions his­to­riques concrètes et leurs exi­gences, il appa­rais­sait que la conti­nui­té des prin­cipes n’était pas aban­don­née – un fait qui peut échap­per faci­le­ment au pre­mier abord. »

« La nature de la véri­table réforme consiste donc dans cet ensemble de conti­nui­té et de dis­con­ti­nui­té à divers niveaux. » Selon Benoît XVI, Vatican II nous aurait mieux fait com­prendre qu’auparavant, que « les déci­sions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contin­gents (…) devaient néces­sai­re­ment être elles-​mêmes contin­gentes, pré­ci­sé­ment parce qu’elle se réfé­raient à une réa­li­té déter­mi­née et en soi changeante. »

« Dans de telles déci­sions, seuls les prin­cipes expriment l’aspect durable… En revanche, les formes concrètes ne sont pas aus­si per­ma­nentes, elles dépendent de la situa­tion his­to­rique et peuvent donc être sou­mises à des chan­ge­ments. Ainsi, les déci­sions de fond peuvent demeu­rer valables, tan­dis que les formes de leur appli­ca­tion dans des contextes nou­veaux peuvent varier. »

C’est pour­quoi, « le concile Vatican II avec la nou­velle défi­ni­tion de la rela­tion entre la foi de l’Eglise et cer­tains élé­ments essen­tiels de la pen­sée moderne, a revi­si­té ou éga­le­ment cor­ri­gé cer­taines déci­sions his­to­riques, mais dans cette appa­rente dis­con­ti­nui­té, il a en revanche main­te­nu et appro­fon­di sa nature intime et sa véri­table identité. »

On retrouve là un thème que le car­di­nal Ratzinger en son temps avait déjà eu l’occasion de déve­lop­per :« Celui-​ci [le texte de l’instruction sur la voca­tion ecclé­siale du théo­lo­gien] affirme – peut-​être pour la pre­mière fois d’une façon aus­si claire – qu’il existe des déci­sions du magis­tère qui ne peuvent consti­tuer le der­nier mot sur une matière en tant que telle, mais une sti­mu­la­tion sub­stan­tielle par rap­port au pro­blème, et sur­tout une expres­sion de pru­dence pas­to­rale, une sorte de dis­po­si­tion pro­vi­soire. Leur sub­stance reste valide, mais les détails sur les­quels les cir­cons­tances des temps ont exer­cé une influence peuvent avoir besoin de rec­ti­fi­ca­tions ulté­rieures. À cet égard, on peut pen­ser aus­si bien aux décla­ra­tions des papes du siècle der­nier sur la liber­té reli­gieuse qu’aux déci­sions anti­mo­der­nistes du début de ce siècle, en par­ti­cu­lier aux déci­sions de la Commission biblique de l’époque. En tant que cri d’alarme devant les adap­ta­tions hâtives et super­fi­cielles, elles demeurent plei­ne­ment jus­ti­fiées ; une per­son­na­li­té comme Johann Baptiste Metz a dit, par exemple, que les déci­sions anti-​modernistes de l’Église lui ont ren­du le grand ser­vice de la pré­ser­ver de som­brer dans le monde libéral-​bourgeois. Mais dans les détails rela­tifs aux conte­nus, elles ont été dépas­sées, après avoir rem­pli leur devoir pas­to­ral à un moment pré­cis. »((Joseph Ratzinger, Eglise et théo­lo­gie, Paris, Mame, 1992, p. 90–91))

Les exemples don­nés par le car­di­nal Ratzinger sur ces déci­sions du magis­tère qui consti­tuent « une sti­mu­la­tion sub­stan­tielle par rap­port au pro­blème », « une expres­sion de pru­dence pas­to­rale », « une sorte de dis­po­si­tion pro­vi­soire » sont au nombre de trois : les décla­ra­tions des papes du XIXe siècle sur la liber­té reli­gieuse, les déci­sions anti­mo­der­nistes du début du XXe siècle, les déci­sions de la Commission biblique de la même époque.

Dans son dis­cours du 22 décembre 2005, le pape Benoît XVI se réfère expli­ci­te­ment aux mêmes ensei­gne­ments magis­té­riels. Il y a donc ici totale homo­gé­néi­té de la pen­sée, jusque dans les illus­tra­tions don­nées pour faci­li­ter la compréhension.

Avant de pas­ser à l’examen plus détaillé de l’exemple don­né et expli­qué par le pape, réflé­chis­sons un peu sur le principe.

C’est un prin­cipe de logique élé­men­taire que la conclu­sion d’un rai­son­ne­ment suit la pré­misse la plus faible. Ainsi d’une majeure uni­ver­selle et d’une mineure par­ti­cu­lière, ne peut déri­ver qu’une conclu­sion par­ti­cu­lière. En ce sens, on ne peut que par­ta­ger l’affirmation de Benoît XVI que « les déci­sions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contin­gents (…) devaient néces­sai­re­ment être elles-​mêmes contin­gentes, pré­ci­sé­ment parce qu’elle se réfé­raient à une réa­li­té déter­mi­née et en soi chan­geante. » Nous ne croyons pas que l’Eglise ait atten­du le concile Vatican II pour savoir cela. Il faut donc cher­cher ailleurs.

Que dans l’application d’un prin­cipe uni­ver­sel à une situa­tion concrète, seul le prin­cipe est immuable et la conclu­sion contin­gente, c’est aus­si une évi­dence. Mais atten­tion, contin­gent ne signi­fie pas faillible, tem­po­raire, muable. Luther a été condam­né au XVIe siècle pour ses nom­breuses héré­sies : le magis­tère a alors appli­qué les prin­cipes immuables de la foi catho­lique au cas concret repré­sen­té par les 95 thèses de Luther affi­chées à Wittenberg. Si un nou­veau Luther devait appa­raître aujourd’hui, la tâche du magis­tère consis­te­rait à nou­veau à appli­quer ces mêmes prin­cipes immuables de la foi catho­lique au nou­vel héré­siarque et la conclu­sion serait iden­tique. Mutatis mutan­dis, on arrive à la même conclu­sion au sujet des décla­ra­tions sur la liber­té reli­gieuse, sur le moder­nisme et sur la cri­tique biblique.

Or, Benoît XVI ne semble pas par­ta­ger notre convic­tion, puisqu’il parle du concile Vatican II qui aurait « revi­si­té ou éga­le­ment cor­ri­gé cer­taines déci­sions his­to­riques. » Suffit-​il de lever l’excommunication des ortho­doxes pour qu’ils ne soient plus schis­ma­tiques ? Suffit-​il de pro­cla­mer un droit natu­rel à la liber­té reli­gieuse pour que l’er­reur ait des droits ? Suffit-​il de dire que les com­mu­nau­tés sépa­rées, héré­tiques ou schis­ma­tiques, ne sont pas dépour­vues de signi­fi­ca­tion dans le plan sal­vi­fique pour qu’elles changent de nature ? Suffit-​il d’en­sei­gner que le peuple juif n’est pas cou­pable de déi­cide pour effa­cer l’en­sei­gne­ment évan­gé­lique sur ce point ?

En tout cela, il nous semble que ce n’est plus le cri­tère de la véri­té objec­tive des faits, si déplai­sants soient-​ils, qui domine, mais un prin­cipe d’op­por­tu­nisme. Le pro­tes­tan­tisme est-​il moins condam­nable après 500 ans qu’en 1517 ? Le schisme ortho­doxe est-​il moins grave au XXIe siècle qu’en 1054 ? Les juifs sont-​ils moins cou­pables aujourd’­hui qu’il y a 2.000 ans de la mort du Christ ? Le Christ ne doit-​il plus régner (1 Cor 15, 25) aujourd’­hui, parce que les socié­tés s’é­loignent de plus en plus de Lui ? Situées dans l’his­toire et par là-​même contin­gentes, ces déci­sions cesseraient-​elles d’o­béir à un prin­cipe de confor­mi­té avec la véri­té révélée ?

À ce compte-​là, l’excommunication de Mgr Lefebvre en 1988 après le sacre de 4 évêques sans le man­dat pon­ti­fi­cal n’était-elle pas aus­si « une sti­mu­la­tion sub­stan­tielle par rap­port au pro­blème », « une expres­sion de pru­dence pas­to­rale », « une sorte de dis­po­si­tion pro­vi­soire » ? Ne serait-​il pas pos­sible aujourd’hui, une ving­taine d’années après les faits, de lever cette peine cano­nique, sans jamais prendre conscience de l’état de néces­si­té objec­tive dans lequel se débat­taient et se débattent encore de nom­breuses âmes catho­liques ? Une telle solu­tion, serait-​elle accep­table par les traditionalistes ?

2.4.2 – Un exemple : la liber­té de religion 

Le pape donne alors de cette expli­ca­tion une illus­tra­tion concrète : la liber­té de reli­gion. Pour le coup, l’exemple concerne les tra­di­tio­na­listes et seule­ment eux, puisque les par­ti­sans de l’herméneutique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture n’y voient aucune dif­fi­cul­té, tout au plus une illus­tra­tion jus­ti­fiant leur her­mé­neu­tique de la rupture.

Selon Benoît XVI, la liber­té de reli­gion est condam­nable dans la mesure où :
- Elle « est consi­dé­rée comme une expres­sion de l’incapacité de l’homme à trou­ver la véri­té » ;
- Elle « devient une exal­ta­tion du rela­ti­visme » ;
- Elle passe « de façon impropre » du sta­tut « de néces­si­té sociale et his­to­rique » « au niveau métaphysique ».

Dans sa condam­na­tion d’une cer­taine forme de liber­té de reli­gion, Benoît XVI revient impli­ci­te­ment aux condam­na­tions de Pie IX en ce qu’elles avaient de radi­cal. En effet, selon lui la liber­té de reli­gion n’est condam­nable qu’en rai­son de ses fon­de­ments pos­sibles ou réels (l’agnosticisme ou le rela­ti­visme) et non en rai­son de son objet. Nous ren­voyons ici le lec­teur aux démons­tra­tions nom­breuses qui montrent que la liber­té reli­gieuse est condam­née en soi, indé­pen­dam­ment de ses fon­de­ments habi­tuels (agnos­ti­cisme et relativisme)(((49) Mgr Marcel Lefebvre, Ils l’ont décou­ron­né, Fideliter, 1987, p. 60–62, 72–79, 183–185 ; Abbé Bernard Lucien, Etudes sur la liber­té reli­gieuse dans la doc­trine catho­lique, Ed. Forts dans la foi, Tours, 1990, p. 19–21, 34, 187, 223–231, 295..)).

Quant au rap­pel sur le pas­sage impropre de la néces­si­té sociale et his­to­rique au niveau méta­phy­sique, il est exact. Le seul pro­blème, c’est que c’est pré­ci­sé­ment ce que fait Dignitatis humanæ en fon­dant la liber­té reli­gieuse sur la nature et en en fai­sant un droit exi­gible en jus­tice, là où la doc­trine catho­lique par­lait de tolé­rance impé­rée par la pru­dence et la charité !

Par contre, pour Benoît XVI, la liber­té de reli­gion est accep­table dans la mesure où :
- Elle est « une néces­si­té décou­lant de la coexis­tence humaine » ;
- Elle est « comme une consé­quence intrin­sèque de la véri­té qui ne peut être impo­sée de l’extérieur, mais qui doit être adop­tée par l’homme uni­que­ment à tra­vers le pro­ces­sus de la conviction. »

La men­tion de la néces­si­té décou­lant de la coexis­tence humaine est accep­table dans la mesure où le bien com­mun exige dans une situa­tion don­née (et non pas uni­ver­sel­le­ment) l’exercice de la tolé­rance en matière reli­gieuse. C’est ce que les Papes ont tou­jours ensei­gné, mas plus Vatican II.

Le second point men­tion­né confond la liber­té de l’acte interne de foi et l’exercice public du culte. Que l’acte de foi doive être libre pour être humain et méri­toire, toute la Tradition l’a tou­jours ensei­gné. Que la pro­fes­sion publique de n’importe quel culte soit per­mise, c’est autre chose et ce n’est pas tou­jours vrai.

Que la véri­té ne puisse être impo­sée de l’extérieur est aus­si une affir­ma­tion contes­table. Si tel était le cas, des parents chré­tiens pourraient-​ils encore faire bap­ti­ser leurs enfants et leur ensei­gner le caté­chisme sans avoir l’air de leur impo­ser la véri­té de l’extérieur ?

Selon Benoît XVI, en défi­nis­sant ain­si la liber­té de reli­gion, Vatican II :
- Reconnaît et fait sien un prin­cipe essen­tiel de l’Etat moderne ;
- Retrouve à nou­veau le patri­moine plus pro­fond de l’Eglise qui est en pleine syn­to­nie avec l’enseignement de Jésus lui-​même (cf. Mt 22, 21) et avec l’Eglise des martyrs.

En effet, en matière de liber­té reli­gieuse, l’Eglise antique nous a mon­tré l’exemple dans la mesure où :
- Elle « a reje­té clai­re­ment la reli­gion d’Etat » ;
- Ses mar­tyrs « sont morts pour la liber­té de conscience et pour la liber­té de pro­fes­ser sa foi, – une pro­fes­sion qui ne peut être impo­sée par aucun Etat, mais qui ne peut en revanche être adop­tée que par la grâce de Dieu, dans la liber­té de conscience. »

Qu’importe à l’Eglise d’adopter un prin­cipe essen­tiel de l’Etat moderne, s’il est faux ! Certes, cela don­ne­ra l’impression que l’Eglise se rap­proche du monde moderne et de sa concep­tion de l’Etat, mais si c’est au prix de l’éloignement de Dieu, à quoi bon ? « À quoi sert à l’homme de gagner la terre entière, s’il vient à perdre son âme » (Mt 16, 26)

Si durant de nom­breux siècles, l’Eglise a tra­vaillé à l’établissement d’une socié­té chré­tienne, ce serait par infi­dé­li­té au Christ et à l’Eglise des mar­tyrs : l’un comme l’autre auraient clai­re­ment prê­ché et agi contre la reli­gion d’Etat et pour la liber­té de conscience !

Voilà où en est ren­due l’Eglise à force de vou­loir adop­ter un prin­cipe essen­tiel de l’Etat moderne ! Même les mar­tyrs de la pri­mi­tive Eglise seraient morts pour affir­mer ce que l’Eglise a atten­du Vatican II pour ensei­gner ! C’est ce qu’on appelle lire la Tradition à la lumière de Vatican II !

Dans ces condi­tions, peut-​on encore par­ler d’Eglise missionnaire ?

Le Pontife répond que l’Eglise mis­sion­naire « doit néces­sai­re­ment s’engager au ser­vice de la liber­té de la foi. » Quelle foi ?
L’Église mis­sion­naire :
- « veut trans­mettre le don de la véri­té qui existe pour tous », tout en res­pec­tant l’identité et les cultures des peuples ;
- « leur apporte une réponse que, au fond d’eux, ils attendent. »

Certes, la foi catho­lique peut assu­mer tout ce qu’il y a de vrai et de bon dans toutes les cultures, mais elle ne sau­rait res­pec­ter tous les aspects de toutes les cultures. Qu’on pense en par­ti­cu­lier aux sacri­fices humains des Aztèques, à l’anthropophagie, à l’infanticide, aux super­sti­tions ani­mistes, à la poly­ga­mie des musul­mans et des païens, etc.

Quant à pen­ser que l’Eglise vient appor­ter une réponse que les peuples attendent au fond, c’est aller un peu vite en besogne. Certes, tous les hommes sont appe­lés au salut et à la connais­sance de la véri­té (1 Tim 2, 4). En ce sens, ils y sont au fond dis­po­sés, car ils en sont radi­ca­le­ment capables. Mais, com­bien de péchés et de vices, consé­quences du péché ori­gi­nel et des 4 bles­sures de la nature humaine, laissent cette dis­po­si­tion de fond inac­ti­vée, voire contrariée !

Pour conclure cet exa­men de la nou­veau­té dans la conti­nui­té prô­née par Vatican II et incar­née dans la liber­té reli­gieuse, il faut bien dire que la nou­veau­té et la rup­ture, nous les voyons, mais que la conti­nui­té nous reste déses­pé­ré­ment cachée. La nou­veau­té vient de l’adoption d’une pro­blé­ma­tique nou­velle née hors de l’Eglise(((50) Là encore le pape Benoît XVI conserve une cohé­rence intel­lec­tuelle avec les ensei­gne­ments du car­di­nal Joseph Ratzinger : « Vatican II avait rai­son de sou­hai­ter une révi­sion des rap­ports entre l’Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, même si elles sont nées hors de l’Eglise, peuvent, une fois exa­mi­nées et amen­dées, trou­ver leur place dans sa vision. En ces années-​là, on a satis­fait à ce devoir, mais celui qui pen­se­rait que ces deux réa­li­tés peuvent se rejoindre ou même s’identifier sans conflit mon­tre­rait qu’il ne connaît ni l’Eglise, ni le monde. » (Ratzinger-​Messori, p. 39))) et de prin­cipes en rup­ture avec le Magistère constant des Papes. Il devient alors impos­sible d’assurer la continuité.

2.5 – L’Eglise, signe de contradiction

Malgré cette nou­veau­té dans la conti­nui­té qui consti­tue l’enseignement essen­tiel de Vatican II, l’Eglise reste une au tra­vers des âges, avant comme après le Concile, affirme le pape.

Certes, Benoît XVI le recon­naît, cette ouver­ture au monde a en par­tie raté. À qui la faute ? Aux « ten­sions inté­rieures et (…) [aux] contra­dic­tions de l’époque moderne elle-​même » ain­si qu’à la « dan­ge­reuse fra­gi­li­té de la nature humaine qui (…) consti­tue une menace pour le che­min de l’homme ». Ces deux aspects auraient été sous-​estimés par le Concile((Dans Entretien sur la foi, le car­di­nal Ratzinger diag­nos­ti­quait ain­si : « Je suis convain­cu que les dégâts que nous avons subis en ces vingt années ne sont pas dus au ‘vrai’ Concile, mais au déchaî­ne­ment à l’intérieur de l’Eglise, de forces latentes, agres­sives et cen­tri­fuges ; et à l’extérieur, ils sont dus à l’impact d’une révo­lu­tion cultu­relle en Occident : l’affirmation d’une classe moyenne supé­rieure, la nou­velle ‘bour­geoi­sie du ter­tiaire’, avec son idéo­lo­gie libéralo-​radicale de type indi­vi­dua­liste, ratio­na­liste, hédo­niste. » (Ratzinger-​Messori, p. 31–32))).

Autrement dit, on a sous-​estimé le pou­voir des­truc­teur de la révo­lu­tion, qui donne nais­sance au monde moderne, et les fai­blesses de l’homme bles­sé. Durant de nom­breux siècles, les Pontifes ont su recon­naître le démon, ses œuvres et ses pompes et ont, par leurs aver­tis­se­ments, empê­ché les hommes, tou­jours faibles, de suc­com­ber aux sirènes. À cette vision sur­na­tu­relle a suc­cé­dé une vision natu­ra­liste et huma­niste. Lerésultat ne s’est pas fait attendre : « Les parents ont man­gé des fruits verts et les enfants ont les dents aga­cées. » (Jr 31, 29) Ne serait-​ce pas l’occasion de cor­ri­ger ces orien­ta­tions erronées ?

Eh bien non ! Le pape revient sur l’intention du Concile qui est, non pas d’« abo­lir cette contra­dic­tion de l’Evangile à l’égard des dan­gers et des erreurs de l’homme », mais d’« écar­ter les contra­dic­tions erro­nées ou super­flues, pour pré­sen­ter à notre monde l’exigence de l’Evangile dans toute sa gran­deur et sa pureté. »

Voilà une affir­ma­tion qui empor­te­ra l’adhésion de tout un cha­cun. Mais dès que l’on des­cend dans les détails, on se rend compte à la lec­ture du dis­cours de Benoît XVI que cela signi­fie jeter les condam­na­tions de la liber­té reli­gieuse, du moder­nisme et du ratio­na­lisme en matière biblique aux oubliettes de l’histoire, car il s’agirait là de déci­sions contin­gentes et de dis­po­si­tions pro­vi­soires ! Là, nous ne sommes plus d’accord du tout !

La fin du dis­cours revient à la pro­blé­ma­tique affron­tée par Vatican II : le pro­blème éter­nel du rap­port entre foi et rai­son qui se pré­sente sous des formes tou­jours nouvelles.

Pour illus­trer le carac­tère éter­nel de ce pro­blème, Benoît XVI cite alors :
- La ren­contre de la foi biblique avec la culture grecque au temps de S. Pierre ;
- La ren­contre de la foi et de la phi­lo­so­phie aris­to­té­li­cienne au temps de S. Thomas d’Aquin ;
- La ren­contre de la foi et de la rai­son moderne depuis Galilée.

La com­pa­rai­son his­to­rique nous semble faible, pour ne pas dire faus­sée. En effet, qu’on consi­dère la culture grecque en géné­ral ou la phi­lo­so­phie aris­to­té­li­cienne en par­ti­cu­lier, il s’agirait tou­jours de valeurs humaines déri­vées du sens com­mun et nées hors de la foi. Par contre, lorsqu’on parle du monde moderne, on parle de valeurs déri­vées de l’idéalisme et nées en oppo­si­tion avec la foi.
On peut bap­ti­ser un païen : c’est ce qu’ont fait S. Pierre et S. Thomas. On ne peut bap­ti­ser un apos­tat : c’est le pari impos­sible ten­té par Vatican II.

Le pape ter­mine alors son dis­cours sur des paroles d’espérance en le rôle futur de Vatican II dans le renou­veau tou­jours néces­saire de l’Eglise.

Conclusion

Au terme de cette ana­lyse de la struc­ture et du conte­nu du dis­cours de Benoît XVI en date du 22 décembre 2005, il est temps de conclure par quelques réflexions.

Comme nous l’avons vu dès le début, ce qui est en cause dans ce dis­cours du Pape, ce n’est pas le concile Vatican II en lui-​même, tout au plus son inter­pré­ta­tion. En lisant le car­di­nal Ratzinger, on a l’impression d’un diag­nos­tic des dif­fi­cul­tés qui se répète d’année en année((Voir par exemple, le diag­nos­tic de 1975, réas­su­mé en 1985 (Ratzinger-​Messori, p. 30–31) et repris main­te­nant en 2005.)) : le Concile n’est pas en cause, tout est à mettre sur le dos d’une fausse interprétation.

Quarante ans après la clô­ture du Concile, on est quand même en droit de se poser la ques­tion : a‑t-​on vrai­ment détec­té la (ou les) cause(s) des problèmes ?

Comment est-​il pos­sible que tout soit une ques­tion d’interprétation ? D’ailleurs, depuis quand un concile a‑t-​il besoin d’une inter­pré­ta­tion ulté­rieure ? N’est-on pas en droit d’attendre d’une assem­blée aus­si nom­breuse et solen­nelle d’évêques, qui ne se réunissent en moyenne qu’une fois par siècle, qu’elle nous donne un ensei­gne­ment inéqui­voque ? N’est-ce pas là le signe que le conte­nu objec­tif des textes du der­nier concile n’était pas clair en lui-même ?

Etant don­né que le concile Vatican II en lui-​même n’est pas encore mis en dis­cus­sion dans cer­tains de ses docu­ments en par­ti­cu­lier et dans son esprit en géné­ral, Benoît XVI ne voit plus qu’une pos­si­bi­li­té pour sor­tir de la crise qui se pro­longe depuis 40 ans déjà : don­ner une inter­pré­ta­tion authen­tique du Concile. Autrefois, le car­di­nal Ratzinger était d’avis qu’il y avait trois posi­tions vis-​à-​vis du Concile, la droite (i.e. les tra­di­tio­na­listes), la gauche (i.e. les pro­gres­sistes) et le centre (lui)((Cf. Ratzinger-​Messori, p. 28, 29, 32, 33)). Aujourd’hui, le sché­ma est sim­pli­fié : il n’y a plus que deux her­mé­neu­tiques en pré­sence, celle de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture et celle de la réforme((Benoît XVI nous dit de ces deux her­mé­neu­tiques qu’elles sont contraires : « Les pro­blèmes de la récep­tion sont nés du fait que deux her­mé­neu­tiques contraires se sont trou­vées confron­tées et sont entrées en conflit. » Nous vou­drions rap­pe­ler ici un prin­cipe de logique qui veut que deux pro­po­si­tions, posi­tions ou inter­pré­ta­tions contraires, peuvent être toutes les deux fausses…)). Tertium non datur. Comme la pre­mière est réfu­té par le Pontife, par éli­mi­na­tion il ne reste plus que la seconde, en l’occurrence la sienne. Est-​ce pour autant la bonne ?

On avait eu en 1999 le « consen­sus dif­fé­ren­cié » pour essayer de faire coïn­ci­der deux doc­trines incon­ci­liables en matière de jus­ti­fi­ca­tion (la catho­lique et la pro­tes­tante). On avait eu les consi­dé­ra­tions sur « l’unité dans la diver­si­té » sous la plume du car­di­nal Walter Kasper pour jus­ti­fier l’œcuménisme actuel. S’y ajou­te­ra désor­mais « la nou­veau­té dans la conti­nui­té » de Benoît XVI comme prin­cipe expli­ca­tif de l’herméneutique de la réforme.

Sans grand risque de nous trom­per, nous pou­vons affir­mer tant qu’on conti­nue­ra à jon­gler avec les mots au lieu d’examiner objec­ti­ve­ment la situa­tion, la crise de l’Eglise ne fera que s’aggraver. Consensus dif­fé­ren­cié, uni­té dans la diver­si­té, nou­veau­té dans la conti­nui­té : autant de (jeux de) mots qui ne veulent rien dire et qui servent à cacher l’inexplicable, i.e. l’oubli du prin­cipe d’identité.

L’Église ne sor­ti­ra sans doute pas de la situa­tion dra­ma­tique où elle se trouve depuis près d’un demi-​siècle tant que l’on recher­che­ra la solu­tion de la crise dans une her­mé­neu­tique. C’est à la véri­té, à la Vérité qu’est Notre Seigneur, qu’il faut reve­nir. Le car­di­nal Ratzinger y voyait en 1988 un moyen de sor­tir de la crise2). Sa devise épis­co­pale et pon­ti­fi­cale((« If we do not point to the truth in announ­cing our faith, and if the truth is not lon­ger essen­tial for the sal­va­tion of Man, then the mis­sions lose their mea­ning. » )) l’y appelle aujourd’hui.

Abbé François KNITTEL †

  1. Tout comme est dif­fé­rente la phi­lo­so­phie qui com­mence par le pro­blème cri­tique avant de pas­ser à la méta­phy­sique et celle qui connaît d’abord le réel avant de s’interroger sur la vali­di­té de sa connais­sance []
  2. Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chi­liens, 13 juillet 1988 []